Accueil > Contes > Les contes des purgatoires > Ne te suicide pas. Attends !
Je t’attendais et mon âme était sans repos…
J’ai la tête qui tourne, le vertige, le vrai et non celui de l’angoisse. Enfin ! Je souris.
En ai-je pris assez pour ne plus me réveiller ?
Ma mère pleurera… sûrement… tant mieux.
Je sens que je m’en vais, je vole, je plane…
Oh mon Dieu, je n’ai plus mal.
« La vie n’est que souffrance, la Mort seule en est la délivrance. »
Voilà le mot que j’ai déposé sur mon bureau, avant d’en avoir pris autant.
Je me vois, c’est bizarre, je suis au-dessus de moi.
Comme je suis blanche et toute recroquevillée par terre…
J’ai oublié d’éteindre la radio, tant pis !
Si maman me voyait…
Me voilà dans la cuisine.
Je n’ai rien senti.
Maman équeute les haricots. Elle regarde par la fenêtre, mon père ne va plus tarder à rentrer.
Il y a un grand tunnel noir, j’ai peur.
J’avance, au loin j’aperçois une étincelle.
Elle grandit ; Lumière intense qui ne m’aveugle pas.
Je me sens attirée par elle, j’ai besoin d’elle.
Il y a quelqu’un. Je le vois.
Comme il est beau, la lumière semble venir de lui. Je m’en approche, il me sourit. J’ai envie de pleurer tellement je me sens aimée. Il me comprend, et il m’aime réellement.
Jamais je ne m’étais sentie aussi bien : il n’est que sincérité ;
je le sens, je le vois, je le sais.
Sa voix est une mélodie, il me parle et me montre ma vie.
Je me revois, j’avais six ans, je volais des bonbons à l’épicerie du coin.
J’avais oublié ce moment-là. Il rit avec moi.
Là c’était l’année passée, j’avais donné tout mon argent de poche à un SDF qui m’avait abordé.
Je lui avais offert un café et nous avions parlé.
Je n’en éprouve aucune fierté mais, je m’en sais gré. Maintenant je sais ce qu’il a ressenti.
Je vois ma mère. Je sens son cœur se briser.
J’ai mal dans mes entrailles. Je me sens vide.
Elle pleure sur mon corps inerte.
Maman, pardonne-moi, je ne voulais pas…
Il me regarde toujours, avec compassion.
Derrière lui, s’approchent des ombres, des hommes.
Je les reconnais, c’est grand-père avec tonton.
Il y a aussi Grani, derrière.
Ils me sourient, je leur ai manqué !
Ils m’ont manqué.
Moi qui croyais ne plus pouvoir les revoir…
Je veux les serrer dans mes bras.
Grand-père m’arrête et me montre la petite rivière paisible qui nous sépare.
Je comprends dès lors qu’il m’est impossible de la franchir ; si je la passe, jamais je ne pourrai revenir en arrière.
Il me dit qu’il m’aime et que ce n’est pas encore l’heure pour moi, mais qu’il m’attendra.
Qu’il faut que je m’en retourne à présent, on m’attend !
J’entends des appareils qui clignotent. J’ai mal aux bras, et au ventre. Ma tête est si lourde…
J’ouvre avec difficulté mes paupières… Ma mère me sourit à travers ses larmes.
Non, je n’ai pas rêvé, je ressens encore cette chaleur au fond de mon cœur.
Je ne veux plus m’en aller et ne demande cependant qu’une seule chose : mourir enfin.
Mais j’attends, j’attends mon heure, j’attends qu’il vienne me chercher.
Enfin ! Je n’osais plus espérer…
Cela faisait si longtemps que j’attendais !
Voilà, je vole, je plane, je souris.
Je ne sens plus mes rhumatismes.
Je vois ma fille et mes trois petits-enfants ; ils dorment paisiblement.
Au revoir, mes anges, je m’en vais.
Le tunnel est là, l’étincelle grandit.
Il est là, il m’aime, me réconforte et me sourit.
Ma vie défile. J’ai fait de mon mieux, et pourtant je ne me sens pas fière.
Le temps n’existe plus.
Ils sont tous là, ils m’attendaient ; mon mari, mes parents, et grands-parents aussi.
Je me retrouve face à deux vallées merveilleuses, identiques et pourtant tellement différentes…
Il me regarde et veut m’aimer. Je regarde de l’autre côté et ne vois que moi.
Je dois choisir. Tout donner ou tout garder.
Je veux l’aimer. J’en pleure et implore son pardon.
Il m’aime tellement, alors que dans ma vie, je l’ai renié, trahi, j’ai menti… Je ne vaux rien, je ne suis rien !
Pardonne-moi… Il m’enveloppe, nos âmes se mélangent, comme il est beau… Merci…
Je t’attendais…
Maurine Borsu, 31 mai 2006
Illustrations : Maximilie Sente