Accueil > Contes > Tome 1 : Le destin individuel > Sophie, la petite fille morte sans baptême
Le sort des enfants morts sans baptême
« On présentait à Jésus des petits enfants pour qu’il les touchât, mais les disciples les rabrouèrent. Ce que voyant, Jésus se fâcha et leur dit : « Laissez les petits enfants venir à moi ; ne les empêchez pas, car c’est à leurs pareils qu’appartient le Royaume de Dieu. En vérité je vous le dis : quiconque n’accueille pas le Royaume de Dieu en petit enfant, n’y entrera pas. » Puis il les embrassa et les bénit en leur imposant les mains. » (Marc 10, 13)
Je m’appelle Sophie et j’ai cinq ans aujourd’hui. Vous serez sans doute surpris mais je n’ai pas grandi sur la terre. Pourtant, ce soir, je vais faire ma communion, mais pas comme vous sur terre : Je vais faire ma communion éternelle : je vais voir Dieu. Je suis bien prête. Mes parents m’ont préparé une robe blanche et des fleurs dans les cheveux. Ils vous expliqueront mon histoire. Attention, seul un coeur d’enfant peut comprendre ce qui s’est passé avec moi.
Oui. Ce que dit notre petite Sophie est vrai. Nous tous qui avons eu la chance de grandir sur la terre, nous avons retrouvé au Ciel toute la beauté de notre coeur d’enfant. Voici son histoire.
Elle était la plus petite des toutes petites filles quand elle est arrivée ici. Ses parents de la terre sont des adolescents qui ont joué avec leur corps. La toute jeune femme, prise de panique, avala une pilule du lendemain. Sophie avait été conçue deux jour avant. Elle n’avait alors pas de nom et ses parents ne seront mis au courant de son existence que dans quelques 70 ans, lorsqu’ils arriveront ici.
Sophie est entrée en agonie aussitôt. Elle n’a rien ressenti mais, arrivée dans le passage de la mort, son âme a eu un moment de peur spirituelle. Elle s’est trouvée seule dans le vide, flottant entre les deux mondes, sans personne pour la porter et l’aimer. Comme les esprits mauvais de ce monde intermédiaire, les Puissances, les Principautés[1], commençaient à l’approcher, nous, aussitôt, nous sommes arrivés. Nous, je veux dire mon épouse et moi, et beaucoup d’autres compagnons. Nous étions mari et femme sur terre et notre plus grand regret avait été de ne pouvoir avoir d’enfant. Alors il nous a été donné de l’adopter. Je le savais déjà avant mon épouse, car elle est arrivée au ciel après moi. En l’accueillant, ce fut la première chose que je lui ai dit : « tu vas être mère ! » Oh ! Quel rayonnement dans son âme.
« Je ne puis pas penser beaucoup au bonheur qui m’attend au Ciel ; une seule attente fais battre mon coeur, c’est l’amour que je recevrai et celui que je pourrai donner : faire baptiser les petits enfants, aider les prêtres, les missionnaires, toute l’Eglise. » (Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, Dernières paroles recueillies, « J’entre dans la vie », Cerf, Paris).
Sophie était une grande prématurée. Comme personne ne s’en occupait sur terre, nous avons tout de suite commencé par demander pour elle le baptême. C’est ce jour-là que nous sommes devenus ses vrais parents. Et aussitôt, à notre appel, l’Esprit de Dieu est venu vibrer dans son âme, tendrement. Mais Il ne s’est pas encore montré face à face à elle. Chaque chose en son temps. Elle doit être préparée à ce grand jour. C’est juste une vibration très douce de son âme. L’Esprit la berce dans ses bras et elle aime bien, puisque son cœur est comme un berceau pour Lui.
Nous savons que Lucifer est toujours très furieux de ces baptêmes que nous pratiquons à l’heure de la mort des enfants. Il essaye depuis toujours de rappeler les règles administratives. Il les cite avec une rigueur tout à fait précise :
— Il y a A) le choix primordial d’Adam et Eve dont il rappelle (citation) « la validité formelle ».
— Il y a aussi B) la nécessité d’un baptême effectué avec :
1° de l’eau,
2° sur terre,
3° par l’Église militante.
Il n’a évidement convaincu que quelques habitants de la terre et, parmi eux, des canonistes sourcilleux. Ici comme sur terre, nous ne cessons de contourner ces très amusantes restrictions. De plus en plus d’habitants de la terre le comprennent et pratiquent ces baptêmes de désir, partout dans le monde. Certaines mamans de la terre ont adopté des milliers d’enfants en priant simplement pour eux.
Ses parents l’ont appelé « Sophie », c’est-à-dire « sagesse », juste pour vous raconter son histoire. Mais son vrai nom est imprononçable sur terre. Son nom, c’est son âme que les habitants du Ciel viennent visiter en félicitant ses parents. Chacun se penche sur sa petite nature en sommeil et y voit une perle de Dieu. Ici, nous avons des univers entiers, des mondes plein de merveilles animales et végétales. Mais quand arrive un petit univers nouveau comme Sophie, plus beau que tout, chacun veut le visiter.
Depuis cinq ans, nous l’avons élevée selon les principes de Dieu. Et sa psychologie se fortifie. Nous habitons avec elle dans un lieu intermédiaire qui n’est pas la terre ni le Ciel mais le monde des enfants. Cela se passe très différemment de la terre. Notre autorité n’a pas besoin de sanctions car Sophie n’a pas en elle ce foyer de révolte que les enfants de la terre reçoivent de Dieu.[2] C’est ce qui fait que notre enfant restera pour toujours innocente, ce qui est dommage. Car les épreuves de la terre enflamment les cœurs pour l’éternité dans une grande soif et d’une grande brisure. Elle n’expérimentera pas la lutte en elle, mais seulement une paisible croissance. Elle joue avec les autres enfants. Et, au fur et à mesure du temps, elle devient de plus en plus proche de poser ses choix de manière autonome. Dès que son intelligence et sa volonté seront prêts, nous la présenterons pour sa communion. Nous lui parlons de Dieu, de son projet, de la révolte de Lucifer, du purgatoire de la terre, des autres purgatoires. Nous lui expliquons ce que Dieu aime le plus : l’humilité et l’amour.
Je prie beaucoup Dieu avec mes compagnons de jeu. Lui marche au milieu de nous de manière cachée mais nous le sentons tous. Dans notre séjour, il a placé toute sorte d’animaux mignons et gentils. Nous pouvons voler avec les oiseaux et on nous laisse une grande liberté. Nous avons tant de souvenirs à raconter. Il y a Nadine, Maria et Dominique, Christian et Arnaud, et tous nos compagnons de jeu. La Vierge Marie vient tout le temps nous voir. Elle nous parle de Jésus, qui est Dieu et qui est descendu chercher tous les enfants des limbes, juste après sa passion, pour les faire entrer dans la gloire de Dieu.
Maman m’a raconté mon histoire, l’avortement et tout cela. Quand ma maman de la terre arrivera, je viendrai l’accueillir. Je sais dans quelle épreuve elle est : on m’a raconté comment la terre est un purgatoire terrible, où Dieu se cache à tel point que certains pensent qu’il n’existe pas. Parfois, Maman du Ciel va accueillir ceux qui arrivent de la terre et à chaque fois, elle me raconte les mêmes choses : c’est comme une naissance pour eux, comme s’ils n’avaient jamais osé espéré une telle beauté qu’ils désiraient dans leur cœur. Quand Maman de la terre arrivera, il faudra que je l’adopte à mon tour. Car elle se fera de grands reproches. Elle s’en voudra beaucoup. Il faudra que je lui démontre que Dieu sait tout transformer en lumière. J’en ferai une maman qui adoptera elle aussi des petits enfants de la terre qui n’ont pas de maman.
Je suis Avogadro-Ampère, l’un des puissants et solennels démons de l’enfer. Je viens de lire l’histoire ci-dessus : puéril ! A pleurer ! Y a-t-il un théologien rationnel pour démonter ce tissu d’inepties ? Je suis chargé de conduire les innocents dans mon paradis de lumière. C’est moi qui viens m’opposer à eux le jour de leur communion. Et j’en aurai un, un jour ! J’en suis certain. Ils sont de plus en plus nombreux à arriver ici, abandonnés par leurs parents. Bon, je l’admets, pour le moment, je n’en ai pas eu un seul. Mais ce soir, il y a cette Sophie. J’ai bon espoir.
Je vais vous raconter la fête du couronnement de Sophie. C’était unique. Du jamais vu de mémoire d’ange. C’est la même émotion que celle des cérémonies de mariage pour vous.
Sophie est arrivée comme une jeune fille, belle dans la robe de mariée que lui avaient préparé ses parents, et amis : une robe spirituelle faite d’humilité et d’amour et de toutes sortes de vertus qui faisait de son âme une perle unique dans l’univers.
Tout a commencé par sa profession de foi. Avogadro-Ampère est apparu, digne et noble dans sa lumière, sous forme d’un corps sensible. Et Sophie a bien du le regarder. Pauvre Avogadro-Ampère : comme il se débattait pour lui présenter ses colifichets : Noblesse, liberté, pouvoir, dignité, indépendance. Evidement, cela a eu autant d’effet sur Sophie qu’une équation de mathématique en a sur une colombe. Sophie cherchait son Jésus. Jamais, elle ne l’avait vu de ses yeux et c’est lui qu’elle voulait voir.
Jésus est arrivé, doux et humble, lumineux dans son corps de gloire. Jamais Sophie n’avait vu tant de merveille. Elle s’est tournée vers ses parents et leur a dit : « Il a dépassé toutes mes espérances. » Et elle a couru vers lui. Le Ciel entier a chanté sa joie lorsqu’il l’a introduit dans la Trinité. Nous reprenions en chœur le Cantique (Cantique 1, 2) :
Qu’il m’embrasse des baisers de sa bouche.
Ton amour est plus délicieux que le vin ;
L’arôme de tes parfums est exquis ;
Ton nom est une huile qui s’épanche,
C’est pourquoi les jeunes filles t’aiment.
Entraîne-moi sur tes pas, courons !
Le roi m’a introduite en ses appartements ;
Tu seras notre joie et notre allégresse.
Nous célébrerons tes amours plus que le vin ;
Comme on a raison de t’aimer !
Conte d’Arnaud Dumouch
Illustré par Maximilie Sente
1. Ephésiens 6, 12 : « Car ce n’est pas contre des adversaires de sang et de chair que nous avons à lutter, mais contre les Principautés, contre les Puissances, contre les Régisseurs de ce monde de ténèbres, contre les esprits du mal qui habitent les espaces célestes. » [↩]
2. C’est bien de Dieu qu’ils le reçoivent comme un aiguillon provisoire d’où ils apprennent l’humilité. [↩]