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Mt  16  24-25

S. Chrys. (hom. 56.) Après que Pierre eut dit au Sauveur : « Soyez-vous favorable, cela ne vous arrivera pas, » et qu’il en a reçu cette réponse : « Retirez-vous derrière moi, Satan, » Notre-Seigneur, non content de lui avoir fait ce reproche, veut lui démontrer pleinement toute l’inconvenance de son langage et les fruits de sa passion : « Alors Jésus dit à ses disciples « Si quelqu’un veut venir après moi, » paroles dont voici le sens : Vous me dites : Épargnez-vous, Seigneur, et moi je vous dis que non-seulement c’est une chose funeste pour vous de me dissuader de souffrir, mais que vous-mêmes vous ne pourrez être sauvés sans souffrir et mourir, et sans un renoncement continuel à votre vie. Remarquez, du reste, qu’il n’impose pas ici de nécessité. Il ne dit pas : Quand même vous ne voudriez pas, il vous faut souffrir, mais : « Si quelqu’un veut, » paroles qui étaient pour ses disciples un attrait bien plus puissant, car en laissant toute liberté à celui qui vous écoute, vous l’attirez plus sûrement, tandis que vous l’éloignez davantage si vous lui faites violence. Ce n’est pas, du reste, à ses disciples seuls qu’il propose ces conditions, c’est en général à tout l’univers : « Si quelqu’un veut, » c’est-à-dire si une femme, si un homme, si un roi, si un esclave, etc. Or, ces conditions sont au nombre de trois : Qu’il se renonce lui-même, qu’il porte sa croix, et qu’il me suive.

S. Grég. (hom. 32 sur les Evang.) Si nous ne commençons, en effet, par nous détacher de nous-mêmes, nous ne pouvons nous approcher de celui qui est au-dessus de nous ; mais si nous nous laissons nous-mêmes, où pourrons-nous aller en dehors de nous ? Ou bien, que devient celui qui s’en va, s’il s’abandonne lui-même ? Rappelons-nous ici que le péché nous a fait déchoir de l’état où Dieu nous avait créés dans l’origine ; nous nous laissons donc nous-mêmes, nous nous renonçons nous-mêmes lorsque nous évitons ce que nous suggérait le vieil homme, et que nous tendons vers cette sainte nouveauté à laquelle Dieu nous appelle. — S. Grég. (hom. 40 sur Ezéch.) On se renonce encore soi-même quand on réforme sa conduite, et que l’on commence d’être ce qu’on n’était pas en cessant d’être ce qu’on était. — S. Grég. (Moral., 33, 6.) C’est encore se renoncer soi-même que de fouler aux pieds l’enflure de l’orgueil et de se montrer aux yeux de Dieu tout à fait dépouillé de soi-même.

Origène. (traité 11 sur S. Matth.) Mais quand même nous nous abstiendrions de tout péché, si nous n’embrassons par la foi la croix de Jésus-Christ, on ne peut pas dire que nous sommes crucifiés avec lui. — S. Chrys. (hom. 55.) Ou bien encore, celui qui renonce son frère, ou son serviteur, ou n’importe quel autre homme, c’est celui qui ne lui porte aucun secours lorsqu’il le voit déchiré sous les coups de fouets, ou soumis à d’autres tourments. Ainsi le Sauveur veut-il que nous ne ménagions pas davantage notre corps, soit qu’on nous frappe de verges, soit qu’on nous accable d’autres mauvais traitements ; car c’est l’épargner en réalité, de même que les pères épargnent véritablement leurs enfants, lorsque les confiant aux soins de leurs maîtres, ils leur recommandent de n’avoir pour eux aucun ménagement. Et ne croyez pas que ce renoncement à soi-même ne doive s’étendre qu’aux paroles injurieuses et aux outrages. Notre-Seigneur nous découvre clairement jusqu’où il faut porter ce renoncement, jusqu’à la mort la plus honteuse, jusqu’à la mort de la croix, comme il nous l’exprime par ces paroles : « Qu’il porte sa croix, et qu’il me suive. » — S. Jérôme. Il faut suivre le Seigneur en prenant suit nous la croix de sa passion, et l’accompagner, sinon en réalité, du moins par l’intention et le désir du cœur.

S. Chrys. (hom. 55.) Mais comme les voleurs eux-mêmes sont exposés à de nombreuses et à de rudes épreuves, Notre-Seigneur, ne voulant pas vous laisser croire qu’il suffit de souffrir en général, vous fait connaître la cause pour laquelle vous devez souffrir, en ajoutant : « Et qu’il me suive. » C’est-à-dire qu’il vous faut tout supporter pour l’amour de lui, et pratiquer à son exemple toutes les vertus ; car la seule manière légitime de suivre Jésus-Christ, c’est d’être plein de zèle pour les vertus, et de tout supporter pour l’amour de lui. — S. Grég. (hom. 32.) Il y a aussi deux manières de porter sa croix, lorsqu’on mortifie son corps par l’abstinence, ou lorsqu’on afflige son âme en compatissant aux misères du prochain. Mais comme les vertus sont toujours entremêlées de quelques vices, il faut nous avouer à nous-mêmes que la vaine gloire vient quelquefois attaquer la mortification de la chair ; car la maigreur extérieure du corps, la pâleur du visage, découvrent la vertu et l’exposent aux louanges des hommes. D’un autre côté, la compassion dégénère presque toujours secrètement en une fausse tendresse, qui l’entraîne quelquefois jusqu’à la condescendance pour les vices ; et c’est pour nous faire éviter ce danger qu’il ajoute : « Et qu’il me suive. » — S. Jérôme. Ou bien encore, celui qui est crucifié au monde porte sa croix, et celui pour lequel le monde est crucifié marche à la suite du Seigneur attaché sur la croix.

S. Chrys. (hom. 55.) Notre-Seigneur adoucit par les paroles qui suivent ce que ce langage pouvait avoir de trop sévère pour ceux qui l’entendaient ; il promet des récompenses supérieures aux peines endurées pour son nom, en même temps qu’il prédit les châtiments réservés à la méchanceté et à la négligence. « Celui qui voudra sauver sa vie la perdra. »

Origène. Ces paroles peuvent s’entendre de deux manières : premièrement, si quelqu’un, par affection pour la vie présente, épargne son âme dans la crainte de la mort, et parce qu’il croit que cette mort est la perte de son âme, en voulant sauver son âme, de cette manière, il la perdra, et lui fera perdre tous ses droits à la vie éternelle. Mais celui, au contraire, qui méprise la vie présente et qui aura combattu jusqu’à la mort pour la vérité (cf. Si 4, 23), celui-là perdra son âme pour cette vie, mais comme il la perd pour Jésus-Christ, il la sauve infailliblement pour la vie éternelle. Ou bien encore, dans un autre sens Si quelqu’un comprend en quoi consiste le salut véritable, et veut procurer ce salut à son âme, en se renonçant lui-même, il perd son âme pour Jésus-Christ, quant à la jouissance des plaisirs charnels ; et en perdant son âme de cette manière, il la sauve par les oeuvres de piété. Cette expression : « Celui qui voudra, » indique que cette proposition et celle qui précède n’ont qu’un seul et même sens. Si donc ce que Jésus a dit plus haut : « Qu’il se renonce lui-même, » doit s’entendre de la mort du corps, nous devons conclure que tout doit s’entendre de cette mort seule. Si, au contraire, se renoncer soi-même c’est se dépouiller de toute habitude de vie sensuelle, perdre son âme, c’est Vivre entièrement séparé des plaisirs de la chair.

Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.

 

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