Accueil > Contes > Tome 3 : La fin du monde > Quand Israël sauva l’Église
La conversion d’Israël
(Attention, ceci n’est pas une prophétie. Juste un conte.)
« Ce sont des esprits démoniaques, des faiseurs de prodiges, qui s’en vont rassembler les rois du monde entier pour la guerre, pour le grand Jour du Dieu Maître-de-tout. (Voici que je viens comme un voleur : heureux celui qui veille et garde ses vêtements pour ne pas aller nu et laisser voir sa honte.) Ils les rassemblèrent au lieu dit, en hébreu, Harmagedôn. » (Apocalypse 16, 14)
David Barjeoda fut élu premier ministre d’Israël en l’une des périodes les plus difficiles de son histoire. Seul État souverain à subsister dans le monde, sa patrie était violement attaquée par des campagnes médiatiques mettant en cause sa souveraineté politique et religieuse. Le monde s’était alors unifié dans une nouvelle religion monothéiste et prenait avec un grand agacement l’obstination juive autour du Temple de Jérusalem et de son culte quotidien d’offrande du pain et du vin. Pourtant, plus de 50 ans plus tôt, l’érection du nouveau Temple avait l’unanimité pour elle. Mais les temps changent, les générations passent qui ne se souviennent plus du passé. Aujourd’hui, c’était probablement la survie même de l’État d’Israël qui allait se décider.
Ce matin-là, le premier ministre Barjeoda se tourna vers Yahvé dont la présence cachée, dans le Temple, au cœur de l’Arche d’Alliance, l’avait attiré depuis son enfance. Il prit sa Bible et relut cette prière (Esther 4, 17) : « Souviens-toi, Seigneur, manifeste-toi au jour de notre tribulation ! Et moi, donne-moi du courage, Roi des dieux et dominateur de toute autorité. Mets sur mes lèvres un langage charmeur lorsque je serai en face du lion, et tourne son coeur à la haine de notre ennemi, pour que celui-ci y trouve sa perte avec tous ses pareils. Et nous, sauve-nous par ta main et viens à mon secours, car je suis seul et n’ai rien à part toi, Seigneur ! »
Puis il descendit pour se rendre en voiture au centre de conférence internationale situé à Megiddo. Le centre avait été construit tout près des vestiges de l’ancienne forteresse. C’était une ville ancienne et célèbre dans l’histoire comme le lieu de la première bataille relatée des campagnes du pharaon Thoutmosis III. On disait que vers la fin du monde, le dernier combat apocalyptique s’y déroulerait.
Mais le premier ministre avait à relever ce jour-là une bataille diplomatique grave. Il retrouva à Megiddo le grand prêtre Alexandre Cohen, le président de la Knesset et les chefs des différents partis politiques. La délégation israélienne était composée de onze personnalités représentant le pays dans ses diverses composantes.
En face, le gouvernement mondial avait délégué son principal négociateur qui était en perpétuel contact avec le Président Ernesto Smith. Et l’objet de cette importante réunion était le sort des réfugiés chrétiens et musulmans que l’État d’Israël accueillait et protégeait depuis plus de vingt ans.
Gabrielle et Marine faisaient partie des réfugiés chrétiens de Jérusalem. Elles habitaient dans le quartier du saint Sépulcre. Les deux jeunes femmes étaient amies depuis le collège et elles faisaient partie du même mouvement de spiritualité, « les pauvres de Jésus », qui attendait le retour du Messie. Dix ans plus tôt, elles se croyaient seules au monde, lorsque repérées par le gouvernement après avoir un peu trop parlé de leur foi, elles avaient dû s’exiler. Or, juste avant leur départ vers la dispersion des colonies de peuplement, elles avaient rencontré une famille juive de Jérusalem qui leur avait parlé de la loi votée à la Knesset permettant de protéger, partout dans le monde, les adorateurs du Dieu d’Abraham. Elles avaient donc choisi de ne pas être séparées et elles s’étaient retrouvées sur la terre de Jésus, la terre où il avait vécu et était mort, celle où le dernier des papes catholiques avait rendu son témoignage. Et elles y avaient découvert une Église vivante et pauvre, vivant non loin de musulmans qui partageaient la même certitude de la venue prochaine du Messie.
Mais cette générosité du peuple juif avait fini par profondément agacer les autorités politiques et religieuses mondiales. Ces gens pacifiques et joyeux étaient un vrai danger pour le projet d’humanité unifiée, une sorte d’ « écharde dans la chair du monde », selon l’expression du président. Il est vrai que les gens se lassaient de la religion officielle. Ils ne supportaient plus ses prodiges et démonstrations de puissance. Au début, elle avait suscité un vrai enthousiasme. Les gens avaient soif de vie éternelle. Et puis elle avait vite lassé. Son Dieu était libre mais froid. Et les peuples semblaient manquer d’une autre nourriture…
« La venue du Royaume de Dieu ne se laisse pas observer, » (Luc 17, 20), disait souvent Jésus. Pourtant, dans cette petite vallée de l’État d’Israël, si le premier ministre David Barjeoda avait pu voir l’invisible, il aurait vu l’univers entier qui observait, comme en ordre de bataille : des légions d’anges de Dieu, des myriades d’anges de Lucifer.
Finalement, et pour marquer l’importance de l’événement, le président de la République mondiale, Ernesto Smith, s’était déplacé en personne. Il était le grand ordonnateur du monde nouveau. Son discours fut bref.
« Monsieur le premier ministre, Excellences,
Vous avez accueilli en votre sein, pour des raisons que vous disiez humanitaires, des représentants des anciennes croyances, leur laissant une entière liberté médiatique. Il ne saurait être question de prolonger l’expérience plus longtemps. L’histoire nous a appris à nous méfier de la force du message que, tels des loups déguisés en agneaux, les anciennes croyances délivrent au monde. C’est un message séducteur pour une jeunesse qui ne se souvient pas du passé. Si nous laissons faire, cela aboutira certainement à une nouvelle division et au retour des guerres. Ce qui est en jeu, c’est notre mode de vie, notre culture. Nous venons vous demander de les livrer à notre police. Ils seront bien traités mais dispersés afin de ne plus constituer une entité séductrice. Je me suis déplacé en personne pour vous signifier un ultimatum. Si vous n’obtempérez pas, vos frontières ne seront plus garanties. La survie même de votre État souverain sera remise en cause. »
Puis la conférence entra dans les tractations diplomatiques. Des solutions acceptables par les deux partis en présence furent proposées. La délégation israélienne menait un rude combat, ballotée entre les exigences de la raison d’État, la pression du peuple, les campagnes médiatiques.
La bataille diplomatique dura quarante jours. Finalement, le dernier jour, le premier ministre israélien annonça qu’il allait tenir un discours public et faire savoir au monde la décision de l’État souverain d’Israël. Les médias du monde entier pariaient pour une solution raisonnable. Les compensations financières mises sur la table étaient si considérables et le prix à payer (une simple entaille à l’honneur, sans conséquences graves pour la vie de personne) si faible. Les caméras retransmettaient évidement partout dans le monde, pour les informations du soir, l’événement.
Or c’est le grand prêtre Alexandre Cohen qui monta au pupitre. Les journalistes présents commentèrent :
« Amusante surprise et réponse du berger à la bergère : en réponse à la venue personnelle du président Ernesto Smith, le premier ministre israélien délègue une personnalité à sa place. »
Le grand prêtre Alexandre s’approcha du micro et dit :
« Monsieur le Président,
Permettez que je prenne la parole, moi humble prêtre, sans que votre colère s’enflamme contre cet acte. Mais ce que l’État souverain d’Israël veut dire aujourd’hui doit passer par mes lèvres. Car ce n’est pas un discours politique qu’il fait aujourd’hui.
Voici. Nous sommes un peuple ancien. Nous avons traversé l’histoire dans la joie et dans la douleur. Par trois fois, notre peuple a subi une extermination. Par deux fois, à cause de nos péchés et sur l’avertissement de notre Dieu, notre Temple a été détruit. Nous y avons appris ce que signifient l’honneur et le déshonneur devant notre Dieu.
Et puis notre Dieu a fait jaillir de nous deux religions qu’il a aimées et bénies. Elles aussi péchèrent et furent éduquées. De ces deux religions, il ne reste plus que quelques fidèles qui ont trouvé refuge chez nous. Jadis, nous avions accueilli le pape du catholicisme et nous n’avons pas su protéger sa vie. Beaucoup parmi les chrétiens et les musulmans refusent les prolongations génétiques de la vie. Ils mourront donc vite.
Aujourd’hui, vous nous demandez de cesser de protéger le peuple faible et sans défense qui vit parmi nous selon les moeurs familiales de jadis. Nous ne pouvons pas. Ce serait pour nous un crime contre notre Dieu et nous ne pourrions plus vivre en présence de son Temple. L’âme de notre Dieu est liée à ces deux religions. Il les aime. Il n’a plus qu’elles pour glorifier son nom sur la terre. Et notre petit État s’est porté garant par ses lois de leur protection en ces termes : “Si je nous ne les protégeons pas, nous en serons coupables envers Dieu toute notre vie.”
Maintenant, si les forces militaires du gouvernement mondial veulent pénétrer dans nos frontières, nous ne nous défendrons pas. Notre liberté est moins importante que le malheur qui frapperait notre Dieu. »
Dans le monde entier, partout où on assistait à ce discours, la stupéfaction était totale. Quel défi à l’autorité du monde. Quelle folie ! Ce peuple entêté avait une fois de plus perdu la tête !
Sans attendre la réponse des diplomates étrangers, la délégation israélienne quitta Megiddo. Il faisait nuit. Les limousines qui les ramenaient à Jérusalem prirent l’autoroute de Judée-Samarie et s’approchèrent rapidement. Le président David Barjeoda était monté avec le grand prêtre Alexandre Cohen. Ils avaient coupé toutes les communications avec l’extérieur et ils s’accordaient un moment de silence.
« Ai-je bien parlé, David ?
— La parole qu’il fallait dire, tu l’as dite, Alexandre. Il n’y a rien à ajouter. Nous saurons vite si Dieu a béni notre décision. »
Or, en s’approchant de Jérusalem, ils virent qu’il y avait une grande agitation. Sur l’autoroute, des voitures stationnaient sur les bandes d’arrêt d’urgence. Le premier ministre fit arrêter la limousine.
« Que se passe-t-il ?
— Monsieur le premier ministre, le Temple de Jérusalem brûle ! »
Le premier ministre pâlit. Il fit allumer les écrans de télévision dans la limousine. Et, sur toutes les chaînes, la même image parvenait : du Temple sortait une colonne de fumée noire, épaisse et tourbillonnante. Et, dans la nuit, l’éclat de l’incendie prenait des teintes rouges.
« Est-ce une attaque ? Déjà ? » dit le grand prêtre, impuissant.
Ils s’approchèrent de Jérusalem rapidement. Or les rues étaient encombrées d’une foule… en liesse. Partout des danses d’Israël ! Les deux hommes ne comprenaient pas. Ils furent vite extirpés de la voiture et emportés sur les bras de la foule. Ils passaient littéralement de main en main. Enfin, n’y tenant plus, David cria :
« Mais que se passe-t-il enfin ? Que se passe-il ?
— Monsieur le premier ministre ! Le temple ! Il brûle mais il ne se consume pas ! Il ne se consume pas ! » lui cria une femme.
David se fit alors déposer à terre. Tant bien que mal il remonta l’avenue qui conduisait au mont Sion. Et il vit cette colonne de feu et de fumée. Les gens regardaient le spectacle grandiose. Son cœur battait à tout rompre.
Il s’approcha encore du Temple et vit des Cohanim, des prêtres du Temple, encore en tenue sacerdotale, qui lui dirent :
« Le feu est sorti de l’Arche, au moment où le grand prêtre parlait à la télévision. J’étais là et j’ai vu les deux chérubins qui sont sur l’Arche s’animer. Je n’ai pas pu rester. La lumière était trop vive. »
Un autre disait :
« J’ai entendu une voix qui disait (Genèse 45, 3) : “Je suis Jésus ! Mon Père vit-il encore en Israël ?” Et je n’ai pas su quoi répondre à cette voix. J’étais bouleversé de la voir. »
Alors David s’assit contre un pilier du Temple. Il se souvint de cette scène vieille de plus de 50 ans, alors qu’il était petit garçon. C’était le jour de la consécration du Temple de Jérusalem et il avait demandé à son père, juste après la cérémonie, lorsqu’ils rentraient à la maison :
« La fumée n’est pas venue…
— Quelle fumée ? avait demandé son père.
— Eh bien, celle que Dieu avait promise, tu sais comme dans les passages de la Bible (Exode 13, 21 ; 1 Rois 8, 10 ; 2 Maccabées 2, 8) : “Alors la gloire du Seigneur apparaîtra ainsi que la Nuée, comme elle se montra au temps de Moïse et quand Salomon pria pour que le saint lieu fût glorieusement consacré.” »
La fumée était là, devant ses yeux. David trouva un peu plus loin une jeune fille qui tenait en main une Bible et regardait le spectacle. Il s’arrêta à sa hauteur et il se fit lire un passage de la Genèse, lorsque Juda, frère de Joseph vendu en Égypte, dit (Genèse 44, 33) : « Maintenant, que ton serviteur reste comme esclave de Monseigneur à la place de l’enfant et que celui-ci remonte avec ses frères. Comment, en effet, pourrais-je remonter chez mon père sans que l’enfant soit avec moi ? Je ne veux pas voir le malheur qui frapperait mon père. »
— Que se passe-t-il, monsieur le premier ministre ? lui demanda la jeune fille.
— Lis le verset suivant, tu comprendras ce que vit aujourd’hui Israël.
La jeune fille déchiffra, à la lumière de cette grande gloire (Genèse 45, 1) : « Alors Joseph ne put se contenir devant tous les gens de sa suite et il s’écria : “Faites sortir tout le monde d’auprès de moi” ; et personne ne resta auprès de lui pendant que Joseph se faisait connaître à ses frères, mais il pleura tout haut et tous les Égyptiens entendirent, et la nouvelle parvint au palais de Pharaon. Joseph dit à ses frères : “Je suis Joseph ! Mon père vit-il encore ?” Et ses frères ne purent lui répondre, car ils étaient bouleversés de le voir. Alors Joseph dit à ses frères : “Je le suis le Christ, le Fils du Béni, dit Jésus, et vous verrez le Fils de l’homme siégeant à la droite de la Puissance et venant avec les nuées du ciel.” et ils s’approchèrent. Il dit : “Je suis Joseph, votre frère, que vous avez vendu en Égypte. Mais maintenant ne soyez pas chagrins et ne vous fâchez pas de m’avoir vendu ici, car c’est pour préserver vos vies que Dieu m’a envoyé en avant de vous.” »
— Monsieur le premier ministre, n’est-ce pas Jésus de Nazareth, le Messie, qui vient aujourd’hui en Israël ?
— Comment t’appelles-tu ?
— Je m’appelle Marine et je suis chrétienne. Je suis de ceux qui sont venus de France se réfugier et que vous avez sauvés aujourd’hui à la Conférence de Megiddo.
— Oui, Marine. C’est certainement Jésus. Il a dit à un prêtre : « Je suis Jésus ! Mon Père vit-il encore en Israël ? » Tu pourras lui répondre, lorsque tu prieras pour nous : « Oui, Seigneur. Tu peux venir. Ton Père vit encore en Israël. »
Arnaud Dumouch, 29 décembre 2005, fête des Saints Innocents