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Lettre à mes enfants

 

Samedi 2 septembre 2005

Je ne sais pas exactement où je suis. Je suis planté là, en plein milieu d’une autoroute. Il y a des voitures qui ralentissent, des ambulances qui surgissent d’un peu partout, et c’est là que je vois une voiture accidentée, retournée sur le toit. La voiture est très abîmée, à un point tel qu’on ne peut presque plus la reconnaître. Je me revois à l’intérieur, roulant sans doute un peu plus vite que la moyenne, sous des cordes de pluie, lorsque soudain un homme roulant, lui, bien au-dessus de la moyenne, arrive à toute allure, et, n’arrivant pas à freiner à temps, me fonce dessus. C’est là que je perds tout contrôle… La voiture fait des tonneaux pendant quelques mètres…la distance exacte ? Je ne sais même pas le dire car au bout d’un moment je suis passé à travers le pare-brise. J’ai senti tous ces morceaux de verre me rentrer dans la peau puis ce fut le trou noir complet.

Et là, me voilà debout en plein milieu de la route. Je ne comprends plus rien. Couché devant moi, je vois mon corps. Ça y est, ce policier qui téléphone à maman m’éclaire soudain : « Je suis désolé, madame, de vous annoncer que votre fils vient d’avoir un accident de voiture et est décédé sur le coup… ». C’est du moins ce que j’ai retenu de cette conversation téléphonique. Et pourtant je vivais, dans un corps intact, sans coupure ni souillure, avec mes bras et mes jambes et une impression de légèreté totale. Il m’obéissait, se déplaçant à volonté, comme l’éclair. Mais sur le moment, je ne ressentis rien de tout cela. À cet instant, je sentais l’angoisse monter, mais la réalité était là…, je ne ferai plus jamais partie du monde terrestre, à présent… Sans doute ce qui me faisait le plus mal, ce n’était pas le fait de me voir là, allongé, mort… Non, ce qui m’angoissait, c’était le fait de laisser toute une famille derrière moi, mais surtout une femme et trois enfants très jeunes. Mille questions me traversaient l’esprit : « Que vont-ils devenir sans moi ? Pourrai-je les revoir un jour ? Comment leur dire que je vais bien ? » Une multitude de questions me trottaient dans la tête mais la première chose était d’essayer de retrouver ma famille pour les derniers moments qu’il restait…

Dimanche 3 septembre 2005

J’ai passé une nuit épouvantable. On m’avait raconté la sortie du corps après la mort. Auprès de moi, j’ai senti la présence d’un guide invisible. Il m’a dit : « Visite les tiens ». Donc j’ai pensé très fort à ma famille : ma mère, mes frères, mes sœurs, et surtout ma femme et mes enfants. Je voyais toutes les personnes que j’aimais, pleurer sur moi à côté du cercueil dans lequel j’étais allongé… J’avais tellement envie de leur dire qu’il ne fallait pas qu’ils s’inquiètent ! Mais je ne pouvais pas me faire entendre d’eux.

Le temps était venu pour moi de suivre mon « guide », qui m’avait demandé juste avant si j’étais prêt à passer cette porte au bout du tunnel de lumière. Évidemment, j’ai acquiescé. La porte s’est ouverte au-dessus de moi. C’était bien un tunnel, un passage vers l’autre monde, comme le racontent des témoins revenus de la mort. J’étais attiré vers lui car il en sortait une lumière faite d’un sentiment de bonheur. Tout ce qu’on m’avait appris me revenait en mémoire. Je savais maintenant que j’allais voir, de mes yeux, le Sauveur. J’étais ému. Qu’allait-il penser de moi ? (j’ai toujours été très croyant mais j’ai péché comme tout le monde dans ma vie).

Lundi ? Mardi ? Mercredi ? … 

Je n’ai plus la notion du temps. Ensuite est apparu le Sauveur, sous la forme d’un Être de lumière… et chaque couleur était comme une qualité de son cœur. J’ai été comme aspiré en lui. J’aurais voulu me fondre dans tout cet océan de tendresse. Mes souffrances, la vue de Jésus les avait guéries. Arrivé de l’autre côté, je vis des milliers de visages, qui m’étaient familiers dans ma vie antérieure, celle où j’avais encore la possibilité de serrer mes enfants dans mes bras. Puis, Jésus m’a dit : « Regarde ta vie ». Devant moi se sont mis à défiler, comme un film, tous les événements marquants de mon passé. Je me suis vu naître. J’ai vu le visage jeune de maman penché sur mon berceau, et tous les soins que j’avais reçus d’elle. Quand Jésus me montrait un acte bon venant de moi, il m’en félicitait ; lorsque c’était un gros péché, un acte d’égoïsme, il me le disait, en toute franchise, mais sans jamais me condamner.

Car évidemment je n’ai pas fait que de bonnes choses dans ma vie…, comme tout le monde, j’ai fait des erreurs. À la fin de ce film, j’étais bouleversé. Tout était vrai. J’étais désolé pour les fois où je m’étais mal comporté. Je me trouvais indigne de tant d’amour à la vue de ce que j’étais vraiment. C’était une souffrance bien plus douloureuse que ma mort elle-même. Je m’en voulais de tant avoir déçu Dieu. Jésus, lui, loin d’être déçu, semblait se réjouir de mes larmes de regret.

Ma rencontre avec l’ « ange ».

Alors est apparu l’Ange de lumière…

Cet ange-là répandait une autre lumière, avec une grande dignité, de la noblesse. Les chrétiens l’appellent Lucifer.

Il était beau, vraiment séduisant. Il avait une sorte de corps de lumière, mais une lumière faite de plein de couleurs, sans aucune chaleur. Il s’est mis à parler : « Dieu te propose un monde curieux : chacun se fait serviteur des autres, chacun vit « couché », dans le repentir et la petitesse. Je te propose, si tu m’écoutes, de vivre debout, digne, dans une indépendance totale ». À ce moment, Jésus était comme effacé. Lucifer a repris le film de ma vie. Mais il l’a lu tout autrement. Il m’a rappelé les avantages, les plaisirs que j’avais trouvés dans chacun de mes actes égoïstes. Il m’a montré la liberté que j’obtenais quand je n’écoutais pas les conseils de maman. J’ai vu l’enfer. C’était un jardin magnifique. Il était rempli d’êtres solitaires et libres. C’était terrible. Tous étaient seuls et agressifs. Ils semblaient brûler de mille passions mauvaises. Je m’y sentais mal, moi qui ai toujours recherché l’Amour…

Je n’arrivais pas à me dégager de Lucifer. Ce qu’il disait était vraiment séduisant pour une partie inavouable de moi. De plus, il disait la vérité. J’avais vraiment agi avec beaucoup d’égoïsme durant ma vie.

J’ai crié vers Jésus. Aussitôt, Lucifer a disparu, comme un livre qu’on roule.

J’ai dit à Jésus : « Je sais maintenant que je ne mérite pas d’aller au Ciel avec toi et Marie. Mais il faut que tu m’y emmènes. » Tout mon égoïsme m’attirait vers la liberté de l’enfer. Mais l’autre partie de moi-même aspirait à rester avec Jésus. Je n’aurais pas pu choisir l’enfer.

Les gens là-bas ne sont pas comme moi. Ils préfèrent tout perdre plutôt que de reconnaître qu’ils ne sont pas des dieux. Mais on n’est pas fait pour vivre sans aimer, surtout quand on a vu Jésus. Il y a eu un grand silence, quelque chose de solennel. Puis une voix, comme un tonnerre, a dit :

« Parce que tu as reconnu tes péchés,
parce que tu as su tout de suite que tu ne serais jamais digne,
parce que tu es petit,
je vais faire de toi mon roi.
Veux-tu maintenant partager la gloire de ton Créateur, face à face ? »

J’étais tout troublé par ces paroles…

Mon entrée au paradis a été tellement magique que je ne ressentais plus aucune douleur. Je n’en voulais même plus à cet homme qui avait provoqué l’accident. J’aurais pu lui pardonner, si je l’avais eu là devant moi…

Aujourd’hui ce que je peux vous dire, c’est que je ne vous quitte jamais. J’ai vu, dans ma mort puis dans le regard du Christ, que je n’étais rien ; la Trinité se considère comme plus petite que moi. Parce que je lui obéis, Elle m’obéit. Elle a mis ses anges à ma disposition, pour vous aider à ma demande. Et je vous promets avant tout que je serai là, comme un témoin discret de votre mariage au Ciel.

Mais avant toute chose, si vous n’êtes pas remplis d’humilité, alors vous ferez comme ces gens qui ont choisi le purgatoire. Je m’explique :

Il y a beaucoup de gens qui meurent, qui choisissent l’amour, mais qui n’arrivent pas à renoncer à être fiers. Ils disent : « Dieu ! Non, Non ! Attends… Avant de te voir, je dois devenir digne de toi. Tu vas voir, je vais changer, me réformer… ». Alors ils se mettent librement au purgatoire. Ils se séparent de leurs amis du Ciel et ils le font vraiment par amour. Ce sont des personnes véritablement sincères et aimantes. Et puis un jour, usés à force de se frotter, de se nettoyer sans rien réussir, ils disent : « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri ». Ils entrent alors dans la vision de Dieu. Mais quel temps perdu…

D’autres vont au purgatoire car ils ont vraiment fait du mal aux autres. Ils veulent réparer. C’est une juste démarche de leur part.

La conclusion que j’ai pu tirer est la suivante :

Si vous faites dans votre vie ce que vous pouvez pour aimer les autres (Vous vous rappelez ce qu’on nous disait en classe sur les trois amours sacrés : « Vos vieux parents ; votre amour de jeunesse à qui vous avez promis fidélité ; vos enfants dès leur conception ») ;

Si en même temps vous vous regardez avec vérité devant Dieu, sans nier la misère de votre péché ;

Si donc vous arrivez à l’heure de la mort dans ces deux états (amour et humilité), vous passerez par le purgatoire, mais comme moi, c’est-à-dire très peu de temps. Vous n’aurez pas d’autre purgatoire que le regard de Jésus. Son regard est « le jour du Seigneur », un jour d’amour, et c’est plus dur qu’un jour de colère. Je vous tiendrai la main, ce jour-là, et en ce jour vous éviterez le purgatoire.

Je vous aime et je suis toujours là avec vous ; où que vous alliez, je serai ancré en vous…

Signé : votre papa qui vous aime de l’Au-delà…

Marina Bastianini, 31 mai 2006
Illustrations : Maximilie Sente

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