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Paradis

La vision de Dieu

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Jeanne est morte à 93 ans. Vingt ans plus tard, alors que j’étais moi-même devenu un grand vieillard, elle m’est apparue en rêve. Je l’ai reconnue bien qu’elle soit sous la forme d’une très jeune fille, pleine de la lumière de Dieu. Et je lui ai demandé si elle était venue pour m’emmener. Elle m’a dit :

« Non, Jeanbon (c’est ainsi qu’elle m’appelait souvent jadis). Je suis venue pour que tu mettes par écrit tout ce que je t’ai raconté jadis. »

Mais j’ai répondu :

Vous m’appelez encore Jeanbon ! Je vois que votre entrée dans la gloire de Dieu ne vous a pas fait perdre votre côté provocateur.

— Dieu m’a épousée telle que j’étais ! Il n’avait pas le choix de toute façon. C’était dans le contrat de mariage.

— Vous êtes bien allée au purgatoire, rien qu’à cause de ce genre de plaisanteries ? Et puis, il y a eu ces whiskys…

— J’y suis allée, comme tout le monde, quand j’ai vu Jésus. On ne peut pas tenir debout devant tant de générosité (Romains 14, 11) : « Tout genou fléchira devant lui. » Mais rien de plus. Il m’a emmenée telle que j’étais. Donc, Jeanbon, je suis venue pour que tu mettes par écrit tout ce que je t’ai raconté jadis.

— Je ne peux mettre par écrit ces histoires, Jeanne. Dans chaque récit que vous m’avez rapporté, il manquait la plus importante partie. Les gens qui entraient au Ciel, on ne sait jamais ce qu’ils y font. C’est gênant tout de même.

— Mon pauvre Jeanbon. Tu me demandes de te raconter ce qu’est la Vision de Dieu ? Tu me demandes quelque chose d’impossible. Je ne peux pas te raconter autre chose que l’écume du Ciel. Mais le Ciel lui-même, il faut le voir pour en parler. Le Ciel, c’est Dieu… Là, moi qui te parle, je le vois face à face. Il ne me quitte jamais. Précise bien cela, Jeanbon, quand tu écriras ton livre. Tu ne peux parler que de l’écume de la mer. De la Mer elle-même, c’est impossible.

— Mais alors, racontez-moi au moins votre entrée dans la vision de Dieu…

— Impossible. N’essaye même pas…

— Mais tout de même, vous parlez bien de l’humanité de Jésus, telle qu’il apparaît dans sa gloire à l’heure de la mort. Alors pourquoi pas de sa divinité, quand elle se dévoile après la mort ?

— A chaque seconde, c’est l’infinité d’un univers qu’il dévoile de lui. Il devance mes désirs. Je n’en ai plus, tant il les comble en merveilles. Est-ce qu’une goutte d’eau peut te faire comprendre l’océan ?

— A ce point-là ?

— Plus encore. Donne aux jeunes gens l’analogie suivante : qu’ils prennent leurs rêves les plus profonds sur le prince ou la princesse charmante et toutes ses qualités de force et de douceur, de beauté. Qu’ils s’imaginent dans ses bras. Qu’ils multiplient par l’infini en toutes les richesses imaginées. Eh bien ils n’ont encore rien compris ! »

Je n’ai donc pas insisté. Et je me suis dit que le regard de Jeanne en disait plus sur son secret que toute autre chose.

 

Tableau de l’artiste Eric Monticolo.
L’entrée dans la Lumière (Éric Monticolo)

Mariage

— Bon, j’ai quelques questions à vous poser. Tout d’abord, êtes-vous mariée ?

— Oui !

— Et pourtant Jésus dit (Matthieu 22, 30) (je pris un air de théologien triomphant en citant ce texte, reprenant mes jeux de jadis quand j’essayais de prendre Jeanne en défaut) : « A la résurrection, en effet, on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme des anges dans le ciel. »

— Là, Jeanbon, Jésus parle du mariage de la terre, quand on n’aime qu’un homme, comme on peut, et sans connaître tout de lui. Mais là où je suis, ça n’a plus rien à voir. Le plus petit dans le Royaume de Dieu, on l’aime comme s’il était seul au monde, infiniment plus que sur terre notre mari.

— Donc, si je comprends bien, on est marié avec tout le monde ?

— Chaque habitant du Ciel est aimé comme s’il était seul au monde. Et c’est possible parce que Dieu nous donne la même capacité d’aimer que lui. Mais le mot « mariage », es-tu sûr que ceux qui liront ton livre le comprendront ? Tu devrais mettre « amour, union totale ». Bref, trouve…

Je n’ai pas trouvé de mot meilleur aussi je mets la remarque ci-dessus de Jeanne. A chacun de trouver le mot…

— Jeanne, encore une question sur ce sujet : est-ce qu’au Ciel il y a des actes sexuels ?

— Pas du tout. Mais alors pas du tout. Il y a bien plus grand et mieux. La seule chose en commun, c’est que sur terre, Dieu voulait que l’union des corps avec son mari signifie le don des âmes par l’amour pour la vie. Et c’était source de bébés. Ici, le don des âmes est total. Alors, quand on se rencontre, on se connaît, âme contre âme, pensée contre pensée, amour contre amour, sentiments contre sentiments. Et, après la résurrection de la chair, corps contre corps. Mais cela non plus, je ne peux te le décrire. C’est comme si tu étais une chenille et que j’essaye de te représenter un papillon. Et tout cet amour sera source de vie (pas de bébé) mais d’aide pour tous ceux dans l’univers qui, étant encore dans le chemin qui mène à Dieu, en ont besoin.

— J’insiste, Jeanne. Les gens d’ici veulent savoir : après la résurrection de la chair, y aura-t-il une sexualité ?

— Alors non ! Réponds non. Ça n’a rien à voir et pourtant c’est une union physique. Les corps glorieux ne sont pas arrêtés par la matière. Ici-bas, on se dit qu’on s’aime et on se donne la main puis le corps. Là-haut, on voit directement dans l’esprit de l’autre l’amour, sans obstacle et une main peut occuper le même lieu que la main de son prochain…

— Oui, je vois. C’est vraiment un autre monde.

— Ça n’a rien à voir.

Résurrection

— Bon, changeons de sujet. Jeanne, je ne comprends pas : Vous avez un corps que je vois. Vous me dites vous-même que vous entendez, que vous voyez des paysages. C’est donc que vous êtes déjà ressuscitée. Donc il n’y a pas de résurrection à la fin du monde, mais elle se passe à l’heure de la mort…

— Pas du tout. Je suis une morte. Et je compte bien connaître la résurrection de ma chair à la fin du monde. Tu vois bien que je n’ai pas de corps de chair. Essaye de me toucher. C’est impalpable, comme un corps de fantôme. Et je ne peux pas saisir un objet de ton monde. Jésus, quand il est ressuscité, avait un vrai corps. Il le prouve (Luc 24, 41) : « Tandis qu’ils disaient cela, lui se tint au milieu d’eux et leur dit : « Paix à vous ! » Saisis de frayeur et de crainte, ils pensaient voir un esprit. Mais il leur dit : « Pourquoi tout ce trouble, et pourquoi des doutes montent-ils en votre coeur ? Voyez mes mains et mes pieds ; c’est bien moi ! Palpez-moi et rendez-vous compte qu’un esprit n’a ni chair ni os, comme vous voyez que j’en ai. » Ayant dit cela, il leur montra ses mains et ses pieds. Et comme, dans leur joie, ils ne croyaient pas encore et demeuraient saisis d’étonnement, il leur dit : « Avez-vous ici quelque chose à manger ? » Ils lui présentèrent un morceau de poisson grillé. Il le prit et le mangea devant eux. » Tu vois la différence entre un esprit et un ressuscité ?

— Oui. C’est clair. Mais votre corps de chair ne doit pas vous manquer. Il était lourd et pénible ?

— Certes, je m’en passe à cause de ses inconvénients et je me contente, en attendant, de ce corps psychique. Mais, la résurrection, ce ne sera pas pour nous rendre les inconvénients du corps de chair. Ce sera notre vrai corps mais entièrement en notre pouvoir !

— Qu’est-ce que cela vous apportera en plus ?

— D’être complète, Jeanbon. Mais je t’assure que cela viendra bien en son temps. Quand on voit Dieu, on a tout.

Lumineux

— Regarde, par exemple, quel âge me donnes-tu ? Est-ce que je fais mes 93 ans ?

— Euh… non. C’est tout autre chose. Vous paraissez… jeune, comme de l’intérieur, et pourtant je vous reconnais. C’est bien vous.

— En fait, comme notre corps est lumineux, c’est-à-dire qu’il ne cache plus notre intériorité, on a « l’âge » de son âme, de son humilité, de son envie d’amour. Il y a des jeunes qui ont choisi l’enfer. On dirait des gnomes tordus par l’âge. Ils se replient sur leurs colères. Au paradis, c’est l’inverse.

— Et c’est vrai que je vois tous vos traits de caractère, et vos gros péchés du passé.

— Oui, mais je vois aussi les tiens. Et finalement, tu as vu, ils se ressemblent. Ici, tout le monde est comme cela à nu et personne n’est humilié puisque finalement, on est tous pécheurs et celle qui n’a jamais péché est encore plus humble que nous tous.

— Alors la Vierge Marie doit ressembler à un nourrisson ?

— Jeanboneau ! ne te fais pas plus bête que tu l’es : « On a l’âge de son âme. » C’est une façon de parler. Marie paraît lumineuse et simple plus que tous les autres. C’est ça que je voulais dire.

Agile

— Vous dites que votre corps sera entièrement soumis à votre volonté. Entièrement ?

— Oui, avec la puissance de Dieu, nous pourrons même dépasser ses possibilités naturelles et nous déplacer dans l’univers à la vitesse de la pensée. Mais ce n’est pas tout. Nous pouvons visiter l’infiniment petit en prenant sa taille, ou voir l’immensité de l’univers d’un seul regard.

— C’est fantastique cela ! Ça va plaire aux garçons. Avoir un corps qui peut se transformer en avion et glisser en l’air, ou en fusée pour visiter l’univers.

— Oui ! Tout est donné à ceux qui aiment Dieu et même plus. La vitesse de la pensée, ça ce n’est pas naturel à un corps même glorieux. C’est un don de Dieu.

— Et les damnés, ceux qui ne veulent pas aimer Dieu, est-ce qu’ils reçoivent les mêmes dons ?

— Oui, Jeanbon. Et tous ici nous respectons leur choix. Ils sont libres. Alors Dieu les ressuscite aussi et leur donne le même corps parfait que nous. Mais ils n’ont que sa puissance naturelle. Dieu ne les prend jamais sur son aile pour les porter à l’autre bout de l’univers.

Subtile

— Encore une question, juste comme cela. (Je pris un air gêné… ma question était un peu loufoque). Ne vous choquez pas… Et si vous avez un accident de fusée. Je veux dire si vous entrez en collision avec, par exemple, une planète, ça doit faire mal.

— Pas de danger : on passe à travers les corps. Tu te souviens quand Jésus entre dans une pièce dont toutes les portes sont fermées. C’est cela. Il n’y a plus possibilité de se blesser…

Immortalité

— Mais alors qu’est-ce qui pourra vous tuer ?

— Rien, Jeanbon. La vie éternelle, c’est une vie sans fin. Là, tu fais un peu l’ignorant ?

— Je pose les questions les plus idiotes. Et c’est important. C’est comme un travail de journaliste. Je ne le fais pas pour moi mais pour les habitants de la terre… Et je voudrais donc pousser plus loin et entrer en science : la matière est naturellement corruptible. Donc, un jour ou l’autre, il faudra bien s’user et mourir.

— Il existe un état de la matière qui est incorruptible. Évidemment, c’est la puissance de Dieu qui la crée ainsi et lui communique de l’intérieur une énergie qui la rend indestructible. Si Dieu retirait sa puissance, aussitôt, comme une plante sans sève, ce monde flétrirait.

Monde nouveau

— Et le monde nouveau où vous vivez, est-il fait de cette matière ?

— Oui. Mais après la fin du monde, à la résurrection, ce monde sera … Dieu nous prépare des surprises inouïes.

Jeanne fit un grand sourire émerveillé et disparut. Quant à moi, je partis pour mettre par écrit ce qu’elle m’avait montré.

Arnaud Dumouch, 2005

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