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Amelia, au purgatoire jusqu’à la fin du monde

« Lucie demanda à la Vierge Marie des nouvelles au sujet de deux jeunes filles mortes depuis peu : Maria, 16 ans, et Amelia, 19 ans, qui allaient chez elle apprendre à tisser :
— Est-ce que Maria est déjà au Ciel ?
— Oui, elle y est.
— Et Amélia ?
— Elle sera au Purgatoire jusqu’à la fin du monde. »
(Apparition de Fatima, Portugal, 1917)

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Je suis souvent allé revoir Jeanne depuis cette fascinante première rencontre sur l’enfer. Je lui ai parlé un jour de ce message intrigant de la Vierge de Fatima sur Amelia. Je l’avais lu plus jeune et j’avais en tête l’idée que c’était une petite fille morte à l’âge de 10 ans. Mais Jeanne a aussitôt démenti. « Monsieur, elle n’est pas morte à 10 ans mais à 19 ans. Mais cela ne change rien. Il y a des enfants au purgatoire et de nombreux enfants. »

Surpris, je lui ai demandé comment elle le savait et si elle fréquentait tous les soirs l’au-delà. Elle m’a dit : « Apparemment, comme vous êtes un théologien, vous mettez du temps à comprendre. Alors la Sainte Vierge vous fait gagner du temps en m’emmenant voir de mes propres yeux pour vous. Ne vous en plaignez pas. C’est plutôt sympathique de sa part. »

Un peu froissé par ce dernier trait, j’ai ravalé mon honneur intellectuel pour de rigoureuses et exclusives raisons de curiosité. Je me suis dit que de toute façon Jeanne parlait avec cette même vigueur et sans mettre de gants aux damnés eux-mêmes…

Je lui ai donc demandé si elle avait rencontré Amelia.

— Mon ange voyageur est venu m’en parler hier soir, à cause de votre visite. Il m’a proposé de m’emmener la voir. J’ai sauté sur l’occasion.

— Vous avez bien fait.

— Seulement mon ange m’a dit que, après mon entretien avec Amelia, il fallait qu’il m’explique des choses sur elle. Car, si elle est au purgatoire, c’est qu’elle n’arrive pas à comprendre certaines choses concernant sa propre âme.

J’ai alors voulu mettre mon grain de sel :

« Elle n’arrive pas à comprendre certaines choses concernant sa propre âme ? » ai-je dit. Pourtant sainte Catherine de Gênes (Traité du purgatoire) dit en théologie que les âmes du purgatoire sont saintes, bien plus que nous, qu’elles aiment tellement et de tout leur cœur qu’elles ne peuvent aimer davantage.

— C’est très vrai, a répondu Jeanne. Et pourtant elles sont dures de la comprenette sur certains points… Vous verrez… Patientez un peu. Donc je me suis retrouvé auprès d’elle. Elle vit sur une colline ensoleillée qui ressemble beaucoup à la campagne portugaise. C’est elle qui s’est créé son petit lieu de séjour, en fonction de ses nostalgies. C’est un vrai paradis, plein de fleurs et d’animaux. Elle s’est entourée de tout un monde de moutons, de loups, de souris… Elle voit la mer depuis son domaine.

— Quel drôle de purgatoire ? C’est plutôt un paradis…

— Non, c’est un lieu de grande souffrance. Je l’ai senti en m’approchant : il règne sur cette colline un climat de tristesse à en mourir. Et les animaux vont et viennent auprès d’elle. Ils sont tristes et abattus. Ils entourent leur maîtresse de leur pauvre présence et essayent de l’égayer. Mais rien n’y peut.

— Cela fait un peu Blanche Neige et les animaux de la forêt, votre description ?

— C’est exactement cela. On dirait que les textes bibliques sont réalisés (Isaïe 65, 25) : « Le loup et l’agnelet paîtront ensemble, le lion comme le boeuf mangera de la paille, et le serpent se nourrira de poussière. On ne fera plus de mal ni de violence sur toute ma montagne sainte, dit Yahvé. »

Animaux ?

Je n’ai pas montré à Jeanne mon air dubitatif. Je me disais que ces textes étaient symboliques et que seuls les témoins de Jéhovah attendaient un tel paradis au sens littéral. Elle m’a interrompu : « Vous êtes sensé exprimer toutes vos objections. Moi je l’ai fait avec le damné. Si vous avez été choisi pour m’écouter, c’est que ces objections seront celles de ceux qui entendront parler de cette histoire. »

L’agressivité feinte de Jeanne m’a complètement détendu. C’était dit avec un tel air de taquinerie que je me suis dis : « Allons-y. Je lui bousille sa théorie. » J’ai donc pris toute ma théologie : « Les animaux n’ont pas d’esprit. Comment peuvent-ils être vivant de l’autre côté ? Saint Thomas d’Aquin montre qu’ils n’aspirent pas à l’éternité… »

— Il faut croire que Dieu leur réserve une place, lui qui compte les plumes des passereaux (Matthieu 10, 29), une place qui leur est adaptée. Je les ai vu, bien vivant et très beaux. Ils restent des animaux. Ils n’ont aucune vie spirituelle mais ils ressentent joie et tristesse en fonction de la joie ou de la tristesse de ceux qu’ils entourent.

— Mais comment peuvent-ils survivre ? Leur corps est mort ?

— Leur corps charnel est mort, mais pas leur être. Ce sont des « fantômes d’animaux », des fantômes qui n’ont plus besoin de se nourrir et de s’entredévorer. Mais ils sont bien vivants et beaucoup plus heureux que sur terre. Vous pensiez donc que Dieu ne les récompenserait pas, eux que nous dévorons tous les jours à table en sauce ? »

Je n’ai plus rien répondu sur ce point. Je me suis dit que j’avais beaucoup de choses à apprendre. Qu’il faudrait un jour qu’elle me parle des animaux et des plantes du Ciel. La dernière fois que j’avais entendu parlé de « fantômes d’animaux », c’était dans des livres d’ethnologie sur les chasseurs-cueilleurs préhistoriques…

Seule

— Comment est Amelia, alors ?

— C’est une jeune fille merveilleuse. Elle a le même caractère que moi ! C’est une battante. Elle ne renonce jamais. Dire qu’elle n’a que 20 ans de plus que moi ! Si elle avait vécu, elle aurait pu être ma mère… Mais là-haut, nous sommes devenues instantanément copines. Cette différence d’âge biologique est complètement étrangère à l’autre monde. On a l’âge de son âme. Je pourrais être son arrière-grand-mère… Et puis nous avons eu la plus belle, la plus profonde des conversations qui a fait de nous deux amies.

— Que fait-elle de ses journées ?

— Je lui ai demandé. Elle m’a dit : J’aspire après Dieu.

— C’est-à-dire ?

— Dieu Lui manque. Elle brûle de fièvre et de désirs pour Lui. Ma visite l’a réconfortée. Elle est seule. Tout son purgatoire se résume à cela : seule…

— Quoi ? C’est une grande mystique et elle n’est pas au paradis ? Comment fait-on pour être sauvé alors ? C’est effrayant… Moi, outre les nuits de sommeil, je passe bien 30% de ma journée devant la télévision et je n’aspire pas tant que cela et à chaque moment à Dieu. J’irai en enfer, à ce prix là…

Je me souvenais de cette même interrogation posée par les disciples à Jésus (Matthieu 19, 25) : « Entendant cela, les disciples restèrent tout interdits : « Qui donc peut être sauvé ? » Disaient-ils. Fixant son regard, Jésus leur dit : "Pour les hommes c’est impossible, mais pour Dieu tout est possible. »

Jeanne me répondit :

— Elle veut plaire à Dieu et aux habitants du Ciel. Elle veut se rendre belle et digne de lui. Ce travail lui prend toute son énergie. Mais ce n’est possible que là-haut. Il ne faut pas comparer avec nos efforts d’ici-bas. Là haut, on peut penser sans effort et à chaque instant à Dieu. Ici-bas, c’est impossible. Il suffit de vivre de manière habituelle avec l’idée de sa venue proche…

— Mais elle doit se promener, s’occuper avec les animaux.

— Les pauvres animaux la voient bien dans sa perpétuelle tristesse. Et ne peuvent qu’attendre auprès d’elle les moments de calme.

— Elle doit recevoir des visites ?

— Souvent. Elle n’est pas abandonnée. Et c’est la Vierge qui vient le plus la voir ou qui délègue sa maman de la terre dont elle était très proche. Mais elle ne doit pas être visitée trop souvent. Sinon sa purification n’avance pas…

— Et pourquoi est-elle au purgatoire ?

— Elle m’a raconté sa vie. Elle m’a montré tous ses péchés. L’un des plus gros, elle l’a commis à 8 ans : Sa sœur et elle avaient reçu en cadeau deux belles poupées, absolument identiques. Or elle cassa un soir la sienne. Elle cacha soigneusement l’accident, attendit la nuit, s’approcha tout doucement du lit de sa sœur et échangea les poupées. Le lendemain, la petite sœur pleurait beaucoup. Et elle la consolait en lui disant : « Ce n’est pas grave. Papa la réparera. » Elle n’a jamais avoué son péché, ni à sa sœur, ni à un prêtre. »

J’étais très gêné. J’avais en tête des souvenirs exactement analogues de mon enfance et même à un âge un peu plus avancé… Aussi je demandais à Jeanne :

« Mais elle s’est nécessairement repentie de son péché. Elle est pardonnée. La preuve, elle est pleine d’amour.

— Oui, elle s’en est confessée avec une très grande vérité et un repentir parfait à l’heure de sa mort, et directement au Christ, à Marie, au Ciel entier, droit dans les yeux.

— Alors si elle s’était confessée à un prêtre avant sa mort, serait-elle tout de même au purgatoire ?

— Elle m’a dit que oui. Ce n’est pas pour ce péché qu’elle est au purgatoire, c’est pour un péché plus caché qu’elle ne comprend pas encore et que je n’ai pas compris non plus. Moi, je la trouvais parfaite et sainte. Si j’avais été Dieu, je l’aurais prise tout de suite avec moi au paradis. (En plus elle est très amusante. On ne s’ennuie pas un instant avec elle !)

— Ma pauvre Jeanne. On est mal parti tous les deux. J’ai bien l’impression qu’on va tout droit au purgatoire. Sinon nous comprendrions ce qui ne va pas en elle… Vous avez une idée de ce qui ne plait pas à Dieu en elle ?

— A ce moment là, je n’en avais aucune. Alors j’ai passé le reste de mon séjour à lui raconter ma propre vie. Je l’ai beaucoup fait rire avec mes péchés : je suis dépressive, je bois et je fume trop.

— Vous êtes dépressive, Jeanne ? Vous buvez à 87 ans ? C’est mal cela, ai-je dit, un sourcil froncé.

— Et oui. Ça n’apparaît pas, n’est ce pas ? Et puis il a bien fallu la quitter. Mon ange est venu me chercher. (Je l’ai rebaptisé « Angelic Airbus Compagnie » en l’honneur de l’Airbus A 380 qui est sorti cette année).

Humilité

Marie, l’humble servante du Seigneur.

Alors qu’il me reconduisait dans mon lit, je lui ai demandé de rester un instant.

— J’ai une question à te poser. Pourquoi est-elle au purgatoire jusqu’à la fin du monde ? C’est tout de même un peu gênant pour Dieu ? Cette histoire de poupée est un peu légère pour une telle peine. Moi j’ai fait pire dans ma jeunesse. Je me suis battue plusieurs fois avec une copine que je l’ai réduite à néant en la tirant cruellement par ses longs cheveux blonds. Et je ne m’en suis jamais confessée. Je ne le regrette même pas, 75 ans après… Elle se prenait pour une star américaine…

— Mon enfant, m’a dit mon ange. Pour aller au Ciel, il ne suffit pas d’aimer de tout son cœur, de toute son âme, de toute sa force. Cela, tous ceux qui arrivent dans la mort et ne rejettent pas le Christ le font, sans effort. Ils tombent amoureux de lui d’un coup ou ils le rejettent d’un coup pour toujours.

Je l’ai alors interrompu :

— J’ai compris. C’est à cause de ce texte (Matthieu 5, 25) : « Hâte-toi de t’accorder avec ton adversaire, tant que tu es encore avec lui sur le chemin, de peur que l’adversaire ne te livre au juge, et le juge au garde, et qu’on ne te jette en prison. En vérité, je te le dis : tu ne sortiras pas de là, que tu n’aies rendu jusqu’au dernier sou. » Elle paye sa dette de peine car elle ne s’est pas confessé à sa sœur durant sa vie…

— Mon enfant. Crois-tu qu’elle serait au purgatoire jusqu’à la fin du monde pour ce péché, s’il fallait juste le payer ? Sa sœur est morte et au Ciel depuis longtemps. Cela fait 50 ans qu’elle sait pour la poupée. Elle avait d’ailleurs complètement oublié cette histoire depuis longtemps. Elle a été la première surprise quand Amelia lui en a demandé pardon, à l’heure de sa mort…

— Alors je ne comprends pas…

— Mon enfant : C’est qu’Amelia est morte fière. C’est une bonne fierté, une fierté naturelle. Elle est partie jeune, en pleine force de l’âge. Elle est morte d’un coup, sans souffrir. Alors elle n’a pas pu apprendre, goutte après goutte tout au long de ces années qu’on n’aime pas, ces années où on vieillit, où son énergie se tasse, où les amis se font rares… elle n’a pas appris l’humilité

— Quoi ? Mais elle est depuis plus de 80 ans avec des animaux, toute seule ? Elle a du la comprendre l’humilité ?

— Amelia a besoin de plus de temps. Elle n’arrive pas à entrer dans la mort totale à elle-même. Il faut donc que le désespoir vienne la frapper. Mais, avec son tempérament, cela prendra un peu plus de temps que les autres : C’est une battante. Chaque fois qu’elle est au bord du découragement, elle se relève et dit, avec son intarissable joie de vivre : « Mon Dieu. Je t’aime. Un jour je serai digne de toi. »

— Je n’y comprends rien. Il faut donc qu’elle devienne une loque ?

— Jeanne. Pas une loque : une pauvre. Il faut qu’elle soit comme le Christ, réduite à son néant. Amelia est un chameau. Et vous vous rappelez ce que Jésus dit des chameaux (Matthieu 19, 24) : « Oui, je vous le répète, il est plus facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume des Cieux."

J’ai dit à Jeanne : Bon, on est mal partis : Nous, catholiques pratiquants, nous comprenons que Dieu est amour. Mais je crois que nous avons du mal à comprendre que Dieu est amour jusqu’à la mort et à la mort sur une croix… bref, que du cœur du Christ, il ne sort pas que du sang (de l’amour) mais du sang et de l’eau (de l’humilité)…

— Oui, apparemment c’est ça le problème, m’a répondu Jeanne.

Et nous nous sommes servis un petit whisky…

—… C’est inquiétant tout cela, a continué Jeanne. Alors j’ai demandé à mon ange comment il fallait faire pour ne pas passer cinq ou dix siècles au purgatoire après la mort.

— Il m’a dit : il faut humblement, demander à Dieu de faire son purgatoire ici-bas. Humblement, car cela ne sert à rien de s’imposer à soi-même des souffrances en espérant en devenir humbles. Quand par malheur on y arrive, cela provoque l’effet inverse. Ça rend encore plus fier… Vous vous rappelez le pharisien…

— Je vais le faire tout de suite, ai-je aussitôt dit à mon ange.

— Attendez : vous savez, quand Dieu nous exauce sur ce point, ce n’est pas forcement moins long et moins difficile, du moins psychologiquement… On va directement au Ciel dès qu’on est devenu sans aucune sorte d’illusion sur soi, sur sa misère. Et c’est une conviction qui ne s’apprend que par l’expérience.

— Quelle expérience faut-il, ai-je demandé à mon ange.

— L’expérience de sa misère, jusqu’à l’absolu. Et il y a beaucoup de voies pour cela :

La plus belle est la voie de Marie : elle était pure et déjà humble. Mais elle a été anéantie par la mort de son fils ;

Mais il y a aussi la voie de Marie-Madeleine, celle des pécheurs, qui était prostituée et a su très tôt qu’elle ne mériterait rien ;

Il y a la voie des athées qui meurent dans le désespoir et sans attendre aucun salut. C’est pour cela que Jésus se cache en ce moment au monde.

Il y a voie des longues maladies qui, instant à après instant, nous plongent dans notre néant…

Mais surtout, m’a-t-il dit : il ne faut pas prendre les purgatoires mystiques du Ciel comme un déshonneur. Amelia a juste pris la voie des chameaux. Et ce n’est pas de sa faute. C’est juste parce que Dieu est venu l’enlever de la terre très tôt. A la fin du monde, nous nous retrouverons tous, tout humbles et tout amour, et personne n’aura envie de dire à son frère en misères : mon chemin fut meilleur et plus rapide que le tien…

Avec Jeanne, nous avons repris un deuxième whisky…

Indulgence plénière

Et j’ai eu soudain une idée :

« L’indulgence plénière, Jeanne… Mais oui, c’est la solution pour Amelia : « L’Église prend dans les trésors du Christ qu’elle applique aux âmes du purgatoire pour les délivrer de leurs dettes de peine pour leurs péchés. Aussitôt elles en sont délivrées. »

— Hélas, j’y ai pensé. Et j’ai posé la question à mon ange. Il m’a répondu :

— Depuis que la Vierge Marie a dit au monde qu’Amelia serait au purgatoire jusqu’à la fin du monde, elle a été bombardée depuis la terre de milliers de prières et de sacrifices. Et en ce qui concerne « les dettes de peine », c’est fait. Et elle le sait bien, Amelia. Mais pour ce qui est de l’humilité, il n’y a rien à faire. Il faut qu’elle comprenne toute seule… Et elle a la tête dure. Quand elle entrera au Ciel, elle sera la sainte de la force de caractère !

Arnaud Dumouch, 2005

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