Accueil > Contes > Tome 3 : La fin du monde > Le jugement général
Nous discutions un jour avec Priscillia de la vie éternelle. Elle avait 17 ans en 2006 et me racontait tout de sa vie. Elle me demanda un jour :
— Se souviendra-t-on de nos péchés pardonnés au moment du jugement général ?
Je répondis, très théoricien :
— Souvent, on entend enseigner : Non, il seront oubliés, comme s’ils n’avaient jamais existé. Selon moi, dans un tel enseignement, il y a confusion entre pardon et oubli. Et je soupçonne ceux qui disent cela d’espérer secrètement, en fin de compte, paraître aux yeux des autres avoir été des non-pécheurs durant leur vie terrestre (ce qui constitue une forme cachée et subtile d’orgueil).
Mais elle me répondit :
— J’ai beaucoup de péchés secrets. J’aurais trop honte si on les voit. Moi je pense que, lorsqu’on se confesse, tout est effacé, à jamais. Personne ne les retrouvera plus.
Mais j’insistais :
— Le Pardon n’oublie jamais mais fonde justement le nouvel amour qu’il suscite sur un passé assumé, confessé, contrit et réparé. D’ailleurs, c’est justement cette qualité de pécheurs pardonnés qui fera que, au Ciel, nous aimerons Dieu avec intensité et reconnaissance.
Cette parole de Jésus l’enseigne (Luc 7, 47) : « A cause de cela, je te le dis, ses péchés, ses nombreux péchés, lui sont remis parce qu’elle a montré beaucoup d’amour. Mais celui à qui on remet peu montre peu d’amour. Puis il dit à la femme : “Tes péchés sont remis.” »
Mais ce n’était qu’un avis…
Je suis mort quelques années plus tard. Et Priscillia m’a rejoint. Au moment de la fin du monde, nous sommes ressuscités et si l’on devait compter en temps cosmique, nous sommes dans la vie éternelle depuis un million d’années.
Un million d’années de béatitude. Chaque seconde, Dieu est nouveau. Il devance mes désirs. C’est comme une source jaillissante qui me rajeunit, et mon âme lui appartient. Il prend soin de moi. Rien ne me manque. Il a créé pour moi un monde de merveilles qui ravit mes sens et il nous a confié de grandes missions pour les nouveaux enfants qu’il prépare, sur un nouveau monde, pour la joie éternelle.
J’ai rencontré Priscillia ce matin. Je l’ai regardée et j’ai vu en un regard toute son âme, toute sa vie. Nous nous sommes souvenus de cette conversation ancienne et nous avons souris ensemble. Nous avons notre réponse. Elle avait raison et j’avais aussi raison. Tout est simple là haut.
Priscillia avait raison car je n’ai pas vu le détail de ses péchés passés. La honte de certaines situations concrètes, nous est épargnée.
Mais j’ai vu dans son âme claire que, comme moi, elle a tout commis, au moins en pensées, je veux dire toutes les espèces d’égoïsme. J’ai vu qu’elle n’a jamais trompé son mari… sauf en pensées. Et j’ai vu qu’elle pensait comme Jésus que c’était pareil, qu’elle ne valait pas mieux que la femme adultère parce que (Matthieu 5, 28) « Quiconque regarde un homme pour le désirer a déjà commis, dans son cœur, l’adultère avec lui. » J’ai vu que Priscillia avait plu à Dieu toute jeune car elle lui confessait son péché en secret, le soir…
Je voudrais raconter une dernière anecdote. Elle s’est passée lorsque j’étais encore vivant sur terre, dans les années 2000. Un soir, comme cela, ma mère s’est souvenue d’un moment tragique de sa vie. Pendant la guerre d’Algérie en 1960, avec mon père, ils sont tombés dans une embuscade. Leur voiture a été bombardée de pierres. Ils en sont échappés de justesse, mais ma mère était enceinte, et elle a fait une fausse couche. Elle a failli mourir et les médecins lui ont retiré le foetus (bien formé de 7 mois) en pièces détachées. Ils ont refusé de le lui montrer, et il n’y a pas eu d’obsèques bien sûr.
Or ce soir là, le 6 avril 2006, elle a eu un malaise cardiaque. Un peu plus tard, secouée, elle s’est souvenu de son enfant perdu et a eu soudain le désir de lui donner un nom. Je lui ai donc parlé de l’adoption et du baptême du désir. Elle l’a fait et l’a appelé Julien. Cela lui a fait beaucoup de bien, et elle s’est mise à croire, depuis ce jour-là, qu’il l’accueillerait à sa mort. A partir de ce jour là, j’ai eu un frère.
Lors du jugement général, j’ai pu voir les liens de la communion des saints qui avaient conduit à cette intuition de ma mère. En fait, c’était moi qui étais d’abord visé. A cette époque, j’avais des discussions sur l’avortement. Je disais à quel point j’étais pour et que l’Église me paraissait, à force de penser à l’enfant, ne pas penser aux mères. Et mon frère a prié du Ciel pour que mon idée change.
Le jugement général, c’est la substance de notre éternité. Nous voyons tout en Dieu. Il ne nous cache rien. Et sans cesse, c’est objet de joie : comme il s’est bien occupé de nous ! Même lorsqu’il a paru nous abandonner, comme il nous sauvait bien.
Et je ne peux vous en dire plus. Vous verrez bien vous-mêmes.
Arnaud Dumouch, 5 avril 2006