Accueil  >  Contes  >  Tome 3 : La fin du monde  >  L’anneau du pêcheur

 

L’anneau du pêcheur

L’errance de la papauté, par Jean Raspail
(Attention, ceci n’est pas une prophétie. Juste un conte théologique.)

Les larmes de saint Pierre, tableau du peintre Georges de La Tour.
Les larmes de saint Pierre (Georges de La Tour)

 

« Quand ils eurent déjeuné, Jésus dit à Simon-Pierre : “Simon, fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci ?” Il lui répondit : “Oui, Seigneur, tu sais que je t’aime.” Jésus lui dit : “Pais mes agneaux.” Il lui dit à nouveau, une deuxième fois : “Simon, fils de Jean, m’aimes-tu” – “Oui, Seigneur, lui dit-il, tu sais que je t’aime.” Jésus lui dit : “Pais mes brebis.” » (Jean 21, 15-22)

« Il lui dit pour la troisième fois : “Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ?” Pierre fut peiné de ce qu’il lui eût dit pour la troisième fois : “M’aimes-tu”, et il lui dit : “Seigneur, tu sais tout, tu sais bien que je t’aime.” Jésus lui dit : “Pais mes brebis. En vérité, en vérité, je te le dis, quand tu étais jeune, tu mettais toi-même ta ceinture, et tu allais où tu voulais ; quand tu auras vieilli, tu étendras les mains, et un autre te ceindra et te mènera où tu ne voudrais pas.” Il signifiait, en parlant ainsi, le genre de mort par lequel Pierre devait glorifier Dieu. Ayant dit cela, il lui dit : “Suis-moi.” Se retournant, Pierre aperçoit, marchant à leur suite, le disciple que Jésus aimait, celui-là même qui, durant le repas, s’était penché sur sa poitrine et avait dit : “Seigneur, qui est-ce qui te livre ?” Le voyant donc, Pierre dit à Jésus : “Seigneur, et lui ?” Jésus lui dit : “Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne, que t’importe ? Toi, suis-moi.” » (Jean 21, 17)

 

Un récit romancé récent, passé presque inaperçu, semble indiquer une prise de conscience de plus en plus forte d’une partie des chrétiens à l’égard de la proximité de la passion de l’Église. Dans son roman L’anneau du pécheur, Jean Raspail (Albin Michel, 1995) rapporte une parabole qu’il faut lire pour comprendre ce que pourrait être le témoignage final des papes.

Il raconte qu’à Rome, dans la crypte souterraine du Vatican où reposent la plupart des papes de l’histoire, près du tombeau de Jean XXIII, une pierre tombale sans date porte sur le côté l’inscription Benedictus. Elle est très récente puisqu’elle fut posée en 1994. Elle contient les restes d’un homme pauvre, décédé dans le sud de la France. Son corps fut ramené par un évêque au service de l’État du Vatican. Or cet homme était pape, un vrai pape de l’Église catholique romaine, dont la lignée apostolique remonte à la fin du XIVe siècle. A cette époque, un grand schisme eût raison de la papauté d’Occident et la divisa en deux puis bientôt en trois papes. Or, l’un d’eux, Clément VII, fut élu en Avignon selon les règles canoniques. En fin de compte et pour mettre fin au schisme, les trois papes furent déposés par un Concile (Constance, 1417). Un quatrième pape fut élu, à l’origine des actuels papes de Rome.

Loin de renoncer, le successeur de Clément VII, nommé Benoît XIII (Benedictus PP. XIII), résista dans le sud de la France et en Espagne. Il eut un successeur, puis un autre et, les uns après les autres, de moins en moins connus, de plus en plus­ pauvres, la lignée des papes prénommés Benoît perdura jusqu’à aujourd’hui.

Devenus mendiants, ils ne gardaient plus sur eux que trois objets témoins de leur gloire passée, l’anneau papal ou anneau du pécheur donné au pape Benoît XIV, un calice pour leur office de prêtre, et une étole rouge, couleur du martyre. Ils trouvaient toujours quelques jeunes vocations pour adhérer à leur Église parallèle et la faire durer, jusqu’au dernier d’entre eux qui se trouva seul et incapable de s’assurer un successeur. Il fut rejoint par la crise religieuse de l’Occident. Il mourut en 1994 auprès d’un prêtre envoyé par Rome, alors qu’il s’était mis en marche vers cette ville. On trouva dans ses papiers, outre le récit d’une aventure de sept siècles, la prophétie suivante :

« J’ai vécu longtemps et j’ai vu le monde changer. Il y a des choses que je sais. Je dirai de quelle façon. C’est pourquoi je dois aller à Rome. Avant cinquante ans, plus tôt peut-être, deux forces s’y opposeront et le pape se souviendra du destin du pape Pedro de Luna et de ses trente-deux successeurs qui ne laissèrent aucune trace sur cette terre ».

Le pape Jean-Paul II, raconte Jean Raspail, fut frappé par cette histoire. Il fit transférer les restes de Benoît à Rome. Le fait que cette succession de papes ait duré jusqu’à aujourd’hui, sous le nom de Benoît (Bénis) et qu’elle ait émaillé son histoire par des miracles réalisés ici ou là lui parut une marque de l’action de Dieu. Ces papes ne sont-ils pas une prophétie vivante, une image de l’avenir de la papauté de Rome ? D’après le roman de Jean Raspail, le commentaire de Jean-Paul II fut le suivant[1]:

« La simplicité de Benoît, son humilité, son dénuement, sa naïveté, sa solitude, sa fonction pontificale réduite à celle des premiers âges, quand l’apôtre Pierre, tout aussi seul, errait sur les routes de l’Empire sans grand espoir d’être écouté… Pierre était le commencement. Benoît ressemble à une fin qui aurait été anticipée. Tout cela a profondément ému le Saint-Père. À ses proches il a dit que viendrait un jour où l’enseignement de l’Église serait unanimement rejeté parce que devenu inapplicable au regard de la morale admise et de la religion du progrès. Il a dit que l’Église catholique serait déchirée, ses gros bataillons prêts à s’incliner. Il a dit que la conscience internationale contre laquelle il s’est déjà élevé sans succès enjoindrait au pape de se soumettre, lui-même ou l’un de ses proches successeurs, qu’un concile l’imposerait à la lumière d’une nouvelle lecture de l’Évangile, et qu’il ne resterait plus au pape qu’à quitter Rome et disparaître, comme Benoît. Pour traverser encore d’autres siècles, comme Benoît. L’un et l’autre sont des fugitifs. »[2]

Quelle est la vérité de ce récit ? Peu importe. Il est prophétiquement vrai. Il raconte, mieux encore qu’un long traité de théologie, ce que j’entends par « témoignage final de la papauté ».

Arnaud Dumouch, 6 février 2006

 

1. Jean Raspail, L’anneau du pêcheur, Albin Michel, 1995, p. 226. [↩]

2. Rappelons que je ne cite ce texte de roman qu’au titre d’une belle histoire qui illustre mieux qu’une théorie. [↩]

Plan du site    |    Contact    |    Liens    |    Chapelle