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La génération des premiers moines

Les contes du tome 2 décrivent l’histoire d’une génération et de son éducation, selon le deuxième sens des textes eschatologiques de la Révélation. Il est parlé des « générations » de la manière dont le fait Jésus : les membres de cette génération ne forment pas un bloc uniforme. Le conte vise plutôt le courant dominant du temps, tenu le plus souvent par des représentants qui possèdent le pouvoir, au moins au plan médiatique.

 
 

 

« Jésus leur dit : “Tous ne comprennent pas ce langage, mais ceux-là à qui c’est donné. Il y a, en effet, des eunuques qui sont nés ainsi du sein de leur mère, il y a des eunuques qui le sont devenus par l’action des hommes, et il y a des eunuques qui se sont eux-mêmes rendus tels à cause du Royaume des Cieux. Qui peut comprendre, qu’il comprenne !” » (Matthieu 19, 11)

 

 

Cette histoire vise à raconter comment Dieu, patiemment, enleva l’orgueil du cœur d’une génération, celle des premiers moines.

Lorsque l’empire Romain devint chrétien, par l’édit de l’empereur Constantin, l’Église sortait d’une longue période de persécution. Le climat de danger perpétuel avait fini par faire surgir, parmi les évêques et les prêtres, des vocations non pour l’amour de Dieu mais pour l’héroïsme.

Ainsi, le don de sa vie pouvait devenir un acte d’autosuffisance humaine ! Cela déplut au Ciel. Ne voyait-on pas arriver des martyrs dans l’autre monde, empreints d’une attitude revendicatrice, exigeant la récompense éternelle qui n’est donnée qu’aux humbles. Cela ne pouvait plus durer. Alors Dieu agit. Se servant des rouages multiples qui font l’histoire, il permit que la paix se fasse avec l’Empire. Constantin, en signant l’Édit de Milan (313), reconnut au christianisme le droit d’exister. En raison de la fin des persécutions, des foules de païens hésitants ou assoiffés d’honneurs impériaux demandèrent leur entrée dans l’Église. Mais, par la même occasion, en raison de l’arrivée de cette masse de pauvres gens peu faits pour l’héroïsme, le zèle pour Dieu se refroidit. L’Église devint moins élitiste et marquée des graves défauts d’un peuple mal évangélisé. Il y avait moins de ferveur mais aussi moins d’orgueil dans l’héroïsme. Beaucoup adhéraient par arrivisme politique…

Cette deuxième étape de l’histoire de l’Église fut ressentie par beaucoup de chrétiens jadis fervents (surtout par les assoiffés du martyre) comme la fin du monde. A la pureté des premiers âges succédait une foule à peine dégrossie et encore empreinte de superstitions païennes. Ce n’était pourtant que la fin de leur monde devenu trop élitiste. Dieu l’avait détruit en vue du salut du plus grand nombre.

 

Stylite.

L’appel de Dieu

Ceux que décevait cette décadence reçurent souvent de la part de l’Esprit Saint l’appel explicite de se retirer au désert et d’y vivre seul. Mais l’Esprit Saint appelait ces hommes en les prenant là où ils en étaient : il appelait des vaniteux au salut. Et il les introduisit dans un chemin auxquels ils ne s’attendaient pas.

Ainsi Siméon. Siméon ressentit l’appel de Dieu à la vue de l’héroïcité des stylites. Il se mit à admirer ces hommes lorsque alors qu’il chassait à cheval, il passa dans « l’espace du Grand Reg des Douze Milles Colonnes », cet immense monastère perdu dans la montagne. Il était composé de colonnes sur lesquels vivait la race de héros du Christ. La colonne de près de huit mètres de haut qui se dressait devant lui, était cannelée, ses tambours avaient un diamètre d’environ un mètre et son chapiteau corinthien supportait une plate-forme carrée de deux mètres de côté. La colonne était en marbre veiné de rose. Siméon s’arrêta au pied du monument. Il appela. Du haut de la colonne apparut un homme. Son visage était buriné, mangé par une barbe grise et épaisse.

— Que veux-tu ? Es-tu venu jusqu’ici pour devenir mon disciple ? ou pour m’apporter à manger ? demanda le stylite qui observait Siméon.

— Je voyage vers le nord… Et je passais. Mais je veux savoir comment devenir stylite. Dites-moi comment on fait.

L’ermite déploya une corde de chanvre tressé par dessus le bord de la plate-forme. Siméon l’empoigna et il gravit la haute colonne tandis que l’homme l’agrippait pour l’aider. Dans l’espace réduit de la plate-forme, il y avait dans un angle une grande jarre en grès recouverte par une planche circulaire en bois et, sur le sol, une tringle en bronze, une pierre à feu, une peau tannée, un rhyton en argile cuit et les restes d’un feu.

— C’est simple, expliqua le moine. Chez les stylites, il y a une règle commune bien qu’aucun d’entre nous ne puisse venir contrôler si nous la respectons. Par la force des choses, puisque nous sommes des solitaires. La règle des stylites est la suivante : Un : Vivre en haut d’une colonne ; c’est la base sans laquelle on ne serait même plus de nom des stylites ! Deux : Vivre aux quatre vents, c’est-à-dire ne pas avoir de toit ; toutefois, au sujet du parasol, je ne suis pas très sûr d’être dans la règle ! On fait ce qu’on peut, n’est-ce pas ? Trois : Ne jamais descendre de la colonne. Quatre : Ne jamais refuser de donner un conseil à quelqu’un qui vient le demander. Cinq : Prier Dieu de protéger le bonheur des autres hommes. Ce n’est pas compliqué et je puis t’assurer que ça peut t’occuper durant toute une vie. Alors, qu’en dis-tu ?

— Et est-ce dur ?

— Tu auras à te battre. Tes premiers ennemis seront en toi. Ce seront tes passions. Mais c’est un combat qu’on gagne ! Voici ce qu’en dit la Bible : « L’homme fort qui dompte son âme vaut mieux que celui qui prend des villes. »

Siméon redescendit de la colonne le soir. Il resta songeur plusieurs jours puis se décida. C’est ainsi que, âgé de 21 ans, il rejoignit le grand reg des Douze Milles Colonnes. Il s’installa sur une colonne laissée libre par l’abandon d’un novice. Elle se situait à cinq kilomètres de l’autre stylite, qui s’appelait Sarcolion. C’était une belle colonne, faite à partir des restes d’un ancien temple païen de Douridaï.

15 jours plus tard

Comme il était fier sur sa colonne, Siméon. Son choix héroïque enflait son cœur. Il avait même revêtu la bure de chanvre qui marquait la sainteté de son état. Il commença par explorer sa maison de quatre mètres carrés. Puis il se mit à genoux et pria, le cœur battant et porté par un fort sentiment de la présence de Dieu. Il pria toute la journée, sur ses deux genoux et exprima avec force parole son amour au Seigneur. Il lui exprima son vœu de lui consacrer sa vie. Et le silence lui répondit, un silence remplit d’anges qui l’observaient et disaient entre eux : « Le petit, il a de l’amour et de la force. Il devrait tenir environ 15 jours ? Mais nous avons trente ans pour l’éduquer et le sanctifier. »

Siméon ne les entendit pas mais il vit le paysage qui s’étendait au pied de son perchoir, fait de rocailles et de buissons. Au bout de huit jours, il commença à ressentir un vide. Il reçut la visite des gens du village qui lui portèrent du pain, des oignons, et de la viande séchée.

Un soir, après une journée chaude et lourde, le ciel se couvrit de nuages noirs et bas qui envahirent l’espace du « Grand Reg des Douz Milles Colonnes ». L’orage éclata à l’horizon en une multitude de décharges électriques bleutées et de sourdes détonations. La pluie se mit à tomber. Il ouvrit la jarre pour recueillir le précieux liquide. Il pleuvait de plus en plus. L’eau ruisselait sur lui. Il but beaucoup et en profita pour faire un brin de toilette. La foudre frappa sa retraite mais elle prit le chemin du paratonnerre.

Au bout de quinze jours, Siméon commença à s’ennuyer fort. Sa pensée, obsessionnellement, se tournait de plus en plus vers le souvenir de sa vie passée. Il lui remontait en particulier l’image de Zéphirine, une jeune fille qu’il aimait bien et dont le beau corps cambré se mit à hanter ses rêves. Il voyait sans cesse sa jolie poitrine, comme vivante devant ses yeux. Et n’y tenant, il se complut dans cette pensée plaisante et cela calma en lui toute la tension. Le lendemain, il se réveilla déçu par sa faiblesse et sa chute si rapide. S’accrochant à sa corde, il descendit de sa colonne et courut vers celle du moine qui l’avait conseillé deux mois plus tôt.

Leur entretien fut bref :

— Pour commencer, dis-moi comment tu te sens en ce moment même, lui demanda l’ermite.

Siméon ne cacha rien. Il confessa : Je suis tombé. Toutes les pensées de mon passé me remontent. Et les femmes en particulier.

— C’est très bien ainsi : il est bon que tu ressentes les choses de la sorte. Cette « situation » est une réelle chance qui t’est offerte de t’arrêter un peu dans ta folle course. Tu vas pouvoir faire le point avec le calme et le recul nécessaires. Il faut que tu te reprennes en main. Ça ne va pas être facile car tu vas souvent faire appel à ces choses sensibles pour t’épauler. Mais de ces drogues, il n’y en a plus. Après t’en être défait matériellement, il va falloir que tu t’en dessaisisses mentalement. Ça ne va pas être facile, crois-moi ! A parler franchement, ce sera même dur !

— Je comprends ce que vous voulez dire, et je commence à entrevoir à nouveau les démons qui m’assiégeront. C’est une vague de panique que j’aperçois et que je sens me submerger. A dire vrai, je ne me sens déjà plus très bien…

— Ressaisis-toi, Siméon ! l’admonesta le stylite qui flanqua une gifle retentissante au kadaréen. Et comme ça, tu te sens mieux ?

— Alors voilà ce que tu vas faire. Tu vas jeûner. Finie la bonne nourriture des villageois. Et tu verras : à force de privation, le démon de la luxure tombera de lui-même. Pars. Et fais-nous honneur, pour l’amour du Christ.

Trois semaines plus tard

Siméon jeûna, selon les conseils de son expérimenté ami. Et effectivement, il vainquit ses tentations physiques, faute de combattant, devrait-on dire. Du moins celles de la sexualité… En effet, au lieu de la belle Zéphirine, il lui monta en tête des pensées de poulets croustillants, grillés à souhait, qui le contemplaient d’un œil gourmand. Physiquement, du beau jeune homme qu’il était, il était devenu une loque. Et moralement surtout, il se détruisait. Autant l’enthousiasme de ses premiers jours lui avait donné du plaisir, autant la comparaison qu’il faisait avec la droite vertu du saint ermite, son voisin, le désespérait. Son échec, c’était surtout cela : Qu’allaient pensé de lui les moines ? Et sa famille ? et ses amis dont, quelques mois avant, il fustigeait le manque de zèle pour Dieu ? Mais il ne voulait pas se résoudre à retourner voir le stylite. Celui le ridiculiserait sûrement et lui dirait, fort dans sa victoire sur lui-même : « Siméon, tu as trop fait preuve de faiblesse, il est urgent que tu apprennes à te battre victorieusement contre les forces du mal. Que penseront les martyrs, lorsque tu mourras ? Tu craques pour de la bonne cuisine et eux furent dévorés par des lions… Et tu sais quoi, je suis justement une sorte de spécialiste en la matière. Ca fait des années que j’attendais d’avoir un disciple. Bon, à vrai dire, tu n’es pas du tout prêt, mais j’accepte de prendre le risque d’être ton mentor et de te former. » Et lui retomberait tout de suite. Si la gourmandise passait, ce serait l’envie de parler. Et puis d’autres choses, et encore d’autres. Il ne pouvait pas lui avouer sa faiblesse. Sa fierté ne le pouvait pas. Alors il appela vers le ciel vide : « A l’aide, je n’en peux plus. Mon ange est-il là ? Que l’on me donne un peu d’aide. »

Les anges veillaient, patiemment. Ils se dirent : « Tous ces moinillons ne manquent pas de cran. Mais comme ils manquent d’humilité. Ils partent combattre leur nature, sans même prendre les armes de l’évangile. Il va donc falloir lui venir en aide pour qu’il ne meure de faim.». Jusqu’alors, Siméon recevait la visite de gens de Douridaï qui lui apportaient généreusement un joli panier rempli de tout un tas de bonnes choses à grignoter. Mais respectant les consignes de jeûne que s’imposait le stylite en quête de purification, les visiteurs se firent plus rares et plus jamais ne vinrent munis de bons paniers. Cruel, non ! pour un être qui a besoin de manger pour vivre. Voilà donc Siméon angoissé à l’idée de ne plus avoir de quoi se sustenter. Il ne lui reste plus qu’une sortie : l’issue spirituelle. Il prie donc Dieu de se rappeler de l’estomac de son pauvre stylite défraîchi par deux semaines de jeûne forcé… et voilà qu’un faucon descend du Ciel pour lui offrir une perdrix !

Trois mois plus tard

Un matin, un villageois se présenta au pied de la colonne de Siméon et lui cria : « Frère regardez ce qu’on m’a confié dans la grande ville. Je ne sais pas lire. Ça ne me servira à rien. » Siméon fit descendre son panier au bout de sa corde et remonta un livre. C’était le Testament de Jésus, contenant les quatre évangiles. Goulûment, il le lut. Il le relut. Et son imagination sevrée d’image se repaissait des récits. Et surtout, l’Esprit Saint était là, qui le faisait pleurer à certains passages, voulant comme en marquer son esprit. Celui-ci le marqua beaucoup : (Marc 2, 17) : « Ce ne sont pas les gens bien portants qui ont besoin de médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs. » Ah, heureusement que l’Esprit Saint était là, veillant sur Siméon dans la jeunesse de son zèle. S’il l’avait fait pleurer à la lecture du verset suivant (Marc 9, 43) : « Et si ta main est pour toi une occasion de péché, coupe-la : mieux vaut pour toi entrer manchot dans la Vie que de t’en aller avec tes deux mains dans la géhenne, dans le feu qui ne s’éteint pas », il est certain qu’il aurait imité Origène et serait devenu, au fil du temps, eunuque selon la lettre du mot, mais aussi manchot, unijambiste, et aveugle…

30 ans plus tard

Siméon était toujours là. Il avait fini par vaincre les démons de sa jeunesse, non par une victoire militaire, mais par sa pauvreté de cœur. Et les seins Zéphirine, il ne les avait plus aussi souvent devant les yeux, quand la solitude et le poids de son célibat lui pesaient trop. Et il ne s’en faisait pas une gloire. La plupart des stylites de sa jeunesse étaient partis. Les plus fous avaient usé leur santé en quelques mois par le jeûne, rejoignant vite d’autres purgatoires de l’au-delà. Les autres étaient partis, retournant à la ville et à ses plaisirs. Autours de lui, il voyait de nombreuses colonnes, encore dressées ou abattues par le temps et dispersées en rondelles sur le sol poussiéreux. Des tambours des colonnes défuntes ne battait plus le coeur des stylites disparus. Autant de veilleurs emportés avec leur phare dans le chaos du désert qui dévore… Mais lui était resté, avec quelques-uns. Il était de loin le plus âgé et les autres le considéraient comme leur Père grâce à la modération et la prudence de son combat. « Il a compris, pensaient-ils, le secret. » Et en effet, son enseignement ne se centrait plus sur le combat héroïque contre la chair. Il se centrait avant tout sur le Christ. Finies les moinillons lâchés seul à 21 ans sans préparation sur la colonne de leur futur désespoir. On accueillait les jeunes qui se pressaient. Siméon leur disait humblement : « Ah ! si j’avais su, ce jour-là, tout le temps que je resterai perché à cette colonne, et bien peut-être que… Hum, je te prie de bien vouloir m’excuser, mais tu sais, ce n’est pas tous les jours que j’ai l’occasion de faire un brin de causette. Je disais donc que tu vas devenir mon disciple. Sache que je n’ai pas grand-chose à t’apprendre, sauf qu’il me fallait bien ma vie de stylite pour comprendre, tant mon orgueil avait la tête dure, que je suis de la cohorte des prostituées et des pécheurs qui se présenteront un jour au Royaume des Cieux. »

Les jeunes héros venus se présenter comprenaient rarement du premier coup son enseignement. Eux aussi venaient de la grande ville où le stoïcisme de la génération précédente frappait encore leurs jeunes rêves d’absolu. Et pourtant, ils se disaient : « Il faut écouter cet homme là. N’est-il pas le seul ermite à qui les gens de Douridaï n’apportent pas un panier rempli de bonnes choses à manger. N’est-il pas nourri par un faucon qui descend du Ciel pour lui offrir des perdrix ! »

Ils en concluaient à sa sainteté et ils faisaient bien. Les anges étaient toujours là et regardaient leur travail : « Il est bien, le petit. Et il nous fait gagner du temps. Les moines qu’il forme sont encore un peu stressés mais ça s’améliore. Ils finiront bien par descendre de leur colonne. »

Siméon mourut. Un aigle géant vint le chercher, s’appuyant de ses larges ailes d’ange sur les masses d’air, glissant vertigineusement, poussé par un vent de sud. Il emmena son âme qui frissonnait de joie, enivré par le spectacle du monde défilant sous ses yeux remplis de larmes. Ses yeux s’ouvrirent à la lumière du Seigneur Jésus et ils se reconnurent…

La vie monastique

Le baiser de Judas.

C’est ainsi que, patiemment, la génération des moines martyrs qui voulait prouver à Dieu son zèle se transforma en une génération de pauvres moines. Sans cesse, mieux que par le martyre sanglant, le martyre quotidien disposa des milliers d’âmes à la vie éternelle en les confrontant à leur misère. Mais il en fallut, du temps.

Outre Siméon, il y eut de grands saints, suscités par Dieu. Saint Antoine du désert, par exemple, fut lui aussi violemment attaqué par les anges de Dieu[1] qui le tentait de tous les péchés possibles. Loin de se contenter de simplement leur résister en restant vertueux, il devint un homme humble et aimant. Lorsqu’il eut découvert que l’ordre spirituel qui plait à Dieu est celui qui met au sommet de tout l’amour de Dieu et du prochain, qui établit comme base de tout l’humilité et qui, en troisième lieu, cultive le reste des vertus, il fut béni et il commença son apostolat. Aidé par des charismes (don de faire des miracles par exemple), il reçut de Dieu la mission de créer un ordre monastique pour faire découvrir aux jeunes moines la véritable vie de sainteté. Il ne les mit plus sur une colonne, mais dans un lieu pire : un monastère où la vie commune et le contact des frères leur fit gagner des années vers la sainteté. Car un frère est plus terrible qu’une colonne pour dévoiler sa vraie nature. Saint Benoît, ensuite, interdit qu’on devienne ermite avant avoir passé au moins 20 ans de vie cénobitique.

Mais Dieu prend toujours aujourd’hui le moyen de sauver les moines orgueilleux, ceux qui viennent au désert afin de gagner le Ciel par la puissance de leur vertu. Logiques avec eux-mêmes, ceux-là s’imposèrent des pénitences terribles. Dieu continue de les laisser faire avec patience. Sa seule arme est le temps. Après quelques mois et, pour les plus entêtés, quelques années de résistance, la plupart s’écroulent. Ils retombent d’abord dans leurs faiblesses sexuelles puis ils sont frappés par un ennui particulier de l’âme qu’on nomme l’acédie.[2] Leur existence devient tantôt monotone, tantôt attaquée de tout côté par leurs passions. Ils pèchent, sont déçus par eux-­mêmes. Beaucoup en accusent l’autre, l’Église. Mais presque tous finissent par se découvrir bien misérables. Or, je l’ai dit, il y a dans cette découverte de sa misère un premier pas dans la mise à mort de l’orgueil…

En fin de compte, seuls restent en danger ceux qui meurent en se croyant digne du Ciel.

Damien Saurel (historien) et Arnaud Dumouch, 6 janvier 2006

 

1. Beaucoup croient que ce sont toujours des démons qui tentent…. S’ils savaient ! [↩]

2. L’acédie est pour saint Augustin cette forme d’overdose des choses spirituelles qui frappe les adeptes de la vie contemplative. [↩]

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