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Lc  9  57-62

S. Cyrille. Le Seigneur est plein de libéralité pour tous les hommes, cependant il ne donne point indistinctement, et au hasard, les choses célestes et divines ; il les réserve pour ceux qui en sont dignes, c’est-à-dire pour ceux qui savent préserver leur âme des souillures du péché, c’est ce que nous enseigne la parole puissante du saint Évangile : « Pendant qu’ils étaient en chemin, un homme lui dit : Je vous suivrai partout où vous irez. » — Remarquons d’abord que cet homme s’approche de Jésus avec beaucoup de tiédeur, et que, par conséquent, ses prétentions sont excessives ; en effet, il ne demande pas à marcher simplement à la suite de Jésus-Christ, à l’exemple d’un grand nombre, mais il aspire ouvertement à la dignité d’apôtre, contrairement à cette parole de saint Paul : « Personne ne peut s’attribuer cet honneur, mais il faut y être appelé de Dieu. » (He 5.) — S. Athan. Il ose encore s’égaler à la puissance incompréhensible du Sauveur en lui disant : « Je vous suivrai, partout où vous irez. » Car si la nature humaine, dans la condition que Dieu lui a faite, peut suivre le Sauveur pour entendre sa doctrine, il lui est impossible de le suivre partout où il est ; car il est incompréhensible, et n’est circonscrit par aucun lieu. — S. Cyrille. Le Sauveur avait encore un autre motif légitime pour ne point accepter l’offre que lui faisait cet homme ; il enseignait qu’il devait auparavant porter sa croix et renoncer aux affections de la vie présente ; et son intention, en lui donnant cette leçon, n’était pas de lui faire un reproche, mais de lui inspirer des dispositions plus parfaites.

« Jésus lui dit : Les renards ont des tanières, » etc. — Théophile. Cet homme avait vu le Sauveur entraîner une grande multitude à sa suite ; il s’imagina qu’elle lui payait un tribut, et qu’en s’attachant lui-même au Seigneur, il trouverait le moyen de s’enrichir. — Bède. Aussi Jésus lui répond : « Pourquoi n’avez-vous d’autre motif, en désirant me suivre, que d’obtenir les richesses et les avantages de ce monde, lorsque je suis si pauvre, que je ne possède pas même la plus petite demeure, et que le toit qui m’abrite, ne m’appartient pas ? » — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Voyez avec quelle sévérité le Sauveur pratique la pauvreté qu’il avait enseignée ; il n’avait à lui ni table, ni chandelier, ni maison, ni aucune des choses nécessaires à la vie.

S. Cyrille. Dans le sens figuré, les renards et les oiseaux du ciel sont le symbole des puissances malignes et astucieuses des démons, et Jésus semble dire à cet homme : Les renards et les oiseaux du ciel trouvent en vous leur demeure, comment le Christ pourrait-il s’y reposer ? Qu’y a-t-il de commun entre la lumière et les ténèbres ? (2 Co 6, 14.)

S. Athan. Ou bien encore, le Seigneur veut montrer ici la grandeur de sa nature, comme s’il disait : Toutes les créatures peuvent être circonscrites par un espace, mais la puissance du Verbe de Dieu ne peut être ni comprise ni limitée par un lieu quelconque. Ne dites donc point : « Je vous suivrai partout où vous irez. » Si cependant vous désirez devenir son disciple, renoncez à tout ce qui est contraire à la raison ; car il est impossible que celui qui se plaît au milieu des choses déraisonnables, devienne le disciple du Verbe. — S. Ambr. Ou bien encore, dans la pensée du Sauveur, les renards sont la figure des hérétiques ; le renard, en effet, est un animal trompeur, toujours occupé à tendre des piéges, et qui ne vit que de fraudes et de rapines, il ne laisse rien en repos, rien en paix, rien en sûreté, et cherche sa proie jusque dans la demeure des hommes. De plus, le renard, animal astucieux, se creuse une tanière, et aime à s’y tenir caché ; tels sont aussi les hérétiques qui ne savent se construire une demeure, mais qui s’efforcent d’enlacer et de resserrer les âmes dans leurs sophismes trompeurs. Enfin, cet animal ni ne s’apprivoise, ni ne peut servir aux usages domestiques. Aussi l’Apôtre fait-il cette recommandation : « Fuyez celui qui est hérétique, après le premier ou le second avertissements » (Tt 3.) Les oiseaux du ciel, qui sont souvent dans les Écritures la figure de la malice spirituelle, construisent leurs nids dans le coeur des méchants ; et tant que la malice et la perfidie dominent leurs affections, Dieu ne peut prendre possession de leur âme ; mais dès qu’il rencontre une âme innocente, il abaisse sur elle, pour ainsi dire, la plénitude de sa majesté, car il entre dans le coeur des bons, en y versant sa grâce avec profusion. Nous ne pouvons donc raisonnablement regarder comme simple et fidèle cet homme que le Sauveur ne juge pas digne de marcher à sa suite, bien qu’il promît de le servir avec un dévouement que rien ne pourrait affaiblir. C’est que le Seigneur ne se contente pas de l’apparence du dévouement, il exige la pureté d’intention, et il ne peut agréer l’obéissance de celui dont il n’approuve point les services. Nous ne devons exercer qu’avec réserve et prudence les devoirs de l’hospitalité spirituelle ; car en ouvrant sans précaution, aux infidèles, la demeure intérieure de notre âme, nous nous exposons à tomber dans leur infidélité par une confiance imprévoyante, Cependant, Dieu, après avoir éloigné cet hypocrite, admet à sa suite un homme sincère, pour nous apprendre qu’il ne rejette point la piété véritable, mais la fidélité mensongère.

« Il dit à un autre : Suivez-moi. » Il savait que cet homme, auquel il s’adressait, avait perdu son père : « Celui-ci lui répondit : Maître, permettez-moi d’aller auparavant ensevelir mon père. » — Bède. Il ne refuse point de devenir le disciple de Jésus-Christ, mais il veut remplir auparavant les devoirs de la piété filiale, pour le suivre ensuite plus librement.

S. Ambr. Mais le Seigneur appelle sans délai ceux que sa miséricorde a choisis : « Et Jésus lui dit : Laissez les morts ensevelir leurs morts. » Puisque la religion elle-même nous commande de rendre à nos semblables les devoirs de la sépulture, pourquoi le Sauveur défend-il à cet homme d’ensevelir son père, si ce n’est pour nous faire comprendre que ce devoir purement humain, doit le céder aux obligations qui ont Dieu pour objet ? Le désir de cet homme était bon, mais les difficultés que l’accomplissement de ce désir lui créait, étaient plus à craindre ; celui dont le zèle est partagé, partage aussi son amour, et en appliquant ses soins à deux objets différents, il retarde nécessairement les progrès de son âme. Il faut donc remplir d’abord les devoirs les plus importants, à l’exemple des Apôtres qui, pour n’être point absorbés par le soin des pauvres, établirent des ministres pour distribuer les aumônes. — S. Chrys. (hom. 28 sur S. Matth.) Quelle obligation plus pressante que de rendre à un père les derniers devoirs ? Mais encore, quelle obligation plus facile, puisqu’il suffit de quelques instants pour l’accomplir. Le Sauveur veut donc nous apprendre ici à ne point employer inutilement la plus légère partie du temps, lors même que mille circonstances sembleraient nous forcer, et à toujours placer les intérêts spirituels au-dessus des choses les plus nécessaires ; car le démon est sans cesse aux aguets, pour trouver quelque entrée dans notre âme, et s’il surprend la moindre négligence, il nous jette dans un relâchement extrême. — S. Ambr. Le Sauveur ne défend donc pas de rendre à un père les derniers devoirs, mais il place les devoirs de religion au-dessus des devoirs de la piété filiale. Il veut qu’on laisse à ses parents l’accomplissement des uns, mais il fait à ses élus une obligation d’accomplir les autres. Or comment les morts peuvent-ils ensevelir les morts, à moins que vous ne compreniez qu’il y a deux morts différentes, la mort naturelle, et la mort du péché ? Il y a encore une troisième mort, c’est celle qui nous fait mourir au péché, et vivre pour Dieu. (Rm 9.)

S. Chrys. (hom. 28, sur S. Matth.) Cette expression du Sauveur : « Leurs morts », montrent que ce mort ne lui appartenait pas, sans doute parce qu’il était mort dans l’infidélité. — S. Ambr. Ou bien encore, comme la bouche des impies est un sépulcre ouvert (Ps 5), le Seigneur commande de détruire la mémoire de ceux dont tout le mérite meurt avec le corps ; il ne détourne donc pas ce fils des devoirs que lui impose la piété filiale, mais il le sépare de tout commerce avec les infidèles. Ce n’est pas l’accomplissement d’un devoir qu’il interdit, c’est un acte de religion qu’il commande, c’est-à-dire qu’il ne faut avoir aucun rapport avec les nations qui sont dans la mort. — S. Cyrille. On peut encore dire que le père de ce jeune homme était accablé de vieillesse, et il croyait faire un acte louable en se proposant de pratiquer à son égard les devoirs de la piété filiale, comme Dieu lui-même le commande : « Honorez votre père et votre mère. » (Ex 20.) Aussi Notre-Seigneur l’ayant appelé au ministère évangélique en lui disant : « Suivez-moi, » il demandait un délai pour subvenir aux besoins de son vieux père : « Permettez-moi d’aller auparavant ensevelir mon père. » Il ne demandait pas d’aller rendre à son père les devoirs de la sépulture, car Jésus-Christ ne l’en eût pas empêché, mais cette expression ensevelir signifiait qu’il désirait soutenir sa vieillesse jusqu’à sa mort. Mais le Seigneur lui répondit : « Laissez les morts ensevelir leurs morts ; » car son père avait d’autres parents aussi proches qui pouvaient prendre soin de lui, mais qui étaient morts, en ce Sens qu’ils n’avaient pas encore embrassé la foi. Apprenez de là que la piété, que nous devons à Dieu, doit l’emporter sur l’amour et le respect que nous devons à nos parents, parce qu’ils nous ont engendrés. En effet, le Dieu de toutes les créatures nous a donné l’être, lorsque nous étions dans le néant, tandis que nos parents n’ont été que les instruments dont il s’est servi pour notre entrée dans la vie.

S. Augustin. (de l’accord des Evang., 2, 23.) Telle est la réponse que Jésus fit à celui qu’il avait appelé lui-même à sa suite. Un autre disciple s’approcha encore de lui sans avoir été appelé, et lui dit : « Seigneur, je vous suivrai, mais permettez-moi de disposer auparavant de ce que j’ai dans ma maison, » — S. Cyrille. La résolution de cet homme est admirable et digne d’éloges ; mais en demandant à renoncer aux biens qu’il possède, pour s’affranchir des soins qu’ils réclament, il montre que son coeur est encore partagé, puisque sa résolution n’est pas encore parfaitement arrêtée. Car vouloir consulter des proches, qui ne consentiront point à ce dessein, c’est montrer une résolution tant soit peu chancelante. Aussi Notre-Seigneur n’approuve pas ce dessein ; « Jésus lui répondit : Quiconque met la main à la charrue, et regarde en arrière, n’est pas propre au royaume de Dieu, » etc. — Mettre la main à la charrue, c’est être disposé à suivre Jésus-Christ par amour ; mais c’est regarder en arrière, que de demander un délai pour avoir occasion de revenir dans sa maison, et de s’entendre avec ses proches. — S. Augustin. (serm. 7 sur les par. du Seig.) Jésus semble lui dire : L’Orient vous appelle, et vous regardez au couchant. — Bède. Mettre la main à la charrue, c’est aussi briser la dureté de son coeur avec le bois et le fer de la passion du Seigneur, comme avec un instrument de pénitence, et ouvrir son âme pour lui faire produire les fruits des bonnes oeuvres. Celui qui se livre à cette culture, et qui, semblable à la femme de Loth (Gn 19, 20), jette un regard de regret et d’affection sur les choses qu’il a laissées, demeure privé de la récompense du royaume éternel. — Chaîne des Pères Grecs. En jetant de fréquents regards sur les choses auxquelles nous avons renoncé, nous sommes entraînés par la force de l’habitude vers les actes de notre vie ancienne. L’usage, en effet, a une force véritable pour nous enchaîner. Est-ce que l’habitude ne naît pas de l’usage ? est-ce que l’habitude, à son tour, ne devient pas une seconde nature ? Or, il est bien difficile de vaincre ou de changer la nature, et si elle cède tant soit peu quand elle y est forcée, elle reprend bien vite son premier empire. — Bède. Si Notre-Seigneur blâme sévèrement ce disciple qui désirait le suivre, parce qu’il voulait d’abord disposer de ce qu’il avait dans sa maison ; que dira-t-il à ceux qui, sans aucun motif d’utilité, visitent fréquemment les maisons de ceux qu’ils ont laissés dans le monde ?

Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.

 

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