Accueil > Contes > Tome 3 : La fin du monde > Le signe du dragon
(Attention, ceci n’est pas une prophétie. Juste un conte.)
En ce temps-là, il n’y avait pas d’hommes mais l’esprit de Dieu planait au-dessus de la terre, sous la forme invisible d’anges très concrets et actifs.
Les anges sont des ingénieurs précis, et ils ont le temps pour travailler… Pour eux, mille ans sont comme un jour et un jour comme mille ans. L’âge ne les affecte pas. C’est l’avantage de l’absence de corps. C’est à cette époque que les ordres angéliques des Vertus, des Puissances et des Dominations décidèrent de créer les dragons. Depuis longtemps, ils rivalisaient de science et d’imagination pour multiplier les formes de vie animale et végétale sur cette terre qui, telle une pouponnière, produisait de génération en génération des centaines de milliards d’individus pour peupler et décorer l’autre monde. (L’autre monde, c’est celui de l’éternité, qui était en cours de préparation pour l’homme et où les esprits animaux partaient en troupeau après leur mort, menés par des anges bergers).
Lorsqu’il fallut créer les dragons, comme pour tout ce qui était nouveau, les ingénieurs célestes ne se fatiguèrent qu’au minimum. Ils se servirent de tous les anciens programmes de vie écrits depuis plusieurs centaines de millions d’années pour les microbes, les vers, les batraciens. Ils trafiquèrent, adaptèrent, écrivirent les nouveaux logiciels qu’il fallait écrire et ce fut fait. Ne leur demandez pas les détails techniques. Cherchez-les. Tout est dans l’ADN.
Les Vertus lâchèrent sur terre ces lézards debout sur leurs pattes dressées. Ils travaillèrent beaucoup à cette époque puisqu’ils fabriquèrent aussi la structure des mammifères, des mammifères pondeurs, des dinosaures à mamelles, des reptiles à poils et à plumes, bref toute sorte de mélanges amusants qu’ils confièrent à l’ordre angélique des Princes afin qu’ils les fassent évoluer et se diversifier sous la pression de la compétition vitale.
Comme à chaque fois, fidèles à leur importante mission, les Puissances angéliques affiliées à Lucifer (les hackers) inventèrent des virus nouveaux et toutes les contre-forces destinées à détruire ce qui venait d’être fait. Leur rôle était essentiel et permettait aux Vertus de fabriquer des défenses si bien que, d’étape en étape, de boucliers plus performants en dents plus grandes, apparurent les dinosaures géants, à deux et quatre pattes, puis les reptiles volants grands comme des chasseurs de la Seconde Guerre mondiale. Et toute cette vie était solide, résistante.
C’était l’époque des fiers animaux au port altier et aux couleurs vives, animaux dressés sur les pattes et regardant la terre de haut. C’était l’ère des dragons.
Les anges ne sont pas que des ingénieurs usant de leur maîtrise en génétique. Ils ont des visées spirituelles, car ils servent le Dieu qu’ils voient.
Ils firent donc les dragons pour les hommes, afin qu’ils servent un jour de signes vivants dans l’histoire spirituelle de l’humanité. Ils ne devaient pas seulement servir pour le moment où les hommes seraient arrivés dans l’autre monde et verraient de leurs yeux ce foisonnement de vie. Ils étaient faits pour devenir des signes, au moment voulu, et dès ici-bas. Et cela commença dès le début.
Quand les Vertus eurent fini de préparer à travers les espèces des primates un corps adapté, Dieu créa l’homme et la femme. C’était un homme et une femme bien en chair, beaux comme un commencement de vie et dotés d’une vraie vie spirituelle, fine et délicate. Dieu ne se montrait pas mais faisait sentir sa présence par des caresses à Adam et Eve. Il leur donna toute liberté, tous les plaisirs et sa présence. Il ne leur interdit qu’une chose : mettre au cœur de leur choix, à la première place, autre chose que l’humilité de leur amour pour Dieu et pour le prochain.
Alors le chef suprême des hiérarchies angéliques pirates, Lucifer, reçut la permission de leur apparaître. C’était une mission importante, car l’amour de Dieu, s’il est une bonne chose, ne se construit pas sans liberté. Et pour être libre, il faut pouvoir choisir autre chose. Adam et Ève furent préparés à la rencontre avec Lucifer, longuement, par leurs deux anges gardiens.
Le chef hacker choisit soigneusement le corps apparent qu’il devait revêtir à cette occasion, car on ne parle bien à des humains que par leurs sens. Parmi toutes les créatures qu’il avait vu passer sur terre, depuis un milliard d’années, il choisit l’apparence d’un magnifique dragon rouge feu (Apocalypse 12, 3), dont la beauté physique rayonnait de noblesse et de grandeur. En effet, jamais il n’avait vu rien de plus grand et de plus froid et précis, ressemblant sensiblement à ses visées spirituelles. C’est ainsi qu’il apparut à Ève et Adam, frappant d’admiration leur imagination. Et on connaît le dialogue qui s’en suivit. Il est retraduit ici en langage clair (Genèse 3, 1) :
« Ainsi donc Dieu vous a interdit de faire quoi que ce soit sans sa permission ? dit Lucifer.
— Pas du tout ! répondit Ève. Nous pouvons tout faire. Une seule chose nous est interdite : mettre l’humilité de l’amour en second dans nos vies ! Sinon, Dieu s’en ira et nous nous retrouverons seuls et malheureux.
— Pas du tout ! Vous ne vous retrouverez pas seuls. Mais Dieu sait que si vous choisissez vous-mêmes ce qui est bien et ce qui est mal, vos yeux s’ouvriront. Et vous deviendrez comme lui, puissants, maîtres de votre destin, debout quoi. »
Adam et Ève trouvèrent que c’était en effet une perspective intéressante. Ils décidèrent d’essayer. Et Dieu s’effaça de leur vie.
C’est ainsi que Lucifer, sous forme d’un dragon rouge feu, participa de sa propre initiative à la parabole antique des reptiles dressés.
L’aventure des dragons dura plus de 180 millions d’années. On n’imagine pas la diversité de leurs formes, des couleurs, de leurs mœurs. Et les individus qui passèrent sur terre et dont les esprits animaux peuplent aujourd’hui l’autre monde sont si nombreux qu’ils donnent une idée de la grandeur de l’univers nouveau qui nous accueillera à notre mort.
Vers 65 millions d’années avant l’homme, l’ordre angélique des Princes, qui veillait à cette époque sur les diverses espèces de dinosaures, décida que leur nombre était suffisant et qu’il fallait passer à autre chose. C’est ainsi qu’Azraël, le Prince de la destruction, déclencha le feu du ciel sous forme d’un billard cosmique. La météorite qu’il précipita sur la terre fut calibrée à cette fin.
Pour que la parabole fût parfaite, les Princes destructeurs décidèrent de ne faire disparaître, parmi les reptiles, que ceux qui manifestaient une dignité animale soit en volant, soit en courant sur des pattes dressées, soit en dominant les océans. Pour cela, ils ajoutèrent au feu et au froid provoqués par la comète des maladies ciblées. Les petits dinosaures cachés en compagnie des serpents dans les trous secrets de la terre furent ainsi eux aussi poursuivis et enlevés de la terre.
C’est ainsi que, jusqu’à aujourd’hui, tout ce qui subsiste de reptiles au sang froid rampe sur son ventre. Serpents, crocodiles, lézards, tortues et autres se glissent sur la terre, tête en avant, discrets. Et les biologistes se demanderont longtemps pourquoi…
« Alors Yahvé Dieu dit au serpent : “Parce que tu as fait cela, maudit sois-tu entre tous les bestiaux et toutes les bêtes sauvages. Tu marcheras sur ton ventre et tu mangeras de la terre tous les jours de ta vie.” » (Genèse 3, 14)
Tout cela était une parabole. Elle devait trouver sa réalisation spirituelle au moment voulu. Lorsque Lucifer eut fait tombé Adam et Ève dans le piège de la liberté sans amour, il ne crut pas son action éteinte. Son esprit subtil sut qu’il n’avait pas gagné. Il devait habituer ces deux benêts à l’égoïsme, les faire s’y complaire jusqu’au moment de leur mort, afin que, leur apparaissant de nouveau, sous forme d’un dragon rouge feu au port altier, ils le suivent cette fois pour l’éternité dans sa révolte. Lucifer et ses anges se faisaient fort de révolter l’univers entier contre ce projet inénarrable de Dieu qui prétendait donner la royauté éternelle… aux plus humbles. C’est ainsi que l’ange révolté, noble créature s’il en est, se glissa cette fois, tête première et en toute discrétion, dans les méandres du psychisme d’Adam et Ève où il se lova. Il se fit serpent (Satan), discret et rampant. Et il commença à s’amuser : « Adam et Ève virent qu’ils étaient nus, écrit la Bible (Genèse 3, 7) et ils eurent honte ». C’est vrai qu’il est insupportable pour un esprit à peine sorti de l’innocence, de voir sa chair se comporter comme celle d’un grand singe pulsionnel… A vrai dire, le Satan devenu serpent n’avait qu’à appuyer légèrement sur les commandes mal gréées du psychisme humain pour le faire se diriger contre la volonté. L’homme est si bête qu’il tuerait son prochain pour un simple caillou précieux à ses yeux, du moment qu’il brille et qu’il est rare.
C’est depuis cette époque que Lucifer et ses anges rampent, proposant avec gourmandise aux pauvres humains des colifichets et des babioles matériels (plaisirs, richesses et honneurs sensibles) pour lesquels ils n’ont aucun goût…
Depuis des millénaires, l’humanité connaissait des fossiles de dinosaures, sans que leur vraie nature soit comprise. Pour les Chinois c’étaient des os de dragons (tiens…), pour les Européens des restes des géants et d’autres créatures tuées par le déluge. Les premières espèces identifiées et baptisées furent l’iguanodon, découvert en 1822 par le géologue anglais Gideon Mantell. Le premier article scientifique sur les dinosaures parut deux ans après, il fut publié par le révérend William Buckland, professeur de géologie à l’université d’Oxford, et concernait le mégalosaure, dont un fossile avait été découvert près d’Oxford. L’étude de ces « grand lézards fossiles » fit l’objet d’un grand intérêt dans les cercles scientifiques européens et américains, et le paléontologiste anglais Richard Owen inventa le terme « dinosaure » en 1842.
Et, comme par hasard, c’est à cette époque-là que, lentement et par étape, le cadavre de l’ancien dragon commença à préparer sa résurrection. Ainsi les temps indiqués pour le retour du dragon commencèrent. Les anges de Dieu en avertirent l’humanité à la manière de Dieu, c’est-à-dire sous la forme cachée d’un petit signe que ne comprirent que les vautours (Matthieu 24, 28 : ceux qui comprennent l’humilité et l’amour). Cette année-là, une très jeune religieuse, qu’on appelle aujourd’hui sainte Catherine, vit la mère de Jésus. La Vierge Marie, il faut le dire, est, de mémoire universelle, la seule personne totalement humaine qui n’écouta jamais Lucifer. Elle apparut donc et dit à Catherine Labouré :
« Faites frapper une médaille sur ce modèle. Les personnes qui la porteront avec confiance jouiront d’une protection toute spéciale de la Mère de Dieu. »
Sur cette médaille, parmi une dizaine de symboles, apparaît une femme, des rayons lumineux sortent de ses mains. Ces rayons illuminent le globe terrestre sur lequel elle se tient debout. Et de son pied elle écrase un serpent.
Quel rapport avec le dragon ?
C’était le signe attendu, le grand signe dont saint Jean avait vu l’image 1800 ans plus tôt puisque l’Apocalypse 12 annonce explicitement ce grand signe : « Un signe grandiose apparut au ciel : une Femme ! le soleil l’enveloppe, la lune est sous ses pieds et douze étoiles couronnent sa tête ; elle est enceinte et crie dans les douleurs et le travail de l’enfantement. Puis un second signe apparut au ciel : un énorme Dragon rouge feu, à sept têtes et dix cornes, chaque tête surmontée d’un diadème. »
Et il est vrai qu’à partir de cette époque, l’égoïsme humain prit des formes nouvelles et mondiales. Des centaines de millions de meurtres perpétrés soit pour l’argent (capitalisme pur et communisme), soit pour la gloire (nationalisme et nazisme), soit pour préserver son plaisir (hédonisme, avortement, eugénisme). Ce n’était pas encore l’orgueil lucide et fier du dragon premier, mais le serpent semblait de redresser, s’efforcer de quitter la poussière de sa reptation dans les âmes.
La fascination des humains pour les antiques dragons était générale. Et on commença à les animer de plus en plus, d’abord sous forme de reconstitutions et d’images, puis de films de plus en plus réalistes. En 1997, un film particulièrement fort sortit sur les écrans, Jurassic Park, mettant en scène ces animaux. Mais ce n’étaient encore que des animaux virtuels, en images. Pourtant, le signe des temps se faisait de plus en plus fort, indiquant l’état spirituel du monde dans sa partie visible. Dans ce film, un savant original, sensible plus qu’il ne le faut aux significations des temps, prononce les phrases suivantes, prophétiques :
Dieu créa le dinosaure.
Dieu détruisit le dinosaure.
Dieu créa l’homme.
L’homme détruisit Dieu.
Alors l’homme recréa le dinosaure.
Politiquement, cette époque-là était celle d’une humanité pacifiée mais très angoissée. Depuis longtemps, la paix avait été faite. Les nations étaient devenues des régions et un gouvernement mondial avait banni toutes les armes de destruction massive. Le niveau de vie était partout extraordinaire. Et pourtant la génération des jeunes était malheureuse. Elle errait sans but dans un confort universel, ne sachant comment occuper cette liberté qu’elle n’appréciait pas, puisqu’elle ne l’avait pas conquise. Des suicides collectifs étaient organisés entre eux. Souvent, du haut d’un immeuble, cinq ou six adolescents vêtus de noir se jetaient ensemble, se tenant par la main. Et on retrouvait dans leurs journaux électroniques des paroles de ce style : « A quoi bon. La vie ne sert à rien. » Le problème était mondial et tragique.
C’est vers cette époque que fut élu le président Petros Simonos à la tête du gouvernement mondial. C’est lui qui prit en main avec courage et énergie la question du suicide et de la drogue chez les jeunes. Ses discours n’étaient absolument pas politiquement corrects. Il aborda sans détour la question religieuse qui était taboue depuis près d’un siècle, depuis l’interdiction des anciennes superstitions. Il dit :
« Nos jeunes se suicident car la vie n’a pas de sens. Ne voyez-vous pas ce qui leur manque ? Une religion. Croyez-vous que l’homme puisse vivre seulement de pain et de jeu ? »
Ensuite, s’appuyant sur les immenses progrès des sciences physiques et biologiques, il osa dire :
« Ne comprenez-vous pas l’évidence ? Croyez-vous encore à ce conte du XXe siècle sur l’apparition du monde “par hasard” ? »
C’est lui qui proposa à l’humanité de se réconcilier avec le Créateur et qui rétablit la religion. Les jeunes le suivirent avec enthousiasme car son discours parlait enfin de vie éternelle. Il disait :
« Dieu nous veut vivants et libres. Et ceux qui marchent droit en aimant la vie, il leur donnera la vie éternelle. Vivez donc. Profitez du bonheur d’être. »
On n’imagine pas l’accueil enthousiaste qui lui fut fait, comme de l’eau sur une terre aride.
« Je vis ensuite surgir de la terre une autre Bête ; elle avait deux cornes comme un agneau, mais parlait comme un dragon. Au service de la première Bête, elle en établit partout le pouvoir, amenant la terre et ses habitants à adorer cette première Bête dont la plaie mortelle fut guérie. Elle accomplit des prodiges étonnants : jusqu’à faire descendre, aux yeux de tous, le feu du ciel sur la terre ; et, par les prodiges qu’il lui a été donné d’accomplir au service de la Bête, elle fourvoie les habitants de la terre, leur disant de dresser une image en l’honneur de cette Bête qui, frappée du glaive, a repris vie. On lui donna même d’animer l’image de la Bête pour la faire parler, et de faire en sorte que fussent mis à mort tous ceux qui n’adoreraient pas l’image de la Bête. » (Apocalypse 13, 11)
C’est aussi à cette époque que les travaux des biologistes aboutirent. Ils comprirent de plus en plus profondément l’ADN. A partir d’animaux simples, ils saisirent de mieux en mieux la façon dont il avait été pensé par modules en interdépendance. Ensuite par l’analogie des mammifères, et la comparaison des ADN, ils comprirent que, entre une souris et un éléphant, seuls quelques modules secondaires étaient changés. Ils en conclurent que se trouvait cachée la quasi-totalité de l’ADN des dinosaures dans les lézards… En laboratoire, les biologistes commencèrent donc à jouer sur les critères de forme. Et d’étape en étape, d’harmonisation en harmonisation, ils obtinrent d’abord un petit reptile qui marchait debout sur ses quatre pattes. Ils gardèrent secrète cette première réussite. Ensuite, pour l’essai suivant, ils appliquèrent des gènes sélectionnés quant au contrôle de la taille. L’animal obtenu fut incubé en œuf artificiel. Ils le laissèrent grandir à l’abri des regards curieux et quand il eut atteint la taille imposante de six mètres, ils le présentèrent au public. C’était un superbe dinosaure carnivore, étonnant de puissance et de noblesse. Il regardait la foule, debout…
Réaction de Pierre, 16 ans :
— Je ne vois pas le problème. Le dinosaure est recréé, c’est super. Pourquoi en faire un signe négatif, puisque tout va bien et que même la religion revient ?
— Est-ce la religion du vrai Dieu, celui qui voulait donner à l’homme le paradis à la mesure de l’humilité de son amour ?
— Non… on dirait plutôt celle de Lucifer…
— C’est vrai.
Réaction de Jean, 16 ans :
— Dans ce cas, c’est simple. Si on veut empêcher la venue du dernier Antéchrist, il suffit d’empêcher l’humanité de recréer le dinosaure.
— Casser le thermomètre, ce n’est pas supprimer la fièvre… La recréation du dinosaure, ce sera peut-être à observer. Et si cela se fait, ce sera juste un signe des temps, un clin d’œil des Anges pour reconnaître l’époque de ces événements…
Réaction de Jacques, 11 ans :
— De toute façon, si Dieu permet cela un jour, c’est qu’il saura en faire sortir encore plus de bien pour les pauvres gens de cette époque.
— Tout est dit. Mais c’est une autre histoire…
Arnaud Dumouch, décembre 2005
Illustrations : Maximilie Sente