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Le troisième Temple

(Attention, ceci n’est pas une prophétie. Juste un conte.
Il vise à donner, sous forme romanesque, une idée de
ce que pourraient être les signes de la fin du monde.)

Le Temple de Salomon.

 

« Il construisit le Temple et l’acheva, et il couvrit le Temple d’un plafond à caissons de cèdre. » (1 Rois 6, 9)

 

L’esplanade du Temple

L’esplanade du Temple, à Jérusalem, était déserte en ce matin du 8 septembre 2070. Il faisait encore nuit sur Jérusalem.

8 septembre 2070… Date anniversaire du plus terrible événement de l’histoire Juive, l’événement qui avait vu, exactement 2000 ans plus tôt, les armées du général Romain Titus s’emparer de Jérusalem. Et le temple, ce joyau d’architecture, centre de la vie juive, s’était embrasé d’un seul coup. Une simple torche lancée par un militaire avait suffit à anéantir les boiseries du Saint des Saints. Le reste, les Romains l’avait arasé jusqu’au sol, dans les mois qui avaient suivi.

Trois hommes marchaient sur la place. Ils étaient vêtus de longs manteaux noirs et leur tête était couverte d’une kippa de telle sorte qu’ils ressemblaient à des Juifs pieux. Visiblement, il s’agissait de dignitaires religieux, et ils parlaient doucement tout en regardant les pierres du dallage.

Le rabbin tenait à faire visiter l’endroit historique avant que la foule attendue ne se presse. Les célébrations commenceraient à 15 heures et on attendait, venant du monde entier, des délégations officielles importantes.

Il dégagea le cadenas d’une grille et leur montra l’état des fouilles réalisées sous le dallage. Il les fit entrer dans les caves voûtées dont on avait dégagé des milliers de tonnes de gravas, des tessons, du charbon de bois, des armes et des squelettes, vestiges de la ruine de la guerre contre les Romains. Des dizaines de milliers de squelettes en vérité. Les squelettes de tout un peuple, des hommes, des femmes et des enfants, dont les analyses biochimiques manifestaient l’importante dénutrition. On raconte que cette guerre avait vu périr un tiers des Juifs, dont certains des corps avaient été enfouis à peu de frais dans les caves du Temple. On y avait aussi trouvé une cave emplie de très ancien matériel liturgique, de facture commune, sans doute ce que les Romains avaient négligé de piller.

« Mes frères, dit enfin le grand rabbin, comment après tant d’histoire et de malheur, ce que nous vivons aujourd’hui est-il possible ? »

Le cardinal répondit :

— Tu sais, Nathanaël, quand je regarde l’histoire depuis un siècle et demi, je me dis que l’action de Dieu est grande. Il s’est servi de votre nation pour purifier le cœur de la terre entière.

— C’est vrai, commenta l’imam. Ce furent une série d’événements bouleversants et inimaginables. Cette shoah, par exemple, une folie organisée par quelques hommes, et une Europe entière qui s’y comporte comme pendant le procès de Jésus : il y a eu tous les types de courage et de lâcheté.

— N’en parlons pas, mes amis. Laissons place à la joie. C’est un grand jour, dit le Rabbin.

— Parlons-en au contraire, dit le Cardinal. Ce sont tous ces morts qui ont rendu les anciennes nations chrétiennes modestes et conscientes de ce qu’est la nature humaine. Sans ce crime, je ne serais pas là, à me réjouir de ce jour. Je serais sans doute en train d’affirmer que ce jour est un blasphème contre ma religion.

— C’est vrai, dit l’imam. Comme je vous comprends. Moi, j’en sais quelque chose. Regarde comme nous nous sommes nous-mêmes endurcis et aveuglés quand, après la shoah, Dieu – que son nom soit béni – vous a rendu votre terre. Pendant 50 ans, défaites après défaites, écrasement militaire après écrasement, nous n’avons pas cédé à Dieu, comme le pharaon de jadis. Pourtant, tout indiquait que Dieu était avec vous et voulait vous rendre cette terre.

— C’est à ce passage de la Bible que vous faites allusion ? demanda le rabbin : « Dieu endurcit le cœur de pharaon, afin de se glorifier aux dépens de pharaon. » (Exode 9, 12)

— Oui, exactement. Nous nous sommes obstinés. Notre haine et notre aveuglement étaient totaux, alors que nous avions des Hadiths de notre Prophète pour nous mettre en garde. Et il a fallu que nous perdions nous aussi, dans cette guerre folle, tous nos lieux saints et notre puissance politique, pour que nous comprenions.

— Ce qui a joué aussi, mes frères, dit le Rabbin, c’est l’immense perte de la foi qui a suivi ces événements, et ce dans le monde entier, et dans toutes les religions.

— A cet égard, ajouta l’imam, se tournant vers le catholique, à cet égard, il faut remercier l’Eglise. Je crois que si elle n’avait pas compris et expliqué aux musulmans, lorsque la grande apostasie a fondu sur eux, le sens de tout cela, nous nous serions désespérés. Nous sommes moins habitués que vous à contempler l’humilité. Notre prophète aimait la gloire.

— Mon frère, si vous n’aviez pas eu dans vos propres Écritures, cachée mais bien présente, l’annonce explicite de votre retour à l’âge d’or de Médine, l’âge où les musulmans n’avaient pas d’État mais la prière et l’humilité, vous n’auriez jamais reçu l’aide de notre expérience douloureuse.

Les trois religieux marchèrent encore. Ils arrivèrent au pied du mur de l’ancien temple, à l’endroit où apparaissaient encore la façade et les pierres de taille d’un reste de l’œuvre d’Hérode le Grand. Les trois frères récitèrent une prière : « Je changerai leur douleur en joie, dit le Seigneur. »

Le temple devait être consacré en ce jour. Et l’immense bâtisse, grandiose, s’élevait maintenant devant eux. On s’était conformé autant qu’on avait pu à la description faite par Ézéchiel dans sa célèbre vision (Ézéchiel 41-48) qui se terminait ainsi : « Le pourtour du temple mesurait 18.000 coudées. A partir de ce jour, le nom de la ville sera : “YHWH-SHAMMA” le Seigneur-est-là ». Les architectes avaient utilisé des matériaux nouveaux, transparents par endroits. Le troisième Temple était lumineux, à l’inverse du premier qui était intime et du second qui était monumental. Quant au Saint des Saints, qui occupait le centre du Temple, il avait été fait sur le modèle des directives de Moïse, à l’endroit exact où se trouvait jadis l’ancienne mosquée du Dôme, celle-là même qui avait été détruite par un bombardement allié pendant la guerre. Et c’est là que devait être introduite en ce jour l’arche d’Alliance, et que le Temple devait être consacré.

Et l’imam fit un large sourire, sincèrement heureux.

L’état du monde

Dès 9 heures du matin, de tout le pays d’Israël, les cars commencèrent à affluer, et les avions à l’aéroport international de Jérusalem-Capitale atterrissaient depuis trois jours. De toutes les nations, on arrivait chargé de présents et de dons en numéraire. Chacun voulait apporter son obole pour participer ! Dans le monde entier, l’événement était retransmis en direct.

Tout le monde, certes, n’était pas heureux. L’ancienne génération, particulièrement, avait beaucoup de mal. Mais personne n’était indifférent, parfois par goût de l’histoire ancienne et de cette reconstitution, le plus souvent à cause d’une sorte de fascination pour cette histoire qu’on sentait sacrée. Certains attendaient et espéraient un grand signe céleste.

A Nantes, en France, assis devant son ordinateur, un vieil homme regardait la retransmission de ce spectacle en se connectant directement sur les caméras numériques disséminées partout. Son visage était sombre et pessimiste. Il regardait en particulier la procession des prêtres qui, depuis trois jours s’avançait à pas lent depuis le désert du Sinaï, portant à douze porteurs l’étrange tabernacle doré que chacun voyait enfin. La marche était solennelle (2 Samuel 6, 13). Quand les porteurs de l’arche de Yahvé faisaient six pas, le Grand rabbin Nathanaël, premier grand prêtre du temple, revêtu de l’ancien costume sacerdotal, celui-là même que portait son ancêtre Aaron et qui avait été retrouvé dans la grotte sainte, offrait du pain et du vin qu’il répandait sur le sol devant l’arche. Le vieil homme, devant son écran, se scandalisait. Il discutait avec des amis par vidéoconférence : « Regardez ! Ils s’accaparent les symboles chrétiens. Finis, les sacrifices de boeufs et de veaux gras ! Encore une concession aux amis des animaux. » Et son ton était amer.

« Mes amis, tous ce que nous avions redouté arrive en ce jour. Vous vous rappelez que Julien l’apostat, l’empereur Romain, voulant ruiner le christianisme, avait dit : “Il y a dans l’évangile une prophétie qui dit que jamais on ne rebâtira le Temple de Jérusalem. Il suffit – et Julien en a le pouvoir – de rebâtir ce Temple et de dire au monde : voici le Temple sur pied. Votre Évangile est donc faux ; donc le christianisme s’est trompé. Voyez ailleurs.” Julien a échoué. Il a des disciples qui s’appellent francs-maçons et qui poursuivent le même dessein en d’autres temps avec d’autres moyens. Suis-je clair ? J’ajoute, pour être complet : Jésus dit à Céphas : “Tu t’appelleras Pierre et sur cette Pierre, je bâtirai mon Église et les portes de l’enfer ne prévaudront pas sur elle.” Le nouveau temple, c’est donc l’Église et pas cette bâtisse moderne. Quelle réussite aux Maçons de tous les temps ! »

Et ses amis approuvèrent. Leur visage respirait le pessimisme.

Mais la femme de cet homme, qui regardait aussi l’événement dans l’autre pièce, leur cria : « Vieux ronchonneurs ! Cela fait 40 ans que vous vous passez ce vieux film. Puisque le pape lui-même bénit sans retenue l’événement en s’appuyant sur la Bible, c’est que vous devez avoir mal compris les Ecritures. Vous seriez donc plus catholiques que le pape, vous ? Lisez donc (2 Maccabées 2, 7) : “Ce lieu sera inconnu, jusqu’à ce que Dieu ait opéré le rassemblement de son peuple et lui ait fait miséricorde. Alors le Seigneur manifestera de nouveau ces objets, la gloire du Seigneur apparaîtra ainsi que la Nuée, comme elle se montra au temps de Moïse et quand Salomon pria pour que le saint lieu fût glorieusement consacré.” Vous voyez. Il n’y a que de la bénédiction de Dieu là-dessous. »

Ce vieux couple, on le voit, vivait ce débat depuis le début de leur mariage…

A Riad, dans la maison de Mohamed Allamia, on était aussi réunis entre anciens combattants. Et on affichait le même visage triste. Mohamed, ancien chef militaire de la grande guerre, commentait :

« Leur complot aboutit aujourd’hui. Comme ils ont été rusés et habiles. Voilà l’aboutissement de cette guerre, provoquée par eux, où l’Occident entier a combattu contre nous. Et tout cela, toute cette ruine de l’islam pour récupérer Jérusalem et reconstruire leur Temple. Quel peuple maudit. »

Mais sa petite-fille qui passait par là, passa la tête dans la pièce et dit en riant : « Alors, on discute théorie du complot ? » Visiblement, à la réaction agacée des anciens, on devinait une rupture générationnelle.

L’Arche d’Alliance

Au début de l’après-midi, le cortège des prêtres de la maison de Lévi fut annoncé. Comme au temps de David, vêtus de costumes de lin, ils portaient l’Arche. On s’était efforcé de reconstituer, tout en en modernisant la liturgie, les fêtes de David. Des danseurs tournoyaient de toutes leurs forces devant Yahvé, ceints de pagnes de lin. Le président et tout le parlement d’Israël faisaient monter l’arche de Yahvé en poussant des acclamations et en sonnant du cor. On était amusé de voir ces hommes dignes, cravatés, manifestant un enthousiasme d’adolescents. Du coup, la joie se répandait partout dans Jérusalem. Les représentants de toutes les nations participaient aux danses d’Israël.

L’arche de Yahvé entra dans la Cité de David. Un silence respectueux se fit de part et d’autre des barrières canalisant les foules. Au passage de l’arche, des chrétiens se signaient, comme s’ils adoraient la présence réelle. Des musulmans se prosternaient.

On introduisit l’arche de Yahvé dans le Temple. Chacun contemplait l’œuvre et admirait. Ce nouveau temple, avec ses bases massives, avait les élancements d’une cathédrale gothique.

On déposa l’arche à sa place dans le Saint des Saints, sous la tente que David avait fait dresser pour elle. Alors le grand prêtre offrit du pain et du vin en présence de Yahvé en sacrifices de communion. Lorsque Nathanaël eut achevé d’offrir des holocaustes et des sacrifices de communion, il bénit le peuple au nom de Yahvé Sabaot. Il prononça en hébreu, puis dans de nombreuses langues du monde ces paroles (Nombres 6, 24) : « Que Yahvé te bénisse et te garde ! Que Yahvé fasse pour toi rayonner son visage et te fasse grâce ! Que Yahvé te découvre sa face et t’apporte la paix ! »

Puis il fit une distribution à tout le peuple, à la foule entière des Israélites et des visiteurs étrangers, hommes et femmes, pour chacun une couronne de pain, une masse de dattes et un gâteau de raisins secs.

La gloire de Yahvé

Puis tout le monde s’en alla chacun chez soi.

Ce soir là, dans Jérusalem, le petit David Barjoda était déçu. Il dit à son père :

— La fumée n’est pas venue…

— Quelle fumée ? demanda son père.

— Eh bien, celle que Dieu avait promise, tu sais comme dans ce passage de la Bible.

Et l’enfant lui montra son cahier d’écolier où il avait recopié toute une série de textes dont 2 Chroniques 5, 13 : « Chacun de ceux qui jouaient de la trompette ou qui chantaient, louaient et célébraient Yahvé d’une seule voix. Alors le sanctuaire fut rempli par la nuée de la gloire de Yahvé. Les prêtres ne purent pas continuer leur fonction à cause de la nuée, car la gloire de Yahvé remplissait le Temple de Dieu. Alors le roi Salomon dit : “Yahvé a décidé d’habiter la nuée obscure !” »

— Ça veut peut-être dire que le Seigneur n’est pas venu ? s’interrogea son père.

— Tu crois que c’est mauvais signe ? demanda l’enfant.

Le père ne sut que lui répondre.

Cette question, cet enfant devait la porter dans son cœur longtemps. Ce n’est que bien plus tard, alors qu’il était devenu un adulte, avancé en âge, que lui et le peuple juif tout entier, fut mystérieusement attiré par les textes d’un ancien Rabbin Juif qui disait, à un endroit (Luc 17, 20) : « La venue du Royaume de Dieu ne se laisse pas observer, et l’on ne dira pas : Voici : il est ici ! ou bien : il est là ! Car voici que le Royaume de Dieu est au milieu de vous. »

Mais c’est une autre histoire.

Arnaud Dumouch

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