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Un blasphème contre l’Esprit

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Ils étaient une cinquantaine au plus. Ils étaient grands prêtres du Temple, docteurs de la Loi, notables Juifs de la congrégation des pharisiens. Leurs ancêtres avaient été de brillants résistants, quelques siècles plus tôt, lors de la féroce guerre patriotique et religieuse contre les Grecs. Tous, ils partageaient une théologie avancée, croyant à la résurrection de la chair et même au purgatoire (2 Maccabées 12, 39ss).

Ils étaient donc des hommes de bien, des serviteurs dévoués de Dieu, ayant payé de par leurs ancêtres le prix du sang. Et pourtant ils échouèrent terriblement puisque c’est eux qui furent responsables du plus grand échec du judaïsme : ils mirent à mort le Messie, le Fils de Dieu vivant.

Mais certains d’entre eux le firent en connaissance de cause. On ne sait pas combien d’entre eux eurent cette lucidité mais, par leur influence et la peur qu’ils suscitèrent chez leurs pairs, ils entraînèrent le corps tout entier de l’Autorité juive.

Leur péché fondamental

La motivation de leur crime fut sans conteste l’amour du pouvoir. Et pourtant, publiquement, s’ils pouvaient se défendre aujourd’hui, ils nieraient farouchement cette assertion et diraient : « C’est uniquement l’amour de Dieu et de notre nation qui a motivé notre action. »

C’est d’ailleurs ce que chacun d’entre eux proclamait haut et fort lors du Conseil où fut prise la décision de tuer Jésus. Cela se passait après que des Pharisiens qui avaient vu de leurs yeux la résurrection d’un certain Lazare, en firent le récit aux Grands prêtres de Jérusalem. Les notables présents se dirent (Jean 11, 48-50) : « Que faisons-nous ? Cet homme (Jésus) fait beaucoup de signes. Si nous le laissons ainsi, tous croiront en lui, et les Romains viendront et ils supprimeront notre Lieu saint et notre nation. » Mais l’un d’entre eux, Caïphe, étant grand prêtre cette année-là, leur dit : « Vous n’y entendez rien. Vous ne songez même pas qu’il est de votre intérêt qu’un seul homme meure pour le peuple et que la nation ne périsse pas tout entière. »

 

Le Christ devant Caïphe, du peintre Matthias Stom.
Le Christ devant Caïphe (Matthias Stom)

 

Il y a souvent un gouffre entre le motif proclamé publiquement et la raison cachée. Jésus était un prédicateur pacifique et les Romains n’eurent rien contre lui, jusqu’au bout. Le gouverneur Ponce Pilate le tenait soit pour un doux rêveur, soit peut-être pour un être surnaturel, suite aux songes de sa femme. Mais jamais une émeute ne serait sortie de Jésus, comme on en voyait périodiquement des pseudos messies pleins d’agressivité militaire qui sortaient des milieux des zélotes.

Alors pourquoi cet acharnement des notables Juifs ? Pourquoi ne tentèrent-ils pas de manipuler Jésus et de l’entraîner simplement dans leur cercle, en en faisant l’un d’eux ? Parce que Jésus n’était justement pas un doux rêveur. Quoique ne se mêlant pas de politique, sa parole spirituelle dévoilait sans diplomatie et à tous l’âme des notables d’Israël et ce depuis longtemps (Luc 12, 1) : « Sur ces entrefaites, la foule s’étant rassemblée par milliers, au point qu’on s’écrasait les uns les autres, il se mit à dire, et d’abord à ses disciples : "Méfiez-vous du levain – c’est-à-dire de l’hypocrisie – des Pharisiens. Rien, en effet, n’est voilé qui ne sera révélé, rien de caché qui ne sera connu. »

Ainsi, depuis longtemps, une haine farouche et irréconciliable envers Jésus était née chez les notables, à cause d’un bien dont ils voyaient avec crainte la légitimité s’effilocher : leur pouvoir, et, très concrètement, leurs postes, leurs prérogatives, leurs honneurs. En effet, ces gens n’étaient plus de la trempe des frères Maccabéens, leurs ancêtres. Ils détenaient le pouvoir depuis trop de générations pour ne pas l’avoir aimé.

Et ils le voyaient arriver, ce Jésus, avec ses douze apôtres…

Ceci n’est pas un péché contre l’Esprit

Si Jésus n’avait été qu’un imposteur s’attribuant des titres, leur combat, quoique violent, aurait même été compréhensible. Tant qu’ils tinrent Jésus pour un arriviste ambitieux, il y avait même en eux une légitime bonne conscience. La théologie de ce prédicateur était en effet osée, et avait de quoi scandaliser un théologien normal (Jean 10, 33) : « Ce n’est pas pour une bonne oeuvre que nous voulons le lapider, mais pour un blasphème et parce que lui, n’étant qu’un homme, il se fait Dieu. »

Mais vint le moment, où de manière éclatante, Jésus prouva l’origine divine de sa mission. Il avait très souvent fait de grands miracles. Mais la médecine ou le démon peuvent guérir certaines sortes de maladies. Il était donc possible de dire comme dans le Talmud, bien que les boiteux marchent, que les aveugles voient à son approche : « C’est par Belzébuth que Jésus chassait les démons. » Mais déjà à cette époque, et jusqu’à aujourd’hui d’ailleurs, chacun sait qu’il est impossible qu’un cadavre en cours de décomposition ressuscite, sauf action immédiate et directe de la toute puissance de Dieu. 

On prévint Jésus que l’un de ses amis, Lazare, était mourant. (Jean 11, 17) A son arrivée, il trouva Lazare dans le tombeau depuis quatre jours déjà. Or beaucoup d’entre les notables des Juifs étaient venus auprès de ses sœurs, Marthe et Marie, pour les consoler au sujet de leur frère. Quelques-uns d’entre eux se dirent, en le voyant arriver (Jean 11, 37) : « Ne pouvait-il pas, lui qui a ouvert les yeux de l’aveugle, faire aussi que celui-ci ne mourût pas ? »

Alors Jésus, frémissant en lui-même, se rend au tombeau de Lazare. C’était une grotte, avec une pierre placée par-dessus. Il dit : « Enlevez la pierre ! » Marthe, la soeur du mort, lui dit : « Seigneur, il sent déjà : c’est le quatrième jour. » Jésus lui dit : « Ne t’ai-je pas dit que si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ? » On enleva donc la pierre. Jésus leva les yeux en haut et dit : « Père, je te rends grâces de m’avoir écouté. Je savais que tu m’écoutes toujours ; mais c’est à cause de la foule qui m’entoure que j’ai parlé, afin qu’ils croient que tu m’as envoyé. » Cela dit, il s’écria d’une voix forte : « Lazare, viens dehors ! » Le mort sortit, les mains et les pieds liés de bandelettes, et son visage était enveloppé d’un suaire. Jésus leur dit : « Déliez-le et laissez-le aller. » Beaucoup d’entre les Juifs qui étaient venus auprès de Marie et avaient vu ce qu’il avait fait, crurent en lui. Mais certains s’en furent trouver les Pharisiens et leur dirent ce qu’avait fait Jésus. (Jean 11, 38)

Péché contre l’Esprit

Le péché contre l’Esprit Saint ne naquit pas ce jour là. Mais il fut extérieurement manifesté chez ceux en qui il séjournait déjà.

Ce péché là a une définition théologique précise : c’est un acte qui doit être porté par une intention si lucide, si libre, qu’aucune ignorance et aucune faiblesse ne vienne en amoindrir la responsabilité. Sur terre, il ne peut donc être commis que par des théologiens car toute personne qui fait le mal mais ignore encore Dieu est dans une certaine ignorance. A l’heure de la mort et face à la vérité parfaitement révélée, tout homme en devient capable puisque toute ignorance concernant le bien et le mal disparaît. Mais une autre condition est requise : ce théologien doit être un homme calme, éduqué, maître de ses faiblesses. Un théologien pris par ses passions, aveuglé par ses pulsions ne saurait commettre qu’un péché contre le Père, c’est-à-dire un péché de faiblesse, puisque le Père est le symbole, dans la Trinité, de la Toute puissance.

Ainsi, si on écoute le témoignage de Jésus qui pénètre jusque dans le secret des âmes, il est certain qu’il y eu chez certains de ces chefs Juifs un blasphème contre l’Esprit : Ils étaient théologiens. Ils savaient donc de science certaine que seule la puissance de Dieu pouvait ressusciter un mort. Ils surent donc ce jour-là de science infaillible que Jésus était envoyé par Dieu.

« Dès ce jour-là donc, ils résolurent de le tuer. » (Jean 11, 53) Ils le firent donc, sachant qu’ils tuaient l’envoyé de Dieu, et ce froidement, de manière préméditée.

Un peu plus tard, ils allèrent jusqu’au bout de la logique de leur péché :

« La grande foule des Juifs apprit qu’il était là et ils vinrent, pas seulement pour Jésus, mais aussi pour voir Lazare, qu’il avait ressuscité d’entre les morts. Les grands prêtres décidèrent de tuer aussi Lazare, parce que beaucoup de Juifs, à cause de lui, s’en allaient et croyaient en Jésus. » (Jean 12, 9)

Certains, cependant, n’allèrent pas jusqu’à se forger cette certitude sur l’origine divine de Jésus (tout en affirmant publiquement ne pas y croire et en projettent de le tuer, ce qui constitue un blasphème contre le Saint Esprit). C’est pourquoi, à la croix, ceux-là voulurent se rassurer. Ils se rendirent au lieu du supplice et essayèrent de se convaincre : Ce ne pouvait être le Messie puisqu’il ne pouvait se sauver lui-même (Matthieu 27, 41) : « Pareillement les Grands prêtres se gaussaient de Jésus et disaient avec les scribes et les anciens : “Il en a sauvé d’autres et il ne peut se sauver lui-même ! Il est roi d’Israël : qu’il descende maintenant de la croix et nous croirons en lui !” »

Mais le rire de ceux là se figea quand le séisme qui survint déchira le voile du Sanctuaire en deux, du haut en bas (Matthieu 27, 51).

La damnation éternelle après la mort

Tous ceux qui, parmi les pharisiens et les prêtres, avaient assisté de leurs yeux aux signes et étaient juste coupables de leur inconséquence ou de leur peur de s’opposer aux Grands prêtres se convertirent au Seigneur un peu plus tard, soit lors des premières prédications des Apôtres, soit à l’heure de leur mort.

Mais il est probable que certains parmi les théologiens qui prirent ces décisions ce jour là, se damnèrent pour toujours. 20 ou 30 ans plus tard, ils moururent. Et leur âme fut accueillie dans l’autre monde par celui qui le leur avait explicitement prophétisé, face à face (Matthieu 26, 63) : « Je suis le Christ, le Fils de Dieu. D’ailleurs je vous le déclare : dorénavant, vous verrez le Fils de l’homme siégeant à droite de la Puissance et venant sur les nuées du ciel. » Le Grand prêtre à qui Jésus s’adressait s’appelait Caïphe. Lorsqu’il vit le Christ dans sa gloire, fit-il partie de ceux qui lui dirent : « Tu ne nous apprends rien. Nous savons bien qui tu es. Et nous reprendrions les mêmes décisions si nous revenions en arrière. Nous ne voulons pas de ton message. Il ruine toute la gloire de notre peuple et de notre religion. Ce que nous voulons, c’est une religion de gloire visible. » ? S’il fait partie du nombre, il s’est damné pour l’éternité.

Jésus avait prévenu de nombreuse fois certains de ces notables (Jean 8, 44) : « Vous êtes du diable, votre père, et ce sont les désirs de votre père que vous voulez accomplir. » C’est que, au-delà de l’aspect visible des choses (le pouvoir, les postes, les honneurs), ce furent deux conceptions de Dieu qui s’affrontèrent :

Pour ces notables Juifs, Dieu était celui qui donne Puissance et Gloire visibles.

Or Jésus vint proclamer que la Puissance de Dieu serait donnée à la douceur et l’humilité.

Dans ce conflit se joua donc un combat eschatologique entre le dieu de l’enfer (Lucifer) et le vrai Dieu, celui de Jésus Christ.

Et chacun opta pour l’éternité.

Arnaud Dumouch, 14 août 2006

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