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Le signe du « samedi saint »

Le rôle de Marie

(Attention, ceci n’est pas une prophétie. Juste un conte.)

La prière de Marie, dessin du peintre Alexander Zvjagin.
Dessin de l’artiste Alexander Zvjagin

 

« Se retournant, Pierre aperçoit, marchant à leur suite, le disciple que Jésus aimait, celui-là même qui, durant le repas, s’était penché sur sa poitrine et avait dit : “Seigneur, qui est-ce qui te livre ?” Le voyant donc, Pierre dit à Jésus : “Seigneur, et lui ?” Jésus lui dit : “Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne, que t’importe ? Toi, suis-moi.” Le bruit se répandit alors chez les frères que ce disciple ne mourrait pas. Or Jésus n’avait pas dit à Pierre : “Il ne mourra pas”, mais : “Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne.” C’est ce disciple qui témoigne de ces faits et qui les a écrits, et nous savons que son témoignage est véridique. » (Jean 21, 20)

 

Ce conte voudrait raconter les derniers temps de l’Église, ceux qui précèderont le retour du Christ dans sa gloire. Il voudrait montrer comment ces temps réaliseront la dernière prophétie de Jésus, juste avant son départ, et répondront à la question qu’il pose dans l’Évangile (Luc 18, 8) : « Mais le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »

Ce conte veut raconter comment, lorsque Jésus reviendra, il trouvera l’Église la plus puissante, la plus glorieuse qu’on puisse imaginer. Jamais on n’en aura vu une plus sainte, sauf une fois : un certain samedi saint de la Pâque de l’an 30, lorsque la totalité des croyants se réduisait à une poignée de personnes, Marie et les quelques femmes qui l’entouraient. Ce jour-là, même Jean douta, quoiqu’il restât sans cesse dans l’écoute du silence de celle qu’il avait reçue comme mère.

La paix d’Agnès, de Cécile et d’Anastasie

Agnès avait 25 ans. Elle vivait au XXIIe siècle dans la région de France. C’était une époque magnifique. Il faisait bon vivre sur la terre où tous les maux de jadis étaient oubliés. Même le cancer avait été vaincu et la civilisation des loisirs qu’on avait créée grâce à la totale mécanisation des tâches serviles permettait de vivre heureux de l’Orient à l’Occident, de l’Afrique au Spitzberg. L’humanité n’avait pu atteindre un tel degré de civilisation et d’unité que grâce à l’accumulation des expériences et tentatives avortées du passé. Depuis le XIXe siècle, tout avait été expérimenté, tous les excès, excès de l’argent, excès de la gloire et excès des plaisirs. L’humanité avait appris dans le sang et les larmes que le bonheur est dans un juste milieu.

Les gouvernements du monde s’étaient réunis tout entiers autour de l’idée extraordinairement simple de « l’homme ». Cette valeur, occidentale à l’origine, s’était répandue finalement dans le monde entier, remplaçant les anciennes religions.

Agnès était étudiante. Elle apprenait l’ancien égyptien à l’université de Louvain la Neuve, en Belgique. Cette civilisation ancienne l’avait toujours attirée à cause d’une phrase de l’évangile de saint Matthieu 2, 15 : « D’Égypte j’ai appelé mon fils. » Car Agnès était chrétienne. Une chrétienne anachronique dans un monde où la religion était étudiée comme on étudie l’antiquité. Elle faisait partie d’une de ces familles des « pauvres de Jésus » qui se transmettaient, de génération en génération et surtout par les femmes, le secret de l’Évangile. C’était un petit livre que le dernier des papes de l’Église avait rédigé. Il y racontait de manière simple, en complément aux livres saints, la totalité de ce que 2100 ans d’Église et de Magistère avaient compris. Et surtout, il y expliquait pour la génération future le « samedi saint » à venir. Il y parlait de ce temps où les disciples du Christ devraient vivre sans les sacrements, n’ayant pour seul support que trois choses, trois secrets qu’ils devaient garder dans l’Arche sainte de leur cœur, à l’image de l’Arche d’Alliance des anciens Hébreux qui contenait : d’abord « la manne », c’est-à-dire la prière, le cœur à cœur avec Jésus, avec Marie et les saints ; « les tables de la loi, gravées par Dieu » qui étaient le livre de la Parole de Dieu contenue dans la Bible ; et enfin « le bâton d’Aaron qui avait fleuri » qui était l’explication authentique de l’Evangile par l’autorité des papes.

Il y racontait comment ce samedi saint serait de courte durée, comment il précèderait et cette fois de manière universelle et non par le passage individuel de la mort de chacun, le retour du Christ dans sa gloire. Il y rappelait cette certitude simple, d’avoir à imiter la paix et l’attente de Marie le samedi saint.

Agnès alla rejoindre son amie Cécile dans la chambre d’étudiante d’Anastasie. Elles s’étaient rencontrées devant l’université de Droit. Elles s’étaient reconnues en remarquant la médaille miraculeuse, celle de la rue du Bac, que portait Agnès, à la manière de ces bijoux à la mode qu’aiment arborer les jeunes par provocation. Et elles récitèrent le chapelet.

Les deux témoins

Fatima aussi avait 25 ans. Elle venait souvent les rejoindre pour parler avec elles de leur espérance commune. Fatima était musulmane et depuis que les lieux saints de l’islam avaient disparu, les musulmans et les chrétiens s’étaient rapprochés, chacun apprenant à garder et à respecter la foi de l’autre. Avec ses amies, elle avait appris à comprendre plus profondément sa religion et le mystère de ses épreuves. Pour elle, la dernière prophétie, tirée des paroles authentiques du Prophète, avait pris sens : « L’islam a commencé étranger et finira étranger. » Le sens lui en paraissait évident : il s’agissait de l’annonce explicite d’une diminution de puissance, d’un cheminement de la religion islamique vers la pauvreté, la petitesse et la faiblesse. Cette prophétie ressemble fort à celle qui s’applique au christianisme. Elle connaissait même ce Hadith de Muslim qui racontait comment l’islam de la fin du monde serait comme au temps béni de Médine. « Il y aura toujours une partie de ma communauté qui combattra ouvertement dans la voie de la vérité jusqu’à la fin des temps. Issa le fils Maryama (Jésus) descendra et le Commandeur de ses croyants lui dira : viens diriger notre prière, et Issa répondra : non, continue à diriger la prière car vous êtes de la communauté de Mohamed, chacun peut présider la prière de l’autre. »

Les musulmans aussi avaient reçu des directives de leur prophète pour vivre ce temps : « l’Antéchrist attirera beaucoup de monde à lui car il donnera à boire et à manger. Les musulmans seront tentés de le suivre et d’apostasier leur foi. Mais les musulmans fidèles mangeront (seront nourris par) le dikrh, le Rappel d’Allah, la prière récitée cinq fois par jour. Soubhannallah ! Hamdoulillah ! Allahouakbar ! »

La jeune fille ne récitait pas le chapelet avec ses amies mais aimait discuter de la proximité de la venue du Messie. Et elle se demandait souvent si le Seigneur Issa, quand il viendrait accompagné de sa mère Mariam, lui proposerait d’être son épouse, se déclarant Dieu, ou si toutes les quatre devraient accepter de devenir des servantes de Dieu, Jésus se reconnaissant simple humain. Les quatre jeunes filles étaient joyeuses. Les chrétiennes disaient qu’elles seraient heureuses d’être servantes dans le Royaume de Dieu et la musulmane répétait que, peut-être, elle vivrait ce jour-là ce que Cendrillon n’avait osé espérer.

Sans le savoir, dans leur petite chambres de Louvain la Neuve, se réalisait cette prophétie de l’Apocalypse 11, 3 : « Mais je donnerai à mes deux témoins de prophétiser pendant 1.260 jours, revêtus de sacs. Ce sont les deux oliviers et les deux flambeaux qui se tiennent devant le Maître de la terre. »

Du haut du Ciel

L’autre monde était présent et assistait à ce chapelet. Saint Dominique était là, en compagnie de saint Louis-Marie Grignion de Montfort. Ils se disaient : « Quelle simplicité. Elles s’aiment et s’entendent alors qu’elles n’ont pas la même foi. Nous n’aurions pas pu, à notre époque, n’est ce pas ?

— Et c’est partout pareil dans le monde là où sont les croyants… Il y a maintenant beaucoup d’humilité dans l’amour.

— Dieu ne tiendra pas longtemps dans le silence. Il ne résiste pas à l’humilité…

— Tu te rappelles, disait saint Dominique, ce que tu écrivais dans ton Traité de la vraie dévotion à Marie ?

— Oui, et elles ne devinent même pas que c’est d’elles que je parlais. Elles attendent de grands prédicateurs. »

Et saint Louis-Marie Grignion récita[1]:

« Ces grandes âmes, pleines de grâce et de zèle, seront choisies pour s’opposer aux ennemis de Dieu, qui frémiront de tous côtés, et elles seront singulière­ment dévotes à la Très Sainte Vierge, éclairées par sa lumière, nourries de son lait, conduites par son esprit, soutenues par son bras et gardées sous sa protection, en sorte qu’elles combattront d’une main et édifieront de l’autre. D’une main, elles combattront, renverse­ront, écraseront les hérétiques avec leurs hérésies, les schismatiques et leurs schismes, les idolâtres avec leur idolâtrie, et les pécheurs avec leurs impiétés ; et, de l’autre main, elles édifieront le temple du vrai Salomon et la mystique cité de Dieu.

Mais qui seront ces serviteurs, esclaves et enfants de Marie ? Ce seront un feu brûlant, ministres du Seigneur qui mettront le feu de l’amour divin partout. Ce seront comme des flèches dans la main du puissant[2], dans la main de la puissante Marie pour percer ses ennemis. Ce seront des enfants de Lévi, bien purifiés par le feu de grandes tribulations et bien collés à Dieu, qui porteront l’or de l’amour dans le cœur, l’encens de l’oraison dans l’esprit et la myrrhe de la mortification dans le corps, et qui seront partout la bonne odeur de Jésus-Christ aux pauvres et aux petits, tandis qu’ils seront une odeur de mort aux grands, aux riches et aux orgueilleux mondains.

Ce seront des nuées tonnantes et volantes par les airs au moindre souffle de l’Esprit Saint, qui, sans s’attacher à rien ni s’étonner de rien, ni se mettre en peine de rien, répandront la pluie de la parole de Dieu et de la vie éternelle ; ils tonneront contre le péché, ils gronderont contre le monde, ils frapperont le diable et ses suppôts, et ils perceront d’outre en outre, pour la vie ou pour la mort, avec leur glaive à deux tranchants de la parole de Dieu, tous ceux auxquels ils seront envoyés de la part du Très‑Haut.

Ce seront des apôtres véritables des derniers temps, à qui le Seigneur des vertus donnera la parole et la force pour opérer des merveilles et remporter des dépouilles glorieuses sur ses ennemis ; ils dormiront sans or ni argent et, qui plus est, sans soin, au milieu des autres prêtres, et ecclésiastiques et clercs ; et cependant ils auront les ailes argentées de la colombe, pour aller avec la pure intention de la gloire de Dieu et du salut des âmes, où le Saint-Esprit les appellera, et ils ne laisseront après eux, dans les lieux où ils auront prêché, que l’or de la charité qui est l’accomplissement de toute la loi.

Enfin, nous savons que ce seront de vrais disciples de Jésus-Christ, qui marcheront sur les traces de sa pauvreté, humilité, mépris du monde et charité, enseignant la voie droite de Dieu dans la pure vérité, selon le saint Évangile, et non selon les maximes du monde, sans se mettre en peine ni faire acception de personne, sans épargner, écouter ni craindre aucun mortel, quelque puissant qu’il soit. Ils auront dans leur bouche le glaive à deux tranchants de la parole de Dieu. Ils porteront sur leurs épaules l’étendard ensanglanté de la Croix, le crucifix dans la main droite, le chapelet dans la gauche, les sacrés noms de Jésus et de Marie sur leur cœur, et la modestie et mortification de Jésus-Christ dans toute leur conduite.

Voilà de grands hommes qui viendront, mais que Marie fera par ordre du Très-Haut pour étendre son empire sur celui des impies, idolâtres et Mahométans. Mais quand cela sera-t-il ? Dieu seul le sait : c’est à nous de nous taire, de prier, soupirer et attendre : Expectans expectavi. »

Partout dans le monde

La jeunesse, la vieillesse de ce XXIIe siècle étaient bien tristes. Et pourtant, tous avaient des raisons de se réjouir. Comme la vie était belle ! De leurs parents, la génération nouvelle héritait non seulement d’un monde stabilisé où la nature elle-même retrouvait par pans entiers ses droits, mais elle héritait de la promesse d’une longue vie de jeunesse. Les enfants étaient conçus dans des centres génétiques, à partir de la semence des parents. On modifiait juste quelques portions de gènes et l’espérance de vie des embryons réimplantés passait de 120 ans à plus de 800 ans.

Pourtant… pourtant… les dirigeants de la planète n’arrivaient pas à donner une explication à ce feu qui brûlait les cœurs et poussaient des dizaines de milliers de gens à se jeter sous les trains, à sauter des immeubles, à avaler des somnifères. Et le trafic de drogue ne cessait d’augmenter. Les jeunes se réunissaient en groupes, tout habillés de noir.

Mais, dans leur errance, un courant se répandait, transformant les plus désespérés en anges de paix. Partout une légende se racontait, la légende du « samedi saint ». Celle d’une Église qui devait être humiliée comme Jésus, provoquant par sa grande humilité le retour du Messie…

Elle était racontée aussi sous une autre version, celle du « sacrifice d’Ismaël ». Cette version-là disait que l’islam, symbolisé par Ismaël dans le Coran, avait dû imiter le sacrifice effectué par Abraham sur son fils. Ainsi l’islam, petit et faible, était-il presque mort. Mais, au dernier moment, avant que le sacrifice ne soit accompli, Dieu ferait apparaître un Agneau pour prendre sa place.

Et chacun s’interrogeait en se disant : « Quel est cet agneau qui doit revenir ? Est-ce vrai qu’on doit attendre la venue d’un Sauveur ? »

Ce courant qui envahissait la jeunesse inquiétait les dirigeants du monde sans Dieu. Ils analysaient le problème et en arrivaient à la conclusion des anciens philosophes grecs : « Décidément, l’homme est un animal religieux. » Sans que personne le devine s’accomplissait une fois de plus devant les yeux du monde cette ancienne prophétie (Apocalypse 11, 7) :

« Mais quand mes deux témoins auront fini de rendre témoignage, la Bête qui surgit de l’Abîme viendra guerroyer contre eux, les vaincre et les tuer. Et leurs cadavres, sur la place de la Grande Cité, Sodome ou Égypte comme on l’appelle symboliquement, là où leur Seigneur aussi fut crucifié, leurs cadavres demeurent exposés aux regards des peuples, des races, des langues et des nations, durant trois jours et demi, sans qu’il soit permis de les mettre au tombeau. Les habitants de la terre s’en réjouissent et s’en félicitent ; ils échangent des présents, car ces deux prophètes leur avaient causé bien des tourments.

Mais, passés les trois jours et demi, Dieu leur infusa un souffle de vie qui les remit sur pieds, au grand effroi de ceux qui les regardaient. J’entendis alors une voix puissante leur crier du ciel : “Montez ici !” Ils montèrent donc au ciel dans la nuée, aux yeux de leurs ennemis. »

Du coup, inquiets de ce renouveau des anciennes croyances, les dirigeants éclairés du monde méditaient pour trouver une religion nouvelle, capable de mettre un pansement sur le feu des cœurs. L’épreuve n’était donc pas finie. Un dernier Antéchrist devait venir. Mais c’est une autre histoire…

Arnaud Dumouch, 25 décembre 2005

 

1. Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge, Édition du Seuil, Paris, 1966, pp. 49 et suivantes. [↩]

2. Psaume 126, 4. [↩]

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