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Mt  12  1-8

La glose. Après avoir raconté les prédications et les miracles qui eurent lieu l’année qui précéda le supplice de Jean-Baptiste, 1’Évangéliste passe aux événements de l’année qui suivit la mort du saint précurseur, alors que Jésus-Christ commence à être en butte à toutes sortes de contradictions, et il ouvre son récit par ces paroles : « Dans ce temps-là, » etc.

S. Augustin. (de l’accord des Evang., liv. 2, ch. 34.) Ce qui suit est raconté par saint Marc (Mc 2) et par saint Luc (Lc 6) sans l’ombre même de contradiction ; mais ils ne disent pas : « En ce temps là ; » d’où l’on peut conclure que saint Matthieu suit dans sa narration l’ordre des faits, et les autres l’ordre de leurs souvenirs, à moins qu’on ne donne un sens plus large à ces paroles : « En ce temps là, » c’est-à-dire dans le temps où toutes ces choses et une foule d’autres faits avaient lieu. Toutes ces choses se seraient donc passées après la mort de Jean ; car on croit qu’il fut décapité peu de temps après qu’il eut envoyé ses disciples consulter Jésus-Christ. Cette locution : « Dans ce temps-là, » exprimerait alors un temps indéterminé.

S. Chrys. (hom. 40.) Mais pourquoi le Sauveur, dont la prescience s’étendait à tout, conduisait-il ses Apôtres le long des blés un jour de sabbat si son intention n’était pas que le sabbat fût violé ? Il le voulait en effet, mais non pas absolument, c’est-à-dire sans raison, et il choisissait une occasion légitime de mettre fin à la loi, sans paraître la violer. Aussi pour adoucir les esprits des Juifs prévenus contre lui, il met en avant la nécessité : « Ses disciples ayant faim. » Ce n’est pas, sans doute, qu’il puisse y avoir jamais d’excuse, pour ce qui est évidemment péché ; ainsi ni l’homicide ne peut s’excuser par l’excès de la colère, ni l’adultère par la violence de ses désirs ou par toute autre cause ; ici néanmoins, en alléguant la nécessité de la faim, il délivre ses disciples de toute culpabilité.

S. Jérôme. Nous lisons dans un autre Évangéliste, que les disciples, importunés par la foule, n’avaient même pas le temps de manger : ils avaient donc naturellement faim. Ils apaisent cette faim en broyant entre leurs mains des épis de blé, preuve de l’austérité de leur vie ; ils n’ont pas besoin d’aliments recherchés, la plus simple nourriture leur suffit. — S. Chrys. (Hom. 40.) Admirez ces disciples, qui dans une aussi dure nécessité, n’ont aucun souci de leur corps, oublient la nourriture qu’il réclame, et qui, bien que pressés par la faim, ne se séparent pas de Jésus-Christ ; car ils n’auraient pas eu recours à ce moyen s’ils n’y avaient été poussés par une faim violente. Que trouvèrent donc à reprendre les pharisiens dans cette action ? L’Évangéliste nous l’apprend : « Ce que les pharisiens voyant, ils lui dirent Voilà que vos disciples font ce qu’il n’est pas permis de faire le jour du sabbat. » — S. Augustin. (du trav. des moines, ch. 23.) L’accusation des Juifs contre les disciples du Seigneur porte plutôt sur la violation du sabbat que sur le vol qu’ils auraient commis ; car la loi défendait aux enfants d’Israël, de ne saisir comme voleur dans leurs champs, que celui qui voulait emporter quelque chose avec lui, et ils devaient laisser aller en liberté, et sans lui infliger aucune peine, celui qui n’y avait pris que ce qu’il voulait manger (cf. Dt 23).

S. Jérôme. Remarquez que les premiers Apôtres du Sauveur, en détruisant l’observation littérale du sabbat, condamnent les Ébionites, qui reçoivent tous les Apôtres à l’exception de saint Paul, qu’ils rejettent comme transgresseur de la loi. Or, quelle excuse le Sauveur donne-t-il de leur conduite : « N’avez-vous pas lu ce que fit David lorsqu’il avait faim ? » Pour détruire l’accusation calomnieuse des pharisiens, il leur rappelle ce fait de l’histoire ancienne, alors que David, fuyant la colère de Saül, vint à Nobé, où il fut reçu par le grand-prêtre Achimélech, et lui demanda de lui donner à manger. (1 R 21.) Achimélech, n’ayant pas de pain ordinaire, lui donna les pains sanctifiés, qu’il n’était permis de manger qu’aux prêtres seuls et aux lévites (Lv 24) ; il jugea qu’il valait mieux arracher des hommes au danger de la faim que d’offrir un sacrifice à Dieu, car sauver les hommes, c’est une hostie qui lui est on ne peut plus agréable. C’est cette raison que le Seigneur leur oppose par ce raisonnement : si vous regardez David comme un saint, si vous n’osez incriminer la conduite du grand-prêtre Achimélech, alors que tous deux ont transgressé la loi pour une raison plausible, tirée de la faim qu’il éprouvait, pourquoi ne pas accepter en faveur de mes disciples le motif d’excuse que vous approuvez dans les autres ? Il y avait d’ailleurs une grande différence entre ces deux faits : les uns ne faisaient que broyer quelques épis entre leurs mains le jour du sabbat, tandis que les autres avaient mangé des pains destinés aux seuls lévites dans un jour où les fêtes des Néoménies (cf. Nomb., 28, 11.15 ; 10, 10) venaient s’ajouter à la solennité du sabbat. C’était, en effet, à l’occasion de ces fêtes que David, qui devait s’asseoir à la table du roi, s’était enfui de la cour.

S. Chrys. (hom. 40.) Notre-Seigneur cite l’exemple de David pour excuser ses disciples, car l’autorité du Roi-Prophète était grande parmi les Juifs. Et ils ne pouvaient lui objecter que David était prophète, car ce titre ne lui donnait aucun droit de manger des pains réservés aux prêtres seuls. Or, plus l’exemple qu’il choisit est grand, plus le motif d’excuse qu’il invoque en faveur de ses disciples est péremptoire. D’ailleurs si David était prophète, les gens de sa suite ne l’étaient pas. — S. Jérôme. Remarquez cependant que ni David ni les gens de sa suite ne mangèrent des pains de proposition qu’après avoir affirmé qu’ils étaient purs de tout contact avec les femmes. — S. Chrys. (hom. 41.) Mais on me dira : Que fait cet exemple à la question qui nous occupe ? car David n’a pas transgressé le sabbat. Notre-Seigneur nous montre ici son admirable sagesse, en choisissant l’exemple d’une transgression plus grande que la violation du sabbat, car on est beaucoup moins coupable de transgresser le sabbat, ce qui est bien souvent arrivé, que de toucher à cette table sainte, ce qui n’était permis à personne. Il donne ensuite une solution différente et plus directe en ajoutant : « Est-ce que vous n’avez pas lu dans la loi que les prêtres violent le sabbat dans le temple, et ne sont pas néanmoins coupables ? » — S. Jérôme. Comme s’il disait : Vous accusez mes disciples de ce qu’étant pressés par la faim ils ont broyé quelques épis le jour du sabbat, lorsque vous-mêmes vous violez le sabbat dans le temple en immolant des victimes, en égorgeant des taureaux, en brûlant des holocaustes sur des bûchers enflammés ; et d’après le texte d’un autre Évangéliste (Jn 7), vous donnez la circoncision à vos enfants le jour du sabbat, violant ainsi la loi du sabbat pour en observer une autre. Les lois de Dieu ne se détruisent pas réciproquement, et c’est avec une sagesse vraiment admirable que pour justifier ses Apôtres de les avoir transgressées, il montre qu’ils n’ont fait que suivre les exemples d’Achimélech et de David. Il fait voir en même temps que les auteurs de cette calomnie sont eux-mêmes coupables d’une transgression du sabbat bien plus réelle, sans avoir pour eux l’excuse de la nécessité.

S. Chrys. (hom. 40.) Et ne me dites pas que ce n’est pas se justifier que de s’appuyer sur l’exemple d’un autre qui est également coupable ; car lorsque l’auteur d’un fait n’est pas accusé, ce fait peut être invoqué comme moyen de justification. Mais Notre-Seigneur ne se contente pas de cette raison, et il en apporte une bien plus forte en ajoutant que ceux qu’il a choisis pour exemples ne sont point coupables. Et voyez que de circonstances réunies : le lieu, c’est dans le temple ; le temps, c’est le jour du sabbat ; le fait lui-même, ce n’est pas une simple infraction, c’est une violation de la loi, et cependant non-seulement ils ne sont soumis à aucune peine, mais ils sont exempts de toute faute ; ce qu’il exprime en ces termes : « Et ils ne sont pas coupables. » Or, ce second exemple n’est cependant point semblable au premier. Le premier n’a eu lieu qu’une fois, il a été donné par David qui n’était pas prêtre, et qui avait pour lui l’excuse de la nécessité ; le second, au contraire, se reproduit tous les jours du sabbat dans la personne des prêtres, et il est selon la loi, et ainsi ce n’est plus seulement par indulgence, mais en suivant la rigueur de la loi, que la conduite de ses disciples est justifiée. Mais est-ce que les disciples sont prêtres ? Ils sont plus que prêtres, car ils avaient avec eux le Seigneur du temple, qui n’est plus une figure, mais bien la vérité ; c’est pour cela qu’il ajoute : « Je vous dis qu’il y a ici quelqu’un plus grand que le temple. » — S. Jérôme. Le mot hic doit être pris ici non pas comme pronom, mais comme adverbe de lieu, c’est-à-dire que le lieu où se trouvait le maître du temple était plus grand que le temple lui-même.

S. Augustin. (Quesi. évang., liv. 2, ch. 40.) Il faut remarquer que Notre-Seigneur emprunte le premier exemple à la puissance royale dans la personne de David, et le second au ministère sacerdotal dans la personne des prêtres qui violent le sabbat pour le service du temple. L’accusation tirée des épis froissés le jour du sabbat ne pouvait donc en aucune manière peser sur lui, qui était vrai roi et le prêtre véritable. — S. Chrys. (hom. 40.) Ce qu’il venait de dire pouvait paraître dur à ceux qui l’entendaient ; il les ramène de nouveau à la pensée de la miséricorde, et en parle avec une certaine force de langage en leur disant : « Si vous saviez bien ce que signifie cette parole : Je veux la miséricorde et non le sacrifice, vous n’auriez jamais condamné des innocents. » — S. Jérôme. Nous avons déjà expliqué plus haut (Mt 9, 13) ce que signifient ces paroles : « J’aime mieux la miséricorde que le sacrifice. » Quant à celles qui suivent : « Jamais vous n’auriez condamné des innocents, » elles doivent s’entendre des Apôtres dans ce sens : « si vous approuvez la commisération d’Achimélech qui donne du pain à David pressé par la faim, pourquoi condamnez-vous mes disciples ? » — S. Chrys. (hom. 40.) Voyez comment il revient de nouveau sur la nécessité de la miséricorde, et comment il prouve que les disciples sont au-dessus du pardon, en déclarant qu’ils sont innocents, comme il l’avait dit plus haut des prêtres. Il donne ensuite une nouvelle raison de leur innocence, en ajoutant : « Le Fils de l’homme est maître même du sabbat. » — S. Rémi. Or, le Fils de l’homme, c’est lui-même, et voici le sens de ces paroles : Celui que vous regardez comme un simple mortel est Dieu, le Seigneur de toutes les créatures, et le maître du sabbat ; il peut donc changer la loi à son gré, puisque c’est lui qui l’a faite. — S. Augustin. (cont. Faust, 16, 28.) Il ne défend pas à ses disciples de broyer des épis le jour du sabbat, pour condamner les Juifs d’alors et les Manichéens qui devaient venir plus tard, et qui n’osent arracher l’herbe, de peur de commettre un homicide.

S. Hil. (can. 12 sur S. Matth.) Dans le sens mystique, remarquons tout d’abord que ce discours commence par ces paroles : « Dans ce temps-là, » c’est-à-dire dans le temps où il rendit grâces à Dieu son Père du salut auquel il appelait les Gentils. Ce champ que traversent les disciples, c’est le monde ; le sabbat, c’est le repos ; la moisson, le progrès de ceux qui doivent embrasser la foi et s’avancer vers la maturité. Donc cette entrée dans le champ le jour du sabbat, c’est l’avènement du Seigneur dans le monde, lorsque la loi était comme frappée d’inactivité ; cette faim, c’est le désir qu’il avait du salut des hommes. — Raban. Ils cueillent des épis, lorsqu’ils attachent les hommes aux désirs de la terre ; ils broient ces épis lorsqu’ils dépouillent les âmes de la concupiscence de la chair ; ils mangent les grains, lorsqu’ils incorporent à l’Église les âmes qu’ils viennent de purifier. — S. Augustin. (Quest. évang., 2, 2.) Personne ne peut faire partie du corps de Jésus-Christ, s’il ne s’est dépouillé de ses vêtements charnels, selon cette recommandation de l’Apôtre : « Dépouillez-vous du vieil homme. » (Col 3.) — La glose. Les Apôtres font cette action le jour du sabbat, c’est-à-dire dans l’espérance du repos éternel auquel ils invitent tous les hommes. — Raban. On peut dire aussi que ceux qui trouvent leurs délices dans la méditation des Écritures, marchent le long des blés avec le Seigneur ; ils ont faim, parce qu’ils ont le désir d’y trouver le pain de vie, c’est-à-dire l’amour de Dieu ; ils arrachent les épis et ils les broient lorsqu’ils discutent les témoignages de l’Écriture pour y trouver ce qui est caché sous la lettre, et ils font cela le jour du sabbat, alors qu’ils sont plus libres des pensées tumultueuses du monde.

S. Hil. Les pharisiens, qui croyaient avoir entre leurs mains la clef des cieux, reprochent aux disciples d’avoir fait ce que la loi leur défendait. Le Seigneur leur répond en leur donnant un avertissement qui contient une espèce de prophétie ; et pour montrer que ce genre d’actions renfermait une souveraine efficacité, il ajoute : « Si vous saviez ce que signifient ces paroles : Je préfère la miséricorde au sacrifice. » En effet, l’oeuvre de notre salut ne dépend pas du sacrifice, mais de la miséricorde ; et, la loi cessant d’exister, nous sommes sauvés par la bonté de Dieu. Or, s’ils avaient compris la grandeur de ce don, jamais ils n’auraient condamné des innocents, c’est-à-dire les Apôtres, qu’ils accusaient par jalousie d’avoir transgressé la loi. Car les anciens sacrifices étant abrogés, la loi nouvelle, loi de miséricorde, venait au secours de tous les hommes par le moyen des Apôtres.

Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.

 

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