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Mt  10  1-4

La glose. Depuis la guérison de la belle-mère de Pierre jusqu’à cet endroit, les miracles opérés par Jésus-Christ sont racontés sans interruption, et ils ont tous eu lieu avant le sermon sur la montagne, ainsi que le prouve jusqu’à l’évidence la vocation de saint Matthieu qui s’y trouve comprise, car saint Matthieu a été un des douze que Jésus a élus sur la montagne pour l’apostolat. Ici l’Évangéliste reprend son récit en suivant l’ordre dans lequel les faits se sont passés, après la guérison du serviteur du centurion. « Et Jésus ayant appelé les douze disciples. » — S. Rémi. L’Évangéliste venait de raconter que Notre-Seigneur avait engagé ses disciples à prier le Maître de la moisson d’envoyer les ouvriers dans sa moisson, et il accomplit lui-même ce qu’il les a engagés à demander. Le nombre douze en effet, est un nombre parfait ; puisqu’il vient du nombre six qui est parfait lui-même, parce qu’il se compose de ses fractions qui sont un, deux trois. Or, ce nombre six étant doublé, forme le nombre douze. La glose. Cette multiplication par deux peut signifier ou les deux préceptes de la charité ou les deux Testaments. — Raban. Le nombre douze, composé du nombre trois multiplié par quatre, signifie que les Apôtres prêcheront la foi en la sainte Trinité dans les quatre parties du monde. Ce nombre se trouve aussi figuré par avance de plusieurs manières dans l’Ancien Testament ; dans les douze enfants de Jacob (Gn 35) ; dans les douze chefs des enfants d’Israël (Nb 1) ; dans les douze sources d’eau vive d’Hélim (Ex 15) ; dans les douze pierres précieuses qui brillaient sur le rational d’Aaron (Ex 39) ; dans les douze pains de proposition (Lv 24) ; dans les douze hommes envoyés par Moïse pour examiner la terre promise (Nb 13) ; dans les douze pierres qui servirent à élever un autel (3 R 18) ; dans les douze autres pierres qui furent retirées du Jourdain (Jos 4) ; dans les douze boeufs qui supportaient la mer d’airain (3 R 7) ; et pour le Nouveau Testament, dans les douze étoiles qui forment la couronne de l’épouse (Ap 12) ; dans les douze pierres fondamentales ; dans les douze portes de la Jérusalem céleste qui fut révélée à saint Jean (Ap 21).

S. Chrys. (hom. 33.) Ce n’est pas seulement en leur représentant leur ministère comme une moisson prête à recueillir que le Sauveur inspire à ses Apôtres une vive confiance, mais encore en leur donnant d’exercer ce ministère avec puissance. « Et il leur donna puissance sur les esprits impurs, pour les chasser et pour guérir toutes les langueurs et toutes les infirmités. » — S. Rémi. Nous avons ici une preuve évidente que l’accablement de cette multitude ne venait pas d’une seule cause, mais que leurs infirmités étaient nombreuses et variées, et c’est en donnant à ses disciples le pouvoir de les traiter et de les guérir que Jésus prend pitié d’elles. — S. Jérôme. Car le Seigneur est plein de bonté et de clémence ; c’est un Maître qui n’est pas jaloux de la puissance de ses serviteurs et de ses disciples ; aussi leur donne-t-il libéralement le même pouvoir qu’il avait exercé de guérir toutes les langueurs et toutes les infirmités. Mais il y a une grande différence entre posséder et accorder aux autres ce qu’on possède soi-même, entre donner et recevoir. Tout ce que fait Jésus-Christ, c’est avec un pouvoir souverain, tandis que les Apôtres, dans toutes leurs oeuvres, sont forcés de confesser leur propre faiblesse et la puissance du Seigneur, comme lorsqu’ils disent : « Au nom de Jésus, levez-vous et marchez (Ac 3, 6 ; 20, 34.) L’Évangéliste nous donne ici le nombre des Apôtres pour en exclure comme faux apôtres ceux qui n’y sont pas compris ; c’est pour cela qu’il ajoute : « Or, voici les noms des douze Apôtres : le premier, Simon qui s’appelle Pierre, et André son frère. » Il n’appartenait qu’à celui qui pénètre le secret des cœurs d’assigner à chacun des Apôtres la place qu’il méritait. Le premier nommé, c’est Simon, et Jésus lui donne le surnom de Pierre pour le distinguer d’un autre Simon, le Chananéen, du bourg de Cana, ou Jésus changea l’eau en vin. — Raban. Le nom grec Πετρος, en latin Petrus, correspond au nom syriaque Cephas, dans chacune de ces trois langues, ce nom est dérivé du mot pierre. Or, il est hors de doute que cette pierre est celle dont saint Paul a dit : « La pierre était le Christ. »

S. Rémi. — Quelques-uns ont voulu trouver dans ce nom, qui en grec comme en latin veut dire pierre, la signification d’un mot hébreu qui selon eux signifie dissolvant, ou déchaussant, ou connaissant. Mais cette interprétation a contre elles deux raisons, qui la rendent impossible, la première, c’est que dans la langue hébraïque la lettre P n’existe pas, et qu’elle est remplacée par la lettre F : ainsi on dit Philate ou Filate pour Pilate ; la seconde, c’est l’interprétation de l’Évangéliste qui raconte que le Seigneur dit à Pierre : Tu t’appelleras Cephas, et ajoute de lui-même : « c’est-à-dire Pierre. » (Jn 1) Or Simon signifie obéissant, car il obéit à la voix d’André, et vint avec lui trouver le Christ. (Jn 1) Peut-être aussi est-ce parce qu’il se montra plein d’obéissance pour la volonté divine, et que sur une seule parole du Sauveur il se mit à sa suite. (Mt 4) Ce nom, selon quelques autres interprètes, peut encore signifier celui qui dépose son chagrin, et qui entend une chose triste. En effet, à la résurrection du Sauveur, Pierre bannit la tristesse que lui avaient causé la passion du Sauveur et son propre reniement, et il entendit avec tristesse le Sauveur lui dire : « Un autre te ceindra, et te conduira là où tu ne veux pas. »

« Et André son frère. » C’est un grand honneur pour André que cette dénomination. Pierre est désigné par sa vertu, et André par la noblesse qui lui vient d’être le frère de Pierre. Saint Marc, au contraire, ne nomme André qu’après Pierre et Jean, les deux sommités du collège des Apôtres ; et en cela différant de saint Matthieu, il les classe suivant leur dignité. — S. Rémi. André signifie viril, car de même que le mot virilis, en latin, vient du mot vir, ainsi en grec le nom d’André vient d’ανηρ. C’est à juste titre qu’on lui donne le nom de viril, parce qu’il a tout quitté pour suivre le Christ, et qu’il a persévéré avec courage dans la voie de ses commandements.

S. Jérôme. L’Évangéliste nous présente les Apôtres associés deux par deux. Il joint ensemble Pierre et André, beaucoup moins unis par les liens du sang que par ceux de l’esprit ; Jacques et Jean qui abandonnèrent leur père selon la nature pour suivre leur véritable Père qui est au ciel. « Jacques, est-il dit, fils de Zébédée, et Jean son frère. » Jacques est ainsi désigné à cause d’un autre Jacques qui est fils d’Alphée. — S. Chrys. (homél. 33.) Vous voyez que ce n’est point par rang de dignité qu’il les place, car Jean ne l’emporte pas seulement sur les autres, mais sur son frère. — S. Rémi. Jacques veut dire supplantateur, ou celui qui supplante ; en effet non-seulement il supplanta les vices de la chair, mais encore il méprisa cette même chair jusqu’à la livrer au glaive d’Hérode (Ac 12). Jean signifie la grâce de Dieu, parce qu’il mérita d’être aimé de Dieu plus que tous les autres, et c’est ce privilège d’amour particulier qui lui valut de reposer pendant la Cène sur la poitrine du Sauveur (Jn 13). Viennent ensuite Philippe et Barthélemy : Philippe signifie l’ouverture de la lampe ou des lampes, parce qu’il s’empressa de répandre sur son frère, par le ministère de la parole, cette lumière dont le Sauveur l’avait éclairé lui-même. Barthélemi est un nom plutôt syriaque qu’hébreu ; il veut dire le fils de celui qui suspend le cours des eaux, c’est-à-dire le fils de Jésus-Christ, qui élève le cœur de ses prédicateurs au-dessus des choses de la terre et les suspend pour ainsi dire aux choses célestes, afin que plus ils pénètrent les secrets du ciel, plus aussi la rosée de leur prédication sainte puisse enivrer et pénétrer les cœurs de ceux qui les entendent.

« Thomas et Matthieu le publicain. » — S. Jérôme. Les autres Évangélistes en réunissant les deux noms mettent d’abord celui de Matthieu, ensuite celui de Thomas, et ils suppriment cette épithète de publicain pour éviter l’apparence même de l’outrage à l’égard de saint Matthieu en rappelant son ancienne profession. Mais lui-même se place après saint Thomas, et se dit hautement publicain, pour montrer que la grâce a surabondé là où le péché avait abondé. (Rm 5). — S. Rémi. Le nom de Thomas signifie abîme ou gémeau ; en grec il revient à celui de Didyme. Thomas mérite à la fois le nom d’abîme et de Didyme, car plus ses doutes se prolongèrent, plus aussi furent profondes et sa foi dans les effets de la passion du Seigneur et la connaissance qu’il eut de sa divinité, ce qu’il prouva en s’écriant : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Matthieu signifie donné, car c’est par la grâce de Dieu que de publicain il devint évangéliste. « Et Jacques fils d’Alphée, et Thadée. » — Raban. Jacques, fils d’Alphée, est celui qui dans l’Évangile et dans l’Épître aux Galates est appelé le frère du Seigneur (Mt 13, 55 ; Mc 5, 3 ; Gal 1, 19), parce que Marie épouse d’Alphée était la soeur de Marie, mère du Seigneur. Saint Jean l’appelle Marie, épouse de Cléophas, ou peut-être parce qu’Alphée portait aussi le nom de Cléophas, ou bien parce qu’après la naissance de Jacques, Marie ayant perdu Alphée, épousa Cléophas en secondes noces. — S. Rémi. Ce n’est pas sans raison qu’il est appelé fils d’Alphée, c’est-à-dire de celui qui est juste ou savant, car non-seulement il triompha des vices de la chair, mais encore il méprisa tous les soins qu’elle réclame ; et il eut pour témoins de sa vertu les apôtres qui l’ordonnèrent évêque de l’Église de Jérusalem. L’histoire ecclésiastique raconte de lui, entre autres choses que jamais il ne mangea de viande, et qu’il ne but jamais ni vin ni bière. Il ne faisait point usage de bains, ne portait pas d’habits de lin ; nuit et jour il priait, les genoux en terre. Ses vertus étaient si éclatantes que tous unanimement l’appelaient le Juste. Thaddée est celui que saint Luc appelle Judas de Jacques, c’est-à-dire frère de Jacques. Dans son Épître que l’Église reçoit comme canonique, il s’appelle lui-même frère de Jacques. — S. Augustin. (de l’acc. des Evang., 1. 2, ch. 30.) Quelques manuscrits lui donnent le mon de Lebbée ; mais qui empêche que le même homme porte simultanément deux ou trois noms différents ? — S. Rémi. Judas signifie celui qui a confessé, parce qu’il a confessé la divinité du Fils de Dieu. — Raban. Thaddée ou Lebbée signifie sensé, ou celui qui s’applique à la culture du cœur.

« Simon le Chananéen et Judas Iscariote, qui le trahit. » — S. Jérôme. Simon le Chananéen est celui qui est appelé Zélotés par un autre Évangéliste, parce que Chana signifie zèle. Judas Iscariote est ainsi nommé ou du bourg où il a pris naissance, ou de la tribu d’Issachar, et il semble que ce soit par une espèce de prophétie qu’il soit né pour sa condamnation ; car Issachar signifie récompense, et ce nom semble indiquer le prix de sa trahison. — S. Rémi. Le nom d’Iscariote signifie souvenir du Seigneur, parce qu’il se mit à la suite du Sauveur ; ou bien mémorial de la mort, signification qui se rapporte au dessein prémédité de la mort du Seigneur ; ou bien suffocation, parce qu’il s’étrangla de ses propres mains. Il est à remarquer que ce nom de Judas fut porté par deux des disciples de Jésus, qui sont la figure de tous les chrétiens : Judas frère de Jacques représente tous ceux qui persévèrent dans la foi ; Judas Iscariote, ceux qui abandonnent la foi pour retourner en arrière.

La glose. Les Apôtres sont nommés deux par deux, comme témoignage d’approbation de la société conjugale prise dans le sens figuré. — S. Augustin. (Cité de Dieu, 18.) Jésus les choisit donc pour disciples et donna le nom d’apôtres à ces hommes de naissance obscure, sans distinction, sans instruction, afin que lui seul fût reconnu pour l’unique auteur de ce qui paraîtrait de grand dans leur personne comme dans leurs actions. Parmi ces douze apôtres il s’en trouva un mauvais ; mais Jésus fit servir sa méchanceté même au bien, en accomplissant par elle le mystère de sa passion, et enseignant à son Église à supporter comme lui les méchants dans son sein. — Raban. Le choix de Judas pour apôtre n’est point le résultat d’une imprudence ; le Seigneur nous apprend par là combien grande est la vérité qui ne peut être affaiblie par la trahison même d’un de ses ministres. Il a voulu encore être trahi par un de ses disciples, pour vous apprendre lorsque vous serez trahi vous-même par un de vos amis, à supporter avec patience les suites de votre erreur et la perte de vos bienfaits.

Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.

 

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