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L’Église des derniers temps

(Attention, ceci n’est pas une prophétie. Juste un conte.)

« Car il y aura alors une grande tribulation, telle qu’il n’y en a pas eu depuis le commencement du monde jusqu’à ce jour, et qu’il n’y en aura jamais plus. Et si ces jours-là n’avaient été abrégés, nul n’aurait eu la vie sauve ; mais à cause des élus, ils seront abrégés, ces jours-là. Alors si quelqu’un vous dit : Voici : le Christ est ici ! ou bien : Il est là !, n’en croyez rien. » (Matthieu 24, 21)

 
La fuite en Égypte, gravure de Bohuslav Reynek.
La fuite en Égypte (Bohuslav Reynek)

Il y avait en ces temps-là une jeune fille âgée de 16 ans et son nom était Marine. Elle vint au monde dans une famille de pauvres de Jésus, à l’époque du dernier Antéchrist.

Dans sa famille, on se transmettait depuis des générations le petit livre des promesses du Christ, tel qu’il avait été laissé à l’Église par le dernier des papes. Cela faisait bien longtemps que ce pape était mort, et avec lui le sacerdoce et la messe, mais personne, dans la famille de Marine, ne s’impatientait. On savait que les promesses de Jésus se réalisaient chaque jour, à la mort de chacun, lorsque le Christ paraissait. Et on savait que l’aurore du jour où il paraîtrait pour tous en une seule fois était proche. On avait remplacé l’eucharistie par la prière, comme le leur avait appris la Vierge Marie dans son samedi saint. Marine avait donc appris à prier, portée sur le sein de sa maman.

Elle avait appris à le faire en secret, sans jamais dire autour d’elle sa foi. Car, en ce temps-là, les chrétiens étaient persécutés, comme les musulmans. Ils étaient dispersés à la surface de la terre, dans des familles ne se connaissant pas. Souvent, ils s’obstinaient à concevoir leurs enfants naturellement. Leur volonté de fuir les centres génétiques qui amélioraient le génome des futures générations, leur valait une accusation de crime contre l’humanité. Des plaintes légales se multipliaient contre eux. On médiatisait en particulier les plaintes venant d’enfants contre leurs propres parents chrétiens ou musulmans qui, persistant à croire que la terre n’était qu’un lieu de passage, avaient refusé pour eux lors de leur conception le don d’une prolongation génétique de la durée de vie. La sagesse d’alors considérait au contraire que toute vie devait offrir une perpétuelle jeunesse et que la décision de la quitter devait être liée à sa liberté par un choix d’euthanasie, et non aux exigences de la génétique.

Les croyants se reconnaissaient car ils vieillissaient vite. Dans ce monde de perpétuelle jeunesse, les visages marqués de rides se faisaient plus rares et signalaient de plus en plus indubitablement la folie de la foi.

Comme ses camarades, Marine était une enfant génétiquement modifiée. Elle allait à l’école avec les enfants de son âge. Comme tous les jeunes, elle devait suivre les cours de religion humaniste à raison de deux heures par semaine. Son professeur, monsieur Loiseleur, était sage et enthousiaste. Son cours était rempli d’anecdotes qu’il tirait de sa vie et de son imagination foisonnante. La matière était équilibrée et jamais ennuyeuse. On y enseignait tour à tour l’histoire des anciennes religions, la morale de la vie, et la nouvelle religion mondiale.

A propos des anciennes religions, le chapitre s’intitulait : « Les religions de la soumission ». Le bouddhisme y était décrit comme une sagesse sans Dieu, où l’homme devait détruire en lui tout désir ; quant à l’islam et au christianisme, on manifestait la manière dont leur chefs religieux, afin de garder la main sur le peuple, demandaient à tous une foi aveugle en des vérités non démontrables qui, toutes, parlaient de soumission, d’obéissance. Il abordait le judaïsme avec une franche hostilité. Il faut dire que, dans ce monde unifié, l’État souverain d’Israël refusait obstinément le système mondial et restait centré, seul au monde, autour du Temple de Jérusalem et de son culte ancien de Yahvé. Encore une fois, ce peuple se démarquait.

Le cours de morale humaine parlait de valeurs équilibrées où la recherche du bonheur individuel ne devait tout de même pas être préférée au point de négliger l’attention au bonheur de l’autre. C’était un subtil équilibre en vue du bien vivre. On n’y encourageait ni le vagabondage sexuel, ni la fidélité perpétuelle, mais une voie médiane, comme il sied à une vie devenue très longue.

La nouvelle religion, quant à elle, était tout sauf fondée sur des dogmes. L’existence du Créateur y était démontrée par des arguments rationnels. On voyait au microscope tout l’ordre qu’il avait mis dans l’ADN, ordre où rayonnait son intelligence. Un simple raisonnement, à cette vue, suffisait à rayer les anciennes idéologies de la génération spontanée ou de la magie pan-évolutive, telles qu’elles avaient été enseignées du XIXe au XXIe siècles. La survie de l’âme était rendue visible à travers l’observation des mourants dont une machine spéciale permettait de visualiser la sortie du corps au moment de l’arrêt du cœur. Et puis « Dieu » révélait sans cesse sa présence, ainsi que les âmes de l’au-delà. Chacun pouvait librement leur parler à travers des méthodes de spiritisme. Leur message était une promesse de vie éternelle. « Le monde se prolonge après la mort dans la même liberté et dignité qu’ici-bas mais sans les inconvénients. » On décrivait les propriétés du corps de l’au-delà : lumineux (c’est-à-dire qu’on pouvait parler sans autre langage que la pensée), subtil (pouvant passer à travers la matière), agile (comme l’éclair), impassible (pas de souffrances) et immortel. Dans cette espérance, beaucoup de gens avaient enfin trouvé le bonheur, et le feu de l’angoisse qui marquait tant les générations de l’humanisme sans Dieu, était en partie étouffé.

Marine écoutait les cours avec une grande attention. Elle était une jeune fille sérieuse, travailleuse et très belle. Ses yeux bleus dans son visage d’un ovale parfait étaient magnifiques. Et pourtant, curieusement, sans doute à cause de sa grande discrétion, elle n’avait pas de petit ami. Et puis elle priait. La prière n’avait rien à voir pour elle avec le spiritisme que pratiquaient obligatoirement les jeunes le dimanche. Elle pratiquait la prière en secret. Elle fermait les yeux et une paix descendait. C’était un souffle ténu, qui ne prononce jamais de mot mais se blottit en soi. C’était un autre Dieu, celui dont ne parlait pas monsieur Loiseleur, parce qu’il ne le connaissait qu’à travers les images déformées de l’Université en Sciences Religieuses. C’était un Dieu humble et doux, qui était venu sur terre et avait annoncé ce temps de silence où elle vivait. Dans les messes spirites du dimanche au contraire, les esprits venaient, communiquaient, s’agitaient comme ici-bas, parlant des merveilles de l’autre univers, et de leur Dieu puissant et rationnel.

Comme sa famille et secrètement, Marine vivait sans cesse avec le Christ, avec Marie sa mère et les saints dont elle sentait la présence. La grâce surabondait.

L’autre jeunesse

Assise à côté d’elle en classe, son amie Gabrielle lui parlait souvent de ses angoisses d’adolescente. Son petit copain l’avait laissée tomber. Elle se donnait jusqu’à l’hiver pour en trouver un autre. Elle se disait parfois qu’elle ferait mieux de partir tout de suite pour l’autre monde où la vie était si simple. C’était d’ailleurs autorisé par l’Etat. Et Marine lui répondait : « Ne pars pas. Je ne te verrai plus. »

Gabrielle aimait Marine. Son sourire et sa perpétuelle écoute l’attiraient.

« Quel est ton secret ? Dis-le moi… Tu n’es pas comme les autres et tu me caches quelque chose. Tu n’as pas de copain et tu ne t’inquiètes pas. »

Mais Marine lui disait :

« Je suis heureuse comme cela… ».

C’était impossible de dire plus. Peut-être un jour…

En attendant, Gabrielle observait son amie. Elle n’était pas sage pendant les messes spirites du dimanche. Elle était fatiguée des perpétuelles démonstrations de puissance et des prodiges qui se faisaient au temple. Elle demandait alors à Marine :

« Ce sera comme cela dans l’autre monde ? Et pour toujours ? Tu ne crois pas qu’on va s’ennuyer ? »

Et Marine répondait, dans un fou rire étouffé :

« Si ! Je crois qu’on va s’ennuyer. « Dieu » ne propose que des loisirs. Et, à la fin, tous les loisirs ennuient. C’est long l’éternité, même si on fait du ski ! 

— Tu sais, disait souvent Gabrielle, lors de leurs promenades, moi ce que j’aurais aimé avoir, c’est un Dieu qui ressemble à mon ancien copain, mais qui soit toujours comme au premier amour, doux et fort, qui chaque matin soit nouveau, tout en étant lui. Mais surtout, je voudrais qu’il m’aime. Tu sais, leur monde plein de planètes et d’animaux, je m’en fiche moi. »

Une fois, Gabrielle avait demandé à Monsieur Loiseleur si Dieu les aimerait et les prendrait dans ses bras. Et lui n’avait su que répondre ceci :

« Je ne crois pas… Mais il te rendra libre, forte et capable d’affronter la vie. »

Monsieur Loiseleur était un professeur gentil et sincèrement attentionné pour ses élèves. Ce jeune professeur, simplement âgé de 80 ans, faisait partie de la première génération modifiée génétiquement pour vivre, théoriquement, jusqu’à plus de 660 ans. Et il n’était pas dupe. Il voyait bien que la nouvelle génération se lassait de la belle religion de liberté qui avait été mise en place 50 ans auparavant. L’enthousiasme, il l’avait connu, lui. Il y avait trouvé un but, une raison de vivre. C’était tellement mieux que l’humanisme du néant de l’ancienne époque.

Et pourtant le coeur humain restait malade…

Qui pourra arrêter l’amour ?

Quand Gabrielle parla d’acheter en pharmacie son kit d’euthanasie, afin de rejoindre l’autre monde, Marine ne put se résoudre à la laisser faire. Elle en parla à sa maman et lui dit :

« Je dois lui expliquer.

— Tu es sûre ? Tu sais que tu risques d’être séparée de nous ?

— J’y suis prête maintenant. Et puis on se parlera tous les jours. »

Les déportations n’avaient en effet rien de terrible. On séparait les personnes repérées comme croyantes dans les anciennes religions, afin d’éviter une trop large contamination de leurs idées. C’était une époque de combat spirituel.

Marine dit un jour à Gabrielle :

« Je ne veux pas que tu te suicides. 

— Viens avec moi alors, lui répondit Gabrielle. Beaucoup le font. On est mieux là-bas.

— Tu ne comprends pas. Il ne faut pas que tu partes.

— Pourquoi ? demanda Gabrielle interloquée. Et c’est quoi cette mine sérieuse ?

— Tu te rappelles ? Tu me demandais souvent pourquoi j’étais heureuse. Tu veux que je te le dise ? Mais c’est un grand secret.

— Ouh… que tu es bizarre. »

Et Marine lui expliqua tout. Le vrai Dieu, la Trinité, le mariage éternel dans l’humilité et l’amour, ses trésors et les compagnons (anges et humains), la révolte de Lucifer, Adam et Ève, le péché, Israël, le Christ mort et ressuscité. Elle lui parla aussi de leur dernier pape, Benoît XIX et de son encyclique « Le secret de l’Évangile ». Il y racontait les apports de plus de 2000 ans d’approfondissement de l’Église, de manière simple. Il y décrivait aussi ce dernier temps qu’ils devraient vivre et où Dieu serait caché à tous.

« Ce monde, disait-il, ne durera que le temps de s’user et de laisser les âmes assoiffées. Alors le Christ reviendra d’un coup et sa venue, la manifestation soudaine du vrai Dieu, de son cœur, soufflera toute la construction de Lucifer. » (2 Thessaloniciens 2).

« Il faut que tu restes avec moi, ma Gabrielle. Il faut que tu voies cela avec moi. Nous sommes peu nombreux. Nous formons une petite Église, celle de Marie. Et nous devons juste être là pour participer à la joie de sa venue. »

Elles en parlèrent trois mois durant. Gabrielle demanda :

« Qui est alors l’Être de lumière dont ils parlent le dimanche aux messes spirites ? 

— Celui-là s’appelle Lucifer et c’est le Prince du Royaume de la liberté sans amour. Mais celui qui vient vraiment et dont ils ne parlent pas, c’est le Messie Jésus, Dieu devenu homme. Et on ne peut pas les confondre en les voyant ! »

Gabrielle essaya de prier. Et l’Esprit Saint descendit sur elle. C’était comme l’amour d’un garçon, mais en plus fort, en plus doux, en éternel… Gabrielle resta sur terre et se prépara avec son amie.

« Entraîne-moi sur tes pas, courons ! Le roi m’a introduite en ses appartements ; tu seras notre joie et notre allégresse. Nous célébrerons tes amours plus que le vin ; comme on a raison de t’aimer ! » (Cantique 1, 4)

Arnaud Dumouch, 28 décembre 2005

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