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Le Moyen Âge de la beauté et de la peste

Les contes du tome 2 décrivent l’histoire d’une génération et de son éducation, selon le deuxième sens des textes eschatologiques de la Révélation. Il est parlé des « générations » de la manière dont le fait Jésus : les membres de cette génération ne forment pas un bloc uniforme. Le conte vise plutôt le courant dominant du temps, tenu le plus souvent par des représentants qui possèdent le pouvoir, au moins au plan médiatique.

La Nef des fous, tableau du peintre Jérôme Bosch.
La Nef des fous (Jérôme Bosch)

 

« Lorsque l’Agneau de Dieu ouvrit le quatrième sceau, j’entendis le cri du quatrième Vivant : « Viens ! » Et voici qu’apparut à mes yeux un cheval verdâtre ; celui qui le montait, on le nomme : la Mort ; et l’Hadès le suivait. Alors, on leur donna pouvoir sur le quart de la terre, pour exterminer par l’épée, par la faim, par la peste, et par les fauves de la terre. »[1]

 

 

Au Moyen Âge, l’Occident protégé de la domination de l’islam voit se développer une civilisation chrétienne. La vie quotidienne des peuples est façonnée par la foi. Les signes de cette richesse spirituelle sont encore visibles dans nos villes. Les cathédrales gothiques élèvent leurs flèches vers le ciel car on cherchait Dieu à cette époque. C’est aussi l’âge de la floraison de la théologie à travers les grandes Sommes.

Dieu regardait cette civilisation non seulement de l’extérieur mais surtout à travers chacune des âmes qui seules comptaient à ses yeux. Il voyait beaucoup de bien mais aussi, c’est fatal, beaucoup de péchés. Pourquoi faut-il que la paix et la réussite religieuse char­rient avec elles tant d’orgueil, de certitude de tenir le Ciel ? Pourquoi l’homme a-t-il du mal à être réellement pauvre ? De l’existence de cet orgueil fatal, nous avons une preuve dans la constante persécution des Juifs de cette époque. Leur souvenir du Moyen Âge ne ressemble pas au nôtre. Curieusement, saint Louis de France est pour eux symbole de souffrance, d’errance et de persécution permanente. Or, la haine de ce petit peuple est toujours le signe de la présence, dans une civilisation, d’un amour arrogant de sa propre réussite. Dans une unité religieuse ou nationale, leur petit nombre représente une insupportable résistance spirituelle, un coin de différence. Ils étaient une épine dans l’idée qu’on se fait d’une chrétienté pure et universelle.

Si les chrétiens du Moyen Âge ne discernaient pas leur orgueil, Dieu le voyait. Alors, afin de sanctifier cette génération en danger, il permit la multiplication des guerres, des famines. « Il faut que cela arrive, ne vous alarmez pas », avait-il prévenu dans l’Évangile.[2] Il autorisa même que l’islam vienne menacer de très près le magnifique temple de l’Occident chrétien. Les premières croisades étaient une nécessité vitale pour soutenir la chrétienté d’Orient attaquée militairement. Elles ressemblent à tout ce qui se fait à cette époque. Elles sont un élan de foi et de zèle pour Dieu mélangé à la soif pour la gloire et la possession. Leur réussite puis leur échec ne représentent somme toute que l’action habituelle et mystérieuse de Dieu qui apprend l’humilité à son peuple.

Mais comment expliquer ce qu’il permit à partir de l’année 1347, alors même que la civilisation chrétienne atteignait son apogée ? En cette année, trois galères s’approchèrent par escale de l’Europe, en provenance de Crimée, emmenant avec elles le plus terrible des passagers clandestins, la peste. Le fléau, qui sévissait à l’état endémique dans les steppes d’Asie Orientale, se répandit inexorablement au gré des escales, se transmettant de port en port, de bateau en bateau, frappant aveuglement le musulman comme le chrétien. En deux ans, (1348-1350), la peste tuera un tiers de la chrétienté latine. Le bilan est pire en proportion que les guerres mondiales modernes. Pendant plusieurs siècles et de façon massive jusqu’en 1722, la peste couvera tel un feu jamais éteint, puis éclatera en de violentes poussées, réapparaissant tous les huit, dix ou quinze ans. Les âmes en sortiront profondément marquées. Au joyeux optimisme du début du Moyen Âge succèdent les danses macabres de la période sans nom. Pourquoi Dieu permit-il une catastrophe d’une telle ampleur, détruisant les élites des villes, faisant tourner en amertume morbide l’œuvre chrétien­ne entreprise pour lui ? Rappelons qu’il pouvait arrêter le fléau par sa puissance comme il le montra maintes fois par les miracles. Pourquoi aussi une maladie comme celle-là, la « male mort » comme on l’appela à l’époque puisqu’elle ne laisse même pas le temps de se confesser avant de mourir ? Pourquoi permet-il jusqu’à aujourd’hui famines et maladies, guerres et ruine de tout, même de ce qui est bon sur la terre ? C’est la question que soulève avec larmes l’apocalypse de saint Jean* sous le symbole des sept mystères scellés que nul ni au Ciel ni sur la terre ne peut ouvrir, sauf l’Agneau de Dieu. Le dernier de ces mystères, le silence de Dieu[3] fut sans doute le plus terrible pour ces pauvres familles détruites par la peste.

Dieu tient tout entre ses mains. Chaque âme brisée par une vie courte et douloureuse, était accueillie et recevait l’explication de tout par la vision de sa croix, lui montrant en un seul regard ce qu’elle serait devenue si elle n’avait pas souffert. Alors ces âmes devenues pauvres entraient au Ciel, là où il n’y a plus de larmes, où on oublie les angoisses anciennes, où l’on ne se souvient pas du passé de douleur[4] si ce n’est pour en rendre grâce, puisque c’est grâce à cette croix, vécue ou non dans la foi chrétienne qu’on est si proche de Dieu au Ciel. La peste, la guerre de cent ans marquèrent les xive et xve siècles en Europe. De même, par la peste, chaque nation reçut sa part de croix et put mesurer à quel point l’homme est peu de chose. Ainsi furent sanctifiées ces générations.

Arnaud Dumouch, 2006

 

1. Apocalypse 6, 7. Lorsque des textes de l’Apocalypse sont cités, c’est toujours à titre d’illustration. Ils ne s’appliquent pas, quoiqu’en pense les Témoins de Jéhovah, à une seule période de l’histoire mais à chaque génération. [↩]

2. Matthieu 21, 6. [↩]

3. Apocalypse 8, 1. [↩]

4. Isaïe 65, 17. [↩]

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