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Mc  15  21-28

La glose. Après la condamnation de Jésus-Christ, et les outrages faits à ce divin condamné, l’Evangéliste en vient au récit de son crucifiement : " Et ils l’emmenèrent pour le crucifier. " — S. Jérôme. C’est Abel qui est conduit dans les champs par son frère pour y être mis à mort (Gn 4) ; c’est Isaac portant le bois du sacrifice avec Abraham qui trouve le bélier pris dans un buisson (Gn 22) ; c’est encore Joseph avec la gerbe qu’il vit en songe, et sa tunique teinte de sang (Gn 38) ; c’est Moïse avec sa verge (Ex 7), et le serpent suspendu à un arbre (Nb 21) ; c’est là cette grappe de raisin portée sur un bâton (Nb 13) ; c’est Elisée cherchant le fer de sa cognée tombée dans l’eau, et qui nagea sur l’eau vers le bois (4 R 6), figure du genre humain, que le fruit défendu d’un arbre précipita dans l’abîme, mais que le bois de la croix de Jésus-Christ et le baptême de l’eau firent remonter et nager vers le paradis ; c’est enfin Jonas jeté par le sort hors du vaisseau dans la mer, et qui resta trois jours dans le sein de la baleine. (Jon 3)

" Et ils contraignirent un homme, nommé Simon, de porter sa croix, " etc. — Théophile. Saint Jean dit que Jésus portait sa croix, l’un et l’autre sont vrais, Jésus porta d’abord lui-même sa croix jusqu’à ce que les Juifs contraignirent cet homme, qui passait, de la porter avec lui. L’Evangéliste fait connaître le nom des enfants de cet homme pour donner à son récit une marque plus authentique de crédibilité ; car cet homme vivait encore et pouvait affirmer lui-même toutes les circonstances du crucifiement. — S. Jérôme. Les uns doivent leur renommée aux mérites de leurs parents, les autres aux vertus de leurs enfants. Ce Simon, que les Juifs forcent de porter la croix, semble tirer son illustration de ses enfants qui étaient les disciples de Jésus-Christ. Nous apprenons de là que la sagesse, que les vertus des enfants peuvent être dans cette vie un puissant auxiliaire pour les parents eux-mêmes. C’est ainsi que les mérites des patriarches, des prophètes et des Apôtres ne cessent d’être un titre de gloire pour le peuple juif. Simon qui porte forcément la croix de Jésus, est la figure de celui qui travaille pour la gloire humaine ; les hommes le contraignent de faire ce que ni la crainte ni l’amour de Dieu n’auraient pu obtenir de lui. — Bède. Ou bien encore, ce Simon qui n’est pas de Jérusalem, mais de Cyrène, ville de Lybie, figure le peuple des Gentils qui autrefois étaient complètement étrangers aux alliances, et qui maintenant par leur obéissance sont devenus les héritiers de Dieu et les cohéritiers de Jésus-Christ (Ep 2, 12). Il est à remarquer, en effet, que Simon veut dire obéissant et Cyrène héritier. Il revient de sa maison des champs, en grec πάγος, d’oω vient le mot paganus, païen que nous donnons à ceux qui sont étrangers à la cité de Dieu. Simon qui sort de sa maison des champs pour porter la croix après Jésus, est donc le peuple des nations ou des Gentils, qui abandonne les superstitions du paganisme pour s’attacher fidèlement à suivre les traces de la passion du Sauveur, " Et ils le conduisirent jusqu’au lieu appelé Golgotha, " etc. En dehors de la ville et au delà des portes se trouve le lieu où l’on tranche la tête aux condamnés, et c’est delà que lui est venu le nom de Calvaire, ou lieu des décapités. Or, Jésus fat crucifié en ce lieu, pour ériger l’étendard du martyre dans l’endroit même où les condamnés souffraient le dernier supplice. — S. Jérôme. Suivant une tradition des Juifs, c’est sur cette montagne qu’Abraham immola un bélier à la place de son fils Isaac ; et c’est là aussi que Jésus est comme dépouillé de sa chair, c’est-à-dire séparé de la Judée toute charnelle.

" Et ils lui donnèrent à boire du vin mêlé avec de la myrrhe. " — S. Augustin. (de l’acc. des Evang., 3, 11.) Saint Matthieu exprime la même pensée en disant : " Du vin mêlé avec du fiel. " Il s’est servi du mot fiel pour signifier l’amertume de ce vin, car le vin mêlé à la myrrhe est fort amer. Il n’est pas impossible, non plus que ce soient le fiel et la myrrhe réunis qui rendirent ce vin fort amer. — Théophile. Ou bien encore, au milieu de ce désordre et de cette confusion, on apportait une chose pour une autre, les uns du vinaigre et du fiel, les antres du vin avec de la myrrhe. — S. Jérôme. Ou bien ce vin mêlé avec de la myrrhe est du vinaigre ; et c’est en goûtant ce vin que le Sauveur détruit le suc du fruit qui a donné la mort. — Bède. C’est la vigne amère qui produit le vin amer, dont le Seigneur est abreuvé, pour accomplir cette prophétie : " Ils ont mêlé le fiel à ma nourriture, ils m’ont présenté du vinaigre pour étancher ma soif. " (Ps 68) — S. Augustin. (de l’acc., des Evang., 3, 11) L’Evangéliste ajoute : " Et il n’en prit point, " c’est-à-dire il n’en prit point pour boire, il en goûta seulement, comme le rapporte saint Matthieu, et cette expression : " Il ne voulut point le boire, " est la même que celle de saint Marc : " Et il n’en prit point, " excepté que ce dernier passe sous silence que le Seigneur en a goûté. — S. Jérôme. Il n’a point pris non plus ce qui était la cause de ses souffrances, ce qui lui fait dire par la bouche du Roi-prophète : " Je payais alors ce que je n’avais pas pris. " (Ps 68)

" Et après l’avoir crucifié, " etc. — S. Jérôme. L’arbre de la croix est pour nous la figure du salut. Le premier arbre fut celui de la science du bien et du mal ; le second est exclusivement l’arbre du bien et de la vie. La main, en s’étendant vers le premier arbre, n’a saisi que la mort ; les mains étendues sur le second ont retrouvé la vie qui était perdue. C’est par la croix que Jésus-Christ nous a délivrés des supplices qui nous étaient dus ; c’est par sa mort qu’il a détruit notre mort. C’est sous la forme d’un serpent qu’il donne la mort à l’antique serpent, de même que c’est par la verge changée en serpent que les autres serpents ont été dévorés. (Ex 5, 12.) Que nous représente aussi la forme de la croix, si ce n’est les quatre parties du monde ? L’Orient brille à son sommet, le Septentrion est figuré par la droite ; le Midi par la gauche ; l’Occident par la base fixée dans le sol ; ce que parait indiquer l’Apôtre dans ces paroles : " Afin que vous sachiez quelle est la hauteur, la largeur, la longueur et la profondeur. " (Ep 3) Lorsque les oiseaux prennent leur vol dans les airs, ils y dessinent la forme d’une croix ; l’homme, en nageant, imite la forme d’une croix pour se soutenir sur les eaux ; le vaisseau reçoit le souffle du vent dans l’antenne qui soutient les voiles, et présente la figure d’une croix ; la lettre T, par sa forme, est aussi l’emblème de la croix et du salut. (Ez 9) — Bède. On peut dire aussi que le bois transversal de la croix où les mains sont clouées, signifie la joie que produit l’espérance ; car les mains sont le symbole des œuvres, et cette largeur de la croix figure la joie qui accompagne les bonnes œuvres ; car la tristesse resserre le cœur. Le haut de la croix où la tête repose, représente l’attente de la récompense que nous réserve la justice sublime de Dieu. La longueur de la croix sur laquelle le reste du corps est étendu, figure la patience, et de là vient qu’on dit de ceux qui sont patients, qu’ils ont de la longanimité. La partie de la croix qui s’enfonce dans la terre est le symbole des profondeurs que renferme ce mystère. Tant que dure pour nos corps le devoir de détruire en eux le corps du péché (Rm 6), c’est pour nous le temps de la croix.

Théophile. Les soldats jettent au sort ses vêtements, comme si c’étaient des vêtements royaux, nouvelle dérision ajoutée à tant d’autres ; car ces vêtements étaient pauvres et de peu de valeur. — La glose. D’après saint Jean, qui raconte ce fait plus en détail, les soldats partagèrent en quatre parties, suivant leur nombre, les vêtements du Sauveur, et jetèrent au sort sa tunique sans couture et d’un seul tissu depuis le haut jusqu’en bas. — S. Jérôme. Les vêtements du Sauveur que les soldats païens se partagent, sont ses commandements, dont son corps, c’est-à-dire l’Eglise est comme enveloppée, et ils sont partagés entre quatre classes de fidèles, unis par une même foi ; les époux, ceux qui pratiquent la continence, les supérieurs et les simples fidèles. La tunique indivisible qui est la paix et l’unité leur est échue à tous par le sort.

" Or, il était la troisième heure du jour, " etc. — S. Jérôme. Cette observation de saint Marc est on ne peut plus conforme à la vérité ; car à la sixième heure, les ténèbres se répandirent sur la terre, et il eût été impossible de faire aucune action. — S. Augustin. (de raccord des Evang., 3, 13.) Si ce fut à la sixième heure que Pilate, assis sur son tribunal, livra Jésus aux Juifs pour le crucifier, comme le rapporte saint Jean ; comment a-t-il pu être crucifié à la troisième heure, comme quelques-uns le concluent d’une fausse interprétation des paroles de saint Marc ? Examinons d’abord à quelle heure a pu avoir lieu le crucifiement, et nous verrons ensuite pourquoi saint Marc le place à la troisième heure. Il était environ la sixième heure lorsque Pilate, assis sur son tribunal, livra Jésus aux Juifs, comme nous l’avons dit. Or, la sixième heure n’était pas encore tout à fait arrivée ; c’était environ la sixième heure, c’est-à-dire que la cinquième était passée, et qu’une partie de la sixième était commencée. Ainsi la cinquième heure était écoulée, et la sixième commencée, lorsqu’eurent lieu les circonstances du crucifiement ; et aussitôt la sixième heure achevée, pendant que Jésus était attaché à la croix, les ténèbres se répandirent sur toute la terre. Examinons maintenant pourquoi saint Marc s’exprime ainsi : " Il était la troisième heure, " etc. Il venait de dire : " Et ceux qui l’avaient crucifié partagèrent ses vêtements, " et les autres Evangélistes rapportent également que ce fut après le crucifiement de Jésus, que ses bourreaux se partagèrent ses vêtements. Si saint Marc eut seulement voulu préciser l’heure où ces faits se passèrent, il lui suffisait de dire : " Il était la troisième heure. " Pourquoi donc ajoute-t-il : " Et ils le crucifièrent ? " Ne voulait-il point par une espèce de récapitulation nous indiquer ici, comme objet de nos recherches, une vérité cachée ; alors surtout que son Evangile devait être lu dans des temps où toute l’Eglise savait fort bien à quelle heure Jésus avait été attaché à la croix, ce qui permettait de dissiper sur ce point jusqu’à l’ombre de l’erreur, jusqu’à l’apparence du mensonge. Mais comme il savait parfaitement que ce ne furent pas les Juifs, mais les soldats, qui en réalité attachèrent Jésus-Christ à la croix, comme l’atteste saint Jean (Jn 19, 23), il a voulu nous apprendre en termes couverts que les véritables auteurs du crucifiement furent ceux qui demandèrent à grands cris que le Sauveur fût crucifié, plutôt que ceux qui, par le devoir de leur état, ne firent qu’obéir aux ordres de leurs chefs. Ainsi donc, ce fut à la troisième heure que les Juifs demandèrent que Jésus fût crucifié, et eu réalité, ce crime fut dès lors moralement accompli. Or, pendant que Pilate s’efforçait de délivrer le Sauveur, et pendant le tumulte causé par les résistances des Juifs, il se passa un intervalle d’environ deux heures, et il était donc environ la sixième heure qui n’était pas encore écoulée lorsque se passèrent les événements renfermés entre le moment où il livra Jésus aux Juifs, jusqu’à celui où les ténèbres se répandirent sur la terre. Celui donc qui examinera ce passage sans aucun parti pris d’impiété, comprendra facilement que saint Marc a fait mention de la troisième heure dans l’endroit le plus opportun, c’est-à-dire au moment où les soldats crucifièrent Jésus. Afin donc qu’on fit retomber non pas sur les soldats, mais sur les Juifs la pensée d’un si grand crime, il écrit : " Or, il était la troisième heure, et ils le crucifièrent. " Il voulait que pour un lecteur attentif, les véritables auteurs du crucifiement fussent ceux qui l’avaient demandé à grands cris vers la troisième heure, plutôt que les soldats qui n’ont accompli le crime qu’à la sixième heure. — S. Augustin. (Quest. sur le Nouv. et l’Anc. Test., ch. 65.) Saint Marc a donc voulu nous faire entendre que la sentence qui condamnait Jésus à être crucifié, fut rendue à la troisième heure. En effet, tout homme condamné à mort, est regardé comme mort du moment où la sentence de mort lui a été signifiée. Il établit ainsi d’une manière évidente que ce n’est point précisément en vertu de la sentence du juge que Jésus a été crucifié ; car il serait difficile de prouver l’innocence de celui qui est l’objet d’une condamnation à mort. — S. Augustin. (de l’acc. des Evang., 3, 13.) Cependant il est des auteurs qui dans ces paroles de saint Jean : " C’était le jour de la préparation de la pâque, vers la sixième heure " (Jn 19, 14), ont voulu voir la troisième heure dont parle saint Marc. Ce jour qui était suivi du jour du sabbat, disent-ils, était le jour de la préparation de la pâque des Juifs, parce que la fête des Azymes commençait à ce sabbat. Or, la préparation ou la vigile de la Pâque véritable, non pas de celle des Juifs, mais de celle des chrétiens, qui s’accomplissait dans la passion du Sauveur, avait déjà commencé à partir de la neuvième heure de la nuit, puisque c’est à partir de ce moment que les Juifs se sont préparés à immoler le Sauveur. En effet, le mot parasceve signifie préparation. Ainsi entre la neuvième heure de la nuit jusqu’à celle du crucifiement, vient se placer la sixième heure de la préparation, suivant saint Jean, et la troisième heure du jour d’après saint Marc. Quel fidèle n’adopterait pas cette solution, si quelque chose pouvait nous faire clairement comprendre que c’est à la neuvième heure de la nuit que commença la préparation de notre pâque, c’est-à-dire la préparation de la mort de Jésus-Christ ? Dirons-nous que cette préparation a commencé au moment où Jésus fut pris et garrotté par les Juifs ? Mais on n’était alors qu’à la première partie de la nuit. Est-ce quand le Sauveur fut conduit à la maison de Caïphe, où il fut interrogé par les princes des prêtres ? mais le coq n’avait pas encore chanté. Est-ce quand Jésus fut traduit devant Pilate ? mais l’Evangile dit expressément qu’il était alors grand jour. Il n’est donc plus possible de placer la préparation de la mort du Seigneur qu’au moment où tous les princes des prêtres s’écrièrent : " Il est digne de mort, " car rien n’empêche d’admettre qu’il pouvait être alors la neuvième heure de la nuit, à la condition toutefois de placer auparavant le renoncement de Pierre que l’Evangéliste ne raconte qu’après, comme par récapitulation.

" Et le titre de sa condamnation était ainsi écrit, " etc. — Théophile. Ils mirent cette inscription pour apprendre à tous la cause de son crucifiement. Ils condamnaient ainsi publiquement le sentiment de Jésus qui se disait roi, ils étouffaient tout sentiment de compassion dans l’âme des passants, et les excitaient à insulter bien plutôt le Sauveur comme un tyran. — S. Jérôme. Ils écrivirent cette inscription en trois langues, en hébreu : Maleck Jeoudim ; en grec : Basileus exomologeton ; en latin : Rex confitentium. Ces trois langues furent consacrées dans l’inscription de la croix, afin que la perfidie des Juifs fût publiée dans toutes les langues que ces trois représentaient. — Bède. Cette inscription, placée au haut de la croix, prouve que les Juifs, en mettant Jésus à mort, n’ont pu se délivrer de l’avoir pour roi qui leur rendra selon leurs œuvres.

" Ils crucifièrent aussi avec lui deux voleurs, " etc. — Théophile. Afin de donner ainsi de lui au peuple une mauvaise opinion et de le faire passer pour un voleur et un malfaiteur. Mais Dieu permit ce nouvel outrage pour accomplir l’oracle de l’Ecriture : " Ainsi fut accomplie cette parole de l’Ecriture : Il a été mis au rang des criminels. " — S. Jérôme. La vérité est confondue avec les scélérats ; elle en laisse un à gauche, elle prend et sauve celui qui est à sa droite ; c’est ce qu’elle doit faire encore au jour du jugement. Quel sort bien différent, après des crimes semblables ? l’un précède Pierre dans le paradis, l’autre Judas dans l’enfer. Une confession rapide obtient à l’un une vie éternelle, et le blasphème qui expire sur les lèvres de l’autre, est puni d’un supplice sans fin.

Bède. Les deux voleurs crucifiés avec Notre-Seigneur, sont la figure de ceux qui, pour professer la foi et le nom de Jésus-Christ, se dévouent aux épreuves du martyre, on embrassent la pratique sévère d’une vie mortifiée. Ceux qui ne se proposent en cela que la gloire éternelle, sont figurés par la foi du voleur qui est à droite ; ceux au contraire qui n’ont en vue que la gloire qui vient des hommes imitent les sentiments et les actes du voleur qui est à gauche. — Théophile. Ou bien encore, ces deux voleurs représentent les deux peuples, les Juifs et les Gentils, tous deux coupables d’iniquité, pour avoir transgressé, les Gentils, la loi naturelle ; les Juifs, la loi écrite que le Seigneur leur avait donnée. Mais le peuple des Gentils se repent, tandis que le peuple juif blasphème jusqu’à la fin, et c’est au milieu de ces deux peuples que le Seigneur est crucifié, car il est la pierre angulaire qui nous réunit (Ep 2, 14).

Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.

 

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