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Jn  15  22-25

S. Chrys. (hom. 77 sur S. Jean.) Notre-Seigneur console encore et encourage ses disciples par cette pensée, que c’est par une souveraine injustice qu’ils furent toutes ces choses et contre ses disciples et contre lui : « Si je n’étais pas venu, et que je ne leur eusse point parlé, ils n’auraient point de péché. » — S. Augustin. (Traité 89 sur S. Jean.) Jésus-Christ a parlé aux Juifs, et non aux autres peuples. C’est donc dans les Juifs qu’il a voulu personnifier ce monde qui hait Jésus-Christ et ses disciples, et ce ne sont pas seulement les Juifs, c’est nous-mêmes qu’il veut désigner ici sous le nom de monde. Mais est-ce donc que les Juifs, à qui le Christ a parlé, étaient sans péché avant qu’il fût venu au milieu d’eux dans un corps mortel ? Non, sans doute ; le Sauveur, sous le nom général de péché, ne veut point qu’on comprenne toutes sortes de péchés, mais un péché plus grand que tous les autres, un péché auquel se rattachent tous les autres péchés, un péché sans lequel tous les autres peuvent être remis, c’est le péché d’incrédulité à l’égard de Jésus-Christ, qui est venu afin que tous croient en lui. Or, s’il n’était pas venu, ils ne seraient pas coupables de ce péché ; car autant son avènement a été salutaire à ceux qui ont cru en lui, autant il a été funeste à ceux qui ont refusé de croire. « Mais maintenant ils n’ont point d’excuse de leur péché. » On peut ici se demander si ceux vers qui Jésus-Christ n’est pas venu, qui n’ont point entendu sa parole, ont une excuse de leur péché ; car s’ils n’en ont point, pourquoi le Sauveur dit-il que les Juifs n’ont point d’excuse ? parce que Jésus-Christ est venu et qu’il leur a parlé. Et, s’ils ont une excuse, pourra-t-elle les soustraire au châtiment, ou du moins adoucir celui qu’ils auraient mérité ? Je réponds à cette question qu’ils sont excusables non point de tout péché, mais du péché d’incrédulité à l’égard de Jésus-Christ. Quant à ceux vers qui il est venu dans la personne de ses disciples, ils ne sont point de ce nombre, et on ne peut les ranger avec ceux dont le châtiment sera moins rigoureux, eux qui ont refusé absolument de recevoir la loi de Jésus-Christ, et qui, autant que cela dépendait d’eux, auraient voulu l’anéantir. Cette excuse peut encore être apportée par ceux qui ont été prévenus par la mort avant d’avoir entendu annoncer l’Evangile de Jésus-Christ ; mais ils ne peuvent cependant pas échapper à la damnation, car tous les hommes qui ne seraient point sauvés par le Sauveur, qui est venu chercher ce qui avait péri, feraient sans aucun doute partie des réprouvés ; bien qu’on puisse admettre que le châtiment des uns sera plus léger, et celui des autres plus rigoureux. En effet, on périt véritablement aux yeux de Dieu, lorsqu’on est séparé par un châtiment éternel de cette félicité qu’il donne à ses saints. La différence des supplions entre eux répond donc à la variété multiple des péchés. Comment cela se fait-il ? La profondeur des jugements de la sagesse divine est ici au-dessus de toute conjecture comme de toute parole humaine.

S. Chrys. (hom. 77 sur S. Jean.) Comme les Juifs alléguaient presque toujours que c’était pour défendre l’honneur de Dieu le Père qu’ils persécutaient le Sauveur, il leur ôte ce prétexte en leur déclarant : « Celui qui me hait, hait aussi mon Père. » — Alcuin. De même, en effet, que celui qui aime le Fils, aime aussi le Père (parce qu’il n’y a qu’un amour du Père et du Fils, comme il n’y a qu’une nature), ainsi celui qui hait le Fils, hait aussi le Père. — S. Augustin. (Traité 90 sur S. Jean.) Mais Notre-Seigneur n’a-t-il pas dit plus haut : « Ils ne connaissent pas celui qui m’a envoyé ? » Comment peuvent-ils donc haïr celui qu’ils ne connaissent pas ? Car si, sous le nom de Dieu, ce n’est pas Dieu lui-même qu’ils poursuivent de leur haine, mais je ne sais quelle divinité imaginaire qu’ils se sont formée, ce n’est plus Dieu lui-même qui est l’objet de leur haine, mais ce que leur erreur ou leur vaine crédulité leur représentent comme tel. Si au contraire ils ont sur Dieu des idées justes et vraies, comment peut-on dire qu’ils ne le connaissent pas ? Il peut arriver quelquefois, il est vrai, que nous ayons de l’affection ou de la haine pour des hommes que nous ne connaissons que sur le bien on le mal que nous en avons appris, mais comment pourrait-on dire d’un homme qu’on nous fait connaître, qu’il nous est inconnu ? Ce ne sont pas sans doute les traits de son visage qui nous le font connaître, mais la connaissance qu’on nous donne de ses habitudes et de sa vie ; autrement il faudrait dire qu’on ne peut se connaître soi-même, puisqu’on ne peut voir les traits de son visage. Cependant la plupart du temps nous nous trompons sur ceux que nous connaissons de cette manière, car souvent l’histoire, et plus souvent encore la renommée, nous induisent en erreur. Dans l’impossibilité où nous sommes de pénétrer dans la conscience des hommes, nous pouvons au moins, pour n’être pas dupes d’une opinion mensongère, avoir une connaissance véritable et certaine des choses elles-mêmes. Quand donc on ne se trompe pas sur les choses ; qu’on blâme ce qui est réellement vice, et qu’on approuve ce qui est véritablement vertu, si l’erreur ne porte que sur les personnes, c’est une faiblesse qui tient à l’humanité et qui est digne de pardon. Il peut, en effet, arriver qu’un homme vertueux ait de la haine pour un homme également bon dont il ignore la vertu, et alors ce n’est pas cet homme, mais l’idée qu’il s’en fait, qui est l’objet de sa haine ; ou plutôt il peut arriver qu’il aime cet homme sans le connaître, parce qu’il aime le bien qui se trouve en cet homme. De même, un homme injuste peut avoir de la haine pour un homme vertueux, et l’aimer lorsqu’il le suppose injuste, en aimant alors en lui non pas ce qu’il est véritablement, mais l’idée qu’il s’en forme. Or, la même chose peut arriver pour Dieu. Ainsi, qu’on ait demandé aux Juifs s’ils aimaient Dieu, ils auraient répondu qu’ils l’aimaient sans faire un mensonge, mais en étant simplement dupes de la fausse idée qu’ils s’en formaient ; car comment peut-on aimer le Père de la vérité lorsqu’on a de la haine pour la vérité ? Ils ne veulent pas que leurs actions soient condamnées, et c’est ce que fait la vérité. Ils ont donc autant de haine pour la vérité qu’ils en ont pour les châtiments qu’elle inflige à ceux qui l’outragent. Mais ils ne savent pas que c’est la vérité elle-même qui condamne ceux qui leur ressemblent, et parce qu’ils ignorent que cette vérité qui les juge et les condamne, est née de Dieu le Père, ils ont de la haine pour Dieu sans le connaître.

S. Chrys. Les Juifs n’ont donc aucune excuse ; je leur ai transmis ma doctrine par mes paroles, je l’ai confirmée par mes œuvres, comme le recommande la loi de Moïse, qui fait un devoir à tous d’obéir à celui qui s’annonce comme docteur lorsque sa doctrine inspire une véritable piété, et qu’elle est confirmée par des miracles extraordinaires. C’est pour cela qu’il ajoute : « Si je n’avais point fait parmi eux des œuvres que nul autre n’a faites, ils n’auraient point de péché. » — S. Augustin. (Traité. 91 sur S. Jean.) C’est-à-dire le péché qu’ils ont commis eu refusant de croire à ses enseignements et à ses œuvres. Mais pourquoi ajoute-t-il : « Que nul autre n’a faites ? » Nous ne voyons point de plus grands miracles dans la vie de Jésus-Christ que la résurrection des morts, et nous savons que les anciens prophètes ont ressuscité des morts, en particulier Elie (3 R 17) ; Elisée, pendant sa vie (4 R 4), et jusque dans son tombeau (4 R 13). Cependant Jésus-Christ a fait quelques miracles que nul autre n’a faits, par exemple, lorsqu’il a nourri cinq mille hommes avec cinq pains ; lorsqu’il a marché sur les eaux, et donné à Pierre le pouvoir d’y marcher lui-même ; lorsqu’il a changé l’eau en vin ; lorsqu’il a ouvert les yeux de l’aveugle-né, et fait beaucoup d’autres miracles, qu’il serait trop long d’énumérer ici. Mais on nous répond que d’autres ont opéré des prodiges qui n’ont été faits ni par Jésus-Christ, ni par aucun autre. Quel autre que Moïse, par exemple, a conduit tout un peuple à travers les eaux divisées de la mer, a fait descendre du ciel la manne pour le nourrir, et jaillir l’eau du rocher pour étancher sa soif ? Quel autre que Jésus, fils de Navé, a partagé les eaux du Jourdain pour livrer un passage au peuple de Dieu, et par ses prières a mis comme un frein au soleil dans sa course ? Quel autre qu’Elisée a rendu la vie à un mort par le seul contact de son propre cadavre ? J’en omets bien d’autres, et je pense que ces exemples suffirent pour prouver que les autres saints ont opéré des prodiges que personne n’a faits. Mais on ne sait point que, parmi les anciens, aucun d’eux ait jamais guéri avec autant d’autorité et de puissance les vices nombreux, les maladies et les infirmités multipliées des hommes. Car, sans dire ici que d’un seul mot il guérissait tous ceux qui se présentaient à lui, saint Marc nous raconte que « partout où il entrait, dans les bourgs, dans les villages ou dans les villes, on mettait les malades sur les places publiques, et on le suppliait de leur laisser toucher seulement la frange de son vêtement ; et tous ceux qui le touchaient étaient guéris. » (Mc 6, 56) Voilà ce que personne autre que lui n’a fait en eux, car c’est ainsi qu’il faut traduire ces paroles : in eis, en eux, et non parmi eux, ou devant eux ; parce qu’il les a guéris eux-mêmes. Et si un autre que lui semble avoir opéré les mêmes prodiges, on peut dire, encore que nul autre n’a fait ce qu’il a fait, car tous les miracles semblables qu’un autre a pu opérer, il les a opérés en vertu de la puissance du Sauveur ; tandis que Jésus les a faits sans le concours d’aucun autre. Et, bien que le Père et le Saint-Esprit aient pris part à ces miracles, on peut dire encore que nul autre ne les a faits, parce qu’il n’y a dans la Trinité qu’une seule et même nature. Les Juifs auraient donc dû répondre à de si grands bienfaits par l’amour plutôt que par la haine, et c’est ce que le Sauveur leur reproche : « Maintenant ils ont vu ces œuvres, et ils me haïssent, moi et mon Père, afin que la parole qui est écrite dans leur loi soit accomplie : ils m’ont haï sans sujet. » — S. Chrys. Il prévient ainsi l’objection que ses disciples auraient pu lui faire. Pourquoi nous avez-vous jetés au milieu de tant de dangers ? N’avez-vous donc pas prévu tous ces combats, toute cette haine ? Il leur répond eu leur citant cette prophétie : « Afin que la parole qui est écrite dans leur loi soit accomplie. » — S. Augustin. (de la Trin., 17) Tous les livres de l’Ancien Testament sont souvent désignés dans les saintes Ecritures sous le nom de loi, et c’est le sens que le Sauveur lui donne ici, lorsqu’il dit : « Il est écrit dans leur loi, » c’est-à-dire dans les Psaumes. (Ps 68, 5)

S. Augustin. (Traité 91) Il dit leur loi, non pas qu’ils l’aient faite eux-mêmes, mais parce qu’elle leur a été donnée. Haïr sans sujet ou gratuitement, c’est haïr sans espérance d’aucun avantage, sans crainte d’aucun danger, c’est le caractère de la haine des impies pour Dieu ; c’est aussi le caractère de l’amour des justes qui n’attendent point d’autres biens que Dieu, parce qu’il sera lui-même tout dans tous. (1 Co 15, 28.) — S. Augustin. (Moral., 25, 11 ou 16 dans les anc. man.) Il y a une grande différence entre ne pas faire le bien et haïr celui qui enseigne le bien, de même qu’entre pécher par précipitation et pécher de propos délibéré. Il nous arrive souvent par suite de notre faiblesse de ne point faire le bien que nous aimons ; mais pécher de propos délibéré, c’est ne pas faire le bien, et de plus n’avoir aucun amour pour le bien. De même donc qu’on est quelquefois plus coupable d’aimer le péché que de le commettre, ainsi c’est souvent une faute plus grave de haïr la justice que de ne point en pratiquer les actes. Or, il y en a un certain nombre dans l’Eglise qui, non-seulement ne font pas le bien, mais le persécutent, et qui haïssent dans les autres le bien qu’ils n’ont pas le courage de pratiquer, et leur péché n’est pas un péché de faiblesse on d’ignorance, mais un péché commis avec intention et de propos délibéré.

Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.

 

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