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TABLE      CONSULTER LE TEXTE DU TRAITÉ DES FINS DERNIÈRES      SUIVANT

LA RÉSURRECTION DE LA CHAIR

QUESTION 75 : LA RÉSURRECTION

ARTICLE 1 : La résurrection des corps doit-elle avoir lieu?

ARTICLE 2 : Tous les hommes ressusciteront-ils?

ARTICLE 3 : La résurrection est-elle naturelle?

QUESTION 76 : LA CAUSE DE LA RÉSURRECTION

ARTICLE 1 : La résurrection du Christ est-elle la cause de la nôtre?

ARTICLE 2 : La voix de la trompette sera-t-elle la cause de notre résurrection?

ARTICLE 3 : Les anges coopéreront-ils à la résurrection?

QUESTION 77 : LE TEMPS ET LE MODE DE LA RÉSURRECTION

ARTICLE 1 : La résurrection doit-elle être di jusqu’à la fin du monde, pour que tous les hommes ressuscitent ensemble ? 

ARTICLE 2 : Le temps de la résurrection est-il caché?

ARTICLE 3 : La résurrection aura-t-elle lieu pendant la nuit?

ARTICLE 4 : La résurrection sera-t-elle instantanée?

QUESTION 78 : LE POINT DE DÉPART DE LA RESURRECTION

ARTICLE 1 : La mort sera-t-elle pour tous les hommes le point de la résurrection?

ARTICLE 2 : Tous les hommes ressusciteront- ils de leurs cendres?

ARTICLE 3 : Les cendres avec lesquelles le corps sera refait ont-elles une inclination naturelle pour l’âme qui leur sera réunie ?

QUESTION 79 : L’ÉTAT DES RESSUSCITÉS ET D’ABORD LEUR IDENTITÉ

ARTICLE 1 : L’âme reprendra-t-elle le même corps?

ARTICLE 2 : L’homme ressuscité sera-t-il le même homme?

ARTICLE 3 : Les cendres reprendront-elles, dans le corps humain ressuscité la place qu’elles y occupaient ? 

QUESTION 80 : L’INTÉGRITÉ DU CORPS RESSUSCITÉ

ARTICLE 1 : Tous les membres du corps humain ressusciteront-ils?

ARTICLE 2 : Les cheveux et les ongles ressusciteront-ils?

ARTICLE 3 : Les humeurs du corps humain ressusciteront-elles?

ARTICLE 4 : Tout ce qui, dans le corps, fut vraiment humain ressuscitera-t-il?

ARTICLE 5 : Tous les éléments matériels qui ont fait partie du corps ressusciteront-ils?

QUESTION 81 : LA QUALITE DU CORPS DES RESSUSCITÉS

ARTICLE 1 : Tous les ressuscités auront-ils le même âge, celui de la pleine jeunesse?

ARTICLE 2 : Tous les ressuscités auront-ils la même taille?

ARTICLE 3 : Tous les ressuscités auront-ils le même sexe, le sexe masculin?

ARTICLE 4 : Les ressuscités exerceront-ils les deux principales fonctions de la vie animale?

QUESTION 82 : L’ETAT CORPOREL DES ÉLUS

ARTICLE 1 : Le corps des élus sera-t-il impassible?

ARTICLE 2 : L’impassibilité sera-t-elle en tous les élus?

ARTICLE 3 : L’impassibilité empêchera-t-elle l’activité des sens?

ARTICLE 4 : Tous les sens des élus exerceront-ils leurs fonctions?

QUESTION 83 : LA SUBTILITÉ DU CORPS DES ÉLUS

ARTICLE 1 : La subtilité est-elle une propriété du corps glorieux?

ARTICLE 2 : La subtilité permet-elle au corps glorieux d’être dans un lieu occupé déjà par un corps non glorieux ? 

ARTICLE 3 : Deux corps peuvent-ils, par miracle, occuper le même lieu?

ARTICLE 4 : Deux corps glorieux peuvent-ils occuper le même lieu?

ARTICLE 5 : La subtilité du corps glorieux l’affranchit-elle de la nécessité d’être dans un lieu semblable à lui-même ? 

ARTICLE 6 : Lu subtilité rend-elle palpable le corps glorieux?

QUESTION 84 : L’AGILITÉ DU CORPS DES ÉLUS

ARTICLE 1 : Le corps des élus sera-t-il doué d’agilité?

ARTICLE 2 : Les élus feront-ils usage de leur agilité?

ARTICLE 3 : Leur mouvement sera-t-il instantané?

QUESTION 85 : LA CLARTÉ DU CORPS DES ÉLUS

ARTICLE 1 : La clarté est-elle une prérogative du corps glorieux?

ARTICLE 2 : La clarté du corps glorieux peut-elle être vue par un oeil non glorifié?

ARTICLE 3 : Le corps glorieux est-il nécessairement vu par un oeil non glorifié?

QUESTION 86 : L’ÉTAT CORPOREL DES DAMNÉS

ARTICLE 1 : Les damnés ressusciteront-ils avec leurs difformités corporelles?

ARTICLE 2 : Le corps des damnés sera-1-il incorruptible?

ARTICLE 3 : Le corps des damnés sera-t-il impassible?

 

QUESTION 75 : LA RÉSURRECTION

Nous avons à considérer maintenant la résurrection et les circonstances qui doivent l’accompagner. Nous étudierons le fait de la résurrection; - la cause; - le temps et la manière; - le point de départ; - l’état des ressuscités.

La première question suggère les demandes suivantes 1. La résurrection des corps doit- elle avoir lieu ? - 2. Sera-t-elle universelle ? - 3. Naturelle ou miraculeuse ?

 

ARTICLE 1 : La résurrection des corps doit-elle avoir lieu ?

Objections 1. Job déclare : « L’homme se couche et ne se réveillera pas tant que subsistera le ciel. » Mais le ciel subsistera toujours, puisque « la terre » elle-même, au dire de l’Ecclésiaste, « subsiste toujours ». Il n’y a donc pas de résurrection après la mort.

2. Notre-Seigneur prouve la résurrection par ces paroles de Dieu même : « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob, » et ajoute : « Or Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. » Mais, lorsqu’il parlait ainsi, Abraham, Isaac et Jacob ne vivaient plus que par leurs âmes. Ce ne sont donc pas les corps qui ressusciteront, mais seulement les âmes.

3. Saint Paul semble prouver la résurrection par la récompense due aux saints pour leurs labeurs

d’ici-bas « Si nous n’avons d’espérance que pour cette vie seulement, nous sommes les plus malheureux de tous les hommes. » Mais une récompense accordée à l’âme seule peut suffire le corps n’est que son instrument, et l’instrument ne doit pas être récompensé comme celui qui s’en est servi. La preuve en est que l’âme seule est punie en purgatoire où pourtant chacune reçoit « ce qu’elle a mérité étant dans son corps. » Il n’est donc pas nécessaire d’admettre une résurrection des corps, mais seulement des âmes, ce qui veut dire leur passage de la mort du péché et de la souffrance à la vie de la grâce et de la gloire.

4. Le terme dernier d’un être marque son apogée; c’est alors qu’il atteint sa fin. Mais l’état le plus parfait pour l’âme, c’est d’être séparée du corps elle est plus semblable à Dieu et aux anges; plus pure aussi, étant dégagée de tout ce qui n’est pas elle-même. L’état de séparation d’avec le corps est donc dernier pour l’âme. Elle ne reprendra donc pas son corps, pas plus que l’homme fait ne redevient enfant.

5. La mort corporelle est le châtiment du péché originel, de même que la mort, séparation de l’âme d’avec Dieu, est le châtiment du péché mortel. Mais, après la sentence de damnation, le retour à la vie spirituelle est impossible. Il n’y a donc pas non plus de retour à la vie corporelle, de résurrection.

Cependant: : 1. «Je sais, dit Job, que mon Rédempteur est vivant et qu’au dernier jour, je me relèverai de la terre et de nouveau je serai recouvert de ma peau. » il y aura donc une résurrection des corps.

2. Le don du Christ surpasse le péché d’Adam. Or, c’est par ce péché que la mort a été introduite; car, sans lui, il n’y aurait pas eu de mort. Le don du Christ doit donc le réparer en rappelant à la vie.

3. Il doit y avoir conformité entre les membres et la tête. Mais le Christ qui est la tête, vit et vivra éternellement dans son corps et dans son âme, car « ressuscité des morts, il ne meurt plus. » Donc, les hommes, qui sont ses membres, vivront aussi dans leur corps et dans leur âme. Il faut donc qu’il y ait une résurrection des corps.

Conclusion: On affirme ou l’on nie la résurrection selon que l’on définit différemment la fin dernière de l’homme. Cette fin dernière, que tous désirent naturellement, c le bonheur. Certains ont pensé qu’il était possible d’en jouir en cette vie; dès lors, point n’était besoin pour eux d’en admettre une autre dans laquelle l’homme atteindrait sa perfection dernière : ils niaient donc la résurrection.

Mais cette opinion ne tient guère devant la variété des conditions humaines, la fragilité de notre organisme, l’imperfection et l’instabilité de la science et de la vertu, toutes choses qui empêchent le bonheur d’être parfait, comme saint Augustin le développe aux derniers chapitres de la Cité de Dieu.

Une seconde opinion admet donc une survie, mais pour l’âme seule, ce qui semble suffisant à satisfaire le désir du bonheur naturel à l’homme.

saint Augustin cite cette parole de Porphyre : « L’âme ne peut être heureuse qu’en fuyant toute espèce de corps. » Donc il n’y aura pas de résurrection.

Cette opinion n’était pas, chez tous ses tenants, la conclusion des mêmes principes. Certains hérétiques prétendaient que tous les êtres corporels venaient d’un principe mauvais, tous les êtres spirituels, d’un principe bon. Le seul moyen, pour l’âme, d’atteindre sa perfection suprême, c’était donc de quitter définitivement son corps, afin de pouvoir s’unir à son principe et y trouver sa béatitude. C’est pourquoi toutes les sectes hérétiques qui professent que c’est le diable qui a créé ou formé les êtres corporels nient la résurrection des corps. La fausseté de cette doctrine des deux principes a été établie au commence ment du second livre des Sentences.

D’autres ont prétendu que l’âme, à elle seule, constitue toute la nature humaine, et qu’elle se sert du corps comme d’un instrument ou qu’elle est en lui comme le pilote dans le navire. Ainsi, du moment que l’âme seule est béatifiée, le désir du bonheur, naturel à l’homme, est satisfait, sans qu’il soit besoin d’admettre la résurrection des corps. Aristote a suffisamment réfuté cette théorie en démontrant que l’âme est unie au corps comme la forme l’est à la matière.

Il est donc de toute évidence que, puisque l’homme ne peut trouver le bonheur en cette vie, il est nécessaire d’affirmer la résurrection.

Solutions 1. Le ciel ne cessera jamais de subsister quant à sa substance, mais seulement quant à l’influence qu’il exerce sur les transformations des êtres terrestres; c’est ce sens qu’il faut donner à la parole de saint Paul « La figure de ce monde passe. »

2. A proprement parler, l’âme d’Abraham n’est pas Abraham, mais seulement une partie de lui- même; et ainsi des autres. La vie de son âme ne suffirait donc pas pour qu’Abraham soit vivant, ou pour que le Dieu d’Abraham soit le Dieu d’un vivant; il y faut la vie du composé tout entier, de l’âme et du corps. Cette vie n’existait pas, à l’état de réalisation, au moment où Dieu prononçait ces paroles; elle existait cependant dans la réunion prévue de l’âme et du corps par la résurrection. Ces paroles de Notre-Seigneur sont donc un argument très ingénieux, non moins qu’efficace, en faveur de la résurrection.

3. L’âme est unie au corps, non seulement comme l’agent à l’instrument, mais comme la forme à la matière; c’est pourquoi l’opération est du composé, et non de l’âme seule. Or, comme la récompense de l’oeuvre est due à l’ouvrier, c’est l’homme lui-même, composé d’âme et de corps, qui doit recevoir la récompense de ce qu’il a fait. Les péchés véniels sont appelés péchés, moins parce qu’ils ont absolument la nature du péché que parce qu’ils y prédisposent; de même, les peines du purgatoire sont moins une punition qu’une purification; le corps et l’âme sont purifiés séparément le corps par la mort et la dissolution, l’âme par le feu.

4. Toutes choses égales d’ailleurs, l’état de l’âme unie au corps est plus parfait, parce qu’elle est une partie d’un tout et qu’une partie intégrale est faite pour le tout. Ce qui ne l’empêche pas d’être plus semblable à Dieu, à un certain point de vue. En effet, absolument parlant, un être ressemble le plus à Dieu, quand il a tout ce qu’exige sa nature, parce qu’alors il reflète le mieux la divine perfection. L’organe, qu’on appelle le coeur, est plus semblable à Dieu, qui est immuable, quand il est en mouvement que lorsqu’il s’arrête, car son mouvement, c’est sa perfection, son arrêt, c’est sa mort.

5. La mort corporelle est la conséquence du péché d’Adam qui fut effacé par la mort du Christ : elle doit donc disparaître, elle aussi; tandis que la mort spirituelle est la conséquence d’un péché dont on ne s’est pas repenti, et dont on ne pourra plus jamais se repentir : elle est donc éternelle.

 

ARTICLE 2 : Tous les hommes ressusciteront-ils ?

Objections : 1. La résurrection n’aura lieu qu’à l’heure du Jugement. Mais il est dit dans les Psaumes « Les impies ne ressusciteront pas au Jugement. » Tous les hommes ne ressusciteront donc pas.

2. La même conclusion négative semble ressortir de ce texte de Daniel qui contient une certaine restriction : « Beaucoup de ceux qui dorment dans la poussière se réveilleront. »

3. La résurrection rendra les hommes semblables au Christ ressuscité; c’est pourquoi l’Apôtre conclut que, puisque le Christ est ressuscité, nous aussi nous ressusciterons. Mais ceux-là seulement doivent devenir semblables au Christ ressuscité, qui « ont porté son image, » c’est-à-dire les bons.

4. La remise de la peine exige la disparition de la faute. Or, la mort corporelle est la peine du péché originel, qui n’est pas effacé chez tous les hommes. Tous ne ressusciteront donc pas.

5. C’est par la grâce du Christ que nous renaissons, et par elle aussi que nous ressusciterons. Mais les enfants qui meurent dans le sein maternel sont incapables de renaître, donc de ressusciter.

Cependant: : 1. Saint Jean écrit : «Tous ceux qui sont dans le tombeau entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’auront entendue vivront. »

2. De même, saint Paul : « Nous ressusciterons tous, etc. »

3. La résurrection est nécessaire pour que les ressuscités reçoivent la peine ou la récompense qu’ils ont méritée. Or tous en sont là : les adultes par leur action personnelle, les enfants, par l’action d’autrui. Tous doivent donc ressusciter.

Conclusion: Ce qui a sa raison d’être dans la nature même d’une espèce doit se retrouver également en tous ceux qui en font partie. Telle est la résurrection : sa raison d’être, c’est que l’âme séparée du corps est incapable de réaliser la perfection dernière de l’espèce humaine. Aucune âme ne restera donc éternellement séparée de son corps. Il est donc nécessaire que tous les hommes ressuscitent, aussi bien qu’un seul.

Solutions 1. Il s’agit ici de la résurrection spirituelle, qui ne sera pas le partage des impies, lorsque les consciences seront examinées au Jugement. - On pourrait dire encore qu’il s’agit des impies tout à fait infidèles, qui ne ressusciteront pas pour être jugés, puisqu’ « ils sont déjà jugés ».

2 « Beaucoup, c’est-à-dire, tous, » comme l’explique saint Augustin. Cette manière de parler se rencontre souvent dans l’Ecriture. - Si on l’entend dans un sens restreint, la restriction pourrait s’appliquer aux enfants morts sans baptême, qui ressusciteront comme les autres, mais sans « se réveiller ». au sens propre du mot, puisqu’ils ne doivent ressentir ni la peine de l’enfer, ni le bonheur du ciel; se réveiller, c’est « reprendre ses sens ».

3. En cette vie, les méchants comme les bons sont conformes au Christ par l’humanité, mais non par la grâce. Tous aussi lui seront conformés par la vie naturelle qui sera rendue à tous; mais les bons seuls lui ressembleront par la gloire.

4. Ceux qui sont morts avec le péché originel en ont subi la peine en mourant. Quoiqu’ils aient encore le péché originel, ils peuvent néanmoins ressusciter, car la peine de ce péché, c’est de mourir plutôt que de rester mort.

5. Nous renaissons par la grâce du Christ qui nous est donnée; nous ressuscitons par la grâce qui lui a fait prendre notre nature et notre ressemblance. Ceux qui meurent dans le sein maternel, quoique la grâce du Christ rie leur ait pas infusé la vie surnaturelle, ressusciteront cependant, puisqu’ils ont la même nature humaine que le Christ, du fait qu’ils possèdent tous les éléments essentiels de cette nature.

 

ARTICLE 3 : La résurrection est-elle naturelle ?

Objections : 1.« L’universalité, dit saint Damascène, est le caractère de ce qui est naturel dans les individus qui ont la même nature. » Or, la résurrection doit être universelle; elle est donc naturelle.

2. « Ceux qui ne veulent pas croire docilement à la résurrection, dit saint Grégoire, devraient en être convaincus par leur raison. L’univers ne nous montre-t-il pas partout et tous les jours des images de notre résurrection ? » Et il cite la lumière, dont la disparition est comme une mort, et le retour, comme une résurrection; les arbres, qui ne perdent leur verdure que pour la voir renaître; les graines qui pourrissent et meurent, mais ensuite germent et revivent. Or, la raison ne peut apprendre des phénomènes naturels rien que de naturel. La résurrection l’est donc aussi.

3. Ce qui n’est pas naturel est l’effet d’une certaine violence, et ne dure pas. Or, ce que la résurrection aura refait durera éternellement Elle est donc naturelle.

4. L’unique fin à laquelle tend la nature est ce qu’il y a de plus naturel. Mais cette fin, c’est la résurrection et la glorification des saint s, comme le dit saint Paul.

5. La résurrection est un mouvement dont le terme est la perpétuelle union de l’âme et du corps, et un mouvement est naturel, quand son terme l’est aussi. Or, la perpétuelle union de l’âme et du corps est naturelle : l’âme étant faite pour le corps, il est naturel à celui-ci d’être toujours vivant par l’âme, comme à l’âme de vivre toujours en lui. La résurrection sera donc naturelle.

Cependant: : 1. « De la privation à la possession il n’y a pas de retour naturel. » Or, la mort est la privation de la vie. Donc, la résurrection, ou retour à la vie, n’est pas naturelle.

2. Les êtres d’une même espèce ont leur origine selon un mode unique et déterminé; c’est pourquoi les animaux qui sortent de la pourriture et ceux qui viennent d’un germe appartiennent toujours à des espèces différentes. Or, le mode naturel à l’homme, c’est d’être engendré par un autre homme. La résurrection ne sera donc point naturelle, puisque le procédé sera tout différent.

Conclusion: On peut considérer trois espèces de mouvement ou action dans un être par rapport à sa nature. Le mouvement ou action, dont la nature n’est ni le principe ni le terme, et qui peut provenir soit d’un principe surnaturel, comme dans la glorification du corps, soit d’un principe quelconque, comme dans la pierre lancée en l’air par un mouvement violent et ayant pour terme un repos qui ne l’est pas moins. - Le mouvement, dont le principe et le terme sont tous les deux naturels, telle la pierre qui descend de son propre poids. - Le mouvement, dont le terme est naturel, quoique le principe ne le soit pas; ce principe est tantôt supérieur à la nature: par exemple, dans la vue miraculeusement recouvrée, le terme est naturel, mais le miracle ne l’est pas; tantôt simplement extérieur, comme dans le forçage des fleurs et des fruits. En aucun cas, le principe ne saurait être naturel sans que le terme le soit aussi, parce que les principes naturels sont déterminés à certains effets, au delà desquels ils sont inopérants.

Le mouvement ou action de la première espèce ne peut en aucune façon être dit naturel; mais miraculeux ou violent. - Celui de la seconde est absolument naturel. - Celui de la troisième ne l’est que relativement au terme naturel auquel il aboutit; par ailleurs, il est miraculeux, artificiel, ou violent. Est « naturel », à proprement parler, « ce qui est selon la nature », c’est-à-dire, l’être qui possède cette nature et les propriétés qui en découlent. Donc, à moins d’une restriction, un mouvement ne peut être dit naturel, s’il n’a pas la nature pour principe.

Quoique le terme de la résurrection soit naturel, il est impossible que son principe le soit. La nature, en effet, est «principe de mouvement dans l’être où elle est »; principe actif, comme dans le déplacement des corps lourds ou légers, les changements naturels des corps vivants; principe passif, comme dans la génération des corps simples. Le principe passif d’une génération naturelle est une puissance passive naturelle, à laquelle correspond toujours une puissance active naturelle aussi, peu importe d’ailleurs, quant à la question présente, que ce principe actif ait pour objet la perfection dernière, c’est-à-dire, la forme, ou seulement une prédisposition nécessaire, comme pour l’âme humaine, selon la doctrine catholique, ou même pour toutes les formes, selon l’opinion de Platon et d’Averroés. mmm

01., il n’existe aucun principe actif naturel de la résurrection, ni pour unir le corps et l’âme, ni pour préparer cette union, puisque la seule prédisposition qui soit naturelle, c’est l’évolution du germe humain. Donc, même en admettant qu’il y ait dans le corps une certaine puissance passive, une inclination quelconque à sa réunion avec l’âme, elle serait hors de toute proportion avec c qu’exige un mouvement pour être naturel. Dès lors, absolument parlant, la résurrection est un miracle; on ne peut l’appeler naturelle que relativement à son terme, ainsi qu’on l’a expliqué.

Solutions : 1. Saint Damascène parle des caractères communs à tous les individus et qui ont leur nature pour principe. En effet, si, par miracle, tous les hommes devenaient blancs, ou se trouvaient réunis dans le même lieu comme au temps du déluge, cela ne ferait ni de la blancheur, ni de cette localisation, des caractères naturels de l’homme.

2. Les phénomènes naturels ne peuvent aller jusqu’à démontrer ce qui n’est pas naturel, mais ils peuvent servir à en persuader; car la nature est comme un symbole du surnaturel, par exemple, l’union du corps avec l’âme représente l’union de l’âme béatifiée avec Dieu. De même, les exemples allégués par saint Paul et saint Grégoire servent à nous persuader de la résurrection qui est un article de foi.

3. Il s’agit ici d’un mouvement dont le terme est contraire à la nature. Or, il n’en sera point ainsi dans la résurrection. L’argument ne porte donc pas.

4. L’action de la nature tout entière est subordonnée à celle de Dieu. Or, de même qu’un art inférieur tend toujours à une fin que peut seul réaliser l’art supérieur qui achève l’oeuvre ou se sert de l’oeuvre déjà achevée, de même, la nature, à elle seule, est impuissante à réaliser la fin dernière à laquelle elle aspire. La réalisation de cette fin ne petit donc pas être naturelle.

5. S’il ne peut y avoir de mouvement naturel qui ait pour terme un repos violent, il peut cependant y avoir un mouvement qui ne soit pas naturel et qui ait pour terme un repos naturel.

 

QUESTION 76 : LA CAUSE DE LA RÉSURRECTION

Trois demandes 1. La résurrection du Christ est-elle la cause de la nôtre ? - 2. La voix de la trompette ? - 3. Les anges ?

 

ARTICLE 1 : La résurrection du Christ est-elle la cause de la nôtre ?

Objections 1. « Poser la cause, c’est poser l’effet. » Mais la résurrection du Christ n’a pas été aussitôt suivie de celle des autres hommes. Elle n’est donc pas la cause de notre résurrection.

2.Un effet exige la préexistence de sa cause. Or, la résurrection aurait eu lieu même si le Christ n’était pas ressuscité, car Dieu aurait pu sauver les hommes d’une autre manière. La résurrection du Christ n’est donc pas la cause de la nôtre.

3. Un même phénomène, commun à tous les êtres d’une même espèce, a une seule et même cause. Or, la résurrection est commune à tous les hommes. Donc, comme celle du Christ n’est pas la cause d’elle-même, elle ne l’est pas non plus de la résurrection des autres hommes.

4. L’effet doit avoir une certaine ressemblance avec sa cause. Mais la résurrection des méchants ne ressemblera en rien à celle du Christ. Elle ne l’aura donc point pour cause.

Cependant: : 1. « Dans un genre quelconque, ce qui est premier est cause de tout le reste. » Or, la résurrection corporelle du Christ le fait appeler « les prémices de ceux qui dorment »; « le premier-né d’entre les morts ». Sa résurrection sera donc la cause de celle des autres hommes.

2. La résurrection du Christ a plus de rapport avec notre résurrection corporelle qu’avec notre résurrection spirituelle ou justification. Or, la résurrection du Christ est la cause de celle-ci

« Il est ressuscité pour notre justification. » Donc elle est la cause de celle-là.

Conclusion: Le Christ est appelé le Médiateur entre Dieu et les hommes, en vertu de sa nature humaine; aussi est-ce par l’entremise de celle-ci que les dons de Dieu parviennent aux hommes. L’unique remède à la mort spirituelle, c’est la grâce donnée par Dieu; l’unique remède à la mort corporelle, c’est la résurrection opérée par Dieu. Ainsi, de même que le Christ a reçu de Dieu les prémices de la grâce, et que sa grâce est cause de la nôtre: « C’est de sa plénitude que nous avons tous reçu, et grâce sur grâce »; de même, le Christ est le premier ressuscité et sa résurrection est cause de la nôtre. Comme Dieu, il en est la cause, pour ainsi dire, équivoque; comme Dieu-homme ressuscité, il en est la cause prochaine et, en quelque sorte, univoque.

La cause efficiente univoque produit un effet dont la forme est semblable à la sienne. Mais il faut distinguer. En certains cas, la forme même, par laquelle l’effet ressemble à sa cause, est le principe direct de l’action productrice de l’effet telle la chaleur du feu. En d’autres, ce n’est pas cette forme elle-même, mais les principes dont elle est issue : par exemple, si un homme blanc engendre un homme blanc, la blancheur n’est pas le principe actif, mais on peut dire néanmoins qu’elle est la cause de ce caractère, parce que c’est en vertu des principes par lesquels il est blanc que le père engendre un fils qui l’est aussi.

C’est de cette manière que la résurrection du Christ est cause de la nôtre. Ce qui a ressuscité le Christ, cause efficiente univoque de notre résurrection, nous ressuscitera également, et c’est la puissance divine qu’il partage avec son Père « Celui qui a ressuscité Jésus-Christ d’entre les morts rendra aussi la vie à vos corps mortels. »

La résurrection même du Christ, Homme- Dieu, est pour ainsi dire, la cause instrumentale de la nôtre. En effet, le Christ agissait divinement en usant de son corps comme d’un instrument saint Damascène en donne comme exemple le lépreux que Jésus guérit en le touchant.

Solutions : 1. Une cause suffisante produit aussitôt son effet direct et immédiat; mais il en va autrement de l’effet dont un intermédiaire la sépare : par exemple, la chaleur, si intense soit-elle, ne se communique pas tout d’un coup, mais peu à peu, en faisant passer l’objet du froid au chaud, parce que son moyen d’action, c’est le mouvement. La résurrection du Christ ne cause pas. la nôtre directement, mais moyennant le principe qui l’a causée elle-même, c’est-à-dire, la puissance divine, qui nous ressuscitera comme elle a ressuscité le Christ. La puissance divine elle-même agit toujours par le moyen de la volonté divine, qui est en rapport immédiat avec l’effet à produire. La résurrection des hommes ne devait donc pas suivre sans délai celle du Christ, mais elle la suivra à l’heure marquée par la volonté de Dieu.

2. La puissance divine ne dépend pas de telles ou telles causes secondes au point de ne pouvoir produire leurs effets sans elles ou au moyen d’autres causes. Elle pourrait, par exemple, entretenir la vie sur la terre indépendamment des influences célestes, qui, cependant, selon l’ordre providentiel, eu sont la cause normale. De même, la divine Providence a voulu que, dans le plan choisi par elle pour l’humanité, la résurrection du Christ fût la cause de la nôtre. Elle aurait pu choisir un autre plan, et alors, la cause de notre résurrection eût été celle que Dieu lui aurait assignée.

3. Cet argument suppose des êtres de même espèce, ayant tous le même rapport avec la cause première de tel effet auquel 1’espèce tout entière doit participer. Il n’en est pas de même ici L’humanité du Christ est plus proche que la nôtre de la divinité dont la puissance est la cause première de la vie. La résurrection du Christ a donc pour cause immédiate la divinité, qui n’est cause de la nôtre que par l’intermédiaire du Christ ressuscite

4. La résurrection de tous, les hommes aura une certaine ressemblance avec celle du Christ par la vie naturelle, que tous partagèrent avec lui et que tous retrouveront pour ne plus la perdre. Mais les saint s, qui ressemblèrent au Christ par la grâce, lui ressembleront aussi par la gloire.

 

ARTICLE 2 : La voix de la trompette sera-t-elle la cause de notre résurrection ?

Objections : 1. « Croyez, dit saint Damascène, que la résurrection aura pour causes la volonté, la puissance, un signe divins. » Ces causes étant suffisantes, il n’y a pas lieu d’en ajouter une autre.

2. A quoi bon la voix de la trompette, puisque les morts sont incapables de l’entendre ?

3. Si une voix est cause de la résurrection, ce ne peut être qu’en raison d’une puissance qu’elle a reçue de Dieu. « Il donnera à sa voix la puissance», dit le Psaume; et la Glose ajoute « de ressusciter les morts. » Mais lorsqu’une puissance est donnée à un être, même par miracle, l’acte qui s’ensuit n’en est pas moins naturel; par exemple, la vision de l’aveugle-né est naturelle, quoiqu’il ait recouvré la vue par un miracle. La résurrection serait donc naturelle; ce qui est faux.

Cependant: : 1. « Au son de la trompette divine, écrit saint Paul, le Seigneur lui-même descendra du ciel, et ceux qui sont morts dans le Christ ressusciteront d’abord. »

2. « Ceux qui sont dans les tombeaux, dit saint Jean, entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui l’auront entendue vivront. » Or, cette voix, le Maître des Sentences l’appelle une trompette.

Conclusion: La cause doit être, d’une manière ou d’une autre, jointe à son effet le moteur et le mobile, l’ouvrier et l’oeuvre, sont ensemble, dit Aristote. Or, le Christ ressuscité est la cause univoque de notre résurrection, il faut donc qu’il l’opère par quelque signe sensible.

Certains disent que ce signe sera la voix même du Christ commandant la résurrection, comme « il commanda à la mer et calma la tempête. »

D’autres disent que ce sera l’apparition du Fils de Dieu dans le monde : « Comme l’éclair part de l’orient et brille jusqu’à l’occident, ainsi en sera-t-il de l’avènement du Fils de l’homme. » Ils s’appuient sur l’autorité de saint Grégoire, d’après lequel le son de la trompette signifie simplement la manifestation du Fils de Dieu comme Juge. Cette apparition est appelée sa « voix, » en tant qu’elle aura la puissance d’un commandement; car aussitôt la nature entière s’empressera de refaire les corps des hommes. Aussi l’Apôtre, quand il décrit l’avènement du Christ, parle-t-il d’un «ordre donné ».

Cette voix, quelle qu’elle soit d’ailleurs, est appelée parfois « un cri », comme celui du héraut qui cite à comparaître. - Ailleurs elle est appelée le son de « la trompette », soit à cause de son éclat, soit par comparaison avec ce qui se passa sous l’Ancien Testament: la trompette annonçait l’assemblée, excitait au combat, conviait aux fêtes; de même, les ressuscités seront convoqués au grand conseil du Jugement, au combat que « l’univers livrera aux insensés », à la célébration de la fête éternelle.

Solutions: 1. Saint Damascène mentionne trois choses : la volonté divine qui commande, la puissance qui exécute, la facilité de l’exécution qu’il exprime par le mot « signe », par une comparaison empruntée aux actions humaines. Une chose semble facile, quand une parole suffit pour qu’elle soit faite; mais, combien plus, lorsque, sans même ouvrir la bouche, au premier signe de notre volonté, celle-ci est exécutée par ceux qui en Sont chargés. Le signe fait par nous est cause de l’exécution, parce que c’est l’expression de notre volonté. Le signe fait par Dieu, dont l’exécution sera la résurrection, sera le signal donné par lui, auquel toute la nature obéira en ressuscitant les morts. Ce signal est identique à « la voix de la trompette », comme on le voit par ce qui a été dit.

2. Il en sera de cette voix, quelle qu’elle soit, comme des paroles qui sont la forme des sacrements et qui ont le pouvoir de sanctifier, non parce qu’elles sont entendues, mais parce qu’elles sont proférées; de même encore, la voix réveille le dormeur par le mouvement de l’air dont elle frappe son oreille et non par la connaissance qu’il en a, puisque celle-ci suit le réveil et n’en est donc pas la cause.

3. Cet argument porterait si la puissance donnée à cette voix était un être achevé, car alors ce qui viendrait d’elle aurait pour principe une puissance devenue naturelle. Mais il n’en sera pas ainsi, et la puissance qu’elle aura sera semblable à celle des paroles sacramentelles.

 

ARTICLE 3 : Les anges coopéreront-ils à la résurrection ?

Objections : 1. La résurrection est l’oeuvre d’une puissance plus grande que la génération. Or, en celle-ci, l’âme est unie au corps sans le ministère des anges. Il en sera donc de même pour la résurrection.

2. Si certains anges devaient y coopérer, ce seraient les Vertus, qui ont pour fonction d’opérer les miracles. Or, mention est faite des Archanges. C’est donc qu’aucune coopération ne sera requise.

Cependant: : « Le Seigneur descendra du ciel à la voix de l’Archange, et les morts ressusciteront. »

Conclusion: « De même, dit saint Augustin, que les corps plus grossiers et inférieurs sont régis, d’après certaines lois, par ceux qui sont plus subtils et plus puissants, de même Dieu gouverne tous les corps par les esprits doués de la vie raisonnable. » saint Grégoire dit aussi quelque chose de semblable. D’où il suit que Dieu se sert du ministère des anges pour tout ce qui regarde le monde matériel. Or, la résurrection comporte quelque chose de matériel, à savoir, la collection des cendres destinées à la reconstruction des corps humains. Dieu en chargera ses anges. Mais c’est sans leur ministère qu’il réunira à leurs corps les âmes que lui seul aussi a créées, et qu’il glorifiera les corps comme lui seul glorifie les âmes. - C’est à ce ministère angélique que certains appliquent le mot « voix », d’après le Maître des Sentences

Solutions : 1. Elle vient d’être donnée.

2. C’est surtout l’archange saint Michel qui remplira ce ministère, lui qui est le prince de l’Église; après l’avoir été de la Synagogue, comme le dit Daniel. Mais il agira sous l’influence des Vertus et des Ordres angéliques supérieurs. De même, les anges gardiens coopéreront à la résurrection de ceux qui leur étaient confiés. Cette voix peut donc être dite celle d’un ange ou de plusieurs.

 

QUESTION 77 : LE TEMPS ET LE MODE DE LA RÉSURRECTION

Il s’agit maintenant du temps et du mode de la résurrection.

Quatre demandes 1. La résurrection doit-elle être différée jusqu’à la fin du monde ? - 2. Le temps en est-il caché ? - 3. Aura-t-elle lieu pendant la nuit ? - 4. En un instant ?

 

ARTICLE 1 : La résurrection doit-elle être di jusqu’à la fin du monde, pour que tous les hommes ressuscitent ensemble ?

Objections 1. Il y a une plus grande harmonie entre la cause et les effets qu’entre les effets eux-mêmes, comme aussi entre la tête et les membres qu’entre les membres eux-mêmes. Or, le Christ, tête de l’humanité, n’a pas différé sa résurrection jusqu’à la fin du monde. Donc les saints qui meurent avant cette date doivent faire de même.

2. La résurrection du Christ est la cause de la nôtre. Or, certains membres, plus unis au chef, sont ressuscités sans délai; on croit que ce privilège fut accordé à la Saint e Vierge. On peut donc croire aussi que la promptitude de la résurrection dépend de la conformité au Christ par la grâce et le mérite.

3. L’état du Nouveau Testament est plus parfait, représente mieux l’image du Christ, que celui de l’Ancien Testament. Or, plusieurs saint s, morts avant le Christ, sont ressuscités en même temps que lui « Plusieurs saint s, qui dormaient dans leurs tombeaux, ressuscitèrent. » A plus forte raison, les saints du Nouveau Testament doivent donc ressusciter sans attendre la fin du Monde,

4. Après la fin du monde, il n’y aura plus d’années. Mais il doit y en avoir un grand nombre entre la résurrection des premiers ressuscités et celle des autres : « Je vis les âmes de ceux qui avaient été décapités à cause du témoignage de Jésus et de la parole de Dieu... lis eurent la vie et régnèrent avec le Christ pendant mille ans; mais les autres morts n’eurent point la vie, jusqu’à ce que les mille ans furent écoulés. » Tous les morts n’attendront donc pas la fin du monde pour ressusciter ensemble.

Cependant: : 1. « L’homme, dit Job, ne se réveillera pas tant que subsistera le ciel, on ne le fera pas sortir de son sommeil. » Or, le ciel doit subsister jusqu’à la fin du monde.

2. « Tous les saints que leur foi a rendus recommandables n’ont pas obtenu l’objet de la foi », c’est-à-dire, la béatitude complète de l’âme et du corps parce que Dieu nous a fait une condition meilleure pour qu’ils n’obtinssent pas sans nous la perfection du bonheur », qui consistera, ajoute la Glose, « dans l’accroissement de la joie de chacun des élus par celle de tous les autres ». Mais la glorification du corps aura lieu en même temps que leur résurrection : c’est alors que le Christ « transformera notre corps si misérable, en le rendant semblable à son corps glorieux »; c’est alors que « les fils de la résurrection seront comme les anges de Dieu dans le ciel. » Tous les hommes doivent donc ressusciter ensemble, à la fin du inonde.

Conclusion: « Les corps plus grossiers et inférieurs, dit saint Augustin, sont régis, d’après certaines lois, par les corps plus subtils et plus puissants. » Toute la matière des corps terrestres est donc soumise, dans ses transformations, à l’action des corps célestes; aussi, son passage à l’état d’incorruptibilité, pendant que les cieux exercent encore leur action, serait une dérogation à l’ordre providentiel. Dès lors, puisque la foi catholique nous enseigne que la résurrection a pour terme la vie éternelle, la conformité au Christ qui « ressuscité d’entre les morts, ne meurt plus », il faut donc qu’elle soit différée jusqu’à la fin du monde et coïncide avec l’arrêt des corps célestes. C’est pour cette raison que certains philosophes, partisans de l’éternité du mouvement du ciel, affirmaient le retour des âmes humaines à des corps mortels, comme les nôtres; soit de la même âme au même corps, à la fin de « la grande année », comme Empédocle, soit « de n’importe quelle âme à n’importe quel corps », Comme Pythagore.

Solutions 1. Entre la tête et les membres, une plus grande harmonie qu’entre les membres eux-mêmes est nécessaire pour qu’elle agisse sur eux; par contre, la causalité qu’elle exerce sur les membres, qui ne l’exercent pas les uns sûr les autres, rend ceux-ci différents de la tête et ressemblants entre eux. D’où il suit que la résurrection du Christ, et on ne peut le dire d’aucune autre, est comme le type de notre résurrection; et la foi au Christ ressuscité nous donne l’espoir de ressusciter nous-mêmes. Sa résurrection devait donc précéder celle des autres hommes, qui ressusciteront ensemble à la fin du monde.

2. Certains membres du Christ peuvent être plus dignes, plus conformes à celui qui est la tête, mais sans partager ni son titre ni son influence. Leur conformité au Christ ne leur donne donc aucun droit à une résurrection anticipée et typique. Si ce privilège a été accordé à quelques-uns, c’est seulement par une grâce toute spéciale.

3. Saint Jérôme hésite, à ce sujet, entre une résurrection temporaire, comme celle de Lazare, destinée simplement à leur permettre de rendre témoignage au Christ ressuscité, et une résurrection définitive, suivie d’une « ascension en corps et en âme à la suite du Christ montant aux cieux. » Cette seconde alternative paraît plus probable. Une vraie résurrection semble mieux en harmonie avec un vrai témoignage au Christ vraiment ressuscité. D’ailleurs, e n’est point à cause d’eux-mêmes que leur résurrection fut aussi prompte, mais afin de témoigner de celle du Christ et fonder ainsi la foi du Nouveau Testa ment. Il convenait donc mieux aussi que ces ressuscités fussent des Justes de l’Ancien Testament.

Il faut ajouter que si l’Evangile mentionne leur résurrection avant celle du Christ, c’est par une anticipation dont les historiens sont coutumiers. De fait, personne n’est définitivement ressuscité avant le Christ, « prémices de ceux qui dorment du dernier sommeil »; quoiqu’il y. ait eu des résurrections temporaires comme celle de Lazare.

4. Comme saint Augustin le rapporte, certains hérétiques prirent occasion de ces paroles pour admettre que certains doivent ressusciter avant les autres et régner mille ans sur la terre avec le Christ : de là, leur nom de Chiliastes ou Millénaires. Il montre donc qu’il faut les interpréter autrement et les entendre de la résurrection spirituelle par laquelle les pécheurs recouvrent la vie de la grâce. La seconde résurrection sera celle des corps. « Le royaume du Christ », c’est l’Église, dans laquelle règnent avec lui non seulement les martyrs, mais tous les élus, «une partie étant prise ici pour le tout ». - Ou encore, s’il s’agit du royaume glorieux du Christ, les martyrs sont spécialement nommés, « parce que ceux-là sur tout règnent après leur mort qui ont combattu jusqu’à la mort pour la vérité ».

Le mot « millénaire » ne signifie point un nombre déterminé, mais désigne tout le temps qui s’écoule maintenant, et pendant lequel, maintenant, les saints règnent avec le Christ. Le nombre mille désigne l’universalité mieux que le nombre cent : cent, c’est le carré de dix; mais mille, c’est un nombre achevé, le produit de dix multiplié deux fois par lui-même, dix fois dix dizaines. Les Psaumes emploient ce mot dans le même sens « La parole que Dieu a affirmée pour mille générations », c’est-à-dire, pour toutes.

 

ARTICLE 2 : Le temps de la résurrection est-il caché ?

Objections : 1. Si le commencement d’une chose est connu avec précision, sa fin peut l’être aussi, « puisque toutes choses ont leur mesure temporelle. » Or, il en est ainsi du commence ment de l’univers, donc de sa fin et, par conséquent, de la résurrection et du Jugement qui doivent l’accompagner.

2. Il est dit, dans l’Apocalypse, de « la femme », symbole de l’Église, que «Dieu lui avait préparé une retraite, afin qu’elle y fût nourrie pendant 1260 jours ». Daniel, lui aussi, assigne un nombre déterminé de jours qui semblent bien être des années, comme dans Ezéchiel : « Je t’ai compté un jour pour un an. » L’Ecriture nous fait donc connaître exactement l’époque de la fin du monde et de la résurrection.

3. L’Ancien Testament est la figure du Nouveau, et nous en connaissons exactement la durée. Nous connaissons donc, par là même, celle du Nouveau Testament et, du même coup, l’époque de la fin du monde et de la résurrection, puisqu’il doit durer jusque-là : « Voici, je suis avec vous jusqu’à la fin du monde.»

Cependant: : 1. Ce qui est ignoré des anges l’est aussi, et à plus forte raison, des hommes; car ce que ceux-ci peuvent découvrir par leur raison, les anges en ont une connaissance naturelle beaucoup plus nette et certaine. D’autre part, s’il s’agit de révélations, elles sont faites aux hommes par le ministère des anges. Or, « quant aux temps, nul ne les connaît, pas même les anges du ciel ».

2. Plus que tous les autres, les Apôtres furent mis dans les secrets de Dieu, eux qui, selon saint Paul, « eurent les prémices de l’Esprit », c’est-à-dire, explique la Glose, qu’ils l’eurent « avant les autres et en plus grande abondance ». Cependant, à leur question Jésus fit cette réponse: « Ce n’est pas à vous de connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa propre autorité. »

Conclusion: «Le dernier âge de l’humanité, dit saint Augustin, qui s’étend de l’avènement du Seigneur jusqu’à la fin du monde, comprendra un nombre de générations qu’on ne saurait déterminer »; de même que le dernier âge de l’homme, la vieillesse, n’a point de limites aussi fixes que les autres, mais parfois, à lui seul, dure autant que tous les autres ensemble ».

Il n’y a, en effet, que deux moyens de con naître l’avenir : la raison ou la révélation. Or, la raison est impuissante à supputer le temps qui doit s’écouler jusqu’à la résurrection, celle-ci devant coïncider avec l’arrêt du mouvement du ciel. C’est par le mouvement que la raison peut calculer et aussi prévoir, pour un temps déterminé, ce qui doit arriver. Or, le mouvement du ciel ne permet pas d’en connaître le terme; car, il est circulaire, et donc de telle nature qu’il puisse durer toujours.

D’autre part, aucune révélation n’est faite à ce sujet, afin que tous les hommes se tiennent toujours prêts à paraître devant le Souverain Juge. Aux Apôtres qui l’interrogeaient Jésus répondit « Ce n’est pas à vous de connaître les temps et les moments que le Père a fixés de sa propre autorité. » « Par cette parole, dit saint Augustin, il coupe, pour ainsi dire, les doigts à tous les calculateurs et leur ordonne de se tenir tranquilles, » Ce qu’il a refusé de révéler à ses Apôtres qui le lui demandaient, il ne le révélera à personne.

C’est pourquoi tous ceux qui jusqu’ici ont voulu calculer se sont trompés. « Les uns, dit saint Augustin, parlent de quatre cents, d’autres de cinq cents, et même de mille ans, à partir de l’Ascension du Seigneur jusqu’à son dernier    avènement. » Leur erreur est flagrante; telle sera toujours celle de leurs imitateurs.

Solutions : 1. Pour connaître la fin des choses dont nous connaissons le commencement, il est nécessaire d’en connaître aussi la mesure. C’est pourquoi, si nous connaissons le commencement d’une chose dont la durée est mesurée par le mouvement du ciel, nous pouvons en connaître la fin, parce que le mouvement du ciel nous est connu. Mais la durée même du mouvement du ciel a pour unique mesure la volonté divine qui nous est cachée. Dès lors, nous avons beau en connaître le commencement, il nous est impossible d’en connaître la fin.

2. Les 1260 jours dont parle l’Apocalypse représentent la vie de l’Église dans sa totalité plutôt qu’un nombre déterminé d’années. La raison en est que la prédication du Christ, sur laquelle est fondée 1’Église, a duré trois ans et demi, c’est-à-dire, un nombre de jours sensiblement égal au précédent. Le nombre cité par Daniel ne se rapporte pas aux années qui doivent s’écouler jusqu’à la fin du monde ou à la prédication de l’Antéchrist, mais à la durée de sa prédication même et de sa persécution.

3. L’Ancien Testament est la figure du Nouveau, d’une manière générale et sans correspondance nécessaire des détails, d’autant plus que le Christ en a réalisé tous les symboles. C’est pourquoi saint Augustin répond à ceux qui voulaient compter les persécutions de l’Église en se basant sur les plaies d’Egypte : « A mon avis, ce qui se passe en Egypte ne figurait point prophétiquement ces persécutions. Il est vrai que les partisans de cette opinion font à ce sujet des rapprochements d’une ingénieuse habileté, mais ils ne sont point appuyés sur l’esprit prophétique, et, si l’esprit de l’homme parvient quelquefois à la vérité, quelquefois aussi il se trompe. » - Ce mélange de vérités et d’erreurs se retrouve dans les prophéties de l’abbé Joachim.

 

ARTICLE 3 : La résurrection aura-t-elle lieu pendant la nuit ?

Objections : 1. Elle n’aura pas lieu «tant que subsistera le ciel, » c’est-à-dire, tant que son mouvement continuera. Mais lorsqu’il cessera, il n’y aura plus ni temps, ni jour, ni nuit.

k . La fin de toute chose doit être l’apogée de sa perfection. Mais ce sera alors la fin du temps, puisqu’ensuite « il n’y aura plus de temps ». Le temps sera donc à son apogée, qui est le plein jour.

3. La qualité du temps doit correspondre à ce qui s’y passe saint Jean mentionne qu’il faisait nuit quand Judas se sépara de la Lumière. Or, à la fin du monde, aura lieu la manifestation la f plus éclatante de tous les secrets; quand le Seigneur viendra, « il mettra en lumière ce qui est caché dans les ténèbres et manifestera les desseins des coeurs ». Ce sera donc le jour.

Cependant: : 1. La résurrection du Christ est le modèle de la nôtre. Or elle eut lieu la nuit, comme le dit saint Grégoire.

2. Le Seigneur viendra comme un voleur. Mais c’est pendant la nuit que celui-ci s’introduit dans les maisons. C’est donc aussi la nuit que le Christ viendra et qu’aura lieu la résurrection.

Conclusion: L’heure exacte de la résurrection ne peut pas être définie avec certitude. On peut cependant regarder comme assez probable l’opinion de ceux qui disent qu’elle aura lieu à l’aube, lorsque le soleil est à l’orient et la lune à l’occident; car n croit que c’est dans cette position qu’ils furent créés, et ainsi leur cycle serait complet par leur arrêt à leur point de départ. C’est à cette heure même que le Christ est ressuscité, comme le dit l’Evangile.

Solutions : 1. Quand aura lieu la résurrection, il n’y aura plus de temps, mais ce sera la fin du temps, car elle coïncidera avec l’arrêt du mouvement du ciel. Mais, en ce moment même, les astres seront dans une position déterminée à laquelle correspond actuellement une heure déterminée. C’est en ce sens que l’on dit que la résurrection aura lieu à telle ou telle heure.

2. Le temps est à son apogée à midi, à cause de la clarté du soleil. Mais alors « la cité de Dieu n’aura besoin ni du soleil ni de la lune pour l’éclairer, car la gloire de Dieu l’illuminera ». Peu importe donc, à ce point de vue que la résurrection ait lieu le jour ou la nuit.

3. Ce temps sera celui d’une manifestation, c’est vrai; mais lui-même est indéterminé et caché : le jour ou la nuit conviennent donc également à la résurrection.

 

ARTICLE 4 : La résurrection sera-t-elle instantanée ?

Objections 1. Le prophète Ezéchiel la décrit ainsi « Les os se rapprochèrent les uns des autres; et je vis : et voici que des muscles et de la chair avaient crû au-dessus d’eux, et qu’une peau les recouvrait, mais il n’y avait point d’esprit en eux. » La résurrection ne sera donc point instantanée, puisque les corps

devront être refaits avant que les âmes leur soient réunies.

2. Ce qui exige plusieurs actions successives ne peut être instantané. Or, la résurrection en exige trois : la collection des cendres, la reconstruction du corps, l’infusion de l’âme.

3. Le son est toujours mesuré par le temps. Or, le son de la trompette sera cause de la résurrection.

4. Aucun mouvement local n’est instantané. La collection des cendres ne peut donc pas l’être, et pas davantage la résurrection.

Cependant: 1. « Nous ressusciterons tous, écrit saint Paul, en un instant, en un clin d’oeil. »

2. L’action d’une puissance infinie est instantanée. Or, « croyez, dit saint Damascène, que la résurrection sera l’oeuvre de la puissance divine », qui est infinie.

Conclusion: Dans la résurrection, certaines choses seront confiées au ministère des anges; d’autres seront réservées à la toute-puissance divine. Les premières ne seront pas faites en un instant, au sens philosophique du mot, un temps indivisible, mais en un temps imperceptible. Les secondes seront instantanées, c’est-à-dire, accomplies par Dieu à l’instant même où les anges auront achevé leur oeuvre l’activité inférieure reçoit, en effet, de l’activité supérieure sa dernière perfection.

Solutions: 1. Ezéchiel s’adressait à un peuple grossier; aussi a-t-il décrit l’une après l’autre les phases de la résurrection, quoique tout doive être instantané; tout comme Moïse, pour se rendre intelligible au même peuple, avait divisé en six jours la création du monde, que saint Augustin nous dit avoir été faite en une seule fois. Les opérations sont successives si l’on regarde leur nature, mais elles ne le sont pas au point de vue du temps : soit qu’elles aient lieu au même instant, soit que, à l’instant même où l’une s’achève, l’autre soit faite.

3. Il en est ici comme des paroles sacramentelles c’est au dernier instant que l’effet se produit.

4. La collection des cendres, qui exige le mouvement local, sera faite par les anges, mais en un temps imperceptible, à cause de la facilité d’action qui est leur privilège.

 

QUESTION 78 : LE POINT DE DÉPART DE LA RESURRECTION

Il s’agit maintenant du point de départ de la résurrection.

Trois demandes : 1. La mort sera-t-elle pour tous les hommes le point de départ de la résurrection ? - 2. Tous ressusciteront-ils de leurs cendres ou de leur poussière ? - 3. Celles-ci ont-elles une inclination naturelle pour leur âme ?

 

ARTICLE 1 : La mort sera-t-elle pour tous les hommes le point de d de la résurrection ?[1]

Objections : 1. Certains seront revêtus d’immortalité « comme d’un vêtement surajouté», selon le mot de saint Paul. Le Symbole dit, en effet, que le Christ « viendra juger les vivants et les morts ». Or, au Jugement tous seront vivants. La distinction doit donc signifier que certains hommes comparaîtront au Jugement sans avoir passé par la mort.

2. Un désir naturel et universel doit être réalisé au moins en quelques individus. Or, ce que nous voulons tous, c’est « de n’être pas dépouillés, mais revêtus ». Quelques hommes au moins seront donc revêtus de gloire par la résurrection, sans que la mort les ait dépouillés de leur corps.

3. Selon saint Augustin, les quatre dernières demandes de l’Oraison dominicale se rapportent à la vie présente, et, par l’une d’elles, l’Église demande, « pour cette vie, la remise de toutes ses dettes ». Prière qui ne saurait être vaine : « Tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous l’accordera. » Or, une de ces dettes, contractée par le péché d’Adam, c’est de naître avec le péché originel. Donc, Dieu remettra un jour cette dette, ainsi que la mort qui en est la peine, et les hommes naîtront alors purs et immortels.

4. Le sage, et Dieu est infiniment sage, choisit toujours les voies les plus simples.

Or, il est plus simple de conférer aux hommes alors vivants les privilèges de l’état de résurrection, que de les faire mourir d’abord, ressusciter ensuite, et obtenir enfin ces mêmes privilèges.

Cependant: : 1. Saint Paul dit expressément, dans une comparaison qu’il fait au sujet de la résurrection : « Ce que tu sèmes ne reprend pas vie, s’il ne meurt d’abord. »

2. Il dit encore : « Comme tous meurent en Adam, de même aussi tous seront vivifiés dans 1e Christ. »

Conclusion: Les Pères se sont partagés sur cette question; mais l’opinion la plus commune et la plus sûre, c’est que tous les hommes mourront et ressusciteront après être morts. 1. Elle est plus conforme à la justice de Dieu, qui a condamné la nature humaine tout entière, en punition du péché d’Adam dont tous les descendants contractent la souillure du péché originel, et, en conséquence, doivent subir la mort. - 2. Elle est plus conforme à la saint e Ecriture qui enseigne la résurrection universelle. Or, ressusciter ne se dit proprement que « d’un corps tombé en dissolution », comme le déclare saint Damascène. - 3. Elle est plus conforme aux lois naturelles qui nous montrent que les choses viciées et corrompues ne peuvent être régénérées qu’en passant par la mort : le vinaigre ne peut devenir vin qu’en cessant d’être pour se retrouver liqueur de vigne. Dès lors, puisque la nature humaine a subi une altération entraînant la nécessité de mourir, la mort est pour elle le moyen nécessaire de parvenir à l’immortalité. - Une seconde conformité à ces mêmes lois consiste en ce que « le mouvement du ciel est comme la vie de la nature tout entière », de même que le mouvement du coeur est comme la vie de l’organisme tout entier. Si le coeur s’arrête, c’est la mort pour tous les membres; si le mouvement du ciel cesse, c’est aussi la mort pour tous les êtres auxquels son influence con servait la vie, et, en particulier, la vie humaine sur la terre. Les hommes encore vivants à l’heure où le ciel s’arrêtera devront donc perdre la vie.

Solutions : 1. Cette distinction entre les vivants et les morts ne se rapporte pas à l’heure même du Jugement; ni à tout le temps qui l’aura précédé, en ce sens que tous les hommes auront été d’abord des vivants et ensuite des f morts; mais aux jours qui doivent le précéder I immédiatement, alors que les signes précurseurs commenceront à paraître.

2. Le désir des saints ne peut être vain, s’il est absolu; mais il peut l’être, s’il n’est que conditionnel. Tel est le désir «de n’être pas dépouillés, mais revêtus; » il sous-entend cette condition si c’est possible. C’est à un désir de cette nature que certains donnent le nom de « velléité ».

3. C’est une erreur d’affirmer que quelqu’un, le Christ excepté, soit conçu sans le péché originel. Car, s’il en était ainsi, ce privilégié n’aurait nul besoin d’être racheté par le Christ, qui ne serait donc pas le Rédempteur universel. Cette exemption du péché originel et du besoin d’être racheté ne saurait être attribuée à une grâce de guérison de la nature corrompue, accordée aux parents ou à l’enfant. Il faut admettre, en effet, que tout homme a besoin d’être racheté par le Christ, en raison de sa personnalité, et non pas seulement en raison de la nature humaine.

- La délivrance d’un mal, la remise d’une dette », ne sont possibles que si l’on souffre de ce mal, que si l’on a contracté cette dette. Pour éprouver en soi-même tous les bienfaits de l’Oraison dominicale, il faut donc être né débiteur et malheureux. « La remise des dettes, la délivrance du mal », ne peuvent donc signifier que l’on puisse naître sans dette à payer ou sans mal à subir; mais que les dettes apportées en naissant sont remises ensuite par la grâce du Christ. - Si l’on peut affirmer sans erreur que quelqu’un peut ne pas mourir, il ne s’ensuit pas que l’on puisse affirmer qu’il peut naître sans le péché originel. La miséricorde divine peut, en effet, remettre une peine qui est la conséquence d’une faute, comme le Christ pardonna à la femme adultère. Elle peut tout aussi bien f exempter de la mort ceux que le péché originel condamne à mourir. « S’ils ne meurent pas, c’est qu’ils sont nés sans le péché originel, » est donc un illogisme.

4. Les voies les plus simples sont les meilleures, quand elles conduisent à la fin, ou mieux ou également bien; ce qui n’est point ici le cas.

 

ARTICLE 2 : Tous les hommes ressusciteront- ils de leurs cendres ?

Objections 1. La résurrection du Christ est le modèle de la nôtre. Or, il ne ressuscite point de ses cendres, lui « dont la chair n’a point connu la corruption. »

2. Le corps humain n’est pas toujours brûlé, ce qui est pourtant le seul moyen de le réduire en cendres.

3. Le corps humain n’est pas réduit en cendres aussitôt après la mort. Mais ceux que la fin du monde trouvera vivants, et qui mourront alors, ressusciteront aussitôt.

4. Le point de départ correspond au point d’arrivée. Mais celui-ci, dans la résurrection, n’est pas le même pour les bons et pour les méchants: « Nous ressusciterons tous, mais nous ne serons pas tous changés. » Si donc les méchants ressuscitent de leurs cendres, les bons n’en ressusciteront pas.

Cependant: : 1. « C’est contre tous ceux qui naissent avec le péché originel qu’a été portée la sentence : Tu es poussière et tu retourneras en poussière. » Or, tous ceux qui doivent ressusciter au dernier jour, sont nés, nés vivants ou mort-nés, avec le péché originel. Tous doivent donc ressusciter de leurs cendres.

2. Le corps humain contient de nombreux éléments étrangers à la vraie nature humaine. Or, tous ces éléments doivent disparaître. Il faudra donc que tous les corps soient réduits en cendres.

Conclusion: Les mêmes raisons qui dé montrent que tous les hommes doivent mourir avant de ressusciter, démontrent aussi que tous ressusciteront de leurs cendres; à moins que Dieu n’ait accordé à quelques-uns le privilège d’une résurrection anticipée et -différente.

La saint e Ecriture, qui enseigne la résurrection des corps, enseigne aussi « leur reformation ». Or, de même que tous les hommes doivent mourir afin de pouvoir vraiment ressusciter, de même tous les corps doivent être dissous afin de pouvoir être refaits. De plus, la justice divine n’a pas seulement infligé à l’homme la peine. de mort, mais encore la dissolution de son corps : « Tu es poussière et tu retourneras en poussière. » - De son côté, l’ordre naturel exige non seulement la séparation de l’âme et du corps, mais encore la dissociation des éléments dont celui-ci est composé : le vinaigre ne peut redevenir vin qu’après une décomposition radicale. De plus, l’union des éléments dans les corps composés dépend, pour son existence et sa conservation, du mouvement du ciel; quand celui-ci s’arrêtera, tous les corps composés se résoudront en leurs éléments.

Solutions : 1. La résurrection du Christ est le modèle de la nôtre quant au point d’arrivée, mais non quant au point de départ.

2. On donne le nom de « cendres » à tout ce qui reste du corps humain après s dissolution, pour deux raisons. - 1° C’était une coutume générale, chez les anciens, de brûler les cadavres et d’en conserver les cendres; d’où l’emploi de ce mot pour désigner les restes mortels. - 2° Ce qui rend nécessaire cette dissolution, c’est le foyer de convoitise dont le corps humain est infecté tout entier et qui exige une purification non moins radicale; puisque celle-ci est due à un foyer, le nom de cendres convient donc bien à son résidu, à ce qui reste du corps humain après sa décomposition.

3. Le feu purificateur sera capable de brûler en un instant et de réduire en cendres les corps des hommes qu’il trouvera vivants, comme aussi de réduire en leurs éléments les corps composés

4. Le mouvement n’est pas spécifié par son point de départ, mais par son point d’arrivée. C’est donc celui-ci seul qui différenciera la résurrection des saint s, qui sera glorieuse, de celle des impies, qui ne le sera pas. A un même point de départ correspondent souvent des points d’arrivée différents un objet qui était noir peut devenir blanc ou gris.

 

ARTICLE 3 : Les cendres avec lesquelles le corps sera refait ont-elles une inclination naturelle pour l’âme qui leur sera réunie ?

Objections : . Si elles n’en avaient point, elles seraient vis-à-vis de cette âme comme toutes les autres. Il serait donc indifférent que le corps fût refait avec elles ou avec d’autres : ce qui est faux.

2. Le corps dépend plus de l’âme que celle-ci ne dépend du corps. Or, l’âme séparée n’est pas totalement indépendante le son corps, puisque « le désir qu’elle en a, dit saint Augustin, retarde l’élan qui l’emporte vers Dieu. » A plus forte raison, le corps conserve-t-il une inclination naturelle pour l’âme dont il est séparé.

3. « Ses os seront remplis des iniquités de sa jeunesse; elles dormiront avec lui dans’ la poussière. » Mais les iniquités sont dans l’âme. Une inclination naturelle pour celle-ci persiste donc dans le corps même réduit en poussière.

Cependant: : 1. Le corps humain peut être décomposé en ses éléments ou devenir la chair d’autres animaux. Or, les éléments sont homogènes; la chair du lion et de tout animal l’est aussi. Puisque, ni dans celle-ci, ni dans ceux-là, il n’y a d’inclination naturelle à une âme déterminée, il n’y en a donc pas non plus dans ce qui reste du corps après sa dissolution. « Le corps humain, dit saint Augustin, en quelque substance d’autre corps ou en quelque élément qu’il se soit changé; en quelque nourriture ou en quelque chair d’animaux et même d’hommes il ait été converti; en un instant, ce corps se réunira à l’âme par laquelle il a été animé pour devenir homme, naître et se développer. »

2. A toute inclination naturelle correspond un agent naturel, autrement, « la nature ferait défaut dans une chose nécessaire ». Or, il n’existe aucune puissance naturelle capable de réunir des cendres à l’âme qui les animait. Donc, il n’y a pas en elles d’inclination naturelle pour cette âme.

Conclusion: Trois opinions à ce sujet. 1° La première prétend que le corps humain ne sera jamais réduit à ses premiers éléments; et qu’ainsi il reste toujours dans les cendres une certaine force de cohésion qui leur donne une inclination naturelle pour l’âme qui fut la leur. Cette opinion est contraire à l’autorité de saint Augustin, citée plus haut, aux sens et à la raison : tout composé d’éléments Contraires est susceptible d’être réduit à ces éléments. - 2° La seconde prétend que les éléments résultant de la décomposition du corps humain, ayant été unis à une âme humaine, en gardent plus de lumière et, par conséquent une certaine inclination à lui être réunis. Mais cette raison est imaginaire; en fait, les principes élémentaires n’ont tous qu’une seule et même nature, et ont autant de lumière et d’obscurité les uns que les autres. - 3° La troisième, et la vraie, n’admet, dans les cendres humaines, aucune inclination naturelle à ressusciter, mais seulement une loi providentielle en vertu de laquelle elles seront réunies à l’âme, de préférence à d’autres éléments.

Solutions : 1. Elle vient d’être donnée.

2. L’âme séparée du corps conserve la même nature; il n’en va pas de même du corps l’argument ne porte donc pas.

3. Ces paroles ne signifient pas que les iniquités subsistent dans les cendres des défunts; mais que celles-ci, de par la justice divine, sont destinées à réintégrer un corps qui sera éternellement puni pour les iniquités auxquelles il a pris part.

 

QUESTION 79 : L’ÉTAT DES RESSUSCITÉS ET D’ABORD LEUR IDENTITÉ

Il s’agit maintenant de l’état des ressuscités des caractères communs aux bons et aux méchants, et de ceux qui sont propres aux uns et aux autres.

Trois caractères sont communs : l’identité, l’intégrité, la qualité.

Au sujet du premier, on demande : 1. L’âme reprendra-t-elle le même corps ? - 2. L’homme ressuscité sera-t-il le même qu’avant la résurrection ? - 3. Les cendres reprendront-elles dans le corps la place qu’elles y occupaient ?

 

ARTICLE 1 : L’âme reprendra-t-elle le même corps ?

DIFFIcuLTÉs 1. Saint Paul semble nier cette identité dans la comparaison qu’il emploie à ce sujet : « Ce que tu sèmes, ce n’est pas le corps qui sera un jour, c’est un simple grain. »

2. Toute forme exige une matière, et tout agent, un instrument, en harmonie avec leur condition; le corps est, par rapport à l’âme, matière et instrument. Or, après la résurrection, l’âme ne sera plus la même, mais ou toute céleste ou toute animale, selon la vie qu’elle aura menée ici-bas. Elle devra donc reprendre un corps, qui, comme elle, ne soit plus le même.

3. La mort résout le corps humain en ses éléments, qui, dès lors, n’ont plus rien de commun avec lui que leur caractère de matière première, caractère qu’ils partagent avec tous les autres principes matériels. Le corps humain refait avec les éléments qui lui ont appartenu n’est donc pas plus identique à lui-même que s’il était refait avec des éléments quelconques.

4. Il est impossible qu’une chose soit la même, quand ses parties essentielles ne sont plus les mêmes. Or, la forme du composé humain ne peut pas se retrouver la même. Donc le corps humain ne sera plus le même. - La mineure se prouve ainsi. Ce qui tombe dans le néant ne peut en sortir identique à lui-même; en effet, il en va de l’existence, qui est l’acte de l’être, comme de tout autre acte : s’il est interrompu, c’est un acte nouveau et différent qui lui succède. Or, la forme du composé humain, étant corporelle, est réduite à néant par la mort, comme aussi les qualités contraires qui entrent en composition. La forme qui reparaît n’est donc pas identique â la première.

Cependant: : 1. « Dans ma chair je verrai Dieu, mon Sauveur. » Ainsi s’exprime Job; et il parle de la vision qui suivra la résurrection : « Au dernier jour, je me relèverai de terre. » C’est donc bien le même corps qui ressuscitera

2. « La résurrection, c’est le relèvement de ce qui est tombé, » dit saint Damascène. Or, ce qui tombe par la mort, c’est le corps que nous avons maintenant. C’est donc bien lui aussi, le même, qui ressuscitera.

Conclusion: Certains philosophes admettaient la réunion de l’âme et du corps, mais ils commettaient deux erreurs. La première portait sur le mode de réunion qui, d’après quelques-uns, n’était autre que la voie ordinaire de génération. La seconde portait sur le corps repris par l’âme et qu’ils prétendaient n’être pas le même, mais un autre soit d’une espèce différente, corps de l’animal, chien, lion, etc., auquel l’âme avait ressemblé par ses moeurs bestiales; soit de la même espèce, un corps humain, auquel, après avoir vécu moralement ici-bas et après des siècles de félicité posthume, l’âme désirerait être réunie et le serait.

Cette opinion suppose deux principes également faux. 1° L’âme n’est pas unie au corps essentiellement, comme la forme l’est à la matière, mais accidentellement, comme le moteur l’est au mobile, ou l’homme au vêtement. Dès lors, on peut regarder l’âme comme préexistant au corps, avant que la génération ait rendu possible son union avec lui; comme capable aussi de s’unir à différents corps. - 2° Il n’y a entre l’intelligence et la sensibilité qu’une différence de degré : le privilège de l’intelligence attribué à l’homme signifie simplement une sensibilité plus excellente résultant d’un organisme parfait. Une âme humaine pourrait donc passer dans le corps d’un animal, surtout si elle en a vécu la vie. - Mais Aristote, dans son traité de l’âme, a montré la fausseté de ces deux principes, et, par conséquent, de l’opinion qui repose sur eux.

Certains hérétiques ont partagé les mêmes erreurs philosophiques et sont donc réfutés, eux aussi. - D’autres, parmi lesquels un évêque de Constantinople cité par saint Grégoire, ont prétendu que les âmes seraient unies à des corps célestes ou à des corps subtils comme l’air. - D’ailleurs, toutes les affirmations de ces hérétiques sont erronées parce qu’elles sont incompatibles avec une vraie résurrection telle que l’Ecriture l’enseigne. Il ne peut y avoir résurrection que si l’âme reprend le même corps : ressusciter, c’est se relever; c’est celui-là même qui est tombé qui doit se relever. La résurrection concerne donc le corps qui tombe par la mort plutôt que l’âme qui continue de vivre. Dès lors, si l’âme ne reprend pas le même corps, il ne s’agit plus de résurrection, mais de son union avec un nouveau corps.

Solutions : 1. Une comparaison est toujours imparfaite. Le grain qui sort de terre n’est pas le même que celui qui y fut jeté; il ne lui est pas non plus semblable, puisqu’il a des feuilles que l’autre n’avait point. Le corps ressuscité sera bien le même corps, mais transformé; non plus mortel, mais devenu immortel.

2. Après la résurrection, l’âme ne sera pas essentiellement différente de ce qu’elle était ici-bas; elle sera glorieuse ou malheureuse, ce qui ne constitue qu’une différence accidentelle. Il n’est donc pas nécessaire qu’elle soit unie à un corps nouveau; il suffit qu’elle soit réunie au même corps, mais transformé, de façon qu’il s’harmonise avec l’âme.

3. Ce que nous concevons comme inhérent à la matière, avant son union avec la forme, demeure en elle après que cette union a été rompue : perdre ce qui a suivi n’empêche pas de conserver ce qui précédait. Or, la matière des êtres corruptibles nous paraît posséder des dimensions indéterminées qui permettent qu’elle soit divisée et répartie entre diverses formes.

Ainsi, la matière, considérée avec ces dimensions et quelque forme qu’elle prenne, est en relations plus étroites d’identité avec 1’être qu’elle contribue à produire, que toute autre portion de matière unie à toute autre forme. La même matière qui servit à faire un corps humain servira donc aussi à le refaire.

4. De même que la qualité simple n’est pas la forme substantielle de l’élément ou corps simple, mais sa propriété et la disposition qui rend la matière apte à telle forme, de même, la forme qui résulte de l’équilibre des qualités simples n’est pas la forme substantielle du corps composé, mais une propriété et une disposition à la forme substantielle. Celle-ci, pour le corps humain, est l’âme raisonnable elle-même. En effet, si l’on admettait une forme substantielle préalable, elle donnerait au corps humain son être substantiel, en ferait une substance; et l’âme ne jouerait plus vis-à-vis de lui que le rôle d’une forme artificielle et son union avec lui ne serait plus qu’accidentelle, ce qui est l’erreur des anciens philosophes réfutée par Aristote, dans son Traité de l’Ame. Il s’ensuivrait aussi que les termes qui désignent le corps et ses divers organes, pendant et après leur union avec l’âme, ne seraient plus de purs homonymes, comme le dit cependant Aristote. Donc, du moment que l’âme raisonnable subsiste, aucune forme substantielle du corps humain ne tombe dans le néant. Quant aux formes accidentelles, elles peuvent varier sans compromettre l’identité foncière. C’est donc bien le même corps qui ressuscitera, puisque c’est la même matière qui sera réunie à la même âme, comme la solution précédente l’a établi.

 

ARTICLE 2 : L’homme ressuscité sera-t-il le même homme ?

Objections : 1. « Dans une nature corruptible sujette au changement, ce n’est jamais le même individu qui reparaît », dit Aristote. Or, telle est la condition présente de l’homme. Donc, après le changement apporté par la mort, ce n’est pas le même homme qui revivra.

2. Avec deux humanités différentes, il est impossible d’avoir le même homme. Socrate et Platon ne sont pas un seul et même homme, mais deux hommes, parce que leur humanité est différente. Or, l’humanité de l’homme vivant et celle de l’homme ressuscité sont différentes. Donc ce n’est pas le même homme. - Deux arguments prouvent la mineure. 1° L’humanité, forme du composé humain, n’est pas, comme l’âme, une forme substantielle; elle tombe donc dans le néant, et c’est une autre qui lui succédera. - 2° L’humanité résulte de l’union des parties qui composent l’homme. Or, cette union sera nouvelle, ce sera une seconde union, donc pas la même, ni la même humanité, ni le même homme.

3. Pour que l’homme soit le même, il faut que l’animal, en lui, soit le même, et, pour cela, il faut que la sensibilité soit la même, puisque l’animal se définit par la sensibilité tactile. Or, les sens ne demeurent pas dans l’âme séparée; ce ne sera donc pas la même sensibilité qui reparaîtra, ni le même animal, ni le même homme.

4. La matière de la statue est plus importante dans la statue que celle de l’homme dans l’homme, puisque les êtres artificiels sont substance par leur matière, tandis que les êtres naturels le sont par leur forme. Mais, si une statue est refaite avec le même airain, ce n’est plus la même statue. Donc, à plus forte raison, quoique l’homme soit refait avec les mêmes cendres, ce ne sera plus le même homme.

Cependant: : 1. Job, parlant de la vision qui suivra la résurrection, dit « Moi-même je le verrai, moi-même et non un autre. » L’homme ressuscité sera donc bien le même.

2. « Ressusciter, dit saint Augustin, ce n’est pas autre chose que revivre. » Mais, si ce n’était pas le même homme qui était mort et qui revient à la vie, on ne pourrait pas dire qu’il revit. Il n’y aurait donc pas de résurrection ce qui est contraire à la foi.

Conclusion: La résurrection est nécessaire pour que l’homme atteigne sa fin dernière, qu’il ne peut atteindre ni en cette vie ni par la survivance de l’âme seule. En effet, l’homme aurait été créé en vain, s’il lui était impossible d’atteindre la fin pour laquelle il a été créé. La même raison exige que ce soit le même homme qui atteigne la fin pour laquelle il a été fait. Il faut donc que l’homme ressuscité soit le même, et il sera le même par la réunion de la même âme au même corps. Il n’y aurait pas vraiment résurrection, si l’homme qui revit n’était pas le même. Nier cette identité est donc hérétique, parce que contraire à la vérité de l’Ecriture qui enseigne la résurrection.

Solutions : 1. Aristote parle de la réapparition causée par un mouvement ou changement naturel. En effet, il montre la différence qui existe entre le mouvement de translation qui ramène le ciel, ‘ es -in r identique à son point de départ, et le mouvement de génération qui, dans les êtres corruptibles, ramène la même espèce, mais dans des individus différents : l’homme, par exemple, engendre un homme, mais différent de lui-même; ou encore, le feu engendre l’air, qui devient eau, qui devient terre, qui devient feu, mais un feu différent du premier. Cet argument est donc étranger à la question.

On pourrait dire encore que, parmi toutes les formes des êtres corruptibles, l’âme raisonnable seule subsiste par soi l’être qu’elle avait inauguré dans le corps, elle le conserve après sa séparation d’avec le corps, et y fera participer le corps à la résurrection; puisque, dans l’homme, l’âme et le corps n’ont qu’un seul être, autrement, leur union serait accidentelle. L’être substantiel de l’homme ne subit donc jamais cette interruption qui empêcherait l’identité humaine avant et après elle; tandis que l’interruption de l’être est complète dans les autres choses, dont la forme est abolie et dont la matière passe à un autre être.

Ajoutons que la génération humaine ne saurait aboutir à l’identité numérique. Le père, en effet, contribue seulement à former un nouveau corps, qui possède sa matière à lui, son âme à lui, et constitue donc un autre homme.

2. Au sujet de l’humanité, forme du composé humain, et de toute forme d’un composé quel conque, il y a deux opinions. Les uns disent que la même réalité est forme de la partie, en achevant sa matière, et forme du tout, en lui donnant sa nature spécifique. D’après cette opinion, la réalité qui correspond à l’humanité, c’est l’âme raisonnable elle-même; et, comme l’homme ressuscité aura la même âme, il aura donc aussi la même humanité. - L’opinion d’Avicenne est différente et semble plus vraie. D’après lui, la forme du composé ne peut être ni celle d’une

seule partie, ni une forme qui ne soit pas celle d’une partie; mais c’est un tout, résultant de l’union de la forme avec la matière et comprenant l’une et l’autre. Dès lors, puisque le ressuscité aura la même âme et le même corps, il aura T donc la même humanité. - L’argument supposait que l’humanité était une forme nouvelle, surajoutée à la forme et à la matière : ce qui est faux.

La seconde preuve de la mineure n’est pas plus concluante. L’union (de l’âme et du corps) désigne une action ou passion; mais le fait que celle-ci n’est pas la même n’empêche pas que l’humanité ne le soit. En effet, cette action ou passion ne fait pas partie de l’essence de l’humanité qui résulte d’elle. La génération et la résurrection ne sont évidemment pas un seul et même mouvement, ce qui n’empêche pas le ressuscité d’être le même. Verra-t-on dans l’union la relation même entre le corps et l’âme ? Mais cette relation ne constitue pas l’humanité, elle l’accompagne. L’humanité, en effet, n’est pas la forme d’un être artificiel, qui consiste simplement dans l’assemblage et l’ordonnance, lesquels, en se renouvelant, font un être nouveau, par exemple, une nouvelle maison.

3. Cet argument est décisif contre ceux qui admettent que, dans l’homme, l’âme sensitive et l’âme raisonnable sont deux âmes distinctes; car ainsi l’âme sensitive serait corruptible dans l’homme comme dans les autres animaux. A la résurrection, on n’aurait donc ni la même âme sensitive, ni le même animal, ni le même homme.

- Si l’on admet, au contraire, que, dans l’homme, la même âme est à la fois, raisonnable et sensitive, la difficulté s’évanouit. - L’âme sensitive, qui est la forme essentielle de l’animal, en est aussi la définition; la puissance sensitive, qui est une forme accidentelle, « de toute première importance pour pénétrer jusqu’à l’essence », sert à faire connaître cette définition. Après la mort, l’âme sensitive humaine demeure donc substantiellement, comme l’âme raisonnable elle- même. Certains n’admettent pas que les puissances sensitives demeurent. Mais, puisqu’elles ne sont que des propriétés accidentelles, leur défaut d’identité ne porte aucun préjudice à l’identité de l’animal considéré dans son ensemble ni même à celle de ses parties organiques les puissances, en effet, ne sont des perfections ou actes des organes que comme principes d’action, comme la chaleur dans le feu.

4. Une statue peut être considérée à deux points de vue, comme substance et comme oeuvre d’art. Elle est substance par la matière dont elle est faite, et donc, à ce point de vue, la statue refaite avec la même matière est la même. Ce qui en fait une oeuvre d’art, c’est sa forme, qui est quelque chose d’accidentel, et qui disparaît, quand la statue est détruite. Si cette forme reparaît, ce n’est donc plus la même, ni la même statue. Mais l’âme humaine est une forme qui demeure après la dissolution du corps : le cas est donc tout différent.

 

ARTICLE 3 : Les cendres reprendront-elles, dans le corps humain ressuscité la place qu’elles y occupaient ?

Objections : 1. « Ce que toute l’âme est pour tout le corps, chaque partie de l’âme l’est pour chaque partie du corps », par exemple, la vue pour la pupille de l’oeil. Or, à la résurrection, le corps sera repris par la même âme; ses parties devront donc redevenir les membres qu étaient, afin d’être reprises et animées par les mêmes parties de l’âme.

2. Avec une matière différente, il est impossible d’avoir le même être. Or, si les cendres ne redeviennent pas ce qu’elles étaient, les parties du corps auront une matière différente de celle qu’elles avaient. Elles ne seront donc plus les mêmes; le tout, dont elles sont comme la matière, ne sera plus le même; l’homme ne sera plus le même; et il n’y aura pas de véritable résurrection.

3. La résurrection est nécessaire pour qu’il soit rendu à chacun selon ses oeuvres. Mais les différentes parties du corps concourent aux oeuvres bonnes ou mauvaises, Il faut donc que chacune se retrouve ce qu’elle était pour recevoir ce qui lui est dû.

Cependant: 1. Les choses artificielles dé pendent plus de leur matière que les choses naturelles. Or, quand une oeuvre d’art est refaite avec la même matière, peu importe que les différentes parties de celle-ci reprennent la place qu’elles occupaient.

2. Une variation accidentelle n’empêche pas l’identité de l’être où elle se produit. Or, la place occupée par les parties dans un tout est quelque chose d’accidentel. Elle peut donc varier, et l’homme rester le même.

Conclusion : Quand on parle d’identité, il faut distinguer la question de nécessité et celle de convenance. Quant à la première, à ce qu’exige l’identité, il faut considérer dans le corps humain deux espèces de parties : les unes sont homogènes ou de même nature, par exemple, des parties de chair ou des parties d’os ; les autres sont hétérogène ou de nature différente, par exemple, de la chair et de l’os. Si une partie en remplace une autre de même espèce, le changement est purement local, et ne constitue pas une différence spécifique dans un tout homogène et n’empêche donc pas l’identité de ce tout. Il en est ainsi dans l’exemple cité par le Maître des Sentences une statue refaite avec les mêmes éléments n’est plus la même quant à la forme; mais elle est la même quant à la matière qui lui donne d’être une substance déterminée; et c’est par sa matière qu’elle est homogène, et non par sa forme artificielle.

Si la matière d’une partie en refait une autre d’espèce différente, elle ne change plus seulement de place, mais d’espèce : elle n’est plus la même, à condition toutefois que toute la matière de la première, ou tout ce qui, en elle, appartenait vraiment à la nature humaine, passe dans la seconde. Or, si les parties ne sont plus les mêmes, les parties essentielles, bien entendu, le tout, lui aussi, n’est plus le même; il en va autrement, s’il s’agit de parties accidentelles, comme les cheveu et les ongles, auxquels saint Augustin semble faire allusion. - On voit par là à quelles conditions un tout peut rester le même, quand ses éléments matériels changent de place.

La question de convenance rend plus probable le retour des mêmes parties matérielles à la place qu’elles occupaient, au moins quant aux parties essentielles et organiques; quoiqu’il puisse en être autrement pour les parties accidentelles, comme les cheveux et les ongles.

Solutions : 1. Il s’agit ici de parties organiques et non plus seulement de parties homogènes.

2. Un changement de matière empêche l’identité, mais un Changement de place des mêmes éléments matériels ne l’empêche pas.

3. C’est le tout, et non pas la partie, qui est, à proprement parler, le principe de l’opération. C’est donc à lui, et non pas à elle, que la récompense est due.

 

QUESTION 80 : L’INTÉGRITÉ DU CORPS RESSUSCITÉ

 

Nous avons à étudier maintenant l’intégrité du corps ressuscité.

On se demande: 1. Tous les membres du corps humain ressusciteront-ils ? - 2. Les cheveux et les ongles ? - 3. Les humeurs ? - 4. Tout ce qui, dans le corps, fut vraiment humain ? - 5. Tout ce qui en fut un élément matériel ?

 

ARTICLE 1 : Tous les membres du corps humain ressusciteront-ils ?

Objections : 1. La disparition de la fin entraîne celle du moyen. Or, la fin des membres, c’est leur acte. Dès lors, certains actes n’ayant plus à être produits, les membres qui leur correspondent ne ressusciteront donc pas, puisque la providence ne fait rien d’inutile.

2. Les intestins devront être pleins ou vides. Mais l’une et l’autre de ces deux hypothèses semblent inadmissibles.

3. Le corps doit ressusciter afin d’être récompensé ou puni pour le bien ou le mal que l’âme accomplit patS lui. Mais, la main coupée à un voleur, repentant ensuite et sauvé, ne peut être ni récompensée du bien auquel elle n’a pas coopéré, ni punie du mal qu’elle a fait et dont la punition atteindrait l’homme lui-même. Tous les membres ne ressusciteront donc pas.

Cependant: 1. Les autres membres sont plus vraiment humains que les cheveux et les ongles. Or, ceux-ci ressusciteront, comme le dit le Maître des Sentences.

2. « Les oeuvres de Dieu sont parfaites. » Or la résurrection sera l’oeuvre de Dieu. L’homme en sortira donc parfait en tous ses membres.

Conclusion: L’âme, dans ses relations avec le corps, n’est pas seulement cause formelle et finale, mais encore cause efficiente. Il y a donc entre elle et lui les mêmes rapports qu’entre l’art et l’oeuvre d’art : tout ce que celle-ci manifeste et développe, celui-là le contient en germe et en est le principe. De même, tout ce qui se révèle dans les parties du corps a son origine dans l’âme, qui le possède, pour ainsi dire, implicitement. L’oeuvre d’art serait imparfaite, s’il lui manquait quelque détail que l’art avait prévu; l’homme, lui aussi, ne saurait être parfait, si toute la virtualité de l’âme ne s’épanouissait pas dans le corps, s’il n’y avait pas pleine correspondance entre l’un et l’autre. Dès lors, comme la résurrection doit établir ce parfait accord, le corps ne devant ressusciter que parce qu’il est fait pour l’âme raisonnable, il faut donc que rien ne manque à l’homme ressuscité et qui ressuscite pour atteindre sa perfection suprême; il faut donc que tous les membres qu’il possède actuellement ressuscitent avec lui.

Solutions 1. Les membres peuvent être considérés comme la matière dont l’âme est la forme, ou comme l’instrument dont elle se sert; la comparaison est, en effet, la même entre le corps tout entier et l’âme tout entière qu’entre les parties de l’un et celles de l’autre. Considéré comme matière, la fin d’un membre n’est pas l’opération, mais plutôt la perfection spécifique, que la résurrection doit respecter. Considéré comme instrument, sa fin, c’est l’opération. Mais, même alors, quand l’opération cesse, il ne s’ensuit pas que l’instrument perde toute utilité; car il peut servir à manifester, sinon l’action, du moins la puissance d’agir. Ainsi en sera-t-il pour les puissances de l’âme dont l’énergie, sinon l’activité, se manifestera par les organes corporels, comme une louange à la Sagesse du Créateur.

2. Les intestins ressusciteront comme les autres membres, mais leur plénitude n’aura rien de vil.

3. A proprement parler, les actes méritoires n’appartiennent ni à la main, ni au pied, mais à l’homme tout entier; de même que l’oeuvre d’art n’est pas attribuée à la scie, mais à l’ouvrier, comme à son principe. Un membre coupé avant les bonnes oeuvres méritoires du salut n’y a pas coopéré; mais l’homme lui-même, qui s’est donné tout entier au service de Dieu, mérite d’être récompensé tout entier.

 

ARTICLE 2 : Les cheveux et les ongles ressusciteront-ils ?

Objections 1. Ils proviennent du superflu des aliments, comme la sueur et autres déchets organiques qui ne ressusciteront pas.

2. L’élément nécessaire à la transmission de la vie ne ressuscitera pas. Cependant Aristote l’appelle « un superflu nécessaire ».

3. Rien n’est informé par l’âme raisonnable, qui ne le soit d’abord par l’âme sensitive. Or, les cheveux et les ongles ne le sont pas, puisqu’« ils sont insensibles ».

Cependant: : 1. « Pas un cheveu de votre tête ne se perdra. »

2. Les cheveux et les ongles sont des ornements du corps humain. Or celui-ci, surtout chez les élus, doit ressusciter avec tout ce qui peut contribuer à sa beauté.

Conclusion: L’âme est au corps comme l’art à l’œuvre d’art; et aux différentes parties du corps comme l’art aux instruments qu’il emploie c’est pourquoi le corps animé est dit « organique ». Or, certains instruments sont destinés à l’exécution de l’oeuvre elle-même l’art les exige donc d’abord et avant tout; d’autres ne sont exigés qu’en second lieu et n’ont pour but que de conserver les premiers : par exemple, l’art militaire a besoin de l’épée pour combattre, et du fourreau pour conserver l’épée. De même, certaines parties du corps, le coeur, le foie, les pieds et les mains, etc., ont pour fonction d’exécuter les opérations de l’âme; d’autres, seulement de protéger les premières, comme les feuilles servent à abriter les fruits; tels sont, dans l’homme, les cheveux et les ongles, qui sont donc des perfections, mais secondaires, Dès lors, puisque l’homme doit ressusciter avec toutes ses perfections naturelles, il ressuscitera donc avec ses cheveux et ses ongles.

Solutions 1. Il y a un superflu inutile dont la nature se débarrasse, et qui est étranger à la perfection du corps humain. Mais il en est un autre qu’elle utilise pour la formation des cheveux et des ongles, qui sont nécessaires de la manière que nous avons dite.

2. Cet élément n’est pas nécessaire à la perfection de l’individu, mais seulement à la conservation de l’espèce.

3. Les cheveux et les ongles se nourrissent et croissent, ce qui montre bien l’action du principe vital. Dès lors, puisqu’il n’y en a qu’un dans l’homme, à savoir, l’âme raisonnable, ils subissent donc son influence, quoique celle-ci n’aille pas jusqu’à leur donner la sensibilité, pas plus, d’ailleurs, qu’aux os, qui pourtant font bien partie de l’individu et ressusciteront avec lui.

 

ARTICLE 3 : Les humeurs du corps humain ressusciteront-elles ?

Objections 1. On parle ici de toute substance liquide ou demi-liquide qui se trouve dans un corps organisé. Saint Paul déclare : « La chair et le sang ne posséderont pas le royaume de Dieu. » Or, le sang est la principale des humeurs du corps humain.

2. Elles sont destinées à réparer les pertes subies par l’organisme, ce qui n’aura plus de raison d’être après la résurrection.

3. Ce qui est en voie de formation dans le corps humain n’est pas encore informé par l’âme raisonnable. Or, telles sont les humeurs, qui sont chair et os seulement en puissance. Elles ne ressusciteront donc pas.

Cependant: 1. Les parties constitutives du corps ressusciteront en lui. Or, telles sont les humeurs, selon saint Augustin : « Le corps est composé de membres fonctionnels; ceux-ci sont composés de parties entièrement semblables, qui, à leur tour sont formées par les humeurs. »

2. Le Christ est le modèle des ressuscités. Or, il est ressuscité avec son sang; autrement, la transsubstantiation du vin en son sang n’aurait pas lieu sur nos autels. Le sang ressuscitera donc, et, pareillement, les autres humeurs.

CoNCLuSION : Tout ce qui concourt à l’intégrité de la nature humaine individuelle doit ressusciter dans l’individu. Or, on peut distinguer trois espèces d’humeurs.

Les premières ne font point partie de la perfection individuelle; les unes, parce qu’elles sont des résidus que la nature rejette urine, sueur, pus, etc.; les autres, parce qu’elles ont pour fin la conservation de l’espèce, soit en transmettant la vie, soit en la nourrissant dans l’enfant à la mamelle. Aucune de ces humeurs ne doit donc ressusciter.

Les secondes n’ont point encore atteint le dernier degré de perfection auquel la nature les destine dans l’individu, mais elles y sont ordonnées. On peut en distinguer de deux sortes. 1° Les unes, le sang et les trois humeurs (bile noire, bile jaune et phlegme), ont une forme déterminée, comme les autres parties du corps, et ressusciteront donc comme elles. 2° Les autres sont en voie de transformation, en voie de devenir des membres;peu importe qu’elles soient au stade initial, alors qu’on les appelle ras (rosée) et qu’elles occupent les pertuis des petites veines, ou au stade plus avancé, alors qu’elles commencent à blanchir et qu’on les appelle camblium (échange) : en aucun de ces deux états elles ne doivent ressusciter, puisque la rénovation du corps en stabilisera toutes les parties, chacune dans sa forme parfaite.

Les troisièmes sont parvenues à la dernière perfection naturelle au corps elles sont toutes blanches et incorporées aux membres; on les appelle gluten (glu). Puisqu’elles sont entrées dans la substance des membres, elles ressusciteront donc avec eux.

Solutions 1. L’Apôtre entend par là les oeuvres de la chair et du sang, les oeuvres de péché, ou même les oeuvres de la vie purement naturelle. - D’après saint Augustin, ces paroles signifient la corruption qui imprègne la chair et le sang; c’est pourquoi saint Paul ajoute : « La corruption n’héritera pas non plus l’incorruptibilité. »

2. De même que certains membres ressusciteront, non plus pour agir, mais pour concourir à l’intégrité de la nature humaine; de même, les humeurs ne seront plus réparatrices, mais seulement des éléments d’intégrité et des signes de puissance

3. Les humeurs sont par rapport aux membres ce que sont les éléments pour les corps composés dont ils sont la matière. Or, les éléments n’ont pas seulement un être changeant dans les corps composés, mais ils ont d’abord en eux-mêmes un être fixe, des formes déterminées par lesquelles ils concourent à la perfection de l’univers, comme les corps composés, sans être toutefois aussi parfaits que ceux-ci; Il en va de même pour les humeurs dans le corps humain. Toutes les parties de l’univers ont reçu de Dieu une perfection, non pas égale, mais proportionnée à chacune; les humeurs reçoivent de l’âme raisonnable une certaine perfection, moindre cependant que celle des parties du corps les plus importantes.

 

ARTICLE 4 : Tout ce qui, dans le corps, fut vraiment humain ressuscitera-t-il ?

Objections : 1. Les aliments, par l’assimilation, deviennent quelque chose de vraiment humain. Or, la chair du boeuf sert d’aliment. Elle devrait donc ressusciter.

2. La côte d’Adam fit vraiment partie de sa nature humaine. Or, elle ne ressuscitera pas en lui, mais en Eve qui en fut formée et qui, autre ment, ne ressusciterait pas.

3. Les mêmes éléments peuvent avoir vraiment appartenu à différents corps humains, par exemple, dans le cas d’anthropophagie. Il est cependant impossible qu’ils se retrouvent en chacun d’eux, après la résurrection.

4 et 5. Comment résoudre les deux cas vraiment étranges, et d’ailleurs purement hypothétiques, de l’enfant dont le père se serait nourri exclusivement de chair humaine, ou, qui pis est, d’embryons humains ?

Cependant: 1. Tout ce qui fut vraiment humain a été sous l’emprise de l’âme raisonnable. Or, c’est ce fait qui explique la résurrection du corps, et, par conséquent, de tout ce qui fut vrai ment humain en lui.

2. S’il manquait au corps quelque chose, qui, en lui, appartînt vraiment à la nature humaine, il serait donc imparfait. Or, la résurrection doit, au contraire, remédier à toutes les imperfections, surtout dans les élus « Pas un cheveu de votre tête ne se perdra. »

Conclusion: Toute chose est vraie dans la mesure ou elle est être. En effet, une chose est vraie quand elle est en elle-même, en acte, telle qu’elle est en celui qui la connaît. Ce qui a fait dire à Avicenne : « La vérité de toute chose est une propriété de son être, tel qu’il lui a été fixé. » Dès lors, une chose est vraiment humaine, appartient à la vérité de la nature humaine, quand elle appartient proprement à l’être de la nature humaine, quand elle participe à la forme de la nature humaine de l’or vrai, c’est celui qui possède la vraie forme de l’or, qui lui donne de posséder l’être propre à l’or. - La question de savoir ce qui appartient vraiment à la nature humaine a suscité trois opinions. 1° Rien de nouveau, qui soit vraiment humain, ne vient s’ajouter à ce qui est primitif; tout ce qui appartient vraiment à la nature humaine lui a été donné dans son institution même. Ce principe se multiplie par lui-même, se transmet de père en fils, se multiplie à son tour en ce dernier, y atteint par la croissance la quantité convenable, et ainsi de suite, pour aboutir à la multiplication du genre humain tout entier. Selon cette opinion, ce qui provient des aliments n’a donc que les apparences de la chair et du sang humains, mais n’appartient pas réellement et vraiment à la nature humaine.

2° La transformation naturelle des aliments en substance corporelle ajoute quelque chose de nouveau et de vraiment humain, si l’on considère l’espèce humaine, à la conservation de laquelle la génération est ordonnée. Si l’on considère l’individu, à la conservation et perfection duquel la nutrition est ordonnée, celle-ci ne lui ajoute rien qui soit vraiment et premièrement humain, mais secondairement. Ce qui est premièrement et principalement humain, disent-ils, c’est « humide radical » duquel est formé d’abord le genre humain; la partie des aliments convertie en vraie chair et en vrai sang dans un individu, n’est que secondairement humaine pour lui, mais peut l’être premièrement pour un autre; pour celui qui naîtra de lui.

3° Quelque chose de vraiment et de premièrement humain commence d’être, même dans tel individu déterminé. On n’est nullement fondé à affirmer qu’une certaine quantité fixe de matière demeure nécessairement pendant la vie tout entière; n’importe quelle partie demeure quant à ce qu’il y a en elle de spécifique, mais est soumise à une espèce de flux et de reflux quant à ce qu’il y a en elle de matériel.

Ces trois opinions ont été étudiées plus au long dans le deuxième livre des Sentences. Il suffisait d’en rappeler ce qui intéresse notre sujet, auquel chacune apporte sa solution.

1° La nature humaine est parfaite, quant au nombre des individus et quant à la quantité convenable à chacun, indépendamment de l’action des aliments, celle-ci n’ayant d’autre but que de réparer la déperdition causée par la chaleur naturelle. Dès lors, puisque la résurrection rétablit la nature humaine dans son état de perfection; puisque, d’autre part, la chaleur naturelle ne lui enlève plus rien; ce que les aliments avaient fourni ne ressuscitera donc pas, mais seulement ce principe constitutif de l’individu humain et qui, transmis et multiplié, amène la nature humaine à sa perfection en nombre et en quantité.

2° Ce que l’homme a reçu de celui qui l’a procréé est premièrement humain et ressuscitera donc d’abord et entièrement. Les éléments qu’il doit à la nutrition ne ressusciteront pas en totalité, mais dans la mesure nécessaire à la quantité qu’il doit avoir, car cela seul est vraiment humain, et encore seulement d’une manière secondaire, puisque, d’une part, ces éléments n’ont fait que prendre la place de ceux qui avaient disparu, et que, d’autre part, cette addition constante d’éléments étrangers diminue graduellement la vérité spécifique, comme l’eau ajoutée au vin l’affaiblit de plus en plus. Tout ce qui est vraiment et premièrement humain ressuscitera donc, mais ce qui ne l’est que secondairement ne ressuscitera qu’en partie.

3° Toutes les parties de l’individu, des Chairs et des os, etc., appartiennent vraiment et également à la nature humain; quant à leur forme spécifique, car, à ce point de vu; elles demeurent, mais non quant à leur matière, car, à ce point de vue, elles sont soumises au change ment. Il en est du corps humain comme d’une cité certains citoyens, enlevés par la mort, sont remplacés par d’autres, de telle sorte que les individus changent matériellement, mais demeurent formellement, en ce sens que les mêmes fonctions et les mêmes places, laissées vides par les uns, sont occupées par d’autres, et la société conserve son unité et son identité. De même, des parties semblables se substituent à d’autres dans le corps humain les éléments matériels changent, mais la forme spécifique demeure et l’on a donc toujours identiquement le même homme. Pour ce qui est de la résurrection, la troisième opinion répond donc comme la seconde, avec cette différence qu’elle maintient que ce qui est primitif dans l’individu, et qui doit ressusciter d’abord et tout entier, n’est pas plus vraiment humain, mais seulement plus parfaitement humain que ce qui s’y ajoute par la suite.

Solutions 1. Les êtres sont ce qu’ils sont par leur forme et non par leur matière. Quand les éléments matériels, qui furent d’abord dans le boeuf et ensuite dans l’homme, ressusciteront en celui-ci, ce ne sera pas de la chair bovine, mais de la chair humaine qui ressuscitera. On pourrait tout aussi bien conclure à la résurrection du limon dont fut formé le corps d’Adam.

2. Cette côte n’appartenait pas à la perfection individuelle d’Adam, mais elle était destinée à la multiplication de l’espèce humaine. C’est donc en Eve, qui fut formée d’elle, qu’elle doit ressusciter.

3. La première opinion répond simplement que la chair humaine ne devint jamais vraiment humaine en celui qui s’en nourrit; elle ne ressuscitera donc pas en lui, mais en l’autre. - Les deux autres opinions répondent que la résurrection des éléments matériels se fera en celui dans lequel ils ont été plus spécifiquement humains. A titre égal, c’est le droit de priorité qui l’emporte. S’il y a un surplus, par rapport à l’idéal du type humain, il pourra ressusciter dans le second. A défaut de la quantité suffisante, la puissance divine y pourvoira, comme elle le fera pour ceux qui sont morts avant l’âge parfait qui sera celui de la résurrection. Cela ne portera aucun préjudice à leur identité, pas plus que le flux et le reflux des éléments matériels dans le même individu.

4 et 5. En dehors de la portion de matière qui a servi à former l’enfant et qui ressuscitera avec lui, il en restera une quantité suffisante aussi bien pour le père lui-même que pour ceux dont il s’est nourri.

 

ARTICLE 5 : Tous les éléments matériels qui ont fait partie du corps ressusciteront-ils ?

Objections 1. La résurrection des autres membres semble plus nécessaire que celle des cheveux. Or, selon S Augustin, toute la matière des cheveux ressuscitera, sinon en eux-mêmes, du moins en quelque autre partie du corps.

2. Ce qui a été partie matérielle du corps a été actué par l’âme, aussi bien que ce qui en a été partie spécifique, et doit donc ressusciter.

3. C’est la matière disposée par la quantité qui donne au corps sa divisibilité comme aussi sa totalité. Si toutes les parties matérielles ne ressuscitent pas, le corps ne ressuscitera donc pas non plus dans sa totalité.

Cependant: : 1. Les éléments matériels ne demeurent pas dans le corps, mais passent et repassent. S’ils devaient tous ressusciter, le corps serait donc d’une densité ou d’une taille absolument excessives.

2. Le cas d’anthropophagie nous amènerait à conclure que, si tous les éléments matériels qui ont appartenu à un corps doivent ressusciter en lui, ce qui a été vraiment humain dans un homme doit ressusciter dans un autre, ce qui est inadmissible.

Conclusion: Les éléments matériels du corps humain n’ont droit à la résurrection que pour autant qu’ils sont vraiment humains et, par là même, en relations avec l’âme raisonnable. Tous sont vraiment humains quant à ce qu’il y a en eux de spécifique, mais non quant à ce qu’il y a en eux de matériel; car, pris dans leur ensemble, pendant toute une vie, ils dépasseraient la quantité exigée par 1’espèce. Telle est la teneur de la troisième opinion, qui me paraît la plus probable. Tout ce qu’il y a dans l’homme ressuscitera donc, à considérer non pas la totalité matérielle, mais la totalité spécifique, caractérisée par la quantité, la figure, la place et l’ordre des parties.

La première et la seconde opinion n’utilisent pas la distinction précédente, mais une autre entre des parties qui sont à la fois spécifiques et matérielles. Elles admettent, l’une et l’autre, que ce qui est primitif dans l’individu, et transmis par voie de génération, ressuscitera en totalité même matérielle. Quant à ce qui s’y ajoute par voie de nutrition, rien n’en ressuscitera, d’après la première; une partie seulement, d’après la seconde.

Solutions : 1. La totalité spécifique, et non la totalité matérielle, règlera la résurrection des cheveux comme des autres parties du corps. Or, en celles-ci, la nutrition produit deux effets l’accroissement, la formation d’une partie humaine nouvelle, qui prend, dans le corps, sa place et sa position à elle; la restauration, le renouvellement d’une partie usée, où il n’y donc de nouveau que la matière. Saint Augustin parle des cheveux selon le premier effet leur matière ressuscitera donc, mais en quantité convenable; le reste sera distribué dans le corps, au gré de la divine Providence, ou employé à une suppléance, s’il en était besoin.

2. La troisième opinion admet l’identité des parties spécifiques et des parties matérielles. Aristote, en effet, n’entend point, par cette distinction, des parties différentes, mais seulement différents points de vue applicables aux mêmes parties, selon que l’on considère ce qu’il y a en elles de formel et de spécifique ou de matériel. Or, il est évident que la matière qui compose la chair, par exemple, n’est en relations avec l’âme que parce qu’elle est sous cette forme déterminée; et c’est aussi par là qu’elle a droit à la résurrection. - Les deux autres opinions admettent que ces parties sont différentes, et aussi que l’âme actue les parties matérielles par les parties spécifiques; elles n’ont donc pas toutes un droit égal à la résurrection.

3. Quand on parle des dimensions indéfinies de la matière des corps terrestres, on la considère dans son état antérieur à l’union avec la forme substantielle. La division selon ces dimensions appartient proprement à la matière. Mais celle-ci reçoit sa quantité complète et définie après son union avec la forme substantielle. La division selon ces dimensions définies intéresse donc l’espèce, surtout quand celle-ci donne à chaque partie sa position déterminée, comme dans le corps humain.

 

QUESTION 81 : LA QUALITÉ DU CORPS DES RESSUSCITÉS

Nous avons à considérer maintenant la qualité des ressuscités.

On demande : 1. Tous les ressuscités auront-ils le même âge, celui de la pleine jeunesse ? - 2. La même taille ? - 3. Le même sexe ? - 4. La vie animale ?

 

ARTICLE 1 : Tous les ressuscités auront-ils le même âge, celui de la pleine jeunesse ?

Objections : 1. Dieu n’enlèvera aux ressuscités, surtout aux élus, aucun élément de la perfection humaine. Or, telle est la vieillesse, qui rend l’homme vénérable.

2. L’âge se mesure au temps passé. Or, il est impossible que le temps passé ne le soit pas. Il est donc impossible que ceux qui ont atteint un âge avancé redeviennent jeunes.

3. La nature humaine semble avoir toute son activité dans l’enfant, tandis qu’elle se débilite, avec l’âge, comme le vin étendu d’eau. Si donc tous les ressuscités doivent avoir le même âge, ils seront tous des enfants.

Cependant: 1. Saint Paul écrit : « Jusqu’à ce que nous soyons tous parvenus à l’état d’homme fait, à la mesure de l’âge parfait du Christ. » Or, le Christ est ressuscité en pleine jeunesse, qui commence, dit saint Augustin, vers la trentième année. Ce sera donc l’âge des ressuscités.

2. L’homme doit ressusciter dans l’état le plus parfait de sa nature. Or, cet état, c’est celui de la pleine jeunesse.

Conclusion: La nature doit ressusciter sans défaut telle Dieu l’a faite, telle Dieu la refera. Or, la nature est sujette à un double défaut soit qu’elle n’ait pas encore atteint son plus haut degré de perfection, comme chez les enfants; soit qu’elle l’ait dépassé, comme chez les vieillards. La résurrection ramènera donc tous les hommes à la pleine jeunesse, à l’âge où finit la croissance et où commence le déclin.

Solutions : 1. Ce qui rend la vieillesse digne de respect, ce n’est pas l’état du corps, qui a perdu sa perfection, mais la sagesse de l’âme, qui est censée grandir avec les ans. Les élus auront droit à ce respect à cause de la sagesse divine dont ils seront pleins, mais sans qu’il y ait en eux rien de sénile.

2. L’âge ne signifie pas ici le nombre des années, mais l’état de l’organisme qui lui correspond. C’est ainsi qu’Adam fut créé en pleine jeunesse, car telle fut sa condition le jour même o il sortit des mains de Dieu.

3. La nature humaine peut être dite plus parfaite dans l’enfant, parce qu’elle possède en lui une plus grande puissance d’assimilation; mais, dans l’homme jeune, elle a atteint son plein épanouissement. La jeunesse sera donc l’état des ressuscités, plutôt que l’enfance, alors que la formation est encore inachevée.

 

ARTICLE 2 : Tous les ressuscités auront-ils la même taille ?

Objections : 1. La quantité est une mesure, comme la durée. Puisque tous les ressuscités auront le même âge, ils auront donc aussi la même taille.

2. « Dans tous les êtres naturels, il y a un terme et une raison de leur croissance et de leur grandeur. » Ce terme ne peut être assigné que par la forme, à laquelle doit s’adapter la quantité comme les autres accidents. Tous les hommes, ayant la même forme spécifique, doivent donc avoir la même quantité, la même taille. Les erreurs que la nature peut actuellement commettre sur ce point seront corrigées par la résurrection.

3. La quantité des corps ressuscités ne sera pas proportionnée à l’énergie naturelle qui les forma une première fois, mais à la puissance divine qui les reformera et qui est la même pour tous les corps, et à la matière dont Dieu dispo sera, c’est-à-dire les cendres, qui sont toutes éga lement prêtes à recevoir son action.

Cependant: : 1. La quantité naturelle dépend de la nature individuelle, que la résurrection ne changera pas.

2. La résurrection aura pour terme la récompense ou le châtiment, dont la quantité ne sera pas la même pour tous. La quantité naturelle des corps ne sera donc pas non plus identique.

Conclusion : La résurrection n’aura pas seulement en vue l’identité spécifique, mais encore l’identité numérique ou individuelle. La nature spécifique exige une quantité renfermée dans certaines limites, non pas absolues mais relatives, dont elle ne saurait se départir, par excès ou par défaut, sans se mentir à elle-même. Chaque homme, dans ces limites, a une certaine quantité correspondant à sa nature individuelle, et la croissance doit l’y amener, à moins d’une anomalie aboutissant à un excès ou à un défaut. Cette quantité dépend de l’activité organique et de la matière assimilable, qui ne sont pas les mêmes chez tous. Tous les hommes ne ressusciteront donc pas avec la même quantité; mais chacun, avec celle à laquelle l’aurait a mené une croissance libre et normale. La puissance divine remédiera à l’excès ou au défaut.

Solutions : 1. Tous les hommes auront le même âge, c’est-à-dire, non pas le même nombre d’années, mais le même état de perfection naturelle, compatible avec une quantité, plus ou moins considérable.

2. La quantité individuelle ne dépend pas seulement de la forme spécifique, mais encore de la nature d’un chacun.

3. La quantité des corps ressuscités ne sera pas proportionnelle à la puissance qui les refera, et qui leur est étrangère; ni à l’état où tous furent réduits pour être à même de ressusciter; mais à la nature individuelle que chaque. vivant possédait. Cependant, si la croissance naturelle eut quelque chose d’anormal, la puissance divine y remédiera, par exemple, pour les nains et les géants.

 

ARTICLE 3 : Tous les ressuscités auront-ils le même sexe, le sexe masculin ?

Objections: 1. « Jusqu’à ce que nous soyons tous parvenus à l’état d’hommes faits », écrit saint Paul.

2. Dans l’autre monde, « il n’y aura plus de supériorité », dit la Glose. La femme ne sera donc plus soumise à l’homme, et n’aura donc plus le sexe qui rend cette soumission naturelle.

3. Ce qui est accidentel et non voulu par la nature ne ressuscitera pas. Or, il en est ainsi du sexe féminin, selon Aristote.

Cependant: : 1. Saint Augustin écrit : « Ceux qui admettent la résurrection des deux sexes semblent plus sages. »

2. Dieu refera par la résurrection ce qu’il fit par la création; les deux sexes y participeront donc.

Conclusion: Si l’on considère les exigences de leur nature individuelle, les ressuscités n’auront pas tous la même quantité, ni le même sexe. Cette diversité est également réclamée par la perfection de l’espèce. Mais la convoitise aura disparu, et, avec elle, tout sentiment de honte.

Solutions : 1. Cette expression signifie simplement la perfection dé l’âme, qui sera dans tous les élus sans distinction.

2. La femme est inférieure à l’homme à cause de sa faiblesse, corporelle et spirituelle. Mais, après la résurrection, ce sont surtout les mérites qui feront la différence entre les élus, quels qu’ils soient.

3. Quoi qu’il en soit de la nature individuelle, la nature, prise dans son ensemble, requiert l’un et l’autre sexe pour la perfection de l’espèce humaine; sans que, d’ailleurs, au ciel, l’un soit inférieur à l’autre, comme on vient de le dire.

 

ARTICLE 4 : Les ressuscités exerceront-ils les deux principales fonctions de la vie animale ?

Objections: 1. L’Evangile rapporte que le Christ, idéal des ressuscités, mangea avec ses disciples.

2. L’homme ressuscitera avec tous ses organes: il exercera donc les fonctions auxquelles ils sont destinés.

3. L’homme tout entier doit être béatifié, dans son âme et dans son corps. Or, la béatitude consiste en une action parfaite. Chez les bienheureux, les puissances de l’âme et les organes du corps ne seront donc pas inactifs.

4. La béatitude est « un état rendu parfait par la somme totale de tous les biens »; parfait, c’est-à-dire que « rien n’y manque ». Les plaisirs du corps n’y feront donc pas défaut.

Cependant: : 1. «Après la résurrection, les hommes ne prendront point de femmes, ni les femmes, de maris. »

2. Les deux principales fonctions de la vie animale ont pour but la conservation de l’espèce et de l’individu. Or, après la résurrection, le nombre des prédestinés sera complet; chaque individu aura et gardera la quantité qu’il doit avoir : « il n’y aura plus de mort. » Ces fonctions seront donc inutiles.

Conclusion: La résurrection n’est pas nécessaire pour donner à l’homme sa perfection première qui consiste à posséder tout ce qu’exige sa nature; car l’homme peut y parvenir, en cette vie, par l’action des causes naturelles. Elle est nécessaire pour donner à l’homme sa perfection dernière, pour le faire parvenir à sa fin dernière. Dès lors, tout ce qui est destiné à lui donner ou à lui conserver sa perfection première les actes de la vie animale en lui-même, manger, boire, dormir, procréer, et, en dehors de lui, l’action mutuelle des éléments, le mouvement du ciel, n’existeront plus après la résurrection.

Solutions : 1. Le Christ ressuscité n’avait nul besoin de manger; s’il le fit, c’est qu’il le voulut pour montrer à ses disciples qu’il avait la même nature humaine qu’au temps où il mangeait et buvait avec eux. A la résurrection générale, cette démonstration n’aurait aucune raison d’être, en face de l’évidence. Cet acte du Christ est donc l’effet motivé d’une dispense, au sens juridique, « d’une exception à la loi commune » qui régira les ressuscités.

2. Il ne faut pas considérer seulement les fonctions auxquelles sont destinés les organes, mais encore l’élément de perfection que leur variété apporte à la nature humaine, tant spécifique qu’individuelle.

3. Cette activité n’est pas humaine au sens propre et distinctif de ce mot. Ce n’est donc point par elle que le corps sera béatifié; il le sera par son union à l’âme bienheureuse à laquelle il sera parfaitement soumis.

4. Les plaisirs du corps sont appelés par Aristote « des remèdes », des soulagements à la fatigue et à la monotonie; mais aussi «des maladies », car l’homme est porté à en jouir avec excès, à les prendre pour les vraies joies, comme celui qui a le goût dépravé aime certaines choses que l’homme sain trouve désagréables. Ces plaisirs sont donc étrangers à la béatitude, au rebours de ce que pensent les Juifs, les Mahométans et certains hérétiques appelés Millénaristes. Leur opinion est également contraire à la doctrine d’Aristote, suivant lequel seuls les plaisirs spirituels sont délectables par eux-mêmes et désirables pour eux-mêmes, et donc seuls exigés par la béatitude.

 

QUESTION 82 : L’ÉTAT CORPOREL DES ÉLUS

Nous avons à étudier maintenant l’état corporel des élus, à savoir, l’impassibilité, la subtilité, l’agilité et la clarté qui seront leurs prérogatives.

Au sujet de la première, on demande : 1. Les corps des élus seront-ils impassibles ? - 2. Le seront-ils tous également ? - 3. Cette impassibilité supprimera-t-elle les actes de la sensibilité ? - 4. Tous les sens exerceront-ils leur activité ?

 

ARTICLE 1 : Le corps des élus sera-t-il impassible ?

Objections : 1. Après la résurrection, l’homme conservera sa nature et sa définition « animal raisonnable mortel. » Or, qui dit mortel, dit passible.

2. Tout être en puissance à la forme d’un autre est passible par rapport à ce dernier c’est la condition de la passibilité. Or, les corps des élus seront en puissance à une autre forme. Ils seront donc passibles. - La mineure se prouve ainsi. Tous les êtres matériels sont eu puissance à une forme différente de celle qui est la leur puisque la matière, du fait qu’elle est sous telle forme, ne perd point sa puissance à être sous une autre. Or, les corps des élus seront reconstitués avec leurs éléments antérieurs; ils seront donc matériels, donc passibles.

3. Les corps des élus seront composés d’éléments contraires, entre lesquels il y aura donc « l’action et la passion qui leur sont naturelles ».

4. Le sang et les humeurs se retrouveront dans les corps ressuscités, et seront donc, par leur contrariété, une source de maladies et autres malaises.

5. La passibilité n’est une imperfection qu’en puissance; moindre, par conséquent qu’une imperfection en acte. Or, celle-ci n’est pas incompatible avec l’état glorieux, puisque les martyrs, comme le Christ lui-même, porteront leurs cicatrices.

Cependant: : 1. Etre passible, c’est être corruptible : « Toute passion qui s’accentue tend à détruire la nature. » Or, saint Paul dit du corps des élus : « Semé dans la corruption, il ressuscitera incorruptible », donc impassible.

2. Ce qui est plus fort ne subit pas l’action de ce qui est plus faible. Or, saint Paul dit encore: « Semé dans la faiblesse, il ressuscitera plein de force. »

Conclusion: Le mot passion peut s’entendre en deux sens. 1° Au sens large, il désigne toute modification d’un être, sympathique ou antipathique à sa nature, élément de perfection ou de corruption. Le corps des élus ne sera pas impassible en ce sens, car il ne faut lui refuser aucun élément de perfection. - 2° Au sens propre, saint Damascène définit la passion : « un mouvement étranger à la nature même de l’être où il se produit. » Le mouvement désordonné du coeur s’appelle une passion; son mouvement normal s’appelle son action. La raison en est que tout être qui pâtit est entraîné dans l’orbite de l’être qui agit sur lui et qui tend à le rendre semblable à lui : il est donc, à ce point de vue, comme arraché à lui-même. Le corps des élus sera incapable de subir une pareille influence; il sera donc impassible.

Tout le monde n’est pas d’accord pour expliquer cette impassibilité. Les uns l’attribuent à la condition des éléments qui ne seront plus alors ce qu’ils sont aujourd’hui : ils conserveront leur substance, mais perdront leurs qualités actives et passives. - Cette explication semble controuvée. En effet, les qualités concourent à la perfection des éléments, qui seraient donc moins parfaits après la résurrection. En outre, comme elles sont des propriétés des éléments et résultent de leur matière et de leur forme, il est tout-à-fait déraisonnable de conserver la cause et de supprimer l’effet.

D’autres admettent que les qualités demeurent, mais que la puissance divine empêchera leur action, dans le but de sauvegarder le corps humain. - Cette opinion paraît également insoutenable. Le corps composé exige l’action des qualités actives et passives, la prédominance de l’une ou de l’autre lui donnant son caractère distinctif. Il doit en être ainsi dans le corps ressuscité, formé de. chair, d’os et autres parties dissemblables. En outre, l’impassibilité ne serait plus alors une prérogative substantielle,h une simple préservation miraculeuse telle que Dieu pourrait l’accorder au corps humain dans sa condition présente.

D’autres invoquent la présence et l’action, inefficace aujourd’hui, mais devenue victorieuse, du cinquième élément destiné à faire régner l’harmonie entre les quatre autres et à rendre le corps humain impassible, comme le sont les corps célestes. - Opinion erronée, elle aussi. D’abord, parce que ce cinquième élément est étranger à la composition du corps humain, Ensuite, parce que cet élément, s’il y entrait, n’empêcherait pas les autres d’être ce qu’ils sont, c’est-à-dire, essentiellement passibles. Enfin, parce qu’aucune puissance naturelle n’est capable de donner au corps des élus l’impassibilité surnaturelle que l’Apôtre fait dériver de la puissance du Christ : «Tel est le céleste (Adam), tels sont aussi les célestes. » - « Il transformera notre corps misérable, en le rendant semblable à son corps glorieux, etc. »

Il faut donc répondre que tout être qui pâtit est vaincu par l’être qui agit sur lui et qui, autrement, ne pourrait le soumettre à sa domination. Ce qui suppose, de la part du premier, une diminution de l’emprise de la forme sur la matière celle-ci, en effet, ne peut être soumise en tout ou en partie à l’une des forces contraires, sans que le domaine que l’autre a sur elle ne soit supprimé ou diminué. Or, le corps des élus, avec tous ses éléments, sera parfaitement soumis à l’âme raisonnable, comme elle-même sera parfaitement soumise à Dieu. Il ne peut donc survenir en lui aucune modification contraire à la disposition parfaite qu’il recevra de l’âme. C’est ainsi qu’il sera impassible.

Solutions : 1. On peut répondre, avec saint Anselme, que « le mot mortel a été introduit dans la définition de l’homme par les philosophes qui ne croyaient pas que l’homme tout entier pût être immortel », et qui ne le considéraient que dans son état actuel de mortalité. - On peut répondre encore, d’après Aristote, que, les différences essentielles des êtres nous étant inconnues, nous employons parfois, pour les signifier, les différences accidentelles qui en sont les effets. Etre mortel ne fait pas partie de la définition de l’homme, comme appartenant à son essence, mais parce que la cause actuelle de la passibilité et de la mortalité, à savoir, être composé d’éléments contraires, appartient à son essence. La résurrection éliminera cette cause, en assurant la victoire de l’âme sur le corps.

2. On peut considérer deux états d’une puissance : l’état lié et l’état libre. Cette distinction s’applique non seulement à la puissance active, mais encore à la puissance passive car la forme lie la puissance de la matière en la dominant et eu lui imposant un caractère déterminé. Dans les êtres corruptibles, cette domination est imparfaite, et le lien n’est pas tellement serré qu’il ne se puisse introduire dans la matière une modification contraire à la forme. Mais, chez les élus, l’âme sera complètement maîtresse du corps, sans que rien puisse lui enlever Cette maîtrise, car elle-même sera soumise à Dieu d’une manière immuable, ce qui n’existait pas dans l’état d’innocence Dans le corps des élus, la matière gardera bien essentiellement la même puissance qu’aujourd’hui à une forme différente, mais cette puissance sera liée par la victoire de l’âme sur Je corps, de telle sorte qu’elle sera à jamais incapable de s’exercer.

3. Les qualités élémentaires sont les instruments de l’âme; c’est elle, par exemple, qui règle la chaleur corporelle dans l’acte de nutrition. Quand l’agent principal est parfait et que l’instrument est sans défaut, celui-ci n’agit jamais qu’en harmonie complète avec celui-là. Dans le corps des élus, les qualités élémentaires ne seront donc jamais le principe d’aucune action capable de contrarier l’âme dans sa volonté de conserver son corps intact.

4. « La puissance divine, dit saint Augustin, peut à son gré, enlever aux corps visibles et tangibles certaines de leurs qualités, et leur laisser les autres. » C’est ainsi que, par miracle, le feu de la fournaise perdit le pouvoir de! brûler le corps des trois enfants, tout en gardant celui de brûler le bois. De même Dieu, de la manière expliquée dans l’article, laissera aux humeurs leur nature, mais supprimera leur passibilité.

5. Pas plus que dans le Christ, les cicatrices ne seront dans les saints une imperfection, mais le symbole de l’héroïque courage avec lequel ils ont souffert et sont morts pour la justice et la foi; elles seront pour eux-mêmes et pour les autres un surcroît de bonheur. «Je ne sais comment il se fait, dit saint Augustin, que notre amour pour les bienheureux martyrs nous porte à désirer voir, sur leur corps, dans le royaume des cieux, les cicatrices des blessures qu’ils ont reçues pour le nom du Christ, et peut-être les verrons-nous en effet. Car ce ne sera point une difformité, mais une gloire, et ce sera dans leur corps une beauté sinon du corps, du moins de la vertu. Cependant il ne s’ensuit point que les martyrs qui auront perdu quelques-uns de leurs membres en seront privés à la résurrection des morts, puisqu’il leur est dit : « Il ne périra pas un cheveu de votre tête. »

 

ARTICLE 2 : L’impassibilité sera-t-elle en tous les élus ?

Objections 1. La Glose dit que tous les élus auront également de ne pouvoir pâtir. Or, ils le devront à la prérogative de l’impassibilité, qui sera donc égale chez tous.

2. Les négations ne sont pas susceptibles de plus et de moins. Or, l’impassibilité, c’est la négation ou privation de passibilité.

3. Un objet est dit plus blanc, quand il est moins mêlé de noir. Mais, il n’y aura, dans le corps des élus, aucun mélange de passibilité. Ils seront donc tous également impassibles.

Cependant: : 1. La récompense doit être proportionnelle au mérite. Mais le mérite de certains élus est plus grand. L’impassibilité, qui est une certaine récompense, sera donc, en eux, plus grande aussi.

2. L’impassibilité est une prérogative du corps des élus, comme la clarté. Comme celle-ci, elle ne sera donc pas égale chez tous.

Conclusion: Si l’on considère l’impassibilité en elle-même, celle-ci n’est pas autre chose qu’une négation ou privation, et, n’étant pas susceptible de plus et de moins, elle est égale chez tous les élus. Si on la considère dans sa cause, il n’en va plus de même. Elle provient, en effet, du domaine de l’âme sur le corps; ce domaine, à son tour, provient de l’union indissoluble avec Dieu. Plus parfaite sera cette union, plus puissante sera la cause de l’impassibilité.

Solutions 1. Il s’agit ici de l’impassibilité considérée en elle-même.

2. Considérées en elles-mêmes, les négations et privations ne sont pas susceptibles de plus et de moins; mais elles peuvent l’être, considérées dans leurs causes on peut appeler plus ténébreux un lieu où la lumière rencontre de plus nombreux et de plus grands obstacles.

3. Une qualité peut croître en intensité non seulement par son éloignement de la qualité contraire, mais par son rapprochement avec son terme c’est ainsi que la lumière devient plus intense. C’est également de cette façon que l’impassibilité sera plus grande chez certains élus, quoique chez tous il n’y ait plus aucune passibilité.

 

ARTICLE 3 : L’impassibilité empêchera-t-elle l’activité des sens ?

Objections : 1. Selon Aristote, « la sensation en acte est une espèce de passion »; elle est donc incompatible avec l’impassibilité.

2, Une sensation ou impression sensible pré suppose une impression physique, une passion, dont le corps impassible des élus ne sera pas susceptible.

2. Des sensations nouvelles supposent des jugements nouveaux. Or, de pareils jugements seront impossibles aux élus, dont « les pensées ne seront plus mouvantes », dit saint Augustin.

3. L’intensité de l’acte d’une puissance de l’âme diminue celui d’une autre puissance. Or, l’âme des élus sera absorbée tout entière par l’acte intellectuel de la vision de Dieu. Elle sera donc incapable de tout acte sensible.

Cependant: : 1. Il est dit dans l’Apocalypse « Tout oeil le verra (le Seigneur qui vient sur les nuées). »

2. Selon Aristote, « ce qui caractérise un être vivant, c’est le mouvement et la sensation ». Or, le corps des élus sera doué de mouvement, « ils courront comme des étincelles à travers le chaume ». Il sera donc aussi doué de sensation.

Conclusion: Tout le monde admet une certaine activité des sens dans le corps des élus.

S’il en était autrement, leur vie ressemblerait plutôt à un sommeil; ce qui s’accorde mal avec leur état de perfection : car, pendant le sommeil, qu’Aristote appelle « une moitié de vie », la vie sensible n’a pas toute sa plénitude. Toutefois, les opinions sont partagées sur la manière dont s’exerce cette activité.

Les uns disent que le corps des élus étant impassible, et donc « incapable de recevoir une impression venue du dehors », les sens exerceront leur activité non pas par réception, mais plutôt par émission. - Il ne saurait en être ainsi. La nature humaine ressuscitée sera ce qu’elle était, dans l’homme tout entier et chacune de ses parties. Le sens est essentiellement une puissance passive et l’opinion susdite en fait une puissance active. Or, une puissance passive ne peut pas devenir active, pas plus que la matière ne peut devenir forme.

D’autres disent que les sens entreront en activité sous l’action, non pas des réalités extérieures, mais des facultés supérieures, qui, alors, leur donneront, au lieu de recevoir d’elles, comme aujourd’hui. - Cela ne suffit pas pour qu’il y ait vraiment une sensation. Toute puissance passive, selon son espèce, a pour corrélatif un être actif déterminé, par rapport auquel elle se définit. Or, ce qui est fait pour agir sur le sens externe, ce sont les réalités extérieures, et non pas seulement leur image ou leur idée. Si celles-ci étaient les seuls excitants de l’organe sensoriel, il n’y aurait pas vraiment sensation. C’est pourquoi l’on ne dit pas que les hallucinés et autres malades du cerveau, chez lesquels la prédominance de l’imagination provoque une excitation des organes sensitifs, ont de véritables sensations, mais seulement qu’ils se figurent en avoir.

D’autres disent, et il faut dire avec eux, que, dans le corps des élus, les sens réagiront sous l’impression des réalités extérieures. Mais à condition de distinguer deux sortes d’impression. Une impression naturelle, lorsque l’organe reçoit la même qualité naturelle dont la réalité est elle-même affectée, lorsque, par exemple, la main devient chaude et brûlante au contact d’un objet chaud, ou odorante au contact d’un objet par fumé. Une impression immatérielle, lorsque l’organe reçoit une qualité sensible selon son être immatériel, c’est-à-dire l’espèce ou représentation de cette qualité, mais à part de cette qualité elle-même, comme la rétine reçoit l’espèce de la blancheur, sans devenir elle-même blanche. L’impression naturelle n’est pas, à proprement parler, la cause de la sensation, car « le sens est réceptif des espèces » qui sont dans la matière « sans la matière », sans l’être matériel qu’elles possèdent en dehors de l’âme. Pareille impression modifie la nature de l’organe qui la reçoit, car elle y est reçue avec son être matériel, II faut donc la refuser au corps des élus, et admettre seulement l’impression immatérielle, qui provoque l’activité des sens mais sans modifier leur nature.

Solutions : 1. Si l’on entend la passion que comporte la sensation comme nous venons de la définir, elle n’entraîne aucune modification matérielle, mais ajoute une perfection immatérielle.

2. Tout être passif reçoit, à sa manière, l’in fluence de l’être qui agit sur lui. S’il est de nature à recevoir une impression à la fois matérielle et immatérielle, la première précède la seconde, comme l’être naturel précède l’être intentionnel ou représentatif. Mais s’il est de nature à recevoir seulement la seconde, la première n’est pas nécessaire: l’air ne reçoit que l’impression immatérielle de la couleur; au contraire, les corps inanimés ne peuvent recevoir des qualités sensibles que l’impression matérielle. Le corps des élus ne sera pas susceptible de celle-ci, mais seulement de celle-là.

3. Cette activité des sens provoquera de nouveaux jugements du sens commun, mais pas de l’intelligence; il en arrive ainsi quand nous voyons une chose que nous connaissions déjà. Or, saint Augustin parle ici de la faculté intellectuelle.

4. Quand, de deux choses, l’une est la raison de l’autre, l’attention à l’une ne distrait pas de l’autre; par exemple, chez le médecin qui étudie la couleur d’un liquide pour juger de l’état du malade. Or, Dieu est la raison de tout ce que connaissent les élus et de tout ce qu’ils font. Aussi, l’exercice de leurs facultés sensitives ou intellectuelles n’empêche aucunement leur contemplation de Dieu, pas plus qu’il n’est empêché par elle. - On peut répondre encore qu’une puissance est contrariée par l’intense activité d’une autre, parce que celle-ci exige alors un surcroît de vitalité qu’elle emprunte à l’âme ou au corps. Or, toutes les puissances des élus seront absolument parfaites; chacune pourra donc agir avec la plus grande intensité, sans mettre obstacle à l’activité des autres; il en fut ainsi dans le Christ.

 

ARTICLE 4 : Tous les sens des élus exerceront-ils leurs fonctions ?

Objections 1. Le sens du toucher exige, pour s’exercer, d’être modifié par quelque qualité active ou passive prédominante dans un corps extérieur. Or, toute modification sera devenue impossible.

2. Le sens du goût sert à la nutrition, désormais inutile.

3. La création tout entière sera comme revêtue d’incorruptibilité. Mais les corps, pour être perçus par l’odorat, doivent dégager leurs particules odorantes par une émanation ou évaporation, qui est une espèce de corruption.

4. « L’ouïe sert à recevoir l’enseignement », dit Aristote. Mais tout enseignement par des moyens sensibles sera inutile aux élus que la vision de Dieu remplira de sagesse.

5. Pour voir, il est nécessaire que l’espèce de la chose vue soit reçue dans l’oeil : ce qui sera impossible chez les élus dont le corps tout entier, y compris l’oeil lui-même, aura le privilège de la clarté. En effet, ce qui est lumineux ne peut recevoir une espèce visible un miroir exposé directement aux rayons solaires ne reflète pas le corps placé devant lui.

6. C’est une loi de la perspective que toute vision a lieu sous un certain angle proportionné à la distance de l’objet, d’autant plus aigu que celui-ci est plus lointain, et qui peut le devenir à tel point que l’objet en devient lui-même invisible. La vue des élus, si elle s’exerçait, aurait donc une portée aussi restreinte que la nôtre, ce qui est inadmissible.

Cependant: : Une puissance est plus parfaite quand elle est en acte. Les sens le seront donc chez les élus dont la perfection sera suprême.

2. Les puissances sensitives sont plus rapprochées de l’âme que le corps. Or, celui-ci sera récompensé ou puni selon que l’âme l’aura mérité. Tous les sens le seront donc aussi ils jouiront chez les élus, ils souffriront chez les damnés.

Conclusion: Certains prétendent que, chez les élus, deux sens seulement seront en exercice: la vue et le toucher. Les trois autres existeront et contribueront à l’intégrité de la nature humaine, mais l’absence de milieu et d’objet ne leur permettra pas d’agir. - Cette opinion ne semble pas justifiée. Le milieu est le même pour ces trois sens que pour les deux autres : l’air, qui est celui de la vue, est aussi celui de l’ouïe et de l’odorat; le goût, comme le toucher dont il est une certaine espèce, a un milieu qui lui est uni. D’autre part, l’odorat ne sera pas sans objet : l’Église chante le très suave parfum qu’exhalera le corps des élus. La louange vocale remplira le ciel : « les coeurs et les langues », dit saint Augustin, ne cesseront de célébrer les grandeurs de Dieu.

Il faut donc répondre que l’odorat et l’ouïe exerceront leurs fonctions vis-à-vis de leur objet. Le goût exercera la sienne, sans être impressionné cependant par l’action des aliments devenus inutiles; mais peut-être y aura-t-il une certaine humidité délicieuse de la langue.

Solutions : 1. Les qualités perçues par le toucher sont celles-là mêmes qui constituent le corps doué de sensibilité : ce sens exige donc, dans notre condition présente, une double impression, matérielle et immatérielle; aussi dit-on qu’il est le plus matériel de tous les sens, à cause de la prédominance de la première, qui, cependant, est accidentelle à la sensation tactile dont l’impression immatérielle est la cause propre. Celle-ci existera donc seule dans le corps des élus dont la première, comme on l’a dit, doit être exclue.

2. Si l’on entend par goût le sens des aliments, il n’agira pas; comme sens des saveurs, peut-être agira-t-il de la manière que nous avons dite.

3. Certains ont pensé que l’odeur n’est pas autre chose qu’une espèce d’émanation ou d’éva poration. Mais ce n’est guère croyable, puisque les vautours accourent de si grandes distances autour d’un cadavre, que celui-ci tout entier ne suffirait pas aux émanations nécessaires pour J atteindre aussi loin, en rayonnant dans toutes les directions. Il y a donc des cas où l’odeur ne produit dans le milieu et dans l’organe qu’une impression immatérielle, sans émanation qui les atteigne. Celle-ci, en effet, est requise parce que, dans les corps, l’odeur est imprégnée d’humidité et exige un certain dégagement pour être perceptible. Mais, l’odeur émise par les corps glorieux sera à son dernier état de perfection et produira une impression purement immatérielle. D’autre part, le sens de l’odorat n’aura alors aucun empêchement physiologique et percevra les odeurs jusque dans leurs nuances les plus subtiles.

4. Quoiqu’on l’ait nié, il faut affirmer que la louange vocale existera au ciel, mais ne fera sur l’ouïe qu’une impression immatérielle. Ce sens ne servira plus à l’enseignement, mais il s’exercera pour sa propre perfection et pour la joie des élus.

5. La lumière, si intense soit-elle, n’empêche pas l’impression immatérielle de l’espèce colorée, pourvu qu’elle demeure dans un milieu transparent : l’air, aussi lumineux qu’il soit, peut servir de milieu à la vue; plus il l’est, mieux l’objet est vu, à moins d’une faiblesse de l’organe. Dans le miroir exposé au soleil, ce n’est pas l’impression de l’objet qui fait défaut, mais sa réverbération par quelque chose d’obscur. Celle-ci est nécessaire pour que l’image y apparaisse; c’est pour cela que, dans un miroir, l’une des faces de la plaque de verre est enduite de tain. Les rayons solaires, tombant directement sur le miroir, dissipent cette obscurité et l’image reste invisible. - Puisque la gloire ne détruit pas la nature, la clarté dont jouiront les corps glorieux n’enlèvera pas à la prunelle sa transparence; au contraire, plus elle sera grande, plus la vue sera perçante.

6. Plus un sens est parfait, moindre est l’impression nécessaire à la perception de son objet. L’impression visuelle diminue avec l’angle de vision, qui devient d’autant plus petit que la distance est plus grande; celui qui a meilleure vue est donc capable d’apercevoir les objets sous un angle plus petit et à une distance plus grande. Les élus auront la vue tellement parfaite qu’une très légère impression lui suffira pour s’exercer; ils pourront donc voir sous un angle très petit et de très loin.

 

QUESTION 83 : LA SUBTILITÉ DU CORPS DES ÉLUS

Il s’agit maintenant de la subtilité des corps des élus.

On demande 1. La subtilité est-elle une propriété du corps glorieux ? - 2. Lui permet-elle d’être dans un lieu occupé déjà par un corps non glorieux ? - 3. Deux corps peuvent-ils, par miracle, occuper le même lieu ? - 4. Deux corps glorieux le peuvent-ils ? - 5. Le corps glorieux exige-t-il un lieu égal à lui-même ? - 6. Est-il palpable ?

 

ARTICLE 1 : La subtilité est-elle une propriété du corps glorieux ?

Objections : 1. Les propriétés de la gloire dépassent celles de la nature, autant que sa clarté dépasse celle du soleil. Si le corps glorieux était subtil, il le serait donc plus que les corps les plus subtils; « il serait plus subtil que le vent et l’air », ce qui est une hérésie condamnée à Constantinople par saint Grégoire, comme il le raconte lui-même.

2. La subtilité est une qualité des corps simples ou éléments, comme la chaleur et le froid. Mais ces deux qualités et les autres dans le corps glorieux, resteront ce qu’elles sont aujourd’hui, ou même seront ramenées à de plus justes proportions. Il en sera donc ainsi de la subtilité.

3. La subtilité vient de la raréfaction on appelle subtils les corps qui, à volume égal, ont moins de matière que d’autres, le feu moins que l’air, l’air moins que l’eau, l’eau moins que la terre. Or, le corps glorieux aura autant de matière et le même volume qu’aujourd’hui. Il ne sera donc pas plus subtil.

Cependant: 1. « Semé corps animal, dit saint Paul, il ressuscite corps spirituel. »

2. Plus un corps est subtil, plus il est noble. Or, le corps glorieux sera noble entre tous.

Conclusion: La subtilité d’un corps signifie premièrement son pouvoir de pénétration, « d’occuper un espace à cause de la petitesse et ténuité de ses éléments ». Ce pouvoir dépend de l’une ou l’autre de ces deux conditions : le peu de quantité, surtout en largeur et en épaisseur; la longueur n’y fait rien, puisque la pénétration, en ce cas, a lieu dans le sens de la longueur; - le peu de densité : on appelle subtiles les choses où la matière est raréfiée. Or, comme, dans ces choses, la forme domine plus complètement la matière, on a donc appelé subtils les corps les plus soumis à la forme et les plus perfectionnés par elle : par exemple; les corps célestes, ou encore, l’or, ou tout autre métal, quand il possède au plus haut point l’être et la vertu de son espèce. - Les êtres incorporels n’ayant ni quantité ni matière, on leur attribue la subtilité, non seulement à raison de leur substance, mais encore de leur puissance : un esprit subtil est celui qui pénètre jusqu’aux principes intimes et aux qualités cachées des choses; une vue subtile est celle qui aperçoit un objet très petit; et ainsi des autres sens.

Il n’est donc pas étonnant que la subtilité du corps glorieux ait été diversement comprise. Certains hérétiques, au dire de saint Augustin, lui ont attribué la subtilité dans le sens où elle convient aux purs esprits et ont prétendu que, à la résurrection, le corps deviendrait esprit, selon le mot de saint Paul entendu littéralement. - C’est impossible. D’abord, parce que le corps ne peut devenir esprit, puisqu’il n’y a pas de matière commune à l’un et à l’autre; ensuite, parce que, s’il en était ainsi, l’homme, naturellement composé d’une âme et d’un corps, ne ressusciterait donc pas; enfin, parce que, si ç’eût été la pensée de saint Paul, il aurait aussi bien pu dire que le corps ressusciterait âme, ce qui est évidemment faux.

C’est pourquoi certains hérétiques ont prétendu que, à la résurrection, le corps, demeuré corps, serait subtil par raréfaction et semblable au vent et à l’air, comme saint Grégoire le relate. C’est éga lement impossible. Le corps du Christ ressuscité possédait cette prérogative au plus haut degré, et cependant on pouvait le toucher. De plus, le corps humain ressuscité sera semblable à celui du Christ dont il disait lui-même : « Un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’en ai. » Or, la chair et les os sont incompatibles avec cette prétendue raréfaction.

Il faut donc attribuer au corps glorieux une autre espèce de subtilité, celle qui résulte de la perfection achevée du corps humain. Certains font dériver cette perfection de la quintessence ‘ qui prédominerait alors en lui. - C’est faux; d’abord parce que cette essence n’entre pas dans la composition du corps humain. Ensuite, à supposer qu’elle y entrât, il faudrait, pour qu’elle l’emportât sur les autres éléments, ou l’introduire dans de telles proportions que l’homme n’aurait plus ses dimensions normales, ou modifier la nature des éléments et ainsi la nature du corps, ou leur attribuer par là une propriété nouvelle et naturelle qui serait cause de la subtilité, propriété surnaturelle, ce que l’on ne saurait admettre.

La seule et véritable explication, c’est que cette perfection corporelle que nous appelons la subtilité, résultera du domaine de l’âme glorifiée sur le corps dont elle est la forme, domaine tel que le corps glorieux pourra être dit spirituel, c’est-à-dire, entièrement soumis à l’esprit Le corps est d’abord soumis à l’âme, comme la matière l’est à la forme, pour participer à l’être spécifique, à l’être humain; il lui est soumis ensuite, comme le mobile l’est à celui qui le meut, pour aider l’âme dans ses opérations. La spiritualité du corps glorieux a donc pour premier effet la subtilité, ensuite l’agilité et les autres prérogatives. L’Apôtre, en parlant de la « spiritualité » du corps ressuscité, a donc fait allusion à sa subtilité : tel est l’enseignement des Maîtres. Et saint Grégoire lui-même déclare que « ce qu’on appelle subtilité du corps glorieux est l’effet de la puissance spirituelle qui l’anime ».

Solutions : Elles viennent d’être données, puisque les trois difficultés procédaient de la subtilité par raréfaction, qui est hors de cause.

 

ARTICLE 2 : La subtilité permet-elle au corps glorieux d’être dans un lieu occupé déjà par un corps non glorieux ?

Objections : 1. « Le Christ transformera notre corps misérable, en le rendant semblable à son corps glorieux. » Or, le corps du Christ fut dans un lieu occupé déjà par un corps ordinaire, lorsque, « les portes étant fermées », il entra dans l’appartement où ses disciples étaient réunis.

2. Ce que peuvent les rayons solaires : être dans un lieu occupé déjà par un autre corps; les corps glorieux, dont l’excellence est encore plus grande puisqu’elle est suprême, le pourront aussi.

3. S’ils ne le pouvaient pas, ils ne pourraient donc pas traverser les cieux, « solides comme un miroir d’airain », dit Job, et parvenir au ciel empyrée.

4. Ils pourraient donc aussi rencontrer dans un autre corps un obstacle ou une prison.

5. Deux points, deux lignes, deux surfaces peuvent être en contact, c’est-à-dire, dans le même lieu. La nature du corps n’y répugne donc pas, et ce sera une qualité des corps glorieux.

Cependant: 1. « La différence numérique, dit Boèce, provient de la diversité des accidents. Trois hommes ne diffèrent ni par le genre, ni par l’espèce, mais par leurs accidents. Quand bien même nous ferions abstraction de tous les autres, chacun de ces trois hommes occupe un lieu différent, et il nous est impossible d’imaginer que ce lieu soit le même. » Placer deux corps dans le même lieu, ce serait donc les identifier.

2. Certains prétendent que les individus angéliques ne peuvent être distingués que par les lieux différents qu’ils occupent, et que leur création était donc impossible avant celle du monde. A plus forte raison faut-il dire qu’il est impossible à deux corps quelconques d’occuper même lieu.

Conclusion: Le corps glorieux ne pourrait avoir cette propriété que si la subtilité lui enlevait ce qui l’empêche de la posséder aujourd’hui. Certains attribuent cet empêchement à la corpulence, ou nécessité d’occuper un lieu, et prétendent que la subtilité la fera disparaître. C’est impossible pour deux raisons : j0 la corpulence que la subtilité fera disparaître ne peut désigner qu’une imperfection, par exemple, un certain défaut de proportion et d’adaptation entre la matière et la forme. En effet, tout ce qui est requis pour l’intégrité du corps, que cela tienne à la forme ou à la matière, se retrouvera dans le corps ressuscité, et, par conséquent, la propriété d’occuper un lieu. Le plein étant le contraire du vide, la seule condition pour qu’un lieu soit vide, c’est qu’il ne soit pas occupé. Aristote définit le vide, « un lieu qui n’est pas occupé par un corps sensible », c’est-à-dire, un corps avec sa matière, sa forme, ses accidents naturels, en un mot, tout ce qui concourt à son intégrité. Or, il est évident que le corps glorieux sera un corps sensible, et même palpable; ni la matière, ni la forme, ni les accidents naturels, le chaud, le froid, etc., ne lui feront donc défaut. Sa subtilité ne l’empêchera donc pas d’occuper un lieu; car, ce serait folie d’affirmer que le lieu occupé par un corps glorieux est vide. – 2° Empêcher un autre corps d’occuper un lieu est quelque chose de pins que de l’occuper soi-même. Supposons des dimensions séparées de la matière; elles n’occupent pas un lieu c’est pourquoi certains définissent le vide par des dimensions de ce genre indépendantes de tout corps sensible. Cependant Aristote n’admet pas la possibilité de la coexistence dans le même lieu de ces dimensions et d’un corps sensible. - Ainsi donc, en supposant que la subtilité permît au corps glorieux de ne pas occuper un lieu, elle ne lui permettrait pas d’y coexister avec un autre corps.

Il semble donc bien que ce qui empêche le corps humain, dans son état actuel, d’être dans un lieu occupé par un autre corps, ne lui sera pas enlevé par la subtilité. Cet empêchement, c’est qu’un lieu lui est nécessaire, et un lieu distinct de tout autre : car, le seul obstacle à l’identité, c’est ce qui cause la diversité. Or, ce qui rend nécessaire que le corps ait un lieu à lui, ce n’est pas une qualité; ainsi, en faisant abstraction de toutes les qualités sensibles, la susdite nécessité demeure. Ce n’est pas non plus la matière, puisqu’elle n’exige un lieu que moyennant la quantité étendu ; ni la forme qui, à ce point de vue, dépend de la matière. En définitive, ce qui fait que deux corps doivent avoir chacun leur lieu, c’est la nature de la quantité étendue, qui se définit précisément par la propriété d’occuper un lieu. Deux lignes ou deux parties d’une même ligne doivent occuper deux lieux différents; autrement, l’addition d’une ligne à une autre ne rendrait pas celle-ci plus grande, ce qui est contre le sens commun. Il en va de même pour les surfaces et les corps mathématiques. Puisque la matière exige un lieu en raison des dimensions de sa quantité, il faut dire que, de même qu’il est impossible d’avoir deux lignes ou deux parties de ligne à moins qu’elles n’occupent deux lieux distincts, de même avoir deux matières ou deux parties de matière n’est possible qu’à cette condition. Enfin, puisque la distinction de la matière est le principe de la distinction des individus, Boèce déclare donc qu’ « il nous est impossible d’imaginer deux corps dans le même lieu »; pour être plusieurs, les individus doivent différer au moins par là.

La subtilité n’enlève point au corps glorieux ses dimensions, ni, par conséquent, la nécessité d’avoir son lieu distinct de celui de tout autre corps Elle ne lui permet donc pas d’être dans le lieu occupé déjà par un autre corps. Mais la puissance divine peut opérer ce miracle et lui accorder ce privilège comme un surcroît de gloire, de même qu’elle accorda à saint Pierre le privilège de guérir les malades par sa seule présence, en confirmation de la foi au Christ.

Solutions : 1. Ce phénomène ne fut point dû à la subtilité du corps du Christ ressuscité, mais à la puissance divine, « de même que, dans sa nativité, ce même corps sortit sans violence du sein virginal de Marie ».

2. La lumière n’est pas un corps : l’objection est donc sans portée.

3. Le corps glorieux traversera les sphères célestes, par un effet de la puissance divine, qui se prêtera à tous les désirs des élus.

4. Cette même puissance empêchera également tout ce qui pourrait être un obstacle ou un emprisonnement.

5. « Le point n’est pas dans le lieu », sinon par l’entremise du corps qu’il termine tout le lieu correspond à tout le corps, et son extrémité à celle du corps. Deux lieux peuvent avoir une extrémité commune, de même que deux lignes peuvent se terminer en un même point. Ainsi, quoique deux corps doivent occuper deux lieux différents, cependant il peut se faire que la même extrémité le ces deux lieux corresponde aux deux extrémités de ces corps. C’est ce qu’on exprime en disant que les extrémités de deux corps qui se touchent sont dans le même lieu.

 

ARTICLE 3 : Deux corps peuvent-ils, par miracle, occuper le même lieu ?

Objections : 1. Les contradictoires ne peuvent pas coexister, même par miracle. Deux corps ne peuvent donc être à la fois deux et un, ce qui arriverait, S’ils occupaient le même lieu, puisqu’ils auraient les mêmes dimensions, identiquement, et qu’avoir les mêmes dimensions, comme avoir la même et identique blancheur, ne saurait convenir qu’à un seul et même corps.

2. Un miracle ne peut contredire le et les premiers théorèmes géométriques, qui sont des conclusions infaillibles des principes universels et évidents. Or, si deux corps étaient dans le même lieu, il y aurait deux lignes droites entre un point et un autre; et, si ces corps étaient circulaires, ils se toucheraient non pas en un seul point, mais en tous; ce qui est contraire aux théorèmes de la ligne droite et de la circonférence.

3. Il est impossible, même par miracle, qu’un corps n’ait qu’un lieu commun et pas son lieu propre. Or, si deux corps de différente grandeur sont dans le même lieu, le plus petit est contenu dans le plus grand qui occupe le lieu, à lui seul.

4. Il y a proportion entre le lieu et le corps qui l’occupe. Or, jamais un corps ne peut être en plusieurs lieux à la fois, même par miracle, à moins d’un certain changement, par exemple, la transsubstantiation eucharistique. Donc, jamais non plus, même par miracle, deux corps ne peuvent être dans un seul et même lieu.

Cependant: 1. La naissance de jésus fut miraculeuse, et l’enfantement de Marie virginal.

2. Jésus entra dans le cénacle et apparut à ses disciples, les portes étant fermées.

Conclusion: A deux corps il faut deux lieux, parce que la pluralité de matière exige la pluralité de localisation C’est pourquoi nous constatons que, lorsque deux corps fusionnent, l’être distinct de chacun est détruit et remplacé par un être nouveau, commun à tous les deux ensemble, comme il arrive pour les corps composés. Il est donc impossible que deux corps conservent leur dualité et occupent cependant le même lieu, à moins que chacun ne garde l’être distinct qui était le sien et grâce auquel il était lui-même « un être indivis en soi et divisé de tout autre ». De cet état distinct, les principes essentiels sont la cause prochaine, Dieu est la cause première. Or, celle-ci peut suppléer les causes secondes et, par exemple, faire - ce quelle seule peut faire, - qu’un accident existe sans sujet, comme dans l’Eucharistie. De même, la puissance divine, et elle seule, peut faire qu’un corps garde son être distinct de celui d’un autre, alors que sa matière se confond localement avec celle de cet autre, Il peut donc arriver, par miracle, que deux corps occupent le même lieu.

Solutions: 1. Cette objection est un sophisme. 1° Ou bien elle suppose à tort qu’il existe entre les surfaces opposées du lieu une dimension qui soit propre à celui-ci et avec laquelle se confondrait la dimension du corps localisé. Dès lors, les dimensions de deux corps localisés ensemble s’identifieraient en s’identifiant avec celle du lieu. Or, cela est faux. Il s’ensuivrait, en effet, que chaque fois qu’un corps change de lieu, il devrait se produire un changement dans la dimension de ce lieu ou celle de ce corps, car deux choses ne peuvent devenir une que par un changement dans l’une d’elles. Si, au contraire et en vérité, le lieu n’a pas d’autres dimensions que celles du corps localisé, l’objection ne prouve plus rien. - 2° Ou bien elle est une pétition de principe et signifie simplement que les dimensions du lieu, s’il en possédait en propre, seraient les mêmes que celles du corps localisé. Dès lors, dire que deux corps ont les dimensions d’un même lieu, c’est dire qu’ils l’occupent ensemble : ce qui est la proposition même qui est en cause.

2. La coexistence miraculeuse de deux corps dans le même lieu ne porte aucune atteinte ni aux premiers principes de la raison ni aux théorèmes de la géométrie. La quantité étendue diffère de tous les autres accidents en ce que, non seulement elle partage avec eux l’individuation et la distinction qu’elle tire, comme eux, de la matière, qui est leur commun sujet, mais encore elle possède un principe propre d’individuation et de distinction qu’elle tire de l’espace exigé par les parties qui la composent. Ainsi donc, on peut concevoir qu’une ligne est distincte d’une autre, ou parce qu’elle n’est pas dans le même sujet, ce qui ne s’applique qu’à une ligne matérielle; ou parce qu’elle n’occupe pas le même espace, ce qui s’applique aussi bien aux lignes mathématiques, qui font abstraction de la matière. Si donc On ne tient pas compte de celle-ci, deux lignes ne peuvent être distinctes que par le lieu qu’elles occupent; et il en est de même des points, des surfaces et de toutes les dimensions. Dès lors, la géométrie ne peut admettre l’addition d’une ligne à une autre, comme distincte de cette autre, qu’à la condition qu’elles n’occupent pas le même lieu. Mais, à supposer que, par miracle, il y ait pluralité de sujets et unité de lieu, on comprend qu’il puisse y avoir, occupant le même lieu, plusieurs points ou plusieurs lignes, puisqu’ils appartiennent à des sujets différents; donc aussi et par là même, deux lignes droites entre un point et un autre, ou deux circonférences tangentes en mmml)1 d’un point.

3. Dieu pourrait faire qu’un corps ne soit pas localisé. Mais, même en ce cas, un corps plus petit contenu dans le premier y aurait son lieu, déterminé par les parties de ce corps avec les quelles lui-même serait en contact.

4. Il est impossible, même par miracle, qu’un corps soit localisé en plusieurs lieux; le corps du Christ est dans l’hostie, mais sans y être localisé. Par contre, il est possible, par miracle, que deux corps soient dans le même lieu. La différence consiste en ce que être en plusieurs lieux à la fois nie « l’indivision en », qui est essentielle à l’individu : il serait, en effet, ici et là en même temps; être avec un autre corps dans le même lieu nie seulement « la division d’avec tout autre », qui n’est qu’une conséquence de l’individualité. La première affirmation serait donc une contradiction, comme serait de dire que l’homme n’est pas raisonnable; la seconde n’en est pas une. On ne saurait donc conclure de l’une à l’autre.

 

ARTICLE 4 : Deux corps glorieux peuvent-ils occuper le même lieu ?

Objections 1. Si un corps glorieux peut occuper le même lieu qu’un corps ordinaire, à plus forte raison le pourra-t-il, s’il s’agit d’un corps glorieux qui, à cause de sa subtilité, offre moins de résistance.

2. Les corps glorieux n’ont pas tous le même degré de subtilité. Celui qui est plus subtil peut donc occuper le même lieu qu’un autre qui l’est moins, puisqu’il peut faire de même avec un corps ordinaire.

3. Le ciel sera devenu subtil et comme glorifié. Mais le corps des élus pourra le traverser, donc occuper le même lieu, lorsque l’âme, parfaitement maîtresse de ce corps, voudra descendre vers la terre ou en remonter.

Cependant: : 1. Les corps glorieux seront «spirituels », c’est-à-dire, semblables aux esprits sous certains rapports. Mais, quoiqu’un esprit et un corps puissent occuper le même lieu, deux esprits ne le peuvent pas. Donc deux corps glorieux ne le peuvent pas davantage.

2. La coexistence de deux corps dans le même lieu suppose la pénétration de l’un dans l’autre, donc, en celui-ci, une espèce d’imperfection qu’un corps glorieux ne saurait admettre.

Conclusion: . Ce n’est pas une propriété du corps glorieux de pouvoir occuper le même lieu qu’un autre corps, glorieux ou non. La puissance divine peut réaliser ce miracle. Mais il semble plus raisonnable qu’il ne se réalise pas pour deux corps glorieux : d’abord, parce que l’ordre normal exige leur distinction; ensuite, parce que l’un ne fera jamais obstacle à l’autre. Ils n’occuperont donc jamais le même lieu

Solutions 1 et 2. Ces deux objections supposent à tort que la subtilité du corps glorieux lui permet d’occuper le même lieu qu’un autre corps.

3. Les corps célestes et autres ne seront glorieux que par une certaine participation, mais nullement au sens propre où ce mot signifie les prérogatives dont jouiront les corps des élus.

 

ARTICLE 5 : La subtilité du corps glorieux l’affranchit-elle de la nécessité d’être dans un lieu semblable à lui-même ?

Objections 1. Le corps glorieux sera semblable à celui du Christ, qui n’est pas soumis à cette nécessité, puisqu’il est contenu tout entier dans l’hostie.

2. Si deux corps peuvent être dans le même lieu, il s’ensuit qu’un corps très grand peut occuper un lieu très petit. Or, on admet généralement qu’un corps glorieux pourra occuper le même lieu qu’un autre corps quelconque, donc, par le fait, un lieu quelconque, même très petit.

3. De même que la visibilité d’un corps dépend de sa couleur, de même, sa localisation dépend de sa quantité. Or, l’âme pourra rendre le corps glorieux visible ou invisible, à son gré, comme nous le voyons dans le Christ ressuscité. Elle pourra donc aussi augmenter ou diminuer sa quantité et lui faire occuper un lieu plus grand ou plus petit.

Cependant: 1. Aristote déclare que tout corps qui est dans un lieu, occupe un lieu égal à lui-même. Or, le corps glorieux sera dans un lieu et occupera donc un lieu égal à lui-même.

2. Les dimensions du lieu et celles du corps qui l’occupe sont les mêmes. Si le lieu était plus grand que le corps, la même chose serait donc à la fois plus grande et plus petite qu’elle-même, ce qui est déraisonnable.

Conclusion : Un corps n’est en rapport avec le lieu que par les dimensions qui lui sont propres et qui sont comme épousées par le corps dans lequel il est localisé. Pour qu’un corps pût être dans un lieu plus petit que lui-même, il faudrait donc que sa quantité devînt plus petite. On ne peut concevoir cette diminution que de deux manières. 1 La matière reste la même, mais sa quantité varie. Certains l’ont admis et font dépendre cette variation, en plus ou en moins, de la volonté de l’âme qui commande à son gré au corps glorieux. C’est impossible. En effet, aucun mouvement ne peut porter sur les éléments intrinsèques d’un être, sans « une passion ou modification qui affecte sa substance même ». C’est pourquoi les corps célestes, qui sont incorruptibles, ne sont soumis qu’au mouvement local, extérieur à eux-mêmes. Un changement de quantité serait donc en contradiction avec l’im passibilité et l’incorruptibilité du corps glorieux. En outre, ce corps aurait donc une densité variable, puisque sa matière resterait la même avec un volume différent, ce qui est également inadmissible. - 20 La quantité du corps glorieux pourrait diminuer par une nouvelle disposition de ses parties qui rentreraient les unes dans les autres et pourraient se réduire à une quantité infinitésimale. Ceux qui admettent la coexistence dans le même lieu d’un corps glorieux et d’un corps ordinaire, l’attribuant à la subtilité, ad mettent également ce phénomène de compénétration, qui peut aller si loin, prétendent-ils, qu’un corps glorieux serait capable de passer tout entier par le pore le plus étroit d’un autre corps. C’est ainsi qu’ils expliquent la naissance du Christ et son apparition à ses disciples. Cette opinion est inadmissible. D’abord, la subtilité ne permet pas à un corps glorieux d’occuper le même lieu qu’un corps ordinaire, ni surtout qu’un autre corps glorieux, comme beaucoup le disent. De plus, pareille hypothèse est contraire à la condition normale du corps humain, qui exige que chacune de ses parties ait sa place déterminée et que toutes soient juxtaposées les unes aux autres. Un miracle même ne saurait donc la réaliser. Il faut donc conclure que le corps glorieux occupera toujours un lieu égal à lui-même.

Solutions : 1. Le corps du Christ n’est pas dans l’hostie comme dans un lieu.

2. Aristote base son argumentation sur la compénétration des éléments corporels, que nous avons déclarée contraire à la condition du corps glorieux.

3. Un corps est vu parce qu’il agit sur la vue. Etre vu, ou ne pas l’être, n’affecte donc en rien sa nature intime, et l’on peut admettre qu’il puisse être vu, ou ne pas l’être, au gré de la volonté. Mais la localisation n’est pas une action qui dépend de lui, en raison de la quantité, de la même façon que la vision dépend de lui, en raison de la couleur. Les deux cas sont donc dissemblables et l’argument ne conclut pas.

 

ARTICLE 6 : Lu subtilité rend-elle palpable le corps glorieux ?

Objections 1. « Ce qui est palpable est nécessairement corruptible », dit saint Grégoire. Or, le corps glorieux est incorruptible.

2. Etre palpable, c’est opposer une certaine résistance qui semble faire défaut au corps glorieux, puisque celui-ci peut être avec un autre corps dans le même lieu.

3. Etre palpable, c’est être tangible, ce qui suppose des qualités capables d’impressionner le sens du toucher, donc en excès par rapport à lui. Or, dans le corps glorieux, toutes les qualités seront ramenées à la plus parfaite égalité.

Cependant: 1. Le corps du Christ ressuscité était glorieux et en même temps palpable, comme il le disait à ses disciples, pour les convaincre qu’il n’était pas « un fantôme qui n’a ni chair ni os ».

2. Eutychès, évêque de Constantinople, se rendit coupable d’hérésie en affirmant, comme le rapporte saint Grégoire, que, « après la résurrection, le corps des élus sera impalpable ».

Conclusion: Tout corps palpable est tangible; mais la réciproque n’est pas vraie. Un corps tangible est celui qui possède des qualités capables d’impressionner le sens du toucher, tels l’air, le feu, etc.. Un corps palpable est celui qui résiste au toucher : l’air, qui n’oppose aucune résistance, mais se laisse traverser avec la plus grande facilité, est tangible mais non palpable. Pour être palpable, un corps doit donc réunir ces deux conditions : qualités sensibles et résistance. Les premières, le chaud, le froid, etc., ne se rencontrent que dans les corps lourds et légers, contraires les uns aux autres, et donc corruptibles; aussi, les corps célestes, incorruptibles par nature, sont visibles, mais ni tangibles, ni palpables. - Le corps glorieux est naturellement doué des qualités propres à impressionner le toucher; mais, parfaitement soumis à l’âme, il peut, au gré de celle-ci, agir ou ne pas agir sur ce sens. Il possède encore, et naturelle ment, la faculté de résister au corps qui voudrait le traverser, et donc de ne pas occuper le même lieu; comme aussi, par un miracle de la puissance divine dont l’âme dispose à son gré, il peut n’offrir aucune résistance et donc occuper le même lieu. Il est donc tout à la fois palpable par nature et impalpable par miracle. « Le Seigneur, dit saint Grégoire, se fit toucher par ses disciples lorsqu’il fut au milieu d’eux, les portes étant fermées, afin de leur montrer que, après sa résurrection, son corps était le même par la nature mais autre par la gloire ».

Solutions 1. Si l’incorruptibilité du corps glorieux venait de la nature de ses éléments, il serait corruptible du fait qu’il est palpable; mais elle vient d’ailleurs.

2. Le corps glorieux peut, par miracle, occuper le même lieu qu’un autre corps; mais il peut aussi lui résister, au gré de la volonté.

3. Les qualités tangibles, dans le corps glorieux, ne seront pas réduites à une moyenne matérielle, mais proportionnelle, c’est-à-dire, à la plus grande perfection convenable à chaque partie; ce qui rendra ce corps très agréable au toucher qui, comme toute puissance, éprouve du plaisir en ce qui lui est exactement proportionné, tandis que tout excès lui cause une souffrance.

 

QUESTION 84 : L’AGILITÉ DU CORPS DES ÉLUS

Il s’agit maintenant de l’agilité du corps des élus.

Trois demandes : 1. Le corps des élus sera-t-il doué d’agilité ? - 2. En useront-ils pour se mou voir ? - 3. Leur mouvement sera-t-il instantané ?

 

ARTICLE 1 : Le corps des élus sera-t-il doué d’agilité ?

Objections : 1. S’il en était ainsi, les corps glorifiés n’auraient pas besoin « d’être portés sur les nuées à la rencontre du Seigneur », dit saint Paul; et portés « par les anges », ajoute la Glose.

2. L’agilité exclut l’effort. Mais l’âme imprimera au corps glorieux des mouvements contraires à celui qui lui est naturel, donc des mouvements qui exigeront un certain effort.

3. La sensibilité est plus noble et plus voisine de l’âme que le mouvement; cependant, on n’attribue au corps glorieux aucune propriété spéciale destinée à la rendre plus parfaite.

4. Dieu, par la nature ou par lui-même, donne à chaque être les organes adaptés à son mouvement, lent ou rapide. Or, les membres du corps glorieux seront semblables à ce qu’ils sont aujourd’hui. Son agilité sera donc aussi la même.

Cependant: : 1. Saint Paul dit du corps des élus: « Semé dans la faiblesse, il ressuscite plein de force »; ce que la Glose interprète : « plein d’agi lité et de vitalité. »

2. La lenteur est tout à fait opposée à la « spiritualité » que saint Paul attribue au corps glorieux.

Conclusion: Le corps glorieux sera absolument soumis à l’âme glorifiée, non seulement en ce sens qu’il n’opposera aucune résistance à sa volonté, car Adam innocent jouissait de ce privilège, mais parce que l’âme lui communiquera une certaine perfection, ou « prérogative », qui le rendra capable de cette soumission totale. Or, l’âme est unie au corps pour lui donner l’être et le mouvement. A ce double point de vue, le corps glorieux lui sera parfaitement soumis. Par la subtilité, il le sera comme à la forme dont il reçoit son être spécifique; par l’agilité, comme au principe de son mouvement par lequel il obéira docilement et promptement à toutes les impulsions et actions de l’âme.

Certains attribuent la subtilité à la quintessence; mais nous avons réfuté à plusieurs reprises cette théorie. Il est plus raisonnable de la faire dépendre de l’âme qui communique au corps la gloire dont elle jouit elle-même.

Solutions : 1. S’il en est ainsi, ce ne sera pas par impuissance, mais comme un témoignage de respect rendu au corps des élus par les anges et toutes les créatures.

2. Plus l’âme est maîtresse du corps, moins elle a de peine à lui imprimer un mouvement contraire à sa nature. C’est un fait d’expérience chez ceux dont la vigueur est plus grande ou le corps plus exercé. Ces deux conditions, d’âme et de corps, seront réalisées au plus haut degré chez les élus : le mouvement ne leur coûtera donc aucun effort; c’est ce qu’on appelle l’agilité.

3. Cette prérogative ne rend pas le corps apte seulement à se mouvoir, mais à sentir et, en général. à Servir parfaitement l’âme dans toutes ses opérations.

4. De même que la nature donne à certains animaux des organes adaptés à un mouvement plus rapide; de même, Dieu donnera au corps des élus non pas d’autres organes de locomotion, mais cette prérogative qui s’appelle l’agilité, au sens que nous avons dit.

 

ARTICLE 2 : Les élus feront-ils usage de leur agilité ?

Objections : 1. Le mouvement, qu’Aristote définit « l’acte d’un être imparfait », ne convient donc pas à la perfection du corps glorieux.

2. Le mouvement, ou recherche d’une fin, Suppose donc une certaine indigence. Mais le ciel, dit saint Augustin, « c’est la présence de tous les biens et l’absence de tous les maux ».

3. Il est plus excellent de participer la perfection divine sans mouvement qu’avec mouvement. Si donc il doit en être ainsi des corps célestes, à plus forte raison en sera-t-il ainsi des corps humains glorifiés.

4. « L’âme affermie en Dieu, dit saint Augustin, affermira par là même son propre corps. » Or, l’âme sera affermie en Dieu jusqu’à l’immobilité absolue.

5. L’excellence du lieu correspondra à celle du corps glorieux. Le Christ « a été élevé au-dessus des cieux», dit saint Paul: il est le premier « par le rang et par la dignité », ajoute la Glose. De même, chacun des élus occupera la place dont il est digne et qui sera un des éléments de sa gloire. Donc puisque, après la résurrection, les élus auront atteint le terme et que leur gloire demeurera invariable, chacun gardera, sans changement, la place qu’il aura méritée.

Cependant: « Ils courront, dit Isaïe, et ne se fatigueront point; ils marcheront et ne se lasseront point. » - Ils seront, dit la Sagesse, « comme des étincelles qui courent à travers le chaume ».

Conclusion: Il faut nécessairement un certain mouvement dans le corps glorieux. Celui du Christ est monté au ciel; ceux des élus y monteront aussi après la résurrection. Mais, alors qu’ils y seront, il est vraisemblable qu’ils se mouvront au gré dé la volonté, aussi bien pour glorifier Dieu par l’exercice des facultés qu’ils posséderont, que pour charmer leurs regards par les magnificences de la création, miroir éclatant des perfections divines : les sens, en effet, même chez les élus, exigent la présence de leur objet. Cependant, ce mouvement ne diminuera en rien leur béatitude qui consiste dans la vision de Dieu, dont ils jouiront partout où ils seront; il en sera d’eux comme des anges dont saint Grégoire dit: « Où qu’ils soient envoyés, c’est en Dieu qu’ils courent ».

Solutions : 1. Le mouvement local ne comporte qu’un changement extérieur, mais n’affecte en rien la constitution même d’un être. Celui-ci peut donc être parfait en lui-même; il n’est imparfait que par rapport au lieu; en ce sens que, étant dans un lieu, il est en puissance à un autre, puisqu’il ne peut être en plusieurs lieux à la fois, privilège réservé à Dieu. Ce défaut ne répugne donc pas à l’état de gloire, pas plus que d’être une créature tirée du néant.

2. Il y a deux espèces d’indigence : une indigence absolue et une indigence relative. La première a pour objet ce sans quoi l’on ne peut conserver son être ou sa perfection; elle ne s’applique donc pas au mouvement du corps glorieux; la béatitude lui suffit. La seconde a pour objet ce sans quoi l’on ne peut atteindre une fin aussi bien ou de la manière que l’on veut; elle s’applique au mouvement du corps glorieux dont les élus ont évidemment besoin pour manifester au dehors la force motrice qui est en eux. Il n’y a aucune difficulté à admettre de pareilles indigences dans le corps glorieux.

3. L’objection porterait si le mouvement était nécessaire au corps glorieux pour participer la perfection divine d’une manière de beaucoup supérieure aux corps célestes, ce qui est faux, C’est la béatitude qui leur donne cette participation. Le mouvement ne sert aux élus que pour manifester leurs énergies. Le mouvement des corps célestes, au contraire, ne pourrait manifester les leurs qu’en opérant des transformations dans les corps terrestres, ce qui serait incompatible avec l’état de l’univers après son renouvellement.

4.Le mouvement local, étant extérieur à l’être, ne diminue en rien la stabilité de l’âme établie en Dieu.

5. Le lieu plus ou moins élevé assigné aux élus est une récompense accidentelle. Cette récompense ne consiste pas à occuper ce lieu, qui n’exerce sur eux aucune influence, mais à en être dignes. lis peuvent donc le quitter sans perdre pour cela leur bonheur.

 

ARTICLE 3 : Leur mouvement sera-t-il instantané ?

Objections : 1. Le mouvement de la volonté est instantané. Or, saint Augustin dit «L’âme n’aura qu’à vouloir être quelque part, et aussitôt le corps y sera. »

2. D’après Aristote, si un mouvement se produisait dans le vide, il serait instantané, puisqu’il n’éprouverait aucune résistance. Or, ainsi que nous l’avons dit, le corps glorieux n’en éprouvera aucune; son mouvement sera donc instantané.

3. L’énergie de l’âme glorifiée dépassera infini ment, peut-on dire, celle de l’âme non glorifiée. Le mouvement qu’elle imprimera à son corps devra, donc échapper au temps et être instantané.

4. Le mouvement qui parcourt, avec la même célérité, une petite ou une grande distance, est instantané. Or, tel sera celui du corps glorieux, au dire de saint Augustin, qui compare sa vélocité à celle du rayon lumineux.

5. Après la résurrection, « il n’y aura plus de temps ». Le mouvement du corps glorieux ne sera donc plus dans le temps, mais instantané.

Cependant: : 1. Dans le mouvement local, l’espace, le mouvement et le temps ont la même divisibilité. Or, l’espace parcouru par le corps glorieux est divisible; donc, son mouvement l’est aussi et se mesure par un certain temps. Il ne peut donc pas être instantané, puisque l’instant est indivisible.

2. Il est impossible qu’une chose soit, en même temps, tout entière dans un lieu et partiellement dans un lieu et dans un autre; car il s’ensuivrait que l’une de ses parties occupe deux lieux à la fois, ce qui est impossible. Or, une chose qui se meut est partiellement au point de départ et partiellement au point d’arrivée, ou elle est tout entière, quand le mouvement est achevé. Elle ne saurait donc être à la fois en train de se mouvoir et au terme de son mouvement. Mais il en serait ainsi, dans l’hypothèse du mouvement instantané, qu’il faut donc refuser au corps glorieux.

Conclusion: Ce problème a reçu diverses SOLUTIONsaint Certains prétendent que, semblable à la volonté, le corps glorieux passe d’un lieu à un autre sans franchir le milieu qui les sépare; son mouvement est donc instantané comme celui de la volonté. - C’est impossible. Le corps glorieux sera toujours un corps, sans jamais acquérir une nature purement spirituelle. De plus, c’est métaphoriquement que la volonté est dite se transporter d’un lieu à un autre, puisqu’elle n’y est pas contenue par elle-même; cela signifie simplement que son intention se porte vers un lieu après s’être portée vers un autre.

D’autres admettent bien que le corps glorieux, parce qu’il est corps, doit franchir le milieu et se mouvoir dans le temps mais, ajoutent-ils parce qu’il est glorieux, il peut s’en dispenser et se transporter instantanément - Cette opinion ne saurait être admise, parce qu’elle implique contradiction. Supposons un corps qui se meut de A à B. Quand il est tout entier en A, le mouvement n’est pas commencé; tout entier en B, le mouvement est terminé. Quand il se meut, puisqu’il faut bien qu’il soit quelque part, il est ou tout entier dans un lieu intermédiaire, ou partiellement dans ce lieu et l’un ou l’autre des deux extrêmes. A étant distant de B, ce corps ne peut être en partie dans A et en partie dans B, sans être dans le milieu, ce qui détruirait la continuité entre les deux parties de lui-même.

Il faut donc, s’il se meut entre A et B distants l’un de l’autre, qu’il soit successivement dans tous les lieux qui séparent A de B Autrement, il faudrait admettre qu’il est passé de A à B sans se mouvoir, ce qui implique contradiction, puisque le mouvement local, c’est précisément le passage par tous les lieux qui séparent deux termes. Telle est la loi pour tout mouvement entre deux termes positifs. Il en va autrement, si l’un des termes est une simple privation, parce que, entre une affirmation et une négation, il n’y a pas de distance déterminée, mais celle-ci peut être plus ou moins grande selon ce qui prépare ou cause le changement; c’est pourquoi, même en ce cas, une action exercée précède le mouvement réalisé. Quant au mouvement des anges, il est étranger à la question, car ce n’est pas de la même manière qu’un ange et un corps sont dits être dans un lieu. En définitive, il faut conclure qu’il est absolument impossible qu’un corps se transporte d’un lieu dans un autre sans passet par tous les intermédiaires.

Cette conclusion est admise par d’autres qui n’en maintiennent pas moins le mouvement instantané du corps glorieux. Ils voient bien la difficulté, à savoir, que ce corps serait dans le même instant en plusieurs lieux, celui d’arrivée et tous les intermédiaires; mais ils croient pouvoir greffer sur l’identité réelle de l’instant une distinction de raison, comme pour le même point qui termine l)l lignes. - Cette distinction est factice. L’instant est la mesure réelle, et non logique, de son contenu. Une distinction logique, ou de pure raison, ne peut donc en faire la commune mesure de plusieurs choses qui ne sont pas simultanées; pas plus que, appliquée au point, elle ne peut y réduire des éléments éloignés les uns des autres.

La plus probable, c’est donc que le corps glorieux se meut dans le temps, mais un temps que sa brièveté rend imperceptible. Et cependant, un corps glorieux peut mettre moins de temps qu’un autre à franchir le même espace, car le temps, si minime qu’on le suppose, est divisible à l’infini.

Solutions : 1. «Quand il manque un rien, c’est comme si rien ne manquait », dit Aristote. Nous disons « Je le fais tout de suite », de ce que nous faisons avec un délai minime. C’est ce sens qu’il faut donner au texte de saint Augustin.

2. Cette assertion d’Aristote a été contredite. On a dit que la vitesse n’est pas proportionnée seulement à la résistance rencontrée, mais encore à l’espace parcouru. Le mouvement est plus ou moins rapide selon la force exercée par le moteur sur le mobile, même s’il n’y a pas d’autre résistance. Le mouvement d’un corps dans le vide ne serait donc pas instantané, mais, par suite de non-résistance extérieure, aucun temps ne s’additionnerait avec celui qui serait nécessaire au mobile, proportionnellement à sa force motrice. - Averroès critique et rejette cette idée, ou plutôt cette imagination, d’une addition quantitative et propose une autre explication. Il faut mettre ensemble toutes les résistances qui peuvent se rencontrer, qu’elles viennent du mobile lui-même ou de l’extérieur la lenteur sera d’autant plus grande que la force motrice sera moins capable de les vaincre. Le mobile résiste toujours à son moteur, puisque mouvoir et être mû, agir et pâtir, sont contraires. La résistance peut venir du mobile lui-même, s’il est prédisposé à un mouvement contraire à celui qu’on lui impose, ou du moins s’il occupe un lieu contraire à celui vers lequel on l’achemine. Elle peut venir aussi d’ailleurs, c’est-à-dire, du milieu, comme dans le mouvement naturel des corps pesants. Enfin, elle peut venir à la fois de l’intérieur et de l’extérieur, comme dans les mouvements des animaux. Quand la résistance vient du seul mobile, comme dans les corps célestes, le mouvement a lieu dans le temps et dépend de la proportion entre la force motrice et le corps mû ce cas n’est pas visé par la proposition d’Aristote, puisque, même en l’absence de tout milieu, leur mouvement n’est pas instantané. Quand la résistance vient du seul milieu, c’est sur elle seule aussi que se mesure le temps : si le milieu est supprimé, tout obstacle le sera donc aussi et le mouvement sera instantané. Quand elle vient à la fois du mobile et du milieu, c’est aussi une double résistance qui influe sur le mouvement et le temps. - L’application de ces principes au corps glorieux est évidente. Ce corps n’éprouve aucune résistance de la part du milieu, puisqu’il peut occuper le même lieu qu’un autre corps et le traverser sans effort; mais lui-même, du fait qu’il est un corps et doit toujours occuper un certain lieu, oppose par lui-même une résistance à la force qui le meut; il est donc impossible que son mouvement soit instantané.

3. Quoique l’énergie de l’âme glorifiée soit incomparablement supérieure à celle de l’âme non glorifiée, elle n’est cependant pas infinie et rie saurait donc causer un mouvement instantané. Elle ne le pourrait pas non plus, alors même que son énergie serait infinie, à moins de supprimer radicalement toute résistance opposée par le mobile. Celle qui vient de l’inclination à un mouvement contraire pourrait être totalement vaincue par un moteur d’une énergie infinie; mais celle qui vient de l’espace ne saurait l’être qu’à la condition de soustraire le mobile corporel à la nécessité d’occuper un lieu et une position déterminés. En effet, de même que le blanc résiste au noir, et d’autant plus qu’il en est plus éloigné, de même, le corps résiste à un lieu du fait qu’il occupe un lieu opposé, et sa résistance est en proportion de la distance. Or, il est impossible de soustraire un corps à la nécessité d’occuper un lieu ou une position déterminés, à moins de lui enlever sa nature corporelle dont elle est la conséquence. Donc, aussi longtemps qu’il garde cette nature, son mouvement ne peut pas être instantané, quelle que soit l’énergie de son moteur; conclusion qui s’applique au corps glorieux, puisqu’il ne cessera jamais d’être un corps.

4. Saint Augustin parle d’une « égale célérité », parce que la différence sera imperceptible, comme le temps même nécessaire à ce mouvement.

5. Après la résurrection, il n’y aura plus le temps qui est le nombre du mouvement sidéral; mais il y aura toujours celui qui est le nombre de la succession essentielle à tout mouvement.

 

QUESTION 85 : LA CLARTÉ DU CORPS DES ÉLUS

Il s’agit maintenant de la clarté du corps des élus après la résurrection

On demande 1. Sera-t-elle une prérogative du corps des élus ? - 2. Pourra-t-elle être vue par un oeil non glorifié ? - 3. Ou, au contraire, le sera-t-elle nécessairement ?

 

ARTICLE 1 : La clarté est-elle une prérogative du corps glorieux ?

Objections 1. « Tout corps lumineux est composé de parties transparentes», dit Avicenne.

Or, beaucoup de parties du corps glorieux, la chair, les os, etc., ne sont pas transparentes, ni, par conséquent, lumineuses.

2. Un corps lumineux fait écran un astre en éclipse un autre; la flamme empêche de voir ce qui est derrière elle. Or, saint Grégoire dit que, « au ciel, l’épaisseur corporelle ne fera pas obstacle aux regards des élus ils pourront voir de leurs yeux la merveilleuse harmonie intérieure du corps humain ».

3. Selon Aristote, « la lumière est dans le diaphane indéterminé, tandis que la couleur est à la limite des corps ». Or, « la beauté, dont la proportion et le coloris sont les éléments », dit saint Augustin, ne saurait faire défaut au corps glorieux, qui ne peut donc pas être lumineux.

4. La clarté devrait être égale dans toutes les parties du corps glorieux, de même que toutes sont également impassibles, subtiles et agiles. Mais il semble bien que, au contraire, certaines devraient être plus éclatantes que d’autres : les yeux plus que les mains, les humeurs plus que la chair et les tendons.

Cependant: 1. « Les justes resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Père. » - « Ils brilleront, et, semblables à des étincelle etc. »

2. Le corps des élus, « semé dans l’ignominie, ressuscitera glorieux », dit saint Paul; ce qui signifie la clarté, puisqu’il vient de parler de celle des étoiles.

Conclusion: Il faut attribuer cette prérogative au corps des élus, puisque l’Ecriture l’affirme, ainsi que nous venons de le dire. Certains veulent y voir un effet de la quintessence; mais nous avons, à mainte reprise, dénoncé l’absurdité de cette opinion. Il vaut donc mieux dire que la clarté aura pour cause le rejaillisse ment de la gloire de l’âme sur le corps. Ce qu’un être reçoit, il le reçoit selon sa nature à lui, et non pas selon la nature de l’être qui le lui communique. La clarté, spirituelle dans l’âme, sera donc corporelle dans le corps, et, en lui comme en elle, proportionnée au mérite. La clarté du corps manifestera donc la gloire de l’âme, comme un vase de cristal reflète la couleur de l’objet qu’il renferme, dit saint Grégoire.

Solutions 1. Avicenne parle du corps dont la clarté dépend des éléments dont il est formé. Celle du corps glorieux dépend du mérite et de la vertu.

2. Saint Grégoire, commentant Job, compare le corps glorieux à l’or, à cause de son éclat, et au cristal, à cause de sa transparence. Il semble donc bien qu’il aura ces deux qualités à la fois. C’est la densité des éléments qui fait que leur éclat s’oppose à la transparence. Mais la clarté du corps glorieux n’aura pas sa cause en lui-même. Il pourra donc, comme le cristal, posséder tout ensemble densité et transparence. Certains veulent qu’il y ait ici une simple comparaison le corps glorieux laisse voir la gloire de l’âme, comme un vase de cristal laisse voir l’objet qu’il renferme. Mais la première explication convient mieux à la dignité du corps glorieux, et elle est plus conforme à ce que dit saint Grégoire.

3. La gloire du corps ne détruira pas sa nature, mais la perfectionnera. La couleur qui lui est naturelle demeurera donc, mais la gloire de l’âme y ajoutera un nouvel éclat; de même qu’on voit ici-bas la splendeur du soleil, ou toute autre cause interne ou externe, faire briller davantage les objets naturellement colorés.

4. La gloire de l’âme rejaillira sur chaque partie du corps de la manière convenable à celle-ci. Il est donc raisonnable d’admettre que chacune aura une clarté plus ou moins grande selon ses prédispositions naturelles. Il n’en va pas de même pour les autres prérogatives, car les différentes parties du corps s’y prêtent également.

 

ARTICLE 2 : La clarté du corps glorieux peut-elle être vue par un oeil non glorifié ?

Objections : 1. Il faut une proportion entre le sens de la vue et son objet. Or, il n’y en a pas entre l’oeil humain non glorifié et la clarté de la gloire qui est d’une autre espèce que celle de la nature.

2. Le corps glorieux sera plus brillant que le soleil, qui brillera lui-même encore davantage qu’aujourd’hui. Or, l’oeil humain n’est pas capable de contempler le soleil dans tout son éclat.

3. Un objet visible, placé devant un oeil sain, est nécessairement vu par lui. Or, les disciples virent le corps du Sauveur ressuscité sans en voir la clarté. C’est donc que la clarté du corps glorieux n’est pas visible pour l’oeil humain.

Cependant: 1. Le Sauveur transformera notre corps misérable « en le rendant semblable à son corps glorieux », dit saint Paul; et la Glose ajoute « Nous aurons une clarté semblable à celle qu’il eut lui-même lors de sa transfiguration», clarté que ses disciples purent voir de leurs yeux.

2. Au Jugement, les impies seront torturés en voyant la gloire des justes, dont la clarté est un élément.

Conclusion : Certains ont nié la possibilité de cette vision à moins d’un miracle. Mais, pour admettre cette opinion, il faudrait, quand on parle du corps glorieux, donner au mot clarté un sens tout différent de celui auquel nous sommes habitués. En effet, la lumière est, par elle-même, de nature à impressionner la vue, comme la vue est, par elle-même, de nature à percevoir la lumière; les mêmes rapports existent aussi entre le vrai et l’intelligence, le bien et la volonté. Pour dire que la vue est absolument incapable de percevoir la lumière, il faudrait donc prendre le mot vue ou le mot lumière dans un sens tout nouveau. Il ne saurait en être ainsi quant à la question présente; car alors, nous dire que la clarté est une prérogative du corps glorieux ne nous apprendrait rien, pas plus que si l’on disait qu’il y a un chien dans le ciel, (en désignant la constellation ainsi nommée), à quelqu’un qui ne connaîtrait que le chien animal. Il faut donc conclure que la clarté du corps glorieux peut être vue par un oeil non glorifié.

Solutions 1. La clarté de la gloire a une autre cause que celle de la nature, mais elle n’est pas d’une autre espèce, ni donc sans pro portion avec la vue.

2. Le corps glorieux ne peut agir ou pâtir que sous l’influence de l’âme. Une clarté intense qui émane de l’âme n’offense pas la vue, mais la délecte; au contraire, celle qui provient d’une cause naturelle brûle et désagrège l’organe visuel. Ainsi, la clarté du corps glorieux, quoiqu’elle dépasse celle du soleil, n’est donc pas de nature à blesser le regard, mais plutôt à le réjouir. C’est pourquoi l’Apocalypse la compare à l’éclat du jaspe.

3. C’est la volonté qui a mérité la clarté du corps. Celle-ci lui sera donc soumise, visible ou invisible à son gré : le corps glorieux pourra donc ou manifester ou dissimuler son éclat. Telle est l’opinion du Prévôtin.

 

ARTICLE 3 : Le corps glorieux est-il nécessairement vu par un oeil non glorifié ?

Objections : 1. Le corps glorieux sera lumineux. Or, il est de la nature de la lumière d’être vue et de faire voir.

2. Un corps qui empêche de voir ce qui est derrière lui est vu nécessairement et par le fait même. Or, il en est ainsi du corps glorieux, puisqu’il est coloré.

3. Comme la quantité, la visibilité est inhérente au corps. Donc celle-ci, pas plus que celle-là, ne dépend de la volonté.

Cependant: : 1. Le corps des élus ressemblera à celui du Christ ressuscité, qui n’était pas nécessairement vu, puisque tout d’un coup les disciples d’Emmaüs ne le virent plus.

2. Le corps glorieux obéira parfaitement à l’âme il sera donc visible ou invisible au gré de celle-ci.

Conclusion: Un objet visible est vu par l’action qu’il exerce sur la vue. Mais cette action sur quelque chose d’extérieur à lui ne le change pas lui-même. Donc, sans perdre aucun des éléments de sa perfection, le corps glorieux peut être vu ou ne l’être pas. Donc, l’âme glorifiée a le pouvoir de rendre son corps visible ou invisible cette action, comme les autres, dépend d’elle. Autrement, le corps glorieux ne serait pas, vis-à-vis d’elle, l’instrument tout-à-fait obéissant qu’il doit être.

Solutions 1. Le corps glorieux sera maître de manifester ou dissimuler sa clarté.

2. La couleur d’un corps n’empêche sa transparence que si elle agit sur la vue, qui peut difficilement être impressionnée par deux couleurs à la fois de façon à voir parfaitement l’une et l’autre. Mais la couleur du corps glorieux agira ou n’agira pas sur la vue, au gré de l’âme, et pourra donc de même être opaque ou transparente.

3. La quantité est inhérente au corps glorieux, de telle sorte qu’elle ne puisse varier au gré de l’âme, sans un changement intrinsèque qui serait en contradiction avec l’impassibilité de ce corps. Il n’en va pas de même pour la visibilité. Sans doute, il ne dépend pas de l’âme que la qualité, qui en est le principe, soit ou ne soit pas; mais l’action de cette qualité, et donc le fait d’être visible ou de ne l’être pas, dépend de l’âme.

 

QUESTION 86 : L’ÉTAT CORPOREL DES DAMNÉS

Il s’agit maintenant de l’état corporel des damnés.

On demande : 1. Ressusciteront-ils avec leurs difformités corporelles ? - 2. Leur corps sera-t-il corruptible ? - 3. Sera-t-il impassible ?

 

ARTICLE 1 : Les damnés ressusciteront-ils avec leurs difformités corporelles ?

Objections : 1. La peine du péché ne peut cesser qu’avec sa rémission. Or, la mutilation est parfois un châtiment du péché, et on pourrait en dire autant de toutes les difformités corporelles. La résurrection ne les fera donc pas disparaître du corps des damnés, dont les péchés ne seront jamais remis.

2. De même que les élus auront tout ce qui peut rendre leur félicité parfaite; de même les damnés devront avoir tout ce qui peut porter leur malheur à son comble.

3. La résurrection ne remédiera pas au défaut d’agilité chez les damnés; donc, pas davantage, à leurs difformités.

Cependant: 1. « Les morts ressusciteront incorruptibles », dit saint Paul; et la Glose ajoute « tous les morts sans distinction, même les pécheurs, ressusciteront avec leurs membres au complet ».

2. La maladie émousse parfois la sensibilité et la douleur; de même la perte d’un membre ne lui permet plus de souffrir. Mais rien ne doit empêcher les damnés de souffrir dans leur corps tout entier.

Conclusion: On peut distinguer deux espèces de difformités corporelles. L’une résulte de l’absence d’un membre, d’une mutilation, qui détruit l’harmonie et la beauté du corps. Tout le monde affirme que le corps des damnés ne sera pas difforme de cette manière, puisque le corps humain, chez les méchants comme chez les bons, doit ressusciter tout entier. - L’autre résulte d’un désordre, ayant pour objet la quantité, la qualité, la disposition des membres et, en tout cas, nuisible à l’équilibre et à l’harmonie du corps tout entier. Sur cette espèce de difformités, comme les infirmités, fièvres, maladies, etc., qui en sont parfois la cause, saint Augustin n’a pas voulu se prononcer.

Certains ont été plus hardis et ont déclaré que les damnés ressusciteront avec elles, pour que rien ne manque au malheur suprême qu’ils ont mérité. - Cette opinion ne semble pas raison nable. La réparation du corps humain vise sa perfection naturelle plus encore que son état antérieur; c’est pourquoi les enfants ressusciteront à l’âge de la pleine jeunesse. Dès lors, tout défaut corporel et toute difformité conséquente devraient disparaître à la résurrection, à moins, prétend-on, que le péché ne s’y oppose et en impose la réviviscence comme un châtiment. Mais « la peine doit correspondre à la faute »; et il pourrait donc arriver qu’un pécheur moins coupable souffrît de ces infirmités dont un autre plus coupable serait exempt : dès lors la mesure de son châtiment serait disproportionnée à celle de sa faute, et il semblerait plutôt qu’il fût puni pour des peines qu’il a déjà endurées en cette vie, ce qui est absurde.

Il est donc plus raisonnable de dire que le Créateur de la nature humaine la refera dans son intégrité. C’est-à-dire : tous les défauts et difformités corporels, fièvre, mal d’yeux, etc., ayant pour principe une corruption ou une débilité de la nature ou des principes naturels, seront éliminés par la résurrection; au contraire, les imperfections inhérentes au corps humain de par sa nature même, pesanteur, passibilité, etc., dont l’état de gloire délivrera le corps des élus, se retrouveront dans le corps des damnés.

Solutions : 1. Un tribunal ne peut infliger une peine que dans les limites de sa juridiction; c’est pourquoi les peines infligées au péché en cette vie sont temporelles comme elle et finissent avec elle. Ainsi donc, quoique le péché des damnés ne soit pas remis, il ne s’ensuit point qu’ils doivent subir les mêmes peines qu’ici-bas; la justice divine leur en réserve d’autres, plus truelles et éternelles.

2. Il n’y a point parité entre les bons et les méchants; car, quelque chose peut être absolument bon, mais rien ne peut être absolument mauvais. Le bonheur des élus exige l’absence de tout mal; mais le malheur des damnés se saurait exiger celle de tout bien, car « le mal, s’il n’était que mal, se détruirait lui-même », comme le dit Aristote. Le malheur des damnés exige donc la présence d’un certain bien naturel, à savoir, la nature humaine, oeuvre du Créateur parfait, qui la leur rendra dans toute sa perfection spécifique.

3. L’absence d’agilité est une imperfection naturelle au corps humain; il n’en est pas ainsi d’une difformité.

 

ARTICLE 2 : Le corps des damnés sera-1-il incorruptible ?

Objections : 1. C’est impossible, puisqu’il sera composé d’éléments contraires, comme aujourd’hui; autrement, il ne serait plus le même, ni comme espèce, ni comme individu.

2. Son incorruptibilité viendrait ou de la nature, ou de la grâce et de, la gloire. Mais la première sera en eux la même qu’aujourd’hui, et les deux autres leur feront défaut.

3. Il ne semble pas raisonnable de soustraire ceux qui ont mérité le malheur suprême à la mort, qui est le plus grand des châtiments.

Cependant: 1. Il est dit dans l’Apocalypse « En ces jours-là, les hommes chercheront la mort et ils ne la trouveront pas; ils souhaiteront la mort, et la mort fuira loin d’eux. »

2. Et dans saint Matthieu « Ceux-ci iront au supplice éternel »; ce qui suppose l’incorruptibilité corporelle de ceux qui y sont condamnés.

Conclusion: Comme tout mouvement exige une cause, un mouvement ou changement peut être supprimé si la cause fait défaut ou si quel que chose met obstacle à son action. Or, la corruption est une espèce de changement, et peut donc aussi être empêchée des deux manières qui viennent d’être dites. 1° En supprimant totalement sa cause; c’est ainsi que le corps des damnés sera incorruptible. En effet, le mouvement du ciel est la cause principale des altérations, et toutes les autres causes en dé pendent; lorsqu’il aura cessé, après la résurrection, le corps humain ne subira donc plus aucune influence capable de l’altérer et finalement de le corrompre. Cette incorruptibilité corporelle des damnés servira la justice divine qui exige qu’ils vivent toujours pour être punis toujours, de même que la corruptibilité des êtres corporels en ce monde sert la Providence divine qui les renouvelle ainsi en les remplaçant les uns par les autres. - 2° En mettant obstacle à son action. C’est ainsi que le corps d’Adam était incorruptible : la grâce d’innocence empêchait en lui la lutte des éléments contraires et la dissolution qui en aurait été la conséquence. C’est ainsi que le sera, et mieux encore, le corps des élus, pleinement soumis à leur âme, et dans lequel se trouveront donc à la fois les deux modes d’incorruptibilité.

Solutions 1. Les éléments contraires dont sont formés les corps agissent sous l’influence du mouvement du ciel, et la corruption s’ensuit nécessairement, à moins qu’une énergie plus puissante n’y mette obstacle. Sans cette influence, ils ne sont plus des causes suffisantes de corruption, même dans l’ordre naturel. Les anciens philosophes ignoraient que le mouvement du ciel dût s’arrêter un jour; la corruption des corps composés d’éléments contraires était donc pour eux un principe universel et nécessaire.

2. Cette incorruptibilité sera naturelle, non par la présence d’un principe interne d’incorruption, mais par l’absence du premier principe externe de toute corruption.

3. La mort, en elle-même, est le plus grand des maux; mais, à un certain point de vue, elle peut être un remède aux maux que l’on souffre et que l’immortalité ne peut qu’aggraver. « Vivre, dit Aristote, paraît agréable à tous, parce que tout être désire être; mais à condition de l’entendre d’une vie qui ne soit ni mauvaise, ni diminuée, ni douloureuse. » De même donc que la vie en elle même, quand elle est exempte de souffrance, est un bien, de même, la mort, qui prive de la vie, est, par elle-même, un mal et le plus grand des maux, parce qu’elle enlève le bien premier, qui est l’être, et avec lui, tous les autres; mais, quand elle met un terme à une vie misérable et tourmentée, elle est un remède aux maux que l’on endure et qui finissent avec elle. C’est ainsi que l’immortalité met le comble aux maux, puisqu’ils ne finiront jamais. Si l’on regarde la mort comme une peine à cause de la douleur que ressentent les mourants, il n’est pas douteux que les damnés éprouveront sans répit des douleurs bien plus cruelles encore; ce sera donc, pour eux, comme une mort de tous les instants: « La mort les dévorera comme une proie », selon l’expression du Psalmiste.

 

ARTICLE 3 : Le corps des damnés sera-t-il impassible ?

DIFFICULTÊS : 1. « Toute passion (modification) qui s’accentue tend à détruire la nature », dit Aristote. De plus, « une destruction partielle, mais continue, d’un être fini, aboutit à sa totale corruption ». Or, on vient de prouver que le corps des damnés est incorruptible; il doit donc aussi être impassible.

2. Même conclusion tirée de la loi d’après laquelle l’agent tend à s’assimiler le patient : si le feu fait pâtir le corps des damnés, il finira par le consumer.

3. Les animaux que l’on dit capables de vivre dans le feu, comme la salamandre, n’en souffrent pas, puisque leur corps n’en subit aucune atteinte. Pour que le corps des damnés demeure incorruptible dans le feu de l’enfer, il faut donc qu’il n’en souffre pas, qu’il soit impassible.

4. Si le corps des damnés était passible, leurs souffrances surpasseraient toutes celles d’ici-bas, de même que la félicité des élus est incomparable. Mais nous voyons l’intensité de la douleur causer parfois la mort. A plus forte raison, le corps des damnés ne peut pas être à la fois passible et incorruptible.

Cependant: : 1. A ces paroles de saint Paul «Nous serons transformés », la Glose ajoute « Nous seuls, les bons, serons transformés par la gloire et deviendrons immuables et impassibles ».

2. Le corps est l’auxiliaire de l’âme pour le mal comme pour le bien. Or, le corps partagera la récompense de l’âme; il doit donc partager aussi son châtiment, et, pour cela, être passible.

Conclusion: L’impassibilité dont il s’agit aura pour cause principale la justice de Dieu qui veut infliger aux damnés des peines éternelles, non sans adapter à cette fin les lois qui régissent l’action et la passion. En effet, pâtir signifie une modification éprouvée par le patient : ce qui peut avoir lieu de deux manières. Le patient peut recevoir de l’agent une forme, selon l’être matériel de celle-ci : telle, la chaleur que l’air reçoit du feu; on appelle cette manière passion naturelle. Il peut la recevoir immatériellement, selon son être intentionnel : telle, une couleur, la blancheur, par exemple, reçue dans l’air et dans l’oeil ; c’est de cette manière que l’âme reçoit les similitudes des réalités, aussi l’appelle-t-on passion de l’âme. - Après la résurrection et l’arrêt du mouvement du ciel, il n’y aura plus d’altération ni donc de passion naturelle, et, en ce sens, le corps des damnés sera impassible aussi bien qu’incorruptible. Mais l’autre mode de passion demeurera : l’air sera illuminé par le soleil, et, par lui, la vue recevra l’impression des objets colorés. Le corps des damnés sera passible de cette manière : leur sensibilité s’exercera, donc ressentira la souffrance, sans pourtant que l’état naturel de leur corps soit modifié. Quant au corps des élus, quoiqu’il soit passif, en un certain sens, puisque leur sensibilité s’exercera, on ne doit cependant pas le dire passible, parce que jamais leur sensibilité n’aura pour objet quelque chose qui puisse les affliger ou les faire souffrir.

Solutions: 1. Aristote parle ici de la passion qui modifie l’état naturel du patient; le corps des damnés en sera indemne.

2. Le patient peut ressembler à l’agent ou parce que la même forme est de la même manière dans tous les deux, comme c’est la loi pour tous les agents univoques : le feu allume du feu, la chaleur cause de la chaleur; ou parce que la même forme est dans tous les deux, quoique d’une manière différente, comme c’est la loi pour tous les agents équivoques : la forme peut être spirituelle dans l’agent et matérielle dans le patient, par exemple, l’idée d’une maison et cette maison elle-même, ou, au contraire, matérielle dans l’agent et immatérielle dans le patient, par exemple, la couleur d’un mur et cette même couleur dans l’air qui la transmet et l’oeil qui la reçoit. Ainsi en sera-t-il du feu et du corps des damnés : ce qui est forme matérielle dans celui-là deviendra forme immatérielle dans celui-ci, qui sera donc assimilé sans cependant être consumé.

3 Aristote n’admet pas qu’un animal puisse vivre dans le feu. De son côté, Galien nie qu’aucun corps puisse résister au feu, quoique certains, l’ébène, par exemple, soient plus lents à subir son action. Ce que l’on allègue de la salamandre manque donc de justesse, car le feu finirait par la consumer, ce qui n’arrivera pas au corps des damnés. Il ne faudrait pas en conclure que ceux-ci ne souffrent pas; car, outre l’action naturelle, qui s’exerce sur l’organisme en bien ou en mal, il y a l’action immatérielle. Celle-ci met la sensibilité en rapport avec un objet sensible qui l’affecte agréablement ou douloureusement, selon qu’il lui est proportionné ou disproportionné, par exemple, des couleurs ou des voix, harmonieuses ou criardes.

4. La douleur ne sépare pas l’âme du corps, tant qu’elle reste dans la puissance de l’âme qui en est le sujet, mais seulement lorsqu’elle se communique au corps pour le modifier, comme nous voyons la colère l’échauffer ou la peur le glacer. Mais, après la résurrection, le corps ne sera plus soumis à des modifications de ce genre; et ainsi, quelque grande que soit la douleur, jamais elle ne séparera l’âme de son corps.


[1] Article périmé. Une nouvelle traduction de la Vulgate montre que saint Paul affirme explicitement « qu’à la fin du monde, certains ne mourront pas. »

TABLE      CONSULTER LE TEXTE DU TRAITÉ DES FINS DERNIÈRES      SUIVANT