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Louise

 

Je suis là, assise sur cette foutue chaise. Depuis mes 80 ans elle ne me lâche plus. 10 longues années que nous partageons notre quotidien ensemble. Je ne parle pas, je regarde dans le vide. Je n’arrive plus à étendre mes lèvres pour obtenir ce que certains appellent un sourire. Au fond, qu’est-ce que sourire ? Où en est l’intérêt ? Dès qu’ils viennent me voir, ils sont convaincus que je suis dans « mon monde » mais je suis là. Je suis avec eux, et je m’ennuie éperdument. Je n’attends qu’une seule chose, partir loin, très loin. Est-ce que j’ai peur de mourir ? Avant le mot « mort » m’horrifiait. J’ai bien dit avant.

J’ai plutôt bien réussi ma vie. Le train-train habituel : travail, mari, enfants, petits-enfants tout ceci agrémenté d’une vieillesse. De l’amour j’en ai donné. J’ai toujours tout fait pour qu’ils soient heureux. Mais qu’est-ce que le bonheur ? J’ai passé ma vie à vouloir combler chaque être que j’aimais sans parvenir à remplir ce trou dans ma poitrine. Quelque chose me manque. Mais quoi ? Je pensais que le travail allait m’aider mais non. Un amoureux puis un mari ? Toujours pas. Des enfants ? Des voyages ? De l’argent ? Comment est-il possible de rester de marbre face à tout ? Suis-je en pierre ? N’ai-je donc pas de cœur ? J’ai aimé pourtant. Une seule fois. Il était si gentil. J’avais confiance, comment ne pas avoir confiance en quelqu’un qu’une petite fille de 5 ans appelle Papa ? On était très complices et parfois Maman se sentait tellement rejetée. Je l’aimais plus qu’elle, c’était mon père. Il m’avait mise au monde avec tout son amour. Il m’offrait tout ce dont je pouvais rêver. J’étais heureuse, oui très heureuse.

Un jour il m’a demandée de venir près de lui. Maman était partie et je jouais dans notre grand jardin orné de roses rouges. Chaque image, chaque geste, chaque parole, chaque sensation, jamais je ne les oublierai. J’étais tellement petite, je ne comprenais pas. Les années passaient, je ne disais rien. Il avait pris le dessus. Mon sourire, mon bonheur, ma voix, il m’avait tout pris. Il ne me restait que cette saleté, collée, incrustée en moi. Maman ne m’a pas écoutée, personne ne m’a écoutée. Alors, je ne dis plus rien. Pourquoi parler ? Pourquoi aimer ? Quand il fut mort, je me suis promise de ne jamais lui pardonner.

Je les regarde une dernière fois. J’entends mon petit cœur de vieille dame battre doucement… 1,2 ; 1,2 ; 1,2 ; 1… Je n’ai pas peur, je suis même contente. Je me sens légère. Je vole tel un oiseau majestueux. Je suis désormais invisible. Je devrais être triste, mais je sais que je les reverrai. On se reverra car j’ai foi.

Lui, voilà comment je l’appelle. Il m’entraine, m’aide. Je ne le connais pas et pourtant j’ai l’impression de l’avoir toujours eu près de moi. Quelle sensation étrange. Je ressens l’envie de le suivre n’importe où. Ensemble nous franchissons les étapes. Je n’ai toujours pas peur, il me guide et je ne m’inquiète point. Ce moment j’en avais tant rêvé. Issue d’une famille de croyants, j’osais espérer rencontrer celui ou celle qui arriverait à combler le vide. Je m’en rapproche, lentement, sans me presser. Lui, m’emmène au loin vers un tunnel clair. Je n’y vois rien. Celle que j’étais aurait été terrorisée à l’idée d’aller vers l’inconnu mais je suis bien. Je sais que tout ira bien.

Au bout de ce tunnel se trouve un être. Une présence rassurante, faite d’amour, de tendresse. Autant de bonté peut paraître intimidante mais pas avec lui. Il ne me fallut pas longtemps avant de comprendre qui il est. Enfin ! 90 ans à avoir cru en lui, 90 ans à l’avoir attendu. Et il est là. Il est là !

D’abord il me regarde et m’explique tout. Mon but sur terre, le pourquoi de mes questions. Je suis soulagée et rassurée. Je connais désormais les raisons de mes souffrances. Il me dit que cela m’a fait gagner en humilité. Contrairement à ce que je pensais, de l’amour j’en ai. Je ne suis pas donc ce monstre en pierre que je déteste tant.

Ensuite le jugement dernier prend place. Dieu défile ces 90 longues années devant mes petits yeux noisette. Tout ce que j’ai pu faire de bien, tout ce que j’ai pu faire de mal. Je vois tout. Mais nous ne sommes pas seuls. Ils sont tous là. Ma mère, mes sœurs, mon mari, mes grands-parents et lui… Il est là. Il me regarde intensément. Je n’avais plus croisé le regard de mon père depuis tellement de temps. La haine que j’imaginais n’est pas là. Je n’arrive plus à le détester. Le seul mot qui me vient en tête est « pardon ». Car oui, je lui pardonne.

Je dois maintenant faire face à un choix entre Dieu qui me promet paradis et amour ou Lucifer avec son enfer et sa liberté. Mon choix n’est pas des plus compliqués. Nous sommes tous tentés par cette fâcheuse idée d’être libre mais qu’est-ce que la liberté ? Être seul ? Je m’avance sans prêter attention à Lucifer. Je suis tellement bien, je suis enfin comblée. J’ai choisi celui qui me comble et m’apporte tout ce que j’attends. Un amour inconditionnel.

Julie Cuvelier, 2013

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