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Mt  10  9-10

S. Chrys. (hom. 33.) Après avoir défendu à ses Apôtres le trafic des choses spirituelles, le Seigneur veut arracher de leur cœur la racine de tous les maux. « Ne possédez, dit-il, ni or, ni argent. » — S. Jérôme. Si la fin qu’ils se proposent, en prêchant l’Évangile, n’est point de recevoir une récompense pécuniaire, pourquoi auraient-ils d’ailleurs de l’or, de l’argent ou d’autre monnaie, puisque alors ce n’est plus le salut des hommes, mais l’amour de l’argent qui semblerait être le mobile de leurs prédications ? — S. Chrys. (hom. 33.) En leur donnant ce précepte, il élève d’abord ses disciples au-dessus de tout soupçon ; en second lieu, il les affranchit de toute sollicitude pour qu’ils puissent se donner tout entiers à la parole de Dieu, et il leur enseigne enfin jusqu’où va sa puissance, car il leur dira plus tard : « Lorsque je vous ai envoyés sans sac et sans bourse, vous a-t-il manqué quelque chose ? » (Lc 22.) — S. Jérôme. Ce n’est pas assez d’avoir coupé jusque dans sa racine l’amour des richesses représentées par l’or, l’argent et la monnaie courante, il semble vouloir retrancher jusqu’au soin des choses nécessaires à la vie. C’est qu’il veut que les Apôtres, prédicateurs de la vraie religion, qui devaient enseigner que le gouvernement de la providence divine s’étend à tout, se montrent eux-mêmes sans préoccupation pour le lendemain : et c’est pour cela qu’il ajoute : « Ni monnaie dans vos bourses. » — La glose. Il y a deux sortes de choses nécessaires : l’une qui sert à acheter le nécessaire, c’est l’argent dans la bourse ; l’autre le nécessaire lui-même, qui est ici représenté par le sac. — S. Jérôme. Par ces paroles : « Ni sac dans la route, » le Sauveur condamne certains philosophes qu’on appelait Bactropérates, qui méprisant le monde, et comptant tout pour rien, portaient avec eux toutes leurs provisions. « Ni deux tuniques. » Ces deux tuniques dont parle le Seigneur signifient, à mon avis, deux vêtements différents. Il ne défend donc pas à ceux qui sont exposés au froid glacial de la Scythie où qui vivent sous d’autres climats rigoureux, de porter deux tuniques ; mais par la tunique il entend le vêtement, et dès lors que nous en avons un, il nous défend d’en avoir un autre en réserve, par un sentiment de crainte pour l’avenir. « Ni chaussures. » Platon lui-même a défendu de couvrir les deux extrémités du corps pour ne pas rendre trop délicats la tête et les pieds, car lorsque ces deux parties ont de la vigueur et de la fermeté, les autres parties du corps en deviennent elles-mêmes plus robustes. « Ni bâton. » Pourquoi chercher l’appui d’un bâton, nous qui avons pour soutien le Seigneur lui-même ? — S. Rémi. Le Seigneur nous montre encore par ces paroles, qu’il rappelle les saints prédicateurs de la loi nouvelle à la dignité du premier homme, car tant qu’il posséda les trésors du ciel il ne désira point les trésors de la terre, et il n’y pensa que lorsqu’il eut perdu les richesses du ciel par son péché.

S. Chrys. (hom. 33.) Heureux échange ! au lieu de l’or, de l’argent et d’autres choses de même nature, ils ont reçu le pouvoir de guérir les malades, de ressusciter les morts, et de faire d’autres semblables miracles. Aussi le Sauveur ne leur a pas tout d’abord fait cette défense : « Ne possédez ni or ni argent, » mais il a commencé par leur dire : « Guérissez les lépreux, chassez les démons. » On voit ici que d’hommes qu’ils étaient, le Sauveur en fait pour ainsi dire des anges, qu’il affranchit de tout soin de la vie présente pour ne leur laisser qu’une seule préoccupation, celle de la doctrine. Et encore veut-il les délivrer de cette sollicitude, lors qu’il leur dit : « Ne vous mettez pas en peine de ce que vous direz » (Lc 12, 11). C’est ainsi qu’il leur rend léger et facile ce que l’on regarde comme une tâche lourde et pénible. Car quoi de plus doux que d’être affranchi de tout soin, de toute inquiétude, surtout lorsque avec cela on n’éprouve aucun dommage, parce que Dieu est présent et que son action remplace la nôtre ? — S. Jérôme. Comme il venait d’envoyer prêcher ses Apôtres dépouillés de tout, et sans leur rien laisser, et que la condition de ces maîtres de l’univers paraissait bien dure, il adoucit la sévérité de ces commandements en ajoutant : « Car l’ouvrier est digne de son salaire, » ce qui revient à dire : « Recevez tout ce qui vous est nécessaire pour le vêtement et pour la nourriture. » C’est ce que recommande aussi l’apôtre S. Paul : « Dès lors que nous avons la nourriture et le vêtement, soyons-en contents (1 Tm 6) ; et ailleurs : « Que celui que l’on instruit des choses de la foi fasse part de tous ses biens à celui qui l’instruit » (Ga 6) ; c’est-à-dire que les disciples qui moissonnent les biens spirituels de ceux qui les enseignent, les fassent participer à leurs biens temporels, non pour satisfaire à leur avarice, mais pour subvenir à leurs besoins.

S. Chrys. (hom. 33.) Il était nécessaire que les Apôtres fussent nourris par leurs disciples, car ils auraient pu s’élever au-dessus de ceux qu’ils enseignaient, parce qu’ils leur donnaient tout sans en rien recevoir ; et les disciples, à leur tour, auraient pu se croire méprisés, et s’éloigner de leurs maîtres. Il ne veut pas non plus que les Apôtres rougissent de leur mission et viennent dire : « Il veut donc que nous vivions comme des mendiants ? » Il leur montre que cette nourriture leur est due, en leur donnant le nom d’ouvriers, et en appelant salaire ce qu’ils reçoivent. Les Apôtres ne devaient pas regarder comme un léger bienfait l’Évangile qu’ils annonçaient, parce que ce ministère est tout entier dans la parole ; et c’est pour cela qu’il ajoute : « L’ouvrier mérite de recevoir sa nourriture. » Ce n’est pas qu’il veuille cependant leur donner une idée exagérée de leurs travaux et de la récompense qu’ils méritent ; mais son dessein est de tracer aux Apôtres une règle de conduite, et d’apprendre à ceux qui fournissent à leurs besoins qu’ils ne font en cela que s’acquitter de ce qu’ils doivent. — S. Augustin. L’Évangile n’est pas une chose vénale et on ne doit point l’annoncer pour obtenir des biens temporels. Ceux qui trafiquent ainsi de l’Évangile vendent à vil prix une chose bien précieuse. Les prédicateurs peuvent donc recevoir des peuples qu’ils évangélisent la nourriture nécessaire à leur vie, et attendre de Dieu seul la récompense de leur ministère. Ce n’est pas un salaire que les fidèles donnent à ceux que la charité porte à leur annoncer l’Évangile, c’est un subside qui leur permet de continuer leurs travaux. S. Augustin. (de l’accord des Evang., liv. 2, ch. 30.) Après avoir dit à ses Apôtres : « Ne possédez point d’or, » le Sauveur ajoute immédiatement : « L’ouvrier mérite qu’on le nourrisse ; » paroles qui font connaître la raison pour laquelle il ne veut pas qu’ils aient ou qu’ils portent avec eux de l’or ou de l’argent. Ce n’est pas que l’un et l’autre ne soient nécessaires à l’entretien de la vie ; mais il veut, en les envoyant prêcher l’Évangile, que l’on comprenne bien que ce salaire leur est dû par les fidèles qu’ils allaient évangéliser, comme la solde est due à ceux qui combattent. Nous voyons encore ici que l’intention du Seigneur n’est pas de défendre à celui qui annonce l’Évangile d’avoir d’autres moyens de subsistance que les offrandes des fidèles, car alors saint Paul aurait été contre cette défense, lui qui vivait du travail de ses mains (Ac 20, 34 ; 1 Th 2, 9). Mais il leur donne simplement le pouvoir de recevoir ces offrandes comme une chose qui leur est due. Ne pas faire ce que le Seigneur commande, c’est une désobéissance formelle ; mais il est permis de ne pas user d’un pouvoir qu’il donne, et d’y renoncer comme à un droit qui nous est acquis. Le Sauveur veut donc établir que ceux qui annoncent l’Évangile ont le droit de vivre de l’Évangile, et il recommande à ses Apôtres d’être sans inquiétude lorsqu’ils ne posséderont ni ne porteront aucune des choses nécessaires à la vie, quelle que soit leur importance ; c’est pourquoi il ajoute : « ni bâton, » pour apprendre aux fidèles qu’ils doivent tout aux ministres de l’Évangile, pourvu qu’ils ne demandent rien de superflu. D’après l’évangéliste saint Marc, Notre-Seigneur leur défend de rien emporter avec eux pour le chemin, si ce n’est un bâton, et le bâton est l’emblème de ce pouvoir qu’il leur donne. Lorsque d’après saint Matthieu il défend de porter même des chaussures, il veut qu’ils soient libres de toute inquiétude, car on ne songe à s’en pourvoir que dans la crainte qu’on vienne à en manquer. Il faut entendre dans le même sens ce qu’il dit des deux tuniques ; il leur défend d’en porter d’autre que celle dont ils sont revêtus, pour se prémunir contre les nécessités du voyage, puisqu’ils ont le droit d’en recevoir au besoin. Dans saint Marc, Notre-Seigneur leur permet d’avoir pour chaussures des sandales, et cette chaussure a nécessairement une signification mystique ; comme elle laisse le pied découvert par dessus, tandis qu’elle le garantit par dessous, elle signifie que l’Évangile ne doit pas être tenu dans le secret, et qu’il ne doit pas s’appuyer sur des intérêts temporels. Il leur défend expressément dans le même endroit non-seulement de porter deux tuniques, mais même de s’en revêtir ; c’est pour les avertir de fuir toute duplicité, et d’être toujours simples dans leur conduite. Il est donc incontestable que le Seigneur a dit tout ce que les Évangélistes ont rapporté, tant au sens littéral, qu’au sens figuré ; mais qu’ils ont rapporté les uns une partie de son discours, les autres une autre. Maintenant que celui qui prétendrait que le Sauveur n’a pu, dans le même passage, parler tantôt au sens figuré, tantôt au sens propre, jette les yeux sur d’autres parties de l’Évangile, et il se convaincra que cette opinion est aussi téméraire qu’elle est peu éclairée. Car lorsque le Seigneur recommande de laisser ignorer à la main gauche ce que fait la main droite, il sera forcé de prendre dans un sens figuré les aumônes et tout ce qui fait la matière de ce commandement.

S. Jérôme. Nous avons donné le sens historique, voyons maintenant le sens anagogique. Il est défendu aux docteurs de l’Évangile d’avoir ni or, ni argent, ni monnaie dans leur bourse. Nous voyons que l’or est souvent pris pour l’intelligence, l’argent pour la parole, la monnaie pour la voix. Or, nous ne pouvons recevoir ces trois choses de personne, si ce n’est de Dieu qui nous les donne, ni emprunter rien aux enseignements des hérétiques, des philosophes ou d’autres doctrines également perverses. — S. Hil. (can. 10 sur S. Matth.) La ceinture est une des choses nécessaires à celui qui remplit quelque office, et elle rend son action plus libre ; nous défendre d’avoir de l’argent dans nos ceintures, c’est nous défendre toute vénalité dans l’exercice de notre ministère. Nous ne devons point porter de sac pour le chemin, c’est-à-dire qu’il nous faut laisser toute préoccupation des soins matériels ; car tout trésor sur la terre ne peut que nous être funeste, parce que notre cœur sera nécessairement là où notre trésor est enfoui. Il ajoute : « Ni deux tuniques. » Il nous suffit, en effet, de nous être revêtus une fois de Jésus-Christ, et après avoir reçu l’intelligence de la vérité, nous devons rejeter les vêtements que nous présentent l’hérésie ou la loi ancienne. « Ni chaussures, » c’est-à-dire que, marchant sur une terre sainte et débarrassée d’épines et de ronces, ainsi qu’il fut dit à Moïse (Ex 3), nous ne devons couvrir nos pieds d’autre chaussure que de celle que nous avons reçue de Jésus-Christ. — S. Jérôme. Ou bien le Seigneur nous enseigne à ne pas enchaîner nos pieds dans les liens de la mort, mais à les dépouiller de tout pour entrer dans la terre sainte, à laisser même ce bâton qui pourrait se changer en serpent ; à ne nous appuyer sur aucun secours humain, car un bâton ou une baguette ne sont jamais que des roseaux qui, pour peu qu’on les presse, se brisent et déchirent la main de ceux qui s’y appuient. — S. Hil. (can. 10.) Nous n’avons besoin, du reste, d’aucun secours étranger, nous qui avons en main le rejeton qui est sorti de la tige de Jessé (Is 11, 1).

Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.

 

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