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Mt  6  7-8

S. Augustin (serm. sur la mont.) Le propre des hypocrites est de se donner en spectacle dans leurs prières et de n’y chercher d’autres fruits que la louange des hommes ; ainsi le propre des païens (c’est-à-dire des Gentils) est de penser que c’est à force de paroles qu’ils seront exaucés dans leurs prières. C’est pourquoi Notre-Seigneur ajoute : « Or en priant, ne parlez pas beaucoup. » — Confér. des Pères. Nos prières doivent être fréquentes mais courtes, de peur que notre ennemi ne prenne occasion d’une prière trop prolongée pour jeter ses pernicieuses insinuations dans notre âme.

S. Augustin. (Ep. 121 à Proba., ch. 10.) Cependant ce n’est pas faire de longs discours en priant, comme plusieurs le pensent, que de prier longtemps. Les longs discours n’ont rien de commun avec la durée du sentiment intérieur. En effet, n’est-il pas dit du Seigneur lui-même, qu’il passa la nuit à prier (Lc 6), et ailleurs qu’il redoubla sa prière pour nous donner l’exemple ? (Lc 22) On dit que nos frères d’Égypte se livrent à de fréquentes mais très courtes prières qu’ils lancent pour ainsi dire vers le ciel à la dérobée afin que la ferveur d’intention si nécessaire à celui qui prie ne soit pas soumise à une espèce de violence pendant une prière trop prolongée. Par là ils nous apprennent que de même qu’il ne faut pas fatiguer cette intention, si elle ne peut durer plus longtemps, on ne doit pas non plus l’interrompre si elle veut encore continuer. Ne multiplions pas les paroles dans la prière, mais multiplions-y les supplications, si la ferveur de l’intention se soutient. Parler beaucoup dans la prière c’est noyer une demande nécessaire dans un flot de paroles superflues ; tandis que prier beaucoup c’est importuner pour ainsi dire celui que nous prions par les cris continuels de notre cœur : car presque toujours cette affaire se traite bien mieux par des gémissements que par des discours, et plus efficacement avec des larmes qu’avec des paroles.

S. Chrys. (hom. 49.) Notre-Seigneur condamne ici toutes les paroles inutiles et vaines dans la prière, comme lorsque nous demandons à Dieu non pas ce qui est digne de lui et de nous, mais la puissance, la gloire, la victoire sur nos ennemis, de grandes richesses. Il nous défend donc ici les longues prières, je ne dis pas longues par leur durée, mais par la multitude des paroles dont elles sont composées. Cependant la persévérance dans la prière est nécessaire : « Persévérez dans la prière » nous dit l’apôtre (Rm 12 ; Col 4, 2 ; Ep 6, 18). Ce n’est pas qu’il nous ordonne de faire des prières composées de dix mille phrases ; il veut simplement que nous les prolongions par les instances de notre cœur ; c’est ce que Notre-Seigneur nous insinue indirectement par ces paroles : « N’affectez pas de parler beaucoup. »

La glose. Notre-Seigneur condamne la multitude des paroles qui provient de l’incrédulité, ce qu’il exprime en disant : « Ainsi que font les païens. » Cette abondance de paroles était nécessaire aux païens pour instruire les démons de l’objet de leurs demandes, « car, » dit Jésus-Christ, « ils sont persuadés que c’est à force de paroles qu’ils seront exaucés. — S. Augustin. (serm. sur la mont.) Et en effet toute abondance superflue de paroles vient des païens, qui beaucoup plus occupés du soin d’exercer leur langue que de changer leur cœur, transportent ce flux habituel de paroles jusque dans les prières qu’ils adressent à Dieu. — S. Grég. (Moral., liv. 33, ch. 21.) La prière véritable consiste dans les gémissements amers de la componction et non dans des paroles arrangées avec art ; aussi Notre-Seigneur conclut-il, « Ne vous rendez donc pas semblables à eux. » — S. Augustin. (serm. sur la mont.) Si cette abondance de paroles a pour objet de dissiper l’ignorance de celui à qui on s’adresse, qu’en est-il besoin vis-à-vis de celui qui connaît toutes choses ? C’est pourquoi il ajoute : « Votre Père céleste sait avant que vous le lui demandiez, ce qui vous est nécessaire. »

S. Jérôme. Quelques philosophes ont pris occasion de là pour formuler comme un dogme cette impiété : Si Dieu connaît par avance et l’objet de nos prières, et les besoins que nous voulons lui exposer, il est inutile de les lui dire. Nous leur répondons que nous faisons à Dieu non pas un récit mais une prière, et qu’il y a une grande différence entre raconter à quelqu’un ce qu’il ignore, et lui demander ce qu’il sait déjà.

S. Chrys. (homél. 19.) Vous ne priez donc pas pour instruire Dieu, mais pour le fléchir, pour vous unir intimement à lui par la continuité de la prière, pour vous humilier, pour réveiller en vous le souvenir de vos péchés. — S. Augustin. (serm. sur la mont.) Ce n’est pas par nos paroles que nous devons chercher à obtenir de Dieu ce que nous désirons, mais par les dispositions habituelles de notre âme, par la droiture de notre intention, la pureté de notre amour, la simplicité de notre cœur. — S. Augustin. (Lettre 121 à Proba.) Cependant de temps à autre nous adressons à Dieu des prières vocales, afin que ces signes extérieurs nous réveillent, nous fassent connaître quels sont nos progrès dans le saint désir de la prière, et nous excitent plus vivement à l’augmenter en nous. Car ce désir qui s’attiédit au contact de mille soins divers, finirait par se refroidir et s’éteindre tout à fait, si nous ne ravivions fréquemment sa flamme. Les paroles nous sont donc nécessaires non pas pour apprendre à Dieu ce qu’il ne sait pas, ou pour le fléchir, mais pour nous donner de salutaires avertissements, et nous faire examiner l’objet de nos prières.

S. Augustin. (serm. sur la mont.) On pourrait demander encore en quoi la prière elle-même (qu’elle consiste en paroles ou en sentiments intérieurs) est nécessaire si Dieu sait par avance ce dont nous avons besoin, s’il n’était évident que la seule volonté de la prière est pour l’âme une source de paix et de pureté, et la rend plus propre à recevoir les dons spirituels que Dieu répand en nous. Dieu n’exauce pas nos prières par le désir qu’il a d’être prié, car il est toujours prêt à donner sa lumière, mais nous ne sommes pas toujours disposés à la recevoir, inclinés que nous sommes vers d’autres biens. Dans la prière notre cœur se tourne donc vers Dieu, et en excluant le désir des biens temporels l’oeil intérieur de notre âme se purifie, et ainsi rendu à sa pureté il devient capable de supporter la lumière dans toute sa clarté, et de demeurer dans cette sublime contemplation avec ce sentiment de joie qui est la perfection du bonheur.

Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.

 

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