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Mt  18  23-35

S. Chrys. (hom. 61.) Notre-Seigneur ajoute une parabole à ce qu’il vient de dire pour montrer par un exemple que ce n’était point une chose héroïque de pardonner septante fois sept fois. — S. Jérôme. C’est l’usage en Syrie et en Palestine d’entremêler à tous les discours des paraboles, afin de graver plus facilement dans l’esprit des auditeurs, à l’aide de comparaisons et d’exemples, le précepte qu’ils ne pourraient retenir s’il était présenté dans sa simplicité. C’est pour cela que Notre-Seigneur dit ici : « Le royaume des cieux est semblable, » etc. — Origène. (Traité 7 sur S. Matth.) De même que le Fils de Dieu est la sagesse, la justice (1 Co 1, 30 ; 1 Jn 5, 6 ; Jn 8, 22 ; 14, 6) et la vérité, il est aussi le royaume, non pas de ceux dont les affections rampent sur la terre, mais de tous ceux qui tiennent leur cœur eu haut, qui font régner la justice et les autres vertus dans leurs âmes, et qui deviennent pour ainsi dire comme les cieux en portant l’image de l’homme céleste (1 Co 15, 49). Ce royaume des cieux, c’est-à-dire le Fils de Dieu, est devenu semblable à un homme roi, lorsqu’il s’est uni notre humanité et qu’il a été fait à la ressemblance de la chair du péché. — S. Rémi. Ou bien encore, ce royaume des cieux, c’est la sainte Église dans laquelle Notre-Seigneur Jésus-Christ fait lui-même ce qu’il exprime dans cette parabole. Sous le nom d’un homme, c’est quelquefois le Père qui nous est désigné, comme dans cette parabole : « Le royaume des cieux est semblable à un homme roi qui fit les noces de son fils ; » quelquefois c’est le Fils : ici on peut l’entendre de l’un et de l’autre, du Père et du Fils qui sont un seul Dieu. Or, Dieu est appelé roi, parce qu’il dirige et gouverne tout ce qu’il a créé. — Origène. Les serviteurs, dans ces paraboles, sont exclusivement les dispensateurs de la parole et ceux à qui Dieu a confié la charge de négocier et de faire produire des intérêts pour le ciel. — S. Rémi. Ou bien les serviteurs de ce roi représentent tous les hommes qu’il a créés pour le louer et à qui il a donné la loi naturelle. Il leur fait rendre compte à chacun, lorsqu’il examine leur vie, leurs moeurs, leurs actions, pour rendre à chacun suivant ses oeuvres. (Rm 2.) « Et ayant commencé à faire rendre compte, » etc. — Origène. Nous devrons rendre compte au roi de toute notre vie, lorsqu’il nous faudra tous comparaître devant le tribunal de Jésus-Christ. (2 Co 5). Si nous nous exprimons de la sorte, qu’on se garde de croire que ce jugement demandera beaucoup de temps, car lorsque Dieu voudra passer au crible les âmes de tous les hommes, par un effet admirable de sa puissance, il fera revivre en un seul instant dans le souvenir de chacun toutes les actions qui ont rempli le cours de sa vie. Notre-Seigneur ajoute : « Et lorsqu’il eut commencé à faire rendre compte, parce que le jugement doit commencer par la maison de Dieu. (1 P 4.) Lorsqu’il commençait donc à se faire rendre compte, on lui présenta un homme qui lui devait une somme incalculable de talents ; il avait fait des pertes énormes et, sous le poids de grandes obligations, il n’avait fait aucun profit. Peut-être cet homme nous est-il représenté comme ayant perdu autant de talents qu’il avait perdu d’hommes, et il est ainsi devenu débiteur de cette somme énorme de talents, parce qu’il avait suivi cette femme assise sur un talent de plomb dont le nom est l’iniquité (Za 5, 7).

S. Jérôme. Il en est, je le sais, qui prétendent que cet homme qui devait dix mille talents est la figure du démon ; ils entendent par cette femme et par ses enfants qui sont vendus, parce qu’il persévère dans sa méchanceté, l’extravagance de sa conduite et les mauvaises pensées. Car, de même que la femme de l’homme juste est l’image de la sagesse, la femme. de l’homme injuste et pécheur est la figure de la folie. Mais comment le Seigneur peut-il remettre au démon dix mille talents, et ne nous remet-il pas à nous, ses compagnons, cent deniers ? C’est une interprétation contraire à celle de l’Église et qu’aucun homme sage n’admettra jamais. — S. Augustin. (serm. 16 sur les paroles du Seigneur.) Il faut donc dire que la loi ayant été donnée en dix préceptes, cette homme devait dix mille talents qui représentent tous les péchés que l’on peut commettre contre la loi.

S. Rémi. L’homme qui peut bien pécher de lui-même et par sa propre volonté ne peut en aucune manière se relever par ses propres forces, et il n’a pas de quoi rendre ce qu’il doit, parce qu’il ne trouve rien en soi qui puisse l’affranchir de ses péchés ; c’est pour cela que Notre-Seigneur ajoute : « Mais comme il n’avait pas le moyen de les lui rendre, » etc. Or, la femme de l’insensé est la folie et la volupté ou la convoitise. — S. Augustin. (Quest. Evang., 1, 25.) Cette circonstance nous apprend que celui qui transgresse les préceptes du décalogue doit subir des châtiments sévères pour ses passions et ses mauvaises actions représentées ici par la femme et par les enfants. Or, le prix de cet homme qui est vendu, c’est le supplice du damné. — S. Chrys. (hom. 61.) Si ce roi donne cet ordre, ce n’est point par cruauté, mais par un sentiment d’ineffable affection ; il veut simplement l’effrayer par ces menaces pour le porter à demander en grâce de ne pas être vendu ; c’est en effet ce qui arrive : « Ce serviteur, se jetant à ses pieds, le conjurait, » etc. — S. Rémi. Nous voyons dans ces paroles l’humiliation et la satisfaction du pécheur ; ces autres : « Ayez un peu de patience, » sont l’expression de la prière du pécheur qui demande à Dieu de le laisser vivre et de lui accorder le temps de faire pénitence. Or, la bonté et la clémence de Dieu §ont sans bornes à l’égard des pécheurs qui se convertissent, car il est toujours prêt à pardonner les péchés par le baptême ou par la pénitence. « Alors son maître, touché de compassion, » etc. — S. Chrys. (hom. 61.) Voyez l’excès de l’amour de Dieu : le serviteur demande un simple délai ; son maître lui accorde bien plus qu’il ne demande : il lui fait remise entière et absolue de tout ce qu’il lui devait. C’était ce qu’il désirait faire dès le commencement ; mais il ne voulait pas que tout dans ce don vînt de lui seul ; il voulait que ce serviteur y contribuât par sa prière pour ne point le laisser aller sans mérite. Il ne lui remit pas ce qu’il devait avant de lui avoir fait rendre compte, pour lui faire comprendre l’énormité des dettes dont il le déchargeait, et le disposer à user lui-même de douceur à l’égard de son compagnon. Jusque là, en effet, sa conduite fut digne d’éloges, car il avoua sa dette et promit de la payer ; il se jeta à genoux pour demander du temps et reconnut la grandeur des sommes qu’il devait ; mais ce qu’il fit ensuite fut indigne d’un si beau commencement : « Or, ce serviteur étant sorti, trouva un de ses compagnons qui lui devait cent deniers, et, le prenant à la gorge, il l’étouffait, » etc.

S. Augustin. (serm. 16 sur les paroles du Seigneur.) Cette somme de cent deniers qu’il devait à son compagnon vient du même nombre dix, qui est le nombre des préceptes de la loi, car cent multiplié par cent fait dix mille et dix fois dix font cent ; ainsi ces dix mille talents et ces dix deniers ne s’éloignent pas du nombre des commandements qui sont la matière aux transgressions ; ces deux serviteurs sont donc tous deux débiteurs, tous deux dans la nécessité de demander pardon, car tout homme est débiteur de Dieu, et a son frère pour débiteur. — S. Chrys. Il y a autant de différence entre les péchés commis contre Dieu et ceux que l’on commet contre son frère, qu’il y en a entre dix mille talents et cent deniers, différence que rend encore plus sensible la distance qui sépare les personnes et l’a continuité des offenses. En effet, si nous avons l’oeil de l’homme pour témoin, nous nous abstenons et nous craignons même de pécher ; mais, placés que nous sommes sous les yeux de Dieu, nous ne laissons passer aucun jour sans l’offenser, nous parlons et nous agissons en tout contre lui sans la moindre crainte. Et ce n’est pas le seul caractère de gravité que présentent nos péchés contre Dieu, ils en ont un autre qui vient des bienfaits dont il nous a comblés. C’est lui, en effet, qui nous a donné l’être, et qui a créé pour nous tout cet univers ; il a répandu sur nous par son souffle divin une âme raisonnable ; il a envoyé son Fils sur la terre, il nous a ouvert le ciel et nous a fait ses enfants. Et quand même nous donnerions tous les jours notre vie pour lui, pourrions-nous reconnaître dignement ses bienfaits ? Non, sans doute, car ce sacrifice lui-même tournerait à notre avantage. Mais nous, bien au contraire, nous ne cessons de transgresser ses lois. — S. Rémi. Ainsi donc le serviteur qui doit dix mille talents représente ceux qui tombent dans les grands crimes, et celui qui doit cent deniers ceux qui commettent des fautes moins graves. — S. Jérôme. Rendons cette vérité plus sensible par un exemple : si quelqu’un parmi vous a commis un adultère, un homicide, un sacrilège, crimes énormes, ces dix mille talents lui seront remis sur sa demande, s’il pardonne lui-même les légères offenses commises contre lui.

S. Augustin. (serm. 16 sur les paroles du Seigneur.) Mais ce serviteur méchant, ingrat, inique, ne voulut pas accorder ce qu’on lui avait remis malgré son indignité : « Et le saisissant à la gorge, il l’étouffait, en disant : Rends ce que tu dois. » — S. Rémi. C’est-à-dire qu’il le pressait avec violence pour en tirer vengeance. — Origène. Il l’étouffait, ce qui doit faire supposer qu’il était sorti de chez le roi, car il n’aurait pas osé, en la présence du roi, se porter à cette extrémité sur son compagnon. — S. Chrys. (hom. 60.) Ces paroles mêmes « Il ne fut pas plus tôt sorti » nous montrent que ce ne fut pas longtemps après, mais immédiatement, alors qu’il entendait encore retentir à son oreille le pardon bienfaisant de son maître, qu’il abuse indignement, pour se venger, de la liberté qui vient de lui être rendue ; or, que fit alors son compagnon ? « Et se jetant à ses pieds, il le conjurait en disant : Prenez patience, » etc. — Origène. Remarquez le choix admirable des expressions dans l’Écriture : le serviteur, qui devait une somme énorme de talents, se jette aux pieds du roi pour l’adorer, tandis que celui qui ne devait que cent deniers s’était bien jeté aux pieds de son compagnon, mais sans l’adorer, il le conjurait seulement en lui disant : « Prenez patience. » — S. Chrys. (hom. 60.) Mais cet ingrat serviteur n’eut même pas le moindre respect pour ces paroles auxquelles il devait son salut, comme nous l’indique la suite du récit : « Mais il ne voulut pas l’écouter. » — S. Augustin. (Quest. évang., 1, 35.) C’est-à-dire qu’il persévéra dans la volonté de le livrer à la justice et au châtiment : « Et il s’en alla. » — S. Rémi. Il poursuivit avec une colère plus violente le projet qu’il avait de se venger, et il le fit jeter en prison jusqu’à ce qu’il eût payé sa dette, c’est-à-dire que, s’étant saisi de son frère, il en tira une cruelle vengeance.

S. Chrys. (hom. 60.) Voyez la charité du maître et la cruauté de ce serviteur. Il a le premier demandé grâce pour dix mille talents, son compagnon pour cent deniers ; l’un priait son maître, l’autre son compagnon ; l’un obtint la remise totale de sa dette, l’autre ne demandait qu’un délai et ne put l’obtenir. Les autres serviteurs, voyant ce qui se passait, en furent vivement attristés, selon la remarque de l’auteur sacré. — S. Augustin. (Quest. évang.) Par ces compagnons, il faut entendre l’Église qui exerce le pouvoir de lier l’un et de délier l’autre. — S. Rémi. Ou bien les compagnons de ce serviteur représentent peut-être les anges ou les prédicateurs de la sainte Église, ou tous ceux des fidèles qui, en voyant un de leurs frères sans compassion pour son frère après qu’il a obtenu lui-même le pardon de ses péchés, s’affligent sensiblement de sa perte : « Et ils vinrent, et ils avertirent leur maître, » etc. Ils viennent non pas d’une manière sensible, mais par les sentiments de leur cœur. Raconter au Seigneur, c’est lui exposer par les mouvements de l’âme les douleurs et la tristesse du cœur. — suite. « Alors son maître l’ayant fait venir. » — Il le fit venir en prononçant la sentence de mort et en lui ordonnant de sortir de ce monde, et il lui dit : « Méchant serviteur, je vous avais remis tout ce que vous me deviez, parce que vous m’en aviez prié. » — S. Chrys. (hom. 61.) Lorsque ce serviteur lui devait dix mille talents, il ne l’a point appelé de la sorte ; il ne lui a dit aucune parole outrageante, mais il a eu pitié de lui. Lorsqu’au contraire il voit son ingratitude à l’égard de son compagnon, il l’appelle : « Méchant serviteur, » et lui reproche l’indignité de sa conduite : « Ne fallait-il pas avoir pitié vous-même, » etc. — S. Rémi. Remarquons qu’on ne voit pas que ce serviteur ait osé faire aucune réponse à son maître, ce qui nous apprend, qu’au joui du jugement et cette vie une fois terminée, tout moyen de justification nous sera ôté.

S. Chrys. (hom. 60.) Le bienfait ne l’a pas rendu meilleur ; c’est donc au châtiment de le corriger : « Et son maître irrité le livra entre les mains des bourreaux, » etc. Notre-Seigneur ne dit pas simplement : Il le livra, mais : « il le livra tout en colère, » remarque qu’il n’a point faite lorsque le maître commanda de vendre ce serviteur, car il n’agissait pas alors par colère, mais plutôt par amour, et dans le dessein de le rendre meilleur. Ici, au contraire, c’est une sentence qui emporte condamnation au supplice et à la peine. — S. Rémi. Dans le langage de l’Écriture, Dieu se met en colère, lorsqu’il exerce sa juste vengeance contre les pécheurs. Les bourreaux, ce sont les démons, qui sont toujours prêts à se saisir des âmes perdues et condamnées, et à les tourmenter dans les supplices de l’enfer. Mais une fois plongé dans cet abîme d’éternelle damnation, le pécheur pourra-t-il trouver le moyen de devenir meilleur et d’échapper à ces supplices ? Non ; le mot « jusqu’à ce que » exprime ici une durée infinie, et veut dire qu’il paiera toujours sans pouvoir jamais s’acquitter et que son supplice sera éternel. — S. Chrys. (hom. 60.) Ces paroles sont une preuve qu’il sera toujours, c’est-à-dire éternellement puni, sans qu’il puisse jamais acquitter sa dette. Quoique les dons et la vocation de Dieu soient irrévocables (Rm 11, 29), cependant l’excès de la malice a été si loin qu’elle a détruit jusqu’à cette loi de miséricorde. — S. Augustin. (serm. 16 sur les paroles du Seigneur.) Dieu nous a dit : « Remettez, et il vous, sera remis. » Or, je vous ai remis le premier, remettez du moins à mon exemple, car si vous ne remettez pas, je vous rappellerai devant moi et je reviendrai sur le pardon que je vous ai accordé. En effet, Jésus-Christ ne peut ni se tromper, ni nous tromper, lorsqu’il ajoute : « C’est ainsi que mon Père céleste vous traitera, si vous ne pardonnez chacun à vos frères du fond de vos cœurs. Il vaut mieux que vous soyez sévère et emporté dans vos paroles, tout en pardonnant du fond du cœur, que d’avoir un langage caressant avec une âme implacable. C’est pourquoi Notre-Seigneur ajoute : « Du fond de vos cœurs ; il veut que, si la charité vous fait un devoir de punir, vous conserviez toujours la douceur au fond de votre âme. Qu’y a-t-il de plus compatissant que le médecin qui approche du malade le fer à la main ? Il sévit contre la plaie pour guérir le malade, car, s’il use de ménagements à l’égard de la blessure, l’homme est perdu. — S. Jérôme. Le Sauveur ajoute : « Du fond de vos cœurs » pour prévenir toute hypocrisie et tout faux semblant de réconciliation. Par cette comparaison du roi et du serviteur qui avait demandé et obtenu la remise des dix mille talents qu’il devait à son maître, le Seigneur fait une obligation à Pierre de remettre à ses frères les légères offenses dont ils se rendront coupables à son égard. — Origène. Il veut aussi nous enseigner à pardonner facilement à ceux qui nous ont fait du tort, surtout s’ils réparent leur faute et viennent implorer leur pardon.

Raban. Dans le sens allégorique, ce serviteur, qui devait dix mille talents, c’est le peuple juif soumis au décalogue de la Loi, et à qui Dieu a souvent remis ses dettes lorsque, réduit aux dernières extrémités, il faisait pénitence et implorait miséricorde ; mais une fois délivré de ces épreuves, il n’avait aucune commisération et exigeait avec une rigueur implacable tout ce qui pouvait lui être dû. Il ne cessait de tourmenter les Gentils, comme s’ils lui étaient soumis ; il exigeait d’eux l’observation de la circoncision et des prescriptions légales et massacrait impitoyablement les prophètes et les Apôtres qui lui apportaient la parole de réconciliation. C’est pour cela que Dieu les livra aux Romains qui détruisirent leur cité de fond en comble, ou plutôt aux esprits mauvais pour être tourmentés par eux dans les supplices éternels.

Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.

 

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