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Paulette

 

 

Il était une fois, dans un château enchanté, une princesse, la plus douce qu’il soit, sa beauté…

Il était une fois, Paulette.

Paulette était âgée de soixante-dix-huit ans et (pas) toutes ses dents. Son humble maisonnette aux pierres anciennes se dressait non loin d’un petit ruisseau où les canards colverts plongeaient gaiement, se joignant aux joyeux frétillements des nombreux saccopharynx paucovertebratis. Les arbres se pliaient sous le poids des musaraignes qui se plaisaient à y édifier des sanctuaires de leurs petites pattes fourchues et poilues. Chaque habitant du comté pouvait, de son trou, humer avec ivresse la délicieuse odeur d’oignon venue des fins fonds des terriers gaulois. Ainsi vivaient en parfaite symbiose, la nature et le village.

Seize heures vingt-six comme chaque matin, Paulette se lève, la perruque encore un peu décollée par la transpiration nocturne et le coussin encore tout tiède du filet de bave abandonné cette nuit. Une heureuse journée l’attend, son sourire édenté fait gazouiller de merveille le petit colibri pendu à sa fenêtre. D’un geste vif, Paulette l’attrape et le fait glisser gracieusement dans le gosier de son affectueuse plante carnivore, Jeshua. Ensuite, telle une habitude inlassable, Paulette accourt jusqu’à l’église, son dentier à la main, sa robe de chambre toute tâchée par le whisky du matin. Un peu d’eau bénite pour rafraîchir ses quelques mèches de cheveux et la v’là devant le curé, aussi proprette qu’un tournevis.

Paulette s’étonne, comme chaque jour, de l’église vide et des fidèles qui s’amenuisent. « A l’heure de la messe ! » répète-t-elle au curé, indignée, pour l’entendre rétorquer un « Il est seize heures vingt-cinq… » qu’elle fera mine de ne pas avoir compris pour répondre à son tour « Il ne reste que moi pour prier le p’tit Jésus » et le curé se plaît alors à lui dire « Il est seize heures vingt-cinq… » et la Paulette, toujours aussi ébahie « Le p’tit Jésus est toujours seul dans cette grande et moche église » pour entendre résonner la réponse du curé « Il est seize heures vingt-cinq… » et réplique Paulette « Il est vrai que le p’tit Jésus passe toujours ses journées auprès de vous, mon petit Cucu » et comme à son habitude, monsieur le Curé rougit et ne proteste plus contre sa douce et fidèle Paupau.

« Allez venez Milord vous asseoir dans mon confessionnal. » Et la petite bonne femme et le petit bonhomme se dandinèrent jusqu’aux assises divines. Les sempiternels pêchés pardonnés (ostracisme aviaire, empaillage d’asticots, pêchers de sardines et diverses cuisines blasphématoires), Paulette s’enquérra du manque de papier hygiénique à sa droite avant de sortir discrètement de la chaumière du Seigneur, un tambour à la main. Elle pirouetta enfin sur une gigue endiablée jusqu’au trottoir d’en face.

Et soudain, elle mourut.

Enfin, pas si soudainement que cela. Il eut quand même fallu qu’un petit Suisse en permission s’eusse fait griller du pain sans en comprendre le mécanisme et s’eusse électrifié à la résistance, ce qui mit inexorablement le feu à la cage du cochon dinde posée inopinément sur une roulette russe qui court-circuita le lave-linge en fuite qui explosa et largua une petite culotte enflammée qui vînt alors déranger une poule sur un mur (qui picotait du foin mûr). Celle-ci s’envola lourdement et glouglouta dans la laisse d’un faisan mâle faisan qui s’embourba dans un convoi exceptionnel de tracteurs sexagénaires en partance de la Terre Sainte. La conductrice de la deux cents cylindrée turbo plus dérapa, gira, dévia, etcetera, pour finir sa course dans le monument aux morts de la Place au pilori curry. La secousse perturba le champ magnétique terrestre, provoquant une dépression atmosphérique, qui, comme tout lecteur attentif l’aura déjà deviné, engendra une terrible et violente bourrasque. Cette dernière fit ainsi ostentatoirement trébucher Paulette sur le dard d’une guêpe péruvienne.

C’en était fini d’elle. Encéphalogramme plein. Ou plat, selon les croyances médicales de chacun.

« C’est un trou de tunnel où chante une lumière
Accrochant follement aux âmes des haillons
Divins ; où le Seigneur du purgatoire ultime,
L’invite : c’est une petite Parousie qui mousse de poissons. »

Après de brèves salutations, avoir décliné son identité à l’accueil et jouer au Cluedo avec trois anges pour deviner le lieu et l’arme du crime, Paulette se retrouva en face à face avec Lulu le Vaniteux et Jésus l’Humiliteux. Ces deux entités antagonistes lui déballèrent le tapis rouge et leurs programmes électoraux.

Le Christ se montra dans sa gloire et l’invita au royaume du Paradis où l’Amour du prochain et de Dieu fusionnent en un même torrent nommé Kénose où baignent allègrement les somptueux dauphins angéliques.

Lucifer, quant à lui, invita Paulette à l’amour de Paulette, à la liberté de Paulette et à la dignité de Paulette car c’était bien, chez Paulette.

Du fin fond des âges, elle entendit une voix profonde raisonner en elle : « Veux-tu m’épouser ? ». Ce à quoi elle s’empressa de répondre un magistral « oui ! », elle qui vivait dans la tente fulgurante de cette demande depuis, depuis, bien, depuis toujours. Elle se retourna vivement, brûlante de découvrir quel était l’Annonciateur de cette requête inespérée. Serait-ce l’infâme et fétide Poilucifer ? Ou l’affriolant fils à Papa ? Bingo ! Et Christ, Jésus Christ, l’emmena par la main vers d’autres aventures. Toujours plus loin.

« Prends ton cœur, regarde autour de toi. Poupée » et Paulette exécuta une rotation de la tête de trois cents soixante degrés, indépendamment de son corps sans aucune douleur, s’extasia de sa décorporation et prit seulement conscience des alentours. Ses proches, sa famille et toutes les personnes qu’elle portait dans son cœur gauche étaient présents : le chat à trois pattes de sa tendre enfance ; Jeshua Senior, l’engendreur du petit Jeshua, plante carnivore et son hippopotame en peluche la regardaient les yeux globuleux remplis d’amour et de confiance.

Du bas de son humilité profonde, le Christ lui remémora ses multiples pêchés. Paulette examina avec honte les moult fautes qui jalonnaient le sentier de son existence.

« De une fleur cueillir avant qu’elle ne bourgeonne, tu ne pouvais pas ;
De avec les doigts manger la boîte à chat, toi ne pas devoir ;
D’avec la police russe avoir collaboré cet hiver mille huit cents vingt-six à minuit vingt-six, ne pas avoir du tu ;
Mais alors, mais alors, mais alors, mais alors, toi soulager dans aquarium du poisson, franchement… »

(Traduit de l’araméen par Luc Iluc)

Paulette, confuse et honteuse, se répandit en excuses, priant le petit Jésus de la pardonner et promettant de ne jamais plus commettre le dantesque pêché contre le Bocal. Nonobstant ses geignements, Jésus lui conta les Joies et l’Amour de sa vie.

Ils s’esclaffèrent avec félicité de ses vingt-six années de bons et loyaux services pour la sauvegarde du patrimoine des poussins parricides lettons ainsi que des enfants dévorés dans la cave. Car oui, Jésus est tout Humour.

Le purgatoire du choix libre enfin achevé, le Fils de Dieu-Seigneur-Marie-Joseph prodigua à Paulette le Parchemin Sacré de la Journée, s’énonçant en ces termes :

« A neuf heures et la cinquantaine, tu partiras pour le Purgatoire des Fiers (prends garde à toi en chemin et ne dis pas bonjour aux inconnus, Paulette !) où tu apprendras enfin l’humilité, nom d’un salsifi endimanché ! Tu seras dès lors dans une solitude absolue, usée par ta soif d’amour ; ce quatrième Purgatoire durera jusqu’à ton découragement, ton renoncement à ta propre perfection. Si tu es sage, peut-être que ma Maman viendra te voir. A quinze heures vingt-six, selon mes calculs avec toutefois une petite marge de six mille trois cents octante sept années, tu te dirigeras vers le Parvis du Ciel, troisième à droite, contourne le rond-point et toujours tout droit. « Je ne suis pas digne de te recevoir mais dis seulement une parole et je serai guéri » s’exclamait hier encore Matthieu en contemplant mon électrisante personne. Sache que cette éblouissante parole est celle que je t’entendrai prononcer, Paupau. Et puis, le septième ciel ! Dis bonjour à Papa dès que tu y arrives. »

C’est sur ces nobles mots empreints d’une magnificence majestueuse que l’auguste et olympique Parchemin Sacré s’achevait.

Quelques micros millions d’années lumières plus tard, Paulette atteignit enfin le Ciel numéro sept. Dieu, le bienheureux, s’offrit à ses pauvres petits yeux émerveillés par cette merveille. Agréablement surprise, elle remarqua combien le Papa était plus alléchant encore que le fils et se réjouit de ce mariage qu’elle jugea parfait, pour une première fois. C’est qu’elle avait bien réussi son coup, la Paulette. Chaque recoin du Paradis était un bonheur infini ; elle voyait à travers l’âme de chaque dentier et chaque dentier la devinait toute entière ; elle entretenait une parfaite communion avec toutes les plantes carnivores nommées Jeshua et gambadait ainsi plaisamment dans le Royaume de Dieu, son ultime petit copain.

Mathilde Régnier, juin 2009
Illustrations : Maximilie Sente

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