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Lc  7  36-50

Bède. L’Évangéliste venait de dire : « Et tout le peuple qui l’écoutait, reconnut la justice de Dieu, s’étant fait baptiser du baptême de Jean ; » il établit maintenant par des faits la même vérité, c’est-à-dire que la sagesse a été justifiée par les justes et par les pêcheurs repentants. « Or, un des pharisiens le pria de manger avec lui, » etc. — S. Grég. de Nysse. (sur la femme pécher.) Ce récit renferme une leçon des plus utiles. En effet, la plupart de ceux qui se croient justes, enflés par la présomption et la vanité de leurs pensées, se séparent eux-mêmes comme des agneaux qui se séparent des boucs, avant que le jugement véritable vienne faire ce discernement ; ils refusent de manger avec la foule, et ils ont en abomination tous ceux qui fuient les extrêmes, et gardent le juste milieu dans la conduite de la vie. Or, saint Luc, médecin des âmes bien plus que des corps, nous montre Dieu lui-même et notre Sauveur visitant avec bonté tous les hommes : « Il entra dans la maison du pharisien et se mit à table, » non pour prendre quelque chose de sa vie coupable, mais pour le rendre participant de sa propre justice.

S. Cyrille. Cependant une femme de mauvaise vie, mais conduite par un sentiment d’amour divin, vient trouver Jésus-Christ, comme celui qui peut la délivrer de toutes ses fautes, et lui accorder le pardon de ses crimes : « Et voilà qu’une femme, connue dans la ville pour pécheresse, apporta un vase de parfums, » etc. — Bède. L’albâtre est une espèce de marbre nuancé de diverses couleurs, on en fait des vases destinés à contenir des parfums, qu’ils conservent, dit-on, sans altération. — S. Grég. (hom. 32 sur les Evang.) Cette femme a considéré les souillures dont l’a couverte sa vie infâme, elle accourt donc pour se purifier à la source même de la miséricorde, elle ne rougit point de paraître au milieu des convives ; car elle éprouve intérieurement une si grande honte d’elle-même, qu’elle compte pour rien celle qui lui vient du dehors. Voyez quelle douleur consume cette femme qui ne rougit point de verser des larmes au milieu des joies d’un festin. — S. Grég. de Nysse. Profondément convaincue de son indignité, elle se tient derrière Jésus, les yeux baissés et les cheveux épars, elle embrasse ses pieds et les inonde de larmes, elle manifeste ainsi par ses actes la tristesse de son âme, et implore son pardon : « Et se tenant derrière lui, elle commença à arroser ses pieds de ses larmes, » etc. — S. Grég. Ses yeux avaient convoité toutes les jouissances de la terre, mais maintenant par la pénitence, elle en éteint le feu dans un déluge de larmes ; elle avait fait servir ses cheveux à rehausser la beauté de son visage, elle s’en sert pour essuyer ses larmes : « Et elle essuyait les pieds du Sauveur avec ses cheveux. » Sa bouche s’était ouverte à des paroles inspirées par l’orgueil ; elle baise les pieds du Sauveur, et imprime ses lèvres sur les pieds du Rédempteur : « Et elle baisait ses pieds. » Elle avait employé les parfums pour donner à son corps une agréable odeur, et ce qu’elle avait honteusement prodigué pour elle-même, elle en fait à Dieu un admirable sacrifice : « Et elle les oignait de parfum. » Ainsi, autant elle a trouvé de jouissances en elle-même, autant elle offre maintenant d’holocaustes ; elle égale le nombre de ses vertus au nombre même de ses crimes ; elle veut que tout ce qui en elle a été un instrument pour outrager Dieu, devienne un instrument de pénitence pour lui plaire. — S. Chrys. (hom. 6 sur S. Matth.) Ainsi cette femme de mauvaise vie devient plus vertueuse que les vierges ; car à cette pénitence si pleine de ferveur, succède un amour plus ardent pour Jésus-Christ. Et nous ne parlons ici que de ce qui se passait à l’extérieur ; car quelle ferveur bien plus grande dans les sentiments qui agitaient son âme, et dont Dieu seul était témoin !

S. Grég. (hom. 33 sur les Evang.) En voyant ce spectacle, le pharisien n’a que du mépris pour cette femme, et il fait tomber ses reproches non seulement sur elle, qui ose venir trouver Jésus, mais sur le Seigneur qui l’accueille avec bonté : « Ce que voyant le pharisien qui l’avait invité, il dit en lui-même : Si cet homme était prophète, il saurait qui est celle qui le touche, et que c’est une pécheresse. » Voilà ce pharisien avec son orgueil trop véritable et sa fausse justice, qui fait un crime au malade de son infirmité, et au médecin des soins qu’il lui prodigue. Sans doute, si cette femme se fût jetée à ses pieds, il l’aurait repoussée violemment avec dédain ; il se fût imaginé que ce contact allait souiller son âme, parce qu’il n’était pas rempli de la véritable justice. C’est ainsi que quelques-uns de ceux qui exercent le ministère pastoral, dès qu’ils pratiquent quelques oeuvres médiocres de justice, regardent avec mépris ceux qui leur sont soumis, et affectent du dédain pour tous les pécheurs qu’ils rencontrent. Nous devons, au contraire, lorsque nous considérons l’état malheureux des pécheurs, déplorer dans leur calamité notre propre malheur, à la pensée que nous sommes déjà tombés, ou que nous pouvons tomber dans les mêmes fautes. Il faut d’ailleurs faire usage d’un grand discernement, nous devons être sévères pour les vices, pleins de compassion pour les personnes ; si le pécheur doit être puni, le prochain a droit à notre charité. Je vais plus loin, et je dis que dès que le pécheur châtie lui-même par la pénitence le mal qu’il a fait, il cesse d’être pécheur, puisqu’il punit en lui-même ce que la justice divine condamne. Notre-Seigneur se trouvait donc entre deux malades, mais l’un, jusque dans sa fièvre, conservait l’usage de la raison, tandis que l’autre avait perdu l’esprit ; la femme pécheresse pleurait les fautes qu’elle avait commises ; le pharisien, au contraire, fier de sa fausse justice, exagérait la force de sa santé.

Tite de Bostra. Cependant Notre-Seigneur qui, sans entendre les paroles du pharisien, voyait les pensées de son âme, lui prouve qu’il est le Seigneur des prophètes : « Et Jésus lui répondant, lui dit : Simon, j’ai quelque chose à vous dire. » — La glose. Il répond ici à la pensée du pharisien, que cette parole rend plus attentif : « Il répondit Maître, dites. » — S. Grég. (hom. 33 sur les Evang.) Le Sauveur établit une comparaison entre deux débiteurs, dont l’un doit plus, et l’autre moins : « Un créancier avait deux débiteurs, » etc. — Tite de Bostra. Comme s’il disait : Vous-même vous n’êtes pas sans quelque dette. Or, si vous êtes tenu par une dette quelconque, pourquoi vous enorgueillir, puisque vous avez vous-même besoin de pardon ? C’est à ce pardon que Jésus fait allusion en ajoutant : « Comme ils n’avaient pas de quoi payer leur dette, il la leur remit à tous deux. » La glose. Car nul ne peut par lui-même être délivré de la dette du péché, si la grâce de Dieu ne lui octroie son pardon. — S. Grég. (hom. 33 sur les Evang.) Chacun des deux débiteurs ayant obtenu la remise de sa dette, Notre-Seigneur demande au pharisien lequel des deux devra plus aimer son bienfaiteur : « Lequel l’aimera davantage ? Le pharisien répond aussitôt : Celui, je pense, auquel il a le plus remis. »

Remarquez que le pharisien est ici condamné par son propre aveu, et que, comme un insensé atteint de frénésie, il porte la corde qui doit servir à l’enchaîner : « Jésus lui dit : Vous avez bien jugé. » Il énumère alors tous les actes de vertu de cette pécheresse, et toutes les actions répréhensibles de ce faux juste : « Et se tournant vers la femme, il dit à Simon : Voyez-vous cette femme ? Je suis entré dans votre maison, vous ne m’avez point donné d’eau pour me laver les pieds ; elle, au contraire, a arrosé mes pieds de ses larmes. » — Tite de Bostra. C’est-à-dire : Rien de plus facile que de présenter de l’eau, mais il n’est pas aussi facile de verser des larmes ; vous ne m’avez pas donné ce qui vous était si facile, elle, au contraire, a versé sur mes pieds des larmes plus difficiles à répandre. Or, en lavant mes pieds avec ses larmes, elle a lavé ses propres souillures ; elle les a essuyés avec ses cheveux, pour s’appliquer mes divines sueurs, et tout ce qui lui a servi à séduire, à entraîner la jeunesse dans le péché, elle l’a employé à poursuivre et à rechercher la sainteté.

S. Chrys. (hom. 6 sur S. Matth.) Lorsque la pluie est tombée avec abondance, le ciel reprend sa sérénité ; ainsi après une abondante effusion de larmes, le calme renaît, le nuage de nos crimes se dissipe, et nous sommes purifiés de nouveau par les larmes et la confession, comme nous avons été autrefois régénérés par l’eau et par l’esprit : « C’est pourquoi, je vous le dis : Beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu’elle a beaucoup aimé. » En effet, ceux qui se sont jetés à corps perdu dans le mal, se livrent avec autant d’énergie à la pratique du bien, au souvenir des dettes qu’ils ont contractées. — S. Grég. (hom. 33 sur les Evang.) Plus donc le coeur du pécheur brûle du feu de la charité, plus aussi ce feu consume la rouille et les souillures du péché. — Tite de Bostra. Il arrive souvent, en effet, qu’un grand pécheur obtient par la confession le pardon de ses fautes, tandis que celui qui n’est coupable que de fautes légères, refuse, par orgueil, de recourir au remède de la confession, comme l’indiquent les paroles suivantes : « Celui à qui on remet moins, aime moins. » — S. Chrys. (hom. 68 sur S. Matth.) Ayons donc une âme pleine de ferveur ; car rien ne s’oppose à ce que nous parvenions à la perfection la plus éminente ; que personne parmi les pécheurs ne désespère de son salut ; que personne parmi les justes ne se laisse aller au relâchement ; que le juste se garde d’une confiance présomptueuse (car souvent une femme de mauvaise vie le précédera dans le royaume des cieux) ; que le pécheur ne se décourage point ; car il peut s’élever au-dessus même des plus parfaits : « Puis il dit à cette femme : Vos péchés vous sont remis. »

S. Grég. (hom. 33 sur les Evang.) Cette femme donc qui était venue malade trouver le médecin, obtient sa guérison, mais cette guérison même devient pour ceux qui en sont témoins une cause de maladie : « Et ceux qui étaient à table avec lui, dirent en eux-mêmes : Qui est celui-ci qui remet même les péchés ? » Mais le céleste médecin n’a point d’égard pour ces malades dont l’état ne fait qu’empirer par l’effet même des remèdes qui devaient les sauver, tandis qu’il fortifie par une parole de miséricorde celle qu’il venait de guérir : Mais Jésus dit encore à cette femme : Votre foi vous a sauvée, » parce qu’en effet, elle n’a point hésité de croire qu’elle obtiendrait ce qu’elle demandait. — Théophile. Notre-Seigneur ne se contente pas de lui accorder la rémission de ses péchés, il ajoute la grâce de faire le bien : « Allez en paix » (c’est-à-dire dans la justice) ; car la justice est la paix de l’homme avec Dieu, comme le péché est la guerre entre Dieu et l’homme ; ce qui revient à dire : Faites tout ce qui peut vous conduire à la paix de Dieu,

S. Ambr. Il en est beaucoup pour qui ce fait évangélique est une source d’embarras, et qui se demandent si les Évangélistes ne sont point ici en contradiction. — Sévère d’Antioche. (Ch. des Pèr. gr.) Comme les quatre Évangélistes racontent qu’une femme a répandu des parfums sur Jésus-Christ, je crois, eu égard à la condition des personnes, à leur manière d’agir, à la différence des temps, que ce sont trois personnes différentes. Ainsi saint Jean raconte de Marie, soeur de Lazare, que six jours avant la fête de Pâques, elle oignit les pieds de Jésus dans sa propre maison. Saint Matthieu, après ces paroles du Seigneur : « Vous savez que la pâque se fera dans deux jours, » ajoute, qu’à Béthanie, dans la maison de Simon le lépreux, une femme répandit des parfums sur la tête du Seigneur, et non sur ses pieds, comme Marie. Le récit de saint Marc est conforme à celui de saint Matthieu. Saint Luc enfin place ce fait, non aux approches de la fête de Pâques, mais au milieu de son Évangile. Saint Chrysostome prétend qu’il y a ici deux femmes différentes : l’une dont parle saint Jean, la seconde dont il est question dans les trois autres Évangélistes. — S. Ambr. Saint Matthieu nous rapporte que cette femme répandait ses parfums sur la tête de Jésus-Christ, aussi ne lui donne-t-il pas le nom de pécheresse ; car d’après saint Luc, cette femme pécheresse répandit ces parfums sur les pieds de Jésus-Christ. On peut donc admettre que ce sont deux personnes différentes, pour justifier les Évangélistes du reproche de contradiction. On peut aussi résoudre différemment cette question, en tenant compte de la différence de mérite et de temps, c’est-à-dire que la même personne, d’abord pécheresse, était depuis entrée dans les voies de la perfection. — S. Augustin. (de l’acc. des Evang., 2, 39.) On peut aussi admettre que la même personne, appelée Marie, a répété la même action, une première fois, lorsque, comme le raconte saint Luc, elle s’approcha dans l’humiliation et dans les larmes, et obtint la rémission de ses péchés. Voilà pourquoi saint Jean avant de raconter la résurrection de Lazare, et lorsque Jésus n’était pas encore venu en Béthanie, s’exprime de la sorte : « Or, Marie était celle qui avait répandu des parfums sur le Seigneur, et lui avait essuyé les pieds avec ses cheveux, et Lazare, qui était malade, était son frère : » donc Marie avait déjà fait cette même action ; elle la répète à Béthanie, sans que saint Luc en parle, parce qu’elle n’entrait point dans l’ordre de son récit, mais elle est racontée par les trois autres Évangélistes.

S. Grég. (hom. 33 sur les Evang.) Dans le sens mystique, le pharisien qui présume de sa fausse justice, c’est le peuple juif ; cette femme pécheresse qui se jette aux pieds du Seigneur, et les arrose de ses larmes, c’est la Gentilité convertie au vrai Dieu. — S. Ambr. Ou bien encore, le lépreux, c’est le prince du monde, et la maison de Simon le lépreux, c’est toute la terre. Or, le Seigneur est descendu des hauteurs des cieux sur la terre, parce que cette femme qui est la figure de l’âme et de l’Église, ne pouvait obtenir sa guérison, si le Christ n’était venu sur la terre. Elle nous apparaît sous la forme d’une pécheresse, parce que Jésus-Christ lui-même a pris la forme d’un pécheur. Supposez donc une âme qui s’approche sincèrement de Dieu, qui loin d’être esclave de ces crimes honteux, et qui blessent ouvertement la pudeur, obéit à la parole de Dieu avec amour et dans la confiance d’une chasteté inviolable ; elle s’élève jusqu’à la tête de Jésus-Christ, et la tête de Jésus-Christ, c’est Dieu. (1 Co 11.) Mais que celui qui ne peut arriver jusqu’à la tête de Jésus-Christ, se tienne humblement à ses pieds, le pécheur à ses pieds, le juste près de sa tête ; mais cependant l’âme qui a péché, a aussi son parfum.

S. Grég. (hom. 33 sur les Evang.) Que figure ce parfum, si ce n’est l’odeur d’une bonne renommée ? Si donc nous faisons des bonnes oeuvres, dont la réputation se répande comme un parfum par toute l’Église, nous répandons dans un sens véritable des parfums sur le corps du Seigneur. Cette femme se tenait à côté des pieds du Seigneur ; car nous nous tenions directement contre ses pieds, lorsque vivant au milieu de nos péchés, nous résistions en quelque sorte à ses voies ; mais lorsqu’après nos péchés, nous revenons à lui dans les sentiments d’une véritable pénitence, alors nous nous tenons derrière lui, à ses pieds ; parce que nous suivons alors ses traces auxquelles nous faisions alors profession de résister. — S. Ambr. Vous donc aussi qui avez péché, rentrez dans les voies de la pénitence, accourez partout où vous entendrez le nom de Jésus-Christ, hâtez-vous de vous rendre dans toute maison où vous apprenez que Jésus est entré ; lorsque vous aurez trouvé la sagesse assise dans quelque demeure secrète, accourez vous jeter à ses pieds, c’est-à-dire cherchez d’abord le dernier degré de la sagesse, et confessez vos péchés dans les larmes. Peut-être Jésus-Christ ne lava point ses pieds dans cette circonstance, afin que nous les lavions nous-mêmes dans les larmes ; heureuses larmes qui peuvent non seulement laver nos fautes, mais arroser les pieds du Verbe divin, pour que ses pas deviennent pour nous une source abondante de grâces ! Larmes précieuses qui sont non seulement la rédemption des pécheurs, mais la nourriture des justes ; car c’est la voix d’un juste qui fait entendre ces paroles : « Mes larmes m’ont servi de pain le jour et la nuit ». — S. Grég. (hom. 33 sur les Evang.) Nous lavons les pieds du Seigneur de nos larmes, lorsque par un sentiment d’affectueuse compassion, nous nous abaissons jusqu’aux membres les plus humbles du Seigneur ; nous essuyons ses pieds avec nos cheveux, lorsque la charité nous porte à secourir de notre superflu les saints serviteurs de Dieu. — S. Ambr. Déroulez aussi vos cheveux, jetez à ses pieds tout ce qui sert d’ornement à votre corps ; les cheveux ne sont vraiment point méprisables, puisqu’ils sont jugés dignes d’essuyer les pieds de Jésus-Christ. — S. Grég. Cette femme baise les pieds du Sauveur après les avoir essuyés, c’est ce que nous faisons nous-même, lorsque nous aimons tendrement ceux dont nous avons secouru la pauvreté par nos largesses. Par les pieds du Seigneur, on peut encore entendre le mystère de l’incarnation ; nous baisons donc les pieds du Rédempteur, lorsque nous nous attachons de tout notre coeur au mystère de son incarnation, nous répandons des parfums sur ses pieds, lorsque nous annonçons la puissance de son humanité par la bonne renommée de la parole sainte. Ce spectacle remplit le pharisien de jalousie ; en effet, lorsque le peuple juif voit les Gentils devenir les prédicateurs du vrai Dieu, il sèche d’envie dans sa noire méchanceté. Les reproches qui lui sont faits, retombent sur ce peuple perfide et infidèle, qui ne consentit jamais à sacrifier pour le Seigneur, même ses biens extérieurs, tandis que les Gentils, après leur conversion, non seulement sacrifièrent leurs biens, mais répandirent leur sang. Voilà pourquoi Jésus dit au pharisien « Vous ne m’avez pas donné d’eau pour me laver les pieds, cette femme, au contraire, m’a arrosé les pieds de ses larmes ; » l’eau, en effet, se trouve hors de nous, tandis que la source des larmes est en nous-même. Ce peuple infidèle ne donna pas non plus le baiser à Dieu, parce qu’au lieu de l’aimer par un sentiment de charité, il aima mieux le servir sous l’impression de la crainte (car le baiser est le signe de l’amour.) Au contraire, à peine la gentilité fut-elle appelée, qu’elle ne cessa de baiser les pieds du Rédempteur en soupirant continuellement après lui par un sentiment d’amour. — S. Ambr. Le Sauveur fait ressortir la vertu héroïque de cette femme, lorsqu’il dit : « Depuis qu’elle est entrée, elle n’a cessé de couvrir mes pieds de baisers, » c’est-à-dire qu’elle ne veut plus savoir que le langage de la sagesse, que l’amour de la justice, que les embrassements de la chasteté, que les baisers de la pudeur. — S. Grég. (hom. 33 sur les Evang) Jésus reproche au pharisien de n’avoir pas répandu de parfum sur sa tête, c’est-à-dire que le peuple juif a refusé à la puissance divine à laquelle il se vantait de croire, le juste tribut de louanges qui lui était dû ; cette femme, au contraire, a répandu des parfums sur les pieds du Sauveur, figure en cela de la gentilité qui, non contente de croire au mystère de l’incarnation, a relevé par les plus grands éloges les profondes humiliations de ce mystère.

S. Ambr. Heureux celui qui peut verser de l’huile sur les pieds de Jésus-Christ, mais plus heureux celui qui peut y répandre des parfums ; car la réunion d’un grand nombre de fleurs forme un composé d’odeurs les plus suaves et les plus variées. Or, l’Église seule a le privilège de la composition de ce parfum, elle qui possède d’innombrables fleurs exhalant des odeurs si variées ; aussi personne ne peut prétendre à un si grand amour que l’Église, qui aime par le coeur de tous ses enfants. Dans la maison du pharisien, c’est-à-dire dans la maison de la loi et des prophètes, ce n’est pas le pharisien, mais l’Église qui est justifiée ; car le pharisien refuse de croire, tandis que l’Eglise embrassait la foi ; la loi, d’ailleurs, n’a point ce mystère divin qui purifie les secrètes profondeurs de l’âme ; mais ce que la loi ne peut donner, se trouve abondamment dans l’Évangile. Les deux débiteurs sont les deux peuples, tous deux obligés à l’égard du créancier du trésor céleste ; ce n’est point une somme d’argent matériel que nous devons à ce divin créancier, mais l’or pur de nos mérites, l’argent de nos vertus, dont la valeur consiste dans le poids du caractère et la gravité des moeurs, dans l’empreinte de la justice, dans le son que fait entendre la confession. De quel prix est cette pièce de monnaie, où se trouve empreinte l’image de notre roi ! Malheur à moi, si je ne l’ai pas conservée telle que je l’ai reçue ! Ou bien, puisqu’il n’est personne qui puisse payer toute sa dette à ce céleste créancier, malheur à moi, si je ne le supplie de me remettre toute ma dette ! Mais quel est ce peuple qui doit plus ? c’est nous-mêmes à qui Dieu a donné davantage. Aux Juifs, Dieu a confié ses oracles, à nous, il a donné le fruit de l’enfantement virginal, l’Emmanuel (c’est-à-dire Dieu avec nous), la croix du Sauveur, sa mort, sa résurrection. Il est donc hors de doute que celui qui a reçu davantage, doit aussi davantage. Selon notre manière d’agir, c’est quelquefois celui qui doit davantage, qui manque le plus d’égards. Mais la miséricorde de Dieu a changé cet ordre, c’est celui qui doit plus, qui aime aussi davantage, s’il est assez heureux pour obtenir la grâce. Puisque donc nous n’avons rien qui soit digne d’être offert à Dieu, malheur à moi, si je ne lui donne tout mon amour ! Payons donc nos dettes, en aimant Dieu de tout notre coeur ; car celui qui a reçu plus de grâces, doit aussi donner plus d’amour.

Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.

 

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