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André et le purgatoire de la terre

« Et ne nous soumets pas à la tentation. »

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Cette histoire montre comment il n’est pas prudent pour nous de juger de l’échec ou de la réussite d’une vie. Les critères de Dieu et de ses anges ne sont pas les nôtres.

André fut un petit enfant sur le berceau duquel les fées se penchèrent. Il reçut tous les talents : beauté, intelligence, succès. 50 ans plus tard, il était devenu un chercheur connu. Elu maire de sa ville, il était l’heureux époux d’une belle femme et le père de trois filles.

L’ange de Dieu, chargé de garder André depuis sa conception et de le conduire vers la vie éternelle, observait la vie de son protégé. Il n’était pas du tout content. Il n’y voyait que vanité et certitude imbue de lui-même. Ce petit garçon de 50 ans promenait son existence avec l’arrogance de celui à quoi rien ne résiste. De plus, gâté par la vie, il poussait l’inconséquence jusqu’à s’ennuyer. « Ma femme est gentille et souriante, gentille et souriante, gentille et souriante… » disait-il avec ce ton blasé qui ne trompe pas. Bref, André ne voyait même plus le trésor que la vie avait mis sur son chemin. Tout cet orgueil accumulé inquiétait l’ange : « Cet enfant se dirige droit vers l’enfer. »

C’est pourquoi, lorsque la cinquantième année d’André commença, le Ciel décida qu’il était temps de le sauver. Et pour le faire, il déploya un moyen qu’on ne peut comprendre qu’en fonction de l’importance de l’enjeu, à savoir la vie ou la mort éternelle : Il le soumit à la tentation.

Première étape

Le piège que l’ange ouvrit sous les pieds d’André était classique. Dans son laboratoire de recherche, André remarqua vite une nouvelle laborantine : 35 ans (plus jeune que sa femme donc) et toute en admiration pour le chercheur qui dirigeait le service. Elle n’était pas plus belle que l’épouse d’André. Son avantage était ailleurs : elle n’était pas son épouse. Et c’est ainsi que, insensiblement, la force tranquille d’André et l’admiration féminine de la laborantine créèrent l’imparable alchimie. André se sentit de nouveau vivant.

Etant un homme pratique, il avoua très vite à sa femme son aventure. Puis il organisa son divorce, veillant par la même occasion à mettre les torts sur cette épouse incapable qui, effectivement, manifesta une surprise et un abattement total. Elle ne se défendit pas. Certes, il ne put empêcher que ses filles se détournent de lui avec colère et prennent parti pour leur mère. C’était un accroc dans sa cuirasse d’honorabilité. Mais peu importait : sa nouvelle jeunesse le stimulait.

André redoubla alors d’énergie. Il géra de front son travail, sa charge de maire et l’organisation de son nouveau foyer.

Deuxième étape

Un an passa. Et le temps révèle infailliblement les âmes.

D’abord, la femme d’André, « cette ménagère » selon son opinion, fut source pour lui d’une certaine surprise. Contre toute attente, elle se remaria, et très rapidement, avec un médecin, lui-même divorcé. Ils recomposèrent une famille de cinq enfants. Et ils s’installèrent dans un magnifique pavillon. André ne le confia à personne, mais cela fut pour lui objet d’une certaine humiliation. Cela suscita aussi en lui une interrogation : « Etait-il passé à côté de quelque chose ? »

Troisième étape

Un an passa encore. Et le temps est l’ennemi de l’apparence.

Sa nouvelle épouse se montra différente de ce qu’il imaginait. Dès le temps de l’admiration passé, elle se montra de plus en plus exigeante. Et lui suivait. Autant il se montrait dominateur avec son ancienne épouse, autant il se montrait soumis avec la nouvelle. Or, plus il se montrait gentil et attentionné, plus elle semblait ressentir du mépris. Elle ne l’admirait plus…

La laborantine le quitta du jour au lendemain. Il rentra le soir dans la maison, cette maison où il avait élevé ses trois filles, et qu’il avait arrachée à sa femme à travers un divorce brillamment organisé. Et il s’y retrouva seul. Elle n’avait rien laissé de ses affaires personnelles, pas même les albums de photos de leur courte idylle.

Quatrième étape

Un an passa encore. Et le temps révèle les vanités. Les choses se surent vite. La laborantine se chargea d’ébruiter ses travers, son caractère petit bourgeois, son égoïsme. André ne laissa rien paraître. Mais il était intérieurement ravagé. Elle lui avait arraché le cœur (car André l’aimait. Il ne faut pas le nier) et, plus encore que le cœur, ce bien qu’il possédait depuis toujours et dont il ne découvrait qu’aujourd’hui l’importance (on ne voit souvent que ce qu’on a perdu) : sa réputation. En deux ans, il avait détruit sa famille et s’était fait jeter comme un malpropre. Il n’essaya même pas de contacter son ancienne épouse. C’était une question de fierté. Et il s’étourdit encore davantage dans ses activités. Il sentait les chuchotements derrière lui, mais personne ne lui parla de rien.

André ne laissait toujours rien paraître, mais sa décision était prise. L’honneur et l’amour n’existant plus, la vie n’avait plus de sens. Il écrivit un testament dans lequel il demandait à son ex-femme de ne pas venir à ses funérailles. C’était une vengeance ultime et bien mesquine qui montrait le niveau de ruine de son esprit. Il se vengeait car elle était heureuse, et lui malheureux…

On retrouva le corps d’André dans sa maison, si parfaitement mort qu’il ne fut rien tenté pour le réanimer. Il était chimiste. Il prépara sa fin avec un soin qui ne laissait aucun espoir de survie. La nouvelle frappa la ville de stupeur. Son enterrement fut très suivi, chacun méditant à son destin. En ville, dans ses habituels cancans, il y eut le parti de ceux qui prenaient la défense de l’épouse ; et ceux qui disaient qu’on devait se taire, que le destin d’un homme ne pouvait se juger si facilement. On donna son nom à la rue principale.

Le jugement du ciel

L’ange gardien.
L’ange gardien (Wilhelm von Kaulbach)

L’André que recueillit son ange, dans le passage de la mort, était redevenu un petit garçon. En trois années, sa cuirasse d’honorabilité avait été fendue, sous les coups de Dieu. Mais le Ciel admira comment Dieu, par son ange, avait voulu qu’il tombe dans un péché mortel visible et humiliant (l’adultère, puis le suicide) pour le sauver d’un péché mortel plus grave et invisible (l’orgueil) qui l’aurait certainement conduit en enfer. En trois ans, et jusqu’à son ultime et mesquine petite vengeance testamentaire, il avait définitivement perdu toute illusion sur lui.

Alors voici ce qui se passa : Au moment où le Christ lui apparut, le vrai sens de la vie lui fut présenté. André brûla aux pieds du Christ tout ce qu’il avait jadis adoré : sa gloire, sa réputation surfaite, ses anciennes responsabilités. Il accepta de redevenir devant Lui un simple enfant plein de gros défauts, défauts dont il demanda bien pardon.

Et il se repentit si bien et si puissamment que c’est avec un amour total qu’il se mit lui-même dans le purgatoire qu’il s’imposa par la suite. La purification de ses restes de fierté fut rapide car il n’eut pas de mal à se déclarer indigne, totalement indigne du Ciel ! Or c’est l’attitude qui plaît à Dieu.

Quand un homme aime et est devenu humble au point de mépriser son ancienne vanité, que lui manque-t-il pour rentrer au ciel ?

Sincèrement, il lui manque de n’avoir pas réglé les conséquences de ses péchés passés. Et il veut se racheter tant il est devenu un homme droit, à cause de son grand amour.

Il ne reçut aucune indulgence. Cette dette ne fut pas remise à André. Le Christ la lui laissa et lui confia, à titre de paiement, une grande responsabilité : celle de protéger, conjointement avec leurs anges, cette épouse qu’il avait abandonnée, mais aussi cette maîtresse source de sa purification, puis ses filles et ses futurs petits-enfants. Ainsi, à titre de dette, il reçut un apostolat pour plusieurs siècles.

Aujourd’hui, André voit Dieu face à face. Sa dette de peine, il va devoir la régler très concrètement dans 30 ans quand, à l’heure de sa mort, il accueillera son épouse et lui manifestera son amour et son repentir. Il devra ensuite recevoir sa maîtresse, dans 32 ans et renouveler pour elle cet apostolat qui l’attirera au ciel. Il les recevra toutes les deux avec une grande douceur et sans aucune envie de les condamner. Car là où il est, André sait ce que c’est qu’être pécheur… pardonné.

Arnaud Dumouch, 2005

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