Accueil  >  Contes  >  Tome 2 : La fin des générations  >  La défaite de l’Armada espagnole

 

La défaite de l’Armada espagnole

Les contes du tome 2 décrivent l’histoire d’une génération et de son éducation, selon le deuxième sens des textes eschatologiques de la Révélation. Il est parlé des « générations » de la manière dont le fait Jésus : les membres de cette génération ne forment pas un bloc uniforme. Le conte vise plutôt le courant dominant du temps, tenu le plus souvent par des représentants qui possèdent le pouvoir, au moins au plan médiatique.

La Défaite de l’Invincible Armada, le 8 août 1588, tableau du peintre Jacques Philippe de Loutherbourg.
La Défaite de l’Invincible Armada (Jacques Philippe de Loutherbourg)

 

Cette histoire vise à manifester une fois de plus la règle simple du gouvernement céleste sur les nations : lorsque l’une d’elle est choisie pour une mission, il est fatal qu’elle en retire de la gloire et de la réussite visible. Et, logiquement, elle en développera de l’orgueil, au risque de son salut éternel. C’est pourquoi, surtout si elle est chrétienne, voire consacrée à la Vierge, la marque de l’amour de Dieu sur elle sera l’arrivée, tôt ou tard, d’échecs graves et psychologiquement traumatisants, mais capables de délivrer durablement de l’orgueil. Car le but de Dieu n’est jamais la gloire terrestre, mais la gloire éternelle qui n’est donnée qu’aux pauvres de cœur. Telle fut, pour l’Espagne, la défaite de l’Armada marine qu’elle monta contre l’Angleterre.

Au plan de la gloire politique, l’Espagne du xvie siècle était un pays qui réussissait tout. Choisie par Dieu avec le Portugal pour apporter le christianisme dans le nouveau monde et détruire une civilisation barbare de sacrifices humains, elle ramenait de ces pays des navires gorgés d’or et de pierres précieuses. Elle était maîtresse absolue de territoires immenses.

La réalité spirituelle des générations de nobles et de chevaliers Espagnols qui se succédèrent durant ce siècle est qu’ils croyaient pouvoir servir deux maîtres à la fois, à savoir l’or et l’Evangile, et ce malgré les avertissements de Jésus (Matthieu 6, 24) : « Nul ne peut servir deux maîtres : ou il haïra l’un et aimera l’autre, ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l’Argent. » Aussi l’évangélisation qu’ils apportaient à l’occasion de leur recherche de l’or était teintée de sang, d’esclavage, de détresse immense qui criait jusqu’à Dieu et dont l’écho honteux continue de résonner aujourd’hui.

L’Espagne était sûre d’elle. Son âme était en danger. Encore une fois, le révélateur de cette maladie spirituelle était le peuple Juif qui, placé par Dieu au milieu de cette nation, était depuis plusieurs siècle bafoué, converti de force, puis enfin expulsé comme un corps étranger. Casser le thermomètre n’enlève pas la fièvre. L’Espagne était orgueilleuse.

Le roi Philippe II d’Espagne

Et pourtant, lorsqu’on regarde ses dirigeants, dès 1480, il n’y a extérieurement rien au monde de plus catholique, de plus adonné à la dévotion, de plus fidèle à l’Eglise de Rome. L’Espagne échappait d’ailleurs totalement aux guerres de religions qui déchiraient une grande partie de l’Europe, au prix d’une Inquisition certes sévère pour la liberté de pensée, mais dont la légende noire, très exagérée par le Protestantisme, ne produisait rien des massacres et pogroms Anglais et Allemands.

Dans son projet d’Armada marine, le roi Philippe II eut un comportement parfait au plan chrétien. Il prit la décision de l’invasion de l’Angleterre, non comme agresseur, mais comme agressé, ses navires et ses ports étant sans cesse victimes de sa piraterie d’État. Il trouva aussi un motif dans la cruelle persécution des Anglais contre les catholiques, non seulement sur leurs terres, mais aussi dans le massacre systématiques des missionnaires espagnols pris sur les galions. Il se souvenait avec douleur de ces jeunes prêtres jetés à l’océan, après avoir eu les mains tranchées, tandis que les corsaires anglais, goguenards, leurs indiquaient la direction vers où nager.

Philippe prit la décision d’une guerre dans la prière, et à bout d’arguments diplomatiques.

Le combat des Princes célestes

Chaque nation est gardée par un ange de l’ordre des Principautés. Ce sont des amis de Dieu, et non des démons révoltés. Leur but est exclusivement le salut éternel des hommes qu’ils protègent et cet Ordre angélique s’occupe de la dimension politique, communautaire de ce salut. Leur tache est difficile tant l’homme, être grégaire, s’exalte facilement dans l’orgueil national. Ce sont eux qui sont mandatés par Dieu pour distribuer les succès et les échecs, de telle manière qu’aucune nation ne s’exalte trop. Très souvent, lorsque des nations s’affrontent, les Princes célestes discutent et décident de la part de succès terrestre de chacune. C’est ce que manifeste le texte suivant, tiré de l’Ancien Testament, où le Prince d’Israël s’adresse au prophète Daniel à propos du retour de son peuple dans la terre promise (Daniel 10, 13) : « Le Prince du royaume de Perse m’a résisté pendant 21 jours, mais Michel, l’un des Premiers Princes, est venu à mon aide. » Autrement dit, en traduction visible : « La Perse laissera bientôt Israël retourner dans sa terre. Israël a maintenant assez appris l’humilité. »

Dans le conflit anglo-espagnol, la discussion angélique porta sur la question de la victoire à venir. Le Prince d’Espagne, défendant de toute sa puissance la victoire spirituelle de son peuple, demandait la défaite militaire de son pays : « Mon pays a eu trop de gloire terrestre. Il se croit béni à jamais et transforme de plus en plus sa piété en une insupportable morgue. »

Le Prince d’Angleterre répondit : « L’Angleterre est pire. Ce peuple est incorrigible. Jamais vaincu, il n’a que gloire et conquête en tête. Son cœur est dur, plus impitoyable encore que le cœur espagnol. Cela fait des siècles que cela dure. Beaucoup d’âmes anglaises se perdent. Si l’Angleterre n’est pas envahie cette fois, elle dominera le monde et se perdra. » La discussion dura des jours et aucune conclusion n’apparaissait.

Lorsque le roi Philippe II décida de consacrer son Armada marine à la Sainte Vierge, il obtint immédiatement une puissante alliée. La Reine du Ciel vint appuyer de toute sa force le Prince céleste d’Espagne. C’est ce jour là que, grâce à l’intercession de la Vierge, la défaite militaire de l’Armada fut décidée et que l’Espagne fut ainsi bénie pour son salut éternel.

Il est clair que personne ne peut rivaliser face à l’influence de la Vierge.

 

Marie, les trois blancheurs, d’après saint Jean Bosco.

 

Le combat des Armes terrestres

Pendant ce temps, le roi Philippe II, vivant dans une dimension aussi éloignée des pensées de Dieu que peut l’être la Terre du Ciel, remerciait à l’avance la Vierge pour la victoire militaire que tant de piété, tant de prières, rendait certainement acquise. C’était un homme de foi. Il se nourrissait de l’Evangile et cette phrase de Jésus le marquait particulièrement (Marc 11, 24) : « C’est pourquoi je vous dis : tout ce que vous demandez en priant, croyez que vous l’avez déjà reçu, et cela vous sera accordé. » Il lui faudrait évidement beaucoup de temps pour comprendre que Jésus recevait son désir de victoire temporelle à un niveau bien plus grand que ce qu’il pouvait imaginer : Dieu, lui, préparait une victoire éternelle.

On connaît la suite.

L’Armada espagnole, c’était un formidable rassemblement de navires. Au total, cent trente vaisseaux la composaient. Elle transportait une force militaire imposante : près de trente mille hommes dont dix neuf mille soldats, trois cent chevaux et mules, l’équipement nécessaire pour assiéger des villes, un hôpital de campagne etc.

L’objectif de Philippe II était d’opérer un débarquement en Angleterre et de marcher sur Londres, afin de forcer Elizabeth à des compromis sur la liberté de culte pour les catholiques et pour que cesse son intervention aux Pays-Bas. Cette force devait se joindre à celle du duc de Parme, située dans les Flandres et composée d’environ dix-huit mille hommes aguerris. Une fois la jonction effectuée, l’Armada devait escorter les barges de Parme pour la traversée de la Manche, pour finalement débarquer dans le Kent.

L’Armada était sous le commandement du duc de Médina Sidonia. Ce dernier n’était pas un marin, mais plutôt un homme de l’armée de terre. Il avait participé à l’annexion du Portugal en 1580 et s’était retrouvé en charge de l’Armada suite au décès de l’amiral de la mer Océane, Santa Cruz. C’était aussi un homme droit, et pieux.

Pour faire face à la menace, l’Angleterre disposait d’une flotte composée des navires de la reine et de navires marchands fournis par des officiers de la marine royale, par la ville de Londres ou par de simples volontaires, pour un total de cent quatre-vingt dix-sept navires et seize mille hommes.

La bataille de Gravelines

Les flottes anglaise et espagnole s’affrontèrent quatre fois avant que l’Armada ne mouille finalement dans le port de Calais. Ces batailles ne furent pas vraiment déterminantes quant à l’issue du conflit sur le plan des pertes. Toutefois, au cours du premier engagement, les Anglais capturèrent un des navires de la flotte espagnole, le Rosaire. Ce succès à première vue anodin fut pour l’Espagne le signe inquiétant de l’étrange bénédiction mariale qui accompagnait leur campagne militaire, et fournit aux Anglais des informations cruciales sur le fonctionnement du commandement des forces de Philippe II, notamment au sujet de l’artillerie et de son mode d’utilisation.

Pendant la nuit 7 au 8 août 1588, les Anglais attaquèrent les Espagnols avec des barques bourrées d’explosifs et de matières incendiaires, qu’ils firent dériver à travers les navires ennemis. Cette manœuvre inattendue sema la terreur et une indescriptible pagaille. Afin d’échapper aux flammes, des capitaines ordonnèrent de couper les amarres les reliant aux ancres. La flotte espagnole se dispersa dans la nuit. Au matin, le duc de Médina Sidonia s’employa à regrouper ses navires.

C’est alors que débuta, au large de Gravelines, l’engagement final avec les Anglais. Pendant des heures, la canonnade fit rage. A aucun moment, les Espagnols ne purent se mettre en position favorable à un abordage qui les aurait avantagés. Les Anglais tirèrent plus vite car leurs canons étaient plus modernes et plus puissants. Les Espagnols essuyèrent le feu de l’ennemi sans pouvoir y répondre adéquatement. Beaucoup de navires étaient lourdement endommagés. Puis, un vent du sud se mit à souffler, poussant les navires de l’Armada vers le nord.

Dans l’impossibilité de regrouper les cent douze navires qui lui restaient et sans nouvelle des préparatifs du duc de Parme et de ses barges de débarquement, Médina Sidonia se résigna à retourner en Espagne par la seule route possible vu les circonstances et les vents : contourner l’Écosse et l’Irlande et faire voile vers l’Espagne. Mais il était décidé que tout se liguerait contre l’Armada. Un vent venu du Seigneur jeta beaucoup de ses navires sur les côtes d’Irlande où ils se brisèrent. Lui-même se noya. Les survivants, échoués sur les plages, furent pour la plupart massacrés par les Irlandais. Seule une poignée d’entre eux revinrent en Espagne, apportant avec eux le récit de l’horreur.

Les conséquences

La fin du règne de Philippe II fut marquée par un essoufflement de la puissance espagnole. Accablée par une série perpétuelle de revers, l’Espagne fut contrainte de conclure la paix de Vervin en 1598, dans laquelle elle restituait à la France la plupart des places conquises et abandonnait la Belgique.

Le roi s’était retiré au monastère de l’Escurial. Et il méditait devant l’eucharistie, retournant dans son esprit les incroyables échecs qui avaient marqué la fin de son règne. Il se demandait quel avait pu être son péché, le péché de l’Espagne. Il passa durant ces années par les mêmes interrogations lancinantes que celles du peuple Juif après la destruction de son Temple, ou que celles du roi saint Louis durant son agonie aux portes de Tunis. Il était tout à fait impossible qu’il comprenne les intentions de Dieu qui, par ces échecs, bénissait l’Espagne.

Le 13 septembre 1598, veille de la fête de la Sainte Croix, Philippe II s’éteignit au monastère de l’Escurial après presque un demi siècle de pouvoir absolu, qui avait semblé interminable à ses ennemis. Ce n’est que dans la sérénité de l’au-delà que, brutalement, lui apparut la vanité des royaumes terrestres, de leur réussite. Il vit de ses yeux, durant les siècles suivants, arriver dans l’autre monde les âmes Espagnoles. Il comprit alors à quel point sa consécration à Marie de l’Armada avait été la meilleure idée de sa vie. Ces âmes n’étaient certes pas parfaites, mais beaucoup échappèrent à la damnation car elles ne furent pas soumises à la tentation d’un pouvoir que rien ne vient contrer.

Arnaud Dumouch, 31 juillet 2006

Plan du site    |    Contact    |    Liens    |    Chapelle