Accueil > Bibliothèque > La Chaîne d’or > Évangile selon saint Matthieu > chapitre 16, versets 26-28
S. Chrys. (hom. 55.) Notre-Seigneur avait dit : « Celui qui veut sauver, perdra ; et celui qui perdra, sauvera, » mettant ainsi des deux côtés le salut et la perdition ; mais afin qu’on ne puisse supposer que le salut et la perdition sont les mêmes dans les deux cas, il ajoute : « Et que servirait-il à l’homme de gagner le monde entier, et de perdre son âme. » C’est-à-dire : Ne m’alléguez pas que celui qui a échappé aux dangers qui le menacent pour la cause du Christ, sauve son âme, mettez même avec son âme l’univers tout entier, que lui en reviendra-t-il si son âme vient à périr pour l’éternité ? Si vos serviteurs étaient dans la joie, sous vos yeux, tandis que vous, au contraire, vous seriez plongé dans des maux extrêmes, quel avantage vous reviendrait-il d’être leur maître ? Appliquez cette considération à votre âme, puisqu’elle est destinée avec la chair coupable à une perte éternelle.
Origène. Je pense que c’est gagner le monde que de ne pas se renoncer soi-même, et de ne pas perdre son âme en la privant des plaisirs de la chair, et on perd alors véritablement son âme. Aussi entre ces deux partis qui nous sont proposés, ne devons-nous pas hésiter à perdre plutôt le monde entier pour gagner nos âmes.
S. Chrys. (hom. 55.) Mais quand bien même vous régneriez sur l’univers entier, vous ne pourriez pas racheter votre âme, et c’est pour cela que le Sauveur ajoute « Et qu’est-ce que l’homme donnera en échange de son âme ? » c’est-à-dire si vous perdiez vos richesses, vous pourriez donner d’autres richesses pour rentrer en possession des premières ; mais si vous perdez votre âme, vous ne pouvez donner ni une autre âme, ni quoi que ce soit pour la racheter. Qu’y a-t-il d’étonnant qu’il eu soit ainsi pour votre âme ? Est-ce qu’il n’en est pas de même pour votre corps ? Car vous auriez beau placer dix mille diadèmes sur un corps atteint d’une maladie incurable, ils seraient impuissants pour le guérit. — Orne. Au premier abord, il semble que l’homme pourrait donner, en échange de son âme, ses richesses en les distribuant aux pauvres pour la sauver ; mais l’homme n’a rien qu’il puisse donner en échange pour délivrer sort âme de la mort. Dieu, au contraire, a donné comme prix d’échange pour les âmes des hommes, le sang précieux de son Fils. — S. Grég. (hom. 32 sur les Evang.) Ou bien encore, on peut établir de la sorte la liaison dans le discours du Sauveur. La sainte Église traverse des temps de paix et des temps de persécution, et pour ces temps si divers, le Rédempteur nous donne des préceptes différents. Dans les temps der persécution, nous devons sacrifier notre vie, et dans les temps de paix, dompter et réduire les désirs terrestres qui peuvent nous tyranniser davantage ; c’est pour cela qu’il dit : « Que sert à l’homme ? » etc. — S. Jérôme. L’exhortation qu’il vient de faire à ses disciples de se renoncer eux-mêmes, et de porter leur croix, les a remplis d’effroi. A cette doctrine sévère il fait donc succéder des prédictions plus agréables : « Le Fils de l’homme viendra, dit-il, dans la gloire de son Père avec ses anges, » etc. Vous craignez la mort ? écoutez quelle sera la gloire du triomphateur ; vous redoutez la croix ? entendez quel sera le ministère des anges. — Origène. C’est-à-dire : Maintenant le Fils de l’homme est venu sur la terre, mais ce n’est pas dans la gloire ; car il ne convenait pas qu’il se chargeât de nos péchés, étant environné d’honneur et de gloire. Mais alors il viendra dans toute sa gloire, lorsqu’il aura préparé ses disciples, et après qu’il s’est fait semblable à eux, pour les rendre semblables à lui, c’est-à-dire participants de sa propre gloire. — S. Chrys. Il ne dit pas : Le Fils de l’homme viendra dans une gloire semblable à celle de son Père, pour ne pas laisser supposer que ce sont deux gloires différentes, mais : « Dans la gloire du Père, » montrant ainsi qu’il s’agit absolument de la même gloire. Or, si la gloire est une, il est évident qu’il n’y a également qu’une substance. Que craignez-vous donc, Pierre, en entendant parler de mort ? Vous me verrez alors dans la gloire ; et si je suis dans la gloire, vous y serez aussi vous-même. Mais cependant à ces prédictions de gloire il entremêle une pensée effrayante, c’est celle du jugement. « Et alors il rendra à chacun selon ses oeuvres. » — S. Jérôme. Il n’y a point de distinction entre les Juifs et les Gentils, entre les hommes et les femmes, entre les pauvres et les riches, là où l’on tient compte non des personnes, mais des oeuvres. — S. Chrys. (hom. 55.) Notre-Seigneur s’exprime de la sorte, pour rappeler aux pécheurs les supplices qui les attendent, et aussi aux justes les récompenses et les couronnes qui leur sont réservées.
S. Jérôme. Les Apôtres pouvaient se scandaliser intérieurement de ces paroles et se dire en eux-mêmes : Vous nous annoncez une mort éternelle dans un avenir prochain, mais la promesse que vous nous faites de venir dans votre gloire, ne doit s’accomplir que dans des temps bien éloignés. Celui qui pénètre les secrets des cœurs, prévoyant cette objection, oppose à la crainte des maux présents la perspective d’une récompense prochaine : « Je vous le dis en vérité, il y en a de ceux qui sont ici présents, qui n’éprouveront pas la mort avant qu’ils aient vu le Fils de l’homme venant en son règne, » — S. Chrys. (hom. 55.) Il veut leur apprendre quelle était cette gloire dans laquelle il doit venir plus tard, et il la leur révèle en cette vie, autant qu’ils en étaient capables, afin que la pensée de sa mort ne fût pas pour eux un sujet de tristesse. — S. Rémi. Cette prédiction du Sauveur eut son accomplissement pour les trois disciples, devant lesquels il fut transfiguré sut la montagne où il leur découvrit les joies des récompenses éternelles. Ils le virent venant dans son règne, c’est-à-dire resplendissant de cette gloire dans laquelle, après le jugement, il apparaîtra aux yeux de tous les saints. — S. Chrys. (hom. 55.) Il ne leur fait pas connaître les noms de ceux qui doivent le suivre sur la montagne, car les autres auraient vivement désiré l’accompagner pour être témoins de cette manifestation de sa gloire, et auraient souffert de la préférence donnée sur eux aux autres disciples. — S. Grég. (hom. 32.) Ou bien encore, il appelle le royaume de Dieu l’Église actuelle ; et comme plusieurs de ses disciples devaient vivre assez longtemps pour voir établie cette Église que Dieu opposait à la gloire du monde, il leur fait cette promesse consolante : « Plusieurs de ceux qui sont ici présents, » etc.
Origène. Dans le sens moral, on peut dire que le Verbe de Dieu a pour ceux qui sont nouveaux dans la foi l’apparence d’un esclave, tandis que pour ceux qui sont parfaits, il paraît dans la gloire de son Père. Les anges sont les discours des prophètes qu’il est impossible de comprendre dans le sens spirituel avant d’avoir l’intelligence spirituelle du Verbe du Christ, de manière qu’on les voit apparaître en même temps dans la majesté. C’est alors qu’il donnera de la gloire à chacun suivant ses actes, car plus on est vertueux, plus aussi on a l’intelligence spirituelle de Jésus-Christ et de ses prophètes. Ceux qui se tiennent où est Jésus sont ceux qui ont jeté près de lui les fondements de leur âme et de leurs affections. Ceux qui sont plus solidement assis ne goûtent pas la mort avant qu’ils aient vu le Verbe de Dieu dans son règne. Ils verront la grandeur sublime de Dieu qui reste invisible pour ceux qui sont enveloppés dans les épais nuages de leurs péchés, ce sont ces derniers qui goûtent la mort ; car l’âme pécheresse est frappée de mort. De même, en effet, que le Christ est la vie et le pain vivant qui est descendu du ciel, ainsi son ennemi, c’est-à-dire la mort, est le pain de mort. Il en est qui mangent très peu de ces pains, qui ne l’ont que les goûter ; d’autres au contraire, s’en nourrissent abondamment. Ceux qui ne commettent que des fautes rares et peu nombreuses, ne font que goûter la mort ; ceux, au contraire, qui pratiquent dans leur perfection les vertus spirituelles, ne goûtent pas la mort, mais se nourrissent continuellement du pain de vie. Ces paroles : « Jusqu’à ce qu’ils voient, ne précisent pas l’époque après laquelle doit arriver ce qui n’avait pas encore reçu son accomplissement ; elles expriment simplement une chose qui se fera nécessairement. Celui, en effet, qui aura une fois vu Jésus dans sa gloire, ne goûtera jamais la mort.
Raban. Au témoignage du Sauveur, les saints ne font que goûter et comme effleurer la mort du corps ; mais la vie de l’âme demeure toujours en leur possession.
Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.