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Mt  18  10-14

S. Jérôme. Notre-Seigneur venait de déclarer par la comparaison de la main, du pied et de l’oeil qu’il fallait couper tous les liens du sang et de l’amitié qui pouvaient être un sujet de scandale ; il adoucit maintenant ce que ce précepte pouvait avoir de sévère par les paroles suivantes : « Prenez garde de ne mépriser aucun de ces petits, » c’est-à-dire Gardez-vous en toute occasion de les mépriser, et, en faisant votre salut, cherchez à les sauver eux-mêmes ; mais s’ils persévèrent dans leurs péchés, il vaut mieux que vous vous sauviez seuls, que de périr avec la multitude. — S. Chrys. (hom. 59.) Ou bien, dans un autre sens, il est souverainement avantageux et de fuir les méchants, et d’honorer les bons. Aussi, après nous avoir enseigné à rompre tout commerce avec ceux qui nous scandalisent, il nous apprend ici à rendre à ceux qui sont saints l’honneur et les devoirs qui leur sont dus. — La glose. Ou bien encore, puisque c’est un si grand mal que le scandale donné à nos frères, prenez garde de ne mépriser aucun de ces petits. — Origène. Ces petits sont ceux qui sont nouvellement nés en Jésus-Christ ou ceux qui ne font aucun progrès et qui sont toujours comme des enfants qui viennent de naître. Mais Jésus-Christ n’a pas cru nécessaire de défendre de mépriser les fidèles plus parfaits ; il ne parle que des petits, comme précédemment : « Si quelqu’un scandalise un de ces petits, » etc. ; Peut-être donne-t-il ici le nom de petits à ceux qui sont parfaits, d’après ce qu’il dit dans un autre endroit : « Celui qui aura été le plus petit parmi vous sera le plus grand. » (Lc 22.) — S. Chrys. Ou bien encore, est-ce parce que ceux qui sont parfaits sont regardés par un grand nombre comme petits, c’est-à-dire comme pauvres et méprisables. — Origène. Cependant cette interprétation ne s’accorde pas avec ces paroles : « Si quelqu’un scandalise un de ces petits, » etc., car l’homme parfait ne se laisse ni scandaliser, ni entraîner à sa perte. Toutefois si on veut admettre cette interprétation comme vraie, on peut dire que l’âme du juste est soumise à la mutabilité, et par là soumise, bien que difficilement, au scandale.

La glose. La raison pour laquelle il ne faut pas mépriser ces petits, c’est qu’ils sont tellement chers à Dieu, qu’il a député des anges pour veiller sur eux. C’est pour cela que Notre-Seigneur ajoute : « Car je vous déclare, » etc. Quelques auteurs prétendent que Dieu donne aux hommes un ange gardien aussitôt qu’ils ont reçu dans le bain sacré de la régénération une nouvelle naissance en Jésus-Christ ; et ils ajoutent qu’il n’est pas croyable qu’un des saints anges soit préposé à la garde des incrédules et des pécheurs qui, dans le temps de leur infidélité et de leurs égarements, sont sous la puissance des anges de Satan. D’autres veulent que Dieu donne un ange gardien, aussitôt leur naissance, à tous ceux qui ont été l’objet de la prescience divine. — S. Jérôme. Qu’elle est grande la dignité des âmes, puisqu’à chacune d’elles, aussitôt son entrée dans la vie, Dieu donne un ange pour veiller à sa garde !

S. Chrys. (hom. 59.) Le Sauveur ne parle pas ici de tous les anges indistinctement, mais de ceux qui ont la prééminence sur les autres. Ces paroles : « Ils voient la face de Dieu, » signifient qu’ils jouissent d’un accès plus facile près de Dieu, et de plus grands honneurs dans la cour céleste. — S. Grég. (hom. 34 sur les Evang.) On dit que Denis l’Aréopagiste, un des Pères les plus anciens et les plus vénérables, prétend (comme il l’enseigne en effet, liv. des célestes hiér., ch. 42), que Dieu choisit dans les rangs inférieurs des anges pour les missions extérieures ou intérieures qu’il leur confie, mais qu’il n’en est point dans les hiérarchies supérieures qui soient employés dans des ministères extérieurs. — S. Grég. (Moral., 2, 2.) Les anges ne cessent jamais de voir la face du Père, même quand ils sont envoyés vers nous ; ils descendent jusqu’à nous pour nous protéger de leur présence toute spirituelle, et cependant ils demeurent par la contemplation intérieure dans le lieu qu’ils viennent de quitter, car ils conservent, en venant à nous, le don de la vision divine, et ne sont point privés, par conséquent, des joies de la contemplation intérieure. — S. Hil. Tous les jours les anges offrent à Dieu les prières de ceux qui doivent être sauvés par Jésus-Christ ; il est donc souverainement dangereux de mépriser celui dont les désirs et les prières montent jusqu’au trône du Dieu éternel et invisible, par l’entremise et par le ministère des anges. — S. Augustin. (Cité de Dieu, 22, 29.) Ou bien, nous appelons nos anges ceux qui sont les anges de Dieu ; ils sont les anges de Dieu, parce qu’ils ne quittent pas sa présence, ils sont nos anges, parce que nous sommes déjà leurs concitoyens. De même donc qu’ils jouissent maintenant de la vue de Dieu, ainsi nous le verrons nous-mêmes un jour face à face, selon ces paroles de saint Jean : « Nous le verrons tel qu’il est. » (1 Jn 3.) La face de Dieu c’est la manifestation de son être, et non la partie du corps que nous appelons de ce nom.

S. Chrys. (hom. 59.) Le Sauveur nous donne une nouvelle raison de ne pas mépriser les petits, et cette raison est plus forte que celle qui précède : « Car le Fils de l’homme est venu, » etc. — S. Rémi. C’est-à-dire ne méprisez pas les petits, car j’ai daigné me faire homme pour eux. En effet, après ces mots : « Ce qui était perdu, » nous devons sous-entendre le genre humain ; car tous les éléments gardent fidèlement l’ordre dans lequel ils ont été placés, mais l’homme s’est égaré, parce qu’il est sorti de l’ordre qui lui avait été tracé. — S. Chrys. (hom. 59.) Il ajoute à cette raison une parabole qui met dans tout son jour la volonté qu’a le Père céleste de sauver le genre humain : « Si un homme a cent brebis, et qu’une seule vienne à s’égarer, que pensez-vous qu’il fasse alors ? » etc. — S. Grég. (hom. 24 sur les Evang.) Cet homme c’est le Créateur des hommes ; car le nombre cent étant un nombre parfait, il fut le pasteur de cent brebis lorsqu’il eut créé la nature des anges et celle des hommes. — S. Hil. Dans cette seule brebis qui s’égare, il faut voir l’homme, et dans ce seul homme se trouve compris le genre humain tout entier ; car tout le genre humain a péché dans la faute du seul Adam. Celui qui est à la recherche de cet homme, c’est Jésus-Christ, et les quatre-vingt-dix-neuf brebis qui sont laissées, c’est la multitude des esprits qui jouissent de la gloire des cieux. — S. Grég.. (hom. 34 sur S. Matth.) L’Évangéliste dit que ces quatre-vingt-dix-neuf brebis sont laissées sur les montagnes, c’est-à-dire sur les lieux élevés, parce que les brebis qui ne se sont point égarées se tenaient sur les hauteurs spirituelles de la foi. — Bède. Le Seigneur a donc retrouvé la brebis perdue, quand il eut accompli l’oeuvre de la réparation de l’homme, et il y a dans le ciel une joie bien plus grande pour cette seule brebis qui est retrouvée, que pour les quatre-vingt dix-neuf autres. En effet, la réparation du genre humain donne beaucoup plus de gloire à Dieu que la création des anges ; car, si la création des anges est une oeuvre admirable de la puissance de Dieu, la rédemption des hommes est bien plus admirable encore. — Raban. Remarquez qu’il manque une unité au nombre neuf pour atteindre le nombre dix, et à quatre-vingt-dix-neuf, pour atteindre le nombre cent. Les nombres auxquels il manque une unité pour arriver à un nombre parfait, peuvent varier par leur quantité plus ou moins grande, mais l’unité invariable en elle-même perfectionne les autres nombres en venant s’y ajouter ; et c’est pour que le nombre des brebis fût complet dans le ciel que le Sauveur est venu chercher sur la terre l’homme qui s’était égaré. — S. Jérôme. D’autres pensent que les quatre-vingt-dix-neuf brebis représentent le nombre des justes, et cette brebis qui s’égare, le nombre des pécheurs, selon ce que le Sauveur dit ailleurs : « Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs. » (Mt 9.)

S. Grég. (hom. 34.) Mais pourquoi Notre-Seigneur déclare-t-il que la conversion des pécheurs cause dans le ciel une plus grande joie que la persévérance des justes ? C’est que ceux qui ont une très grande confiance de n’avoir point commis de fautes graves sont presque toujours pleins de tiédeur pour la pratique des vertus élevées. Au contraire, il arrive souvent que ceux qui ont la conscience d’avoir commis quelque grande faute, sous l’impression de la douleur qu’ils en ressentent, s’embrasent du feu de l’amour divin. Comme ils ont toujours leurs égarements devant les yeux, ils réparent les pertes précédentes par les gains qu’ils réalisent ensuite. C’est ainsi que, dans une bataille, un général préfère le soldat qui, après s’être enfui, revient presser vigoureusement l’ennemi, à celui qui n’a jamais tourné le dos, mais qui aussi n’a jamais fait d’action d’éclat. Mais il est cependant des justes qui donnent à Dieu une si grande joie, qu’on ne pourrait leur préférer aucun pécheur repentant ; car bien qu’ils n’aient conscience d’aucune faute, on les voit renoncer à toutes les jouissances permises, et s’humilier en toutes choses. Combien grande sera donc la joie, lorsque le juste gémira dans l’humiliation, alors qu’il y a sujet de se réjouir, de ce que le pécheur condamne hautement le mal qu’il a commis.

Bède. Ou bien encore, les quatre-vingt-dix-neuf brebis qui sont laissées sur la montagne, sont les orgueilleux auxquels il manque l’unité pour arriver à la perfection désignée par le nombre cent. Lorsque le Sauveur aura retrouvé le pécheur qui s’égarait, il se réjouira donc davantage, c’est-à-dire qu’il fera éprouver aux siens plus de joie de cette conversion, que de la prétendue persévérance des faux justes.

S. Jérôme. Les paroles suivantes : « Ainsi votre Père qui est dans les cieux, ne veut pas qu’un seul de ces petits périsse, » etc., se rapportent à ce qu’il a dit plus haut : « Prenez garde de mépriser un seul de ces petits, » et le Sauveur nous enseigne par là que cette parabole a pour but de nous enseigner à ne pas mépriser les petits ; en ajoutant : « Votre Père ne veut pas, » il nous apprend que toutes les fois qu’il périt un de ces petits, ce n’est point par la volonté du Père qu’il périt.

Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.

 

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