Accueil > Bibliothèque > La Chaîne d’or > Évangile selon saint Marc > chapitre 11, versets 1-11
S. Chrys. (hom. 66 sur S. Matth.) Après avoir donné des preuves suffisantes de sa puissance divine, et alors que sa croix se dressait devant ses yeux, le Sauveur donne à toutes ses actions un caractère de publicité plus grande qui devait redoubler la fureur de ses ennemis. Bien des fois il s’était rendu à Jérusalem, mais jamais avec l’éclat dont il environne aujourd’hui son entrée dans cette ville. — Théophile. Ses ennemis, s’ils le veulent, pourront reconnaître sa gloire, et par l’accomplissement des prophéties dont il est l’objet, apprendre qu’il est le vrai Dieu ; s’ils s’y refusent, leur incrédulité malgré tant de prodiges éclatants, leur attirera un jugement bien plus redoutable. C’est cette entrée triomphale que l’Evangéliste décrit en ces termes : " Lorsqu’ils approchaient de Jérusalem et de Béthanie, " etc. — Bède. Béthanie est une bourgade ou une petite ville bâtie sur le flanc de la montagne des Oliviers, et c’est là qu’eut lieu la résurrection de Lazare. L’Evangéliste nous apprend comment et pourquoi le Sauveur envoya ses disciples : " Et il leur dit : Allez à ce village, " etc. — Théophile. Voyez que de circonstances particulières dans cette prédiction : ils trouveront un ânon. " A l’entrée du village, vous trouverez, " etc. On voudra leur défendre de le détacher : " Et si quelqu’un vous dit : Que faites-vous ? dites-lui, " etc., on les laissera libres alors de l’emmener : " Et aussitôt il le laissera, " etc. Et toutes ces choses arrivèrent comme il l’avait prédit : " Et s’en étant allés, ils trouvèrent l’ânon qui était attaché dehors, auprès d’une porte, entre deux chemins, et ils le délièrent. " — S. Augustin. (De l’acc. des Evang., 2, 66.) Saint Matthieu parle d’une ânesse et de son ânon, les autres Evangélistes ne disent rien de l’ânesse. Il n’y a ici aucune contradiction, dès lors qu’on peut admettre les deux circonstances de ce fait ; quand même chacun des Evangélistes n’en rapporterait qu’une des deux. A plus forte raison n’y a-t-il aucune difficulté, lorsqu’un Evangéliste rapporte une circonstance, et que l’autre les raconte toutes deux.
" Quelques-uns de ceux qui étaient là leur dirent : Que faites vous ? pourquoi déliez-vous cet ânon ? Ils leur répondirent comme Jésus le leur avait ordonné, et ces gens le leur laissèrent emmener, " c’est-à-dire, l’ânon. — Théophile. Ces hommes, habitants de la campagne et occupés aux travaux des champs, n’auraient certainement pas donné cette permission, si une influence divine ne les eût dirigés, et comme forcés de laisser aller cet ânon.
" Ils amenèrent donc l’ânon à Jésus, ils le couvrirent de leurs vêtements, et il monta dessus. " — S. Chrys. (hom. 66.) Notre-Seigneur n’avait pas besoin, sans doute, de monter sur cet ânon pour aller du mont des Oliviers à Jérusalem, puisqu’il avait bien parcouru à pied la Judée et toute la Galilée ; cette action était donc figurative. " Un grand nombre étendaient leurs vêtements le long de la route. " — S. Jérôme. Sous les pieds de l’ânon ; " d’autres coupaient des branches d’arbres et en jonchaient le chemin, " beaucoup plus pour la décoration de la route et comme symbole que par nécessité. " Et ceux qui marchaient devant, et ceux qui suivaient, criaient : Hosanna ! " etc. Tant que le peuple ne fut point corrompu, il eut le sentiment de ce qu’il devait faire ; il honore Jésus suivant la mesure de son pouvoir, et pour le louer, il emprunte l’hymne de David et chante Hosanna ! ce qui, selon quelques-uns, signifie : Sauvez-moi ; selon d’autres : Hymne. Le premier sens me paraît plus vraisemblable, car on lit dans le psaume 117 : " O Seigneur, sauvez-moi ! " en hébreu : Hosanna. — Bède. Hosanna est un mot hébreu, composé de deux autres mots, l’un entier, l’autre altéré. Sauvez-moi, se dit en hébreu, hosi le mot anna est comme l’interjection delà prière ; interjection qui répond à l’interjection latine, hélas ! — S. Jérôme. Ils crient hosanna, c’est-à-dire, sauvez-moi, pour lui demander que les hommes soient sauvés par ce Sauveur béni, par ce vainqueur, qui vient au nom du Seigneur (c’est-à-dire, de son Père), car c’est du Père que le Fils prend son nom, comme c’est du Fils que le Père reçoit le sien.
S. Chrys. Ils rendent donc gloire à Dieu, en s’écriant : " Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! " Ils bénissent aussi le royaume de Jésus-Christ ; en ajoutant : Béni soit le règne de notre Père David qui va commencer ! — Théophile. Le royaume de David, dans leur pensée, était le royaume du Christ, parce que le Christ descendait de la race de David, et aussi parce que David signifie celui qui est puissant de la main. Qui a mieux mérité cette qualification que le Sauveur, dont la main a opéré tant et de si éclatants prodiges ? — S. Chrys. Aussi les prophètes donnent-ils souvent à David le nom de Christ, parce que le Christ devait descendre de David. — Bède. Nous voyons dans l’Evangile de saint Jean, Jésus s’enfuir sur la montagne, lorsque les Juifs voulurent le faire roi. Aujourd’hui qu’il vient à Jérusalem pour y souffrir, il accepte ce titre de roi, sous lequel il est acclamé, pour établir clairement que le royaume qu’il veut fonder n’est point un royaume temporel et terrestre, mais un royaume éternel dans les cieux, et qu’il devait entrer en possession de ce royaume par le mépris de la mort. Il faut remarquer ici la conformité des acclamations de la foule avec ces paroles de Gabriel : " Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père, " c’est-à-dire, qu’il devait appeler à ce royaume céleste, par ses paroles et par ses actions, cette nation autrefois soumise à l’autorité temporelle de David. — S. Chrys. Enfin, la multitude rend gloire à Dieu, en ajoutant : " Hosanna au plus haut des cieux ! c’est-à-dire, hymne et gloire au Dieu de toutes choses qui habite les hauteurs des cieux. — S. Jérôme. Ou bien, hosanna (c’est-à-dire, sauvez-moi), dans les hauteurs des cieux comme dans les profondeurs de la terre, que les justes s’élèvent dans les cieux sur les ruines des anges, et que ceux qui habitent la surface ou les profondeurs de la terre soient également sauvés.
Dans le sens mystique, le Seigneur approche de Jérusalem, qui est la vision de la paix, le siège d’une félicité éternelle et immuable, et selon l’Apôtre, la mère de tous les croyants. (Ga 4) — Bède. Béthanie veut dire maison d’obéissance, c’est-à-dire, qu’avant sa passion, il s’était préparé par ses enseignements dans l’âme d’un grand nombre une maison d’obéissance. Béthanie est située sur le versant de la montagne des Oliviers, figure de l’onction des dons spirituels et de là lumière de la science et de la piété, par lesquels le Sauveur anime et réchauffe l’Eglise. Il envoie ses disciples dans le village qui est devant eux, c’est-à-dire, qu’il a chargé les docteurs de pénétrer par la prédication de l’Evangile dans toutes les forteresses où l’ignorance du monde semblait s’être réfugiée. — S. Jérôme. Les disciples de Jésus-Christ sont appelés, ils sont envoyés deux à deux, parce que la charité ne peut s’exercer, si on est seul. " Malheur à celui qui est seul, dit la sainte Ecriture " (Qo 4). Ce sont deux hommes qui dirigent les Hébreux dans leur sortie de l’Egypte ; deux hommes qui rapportent de la terre sainte la grappe de raisin, pour enseigner à ceux qui sont placés à la tête des autres, à joindre toujours l’action à la science, à tirer des deux tables les deux commandements (Ex 32, 5 ; 30, 18 ; 25 ; 39 ; 3 R 8, 7), à se purifier dans les deux fontaines, à porter l’arche du Seigneur sur deux bâtons, et afin qu’ils apprennent à connaître le Dieu assis entre deux chérubins, lui offrant le double hommage de l’esprit et du cœur (1 Co 14).
Théophile. Cet ânon n’était pas nécessaire au Sauveur, il l’envoie chercher pour donner à entendre qu’il devait bientôt appeler à lui les gentils. — Bède. Cet ânon libre et indompté est la figure du peuple des nations ; personne ne l’avait encore monté, c’est-à-dire, qu’aucun sage docteur n’avait encore, par des enseignements utiles, imposé à ce peuple le frein de la discipline, pour préserver sa langue des paroles coupables, ou le forcer d’entrer dans l’étroit sentier de la vie. — S. Jérôme. Ils trouvèrent cet ânon attaché devant la porte en dehors, emblème du peuple des gentils retenu dans les liens du péché devant la porte de la foi, en dehors de l’Eglise. — S. Ambr. (sur S. Luc, 9, 19.) Ou bien, ils le trouvèrent attaché devant la porte, c’est-à-dire, que tout homme qui n’est pas avec Jésus-Christ et qui demeure dehors, est sur la voie, mais celui qui est en Jésus-Christ ne reste pas dehors. L’Evangéliste ajoute qu’on le trouva entre deux chemins, où tout le monde passe, dans un lieu dont personne ne pouvait revendiquer la propriété ; il était là, sans étable, sans nourriture, sans crèche. Quelle misérable servitude que celle qui n’a aucun droit certain ! On est l’esclave de plusieurs maîtres quand ou ne dépend pas d’un seul, les étrangers lient pour assurer leur possession, le maître légitime met en liberté pour conserver, car les bienfaits sont des liens beaucoup plus puissants que les chaînes. — Bède. On peut dire encore qu’il était dans un carrefour, parce qu’il ne se tenait pas dans le chemin certain de la foi et de la vérité, mais qu’il suivait au gré de l’erreur les sentiers innombrables et douteux des sectes diverses. — Bède. On bien encore ces deux chemins sont la figure du libre arbitre qui hésite entre la vie et la mort (Si 15, 18). — Théophile. Ou enfin " dans un carrefour, " c’est-à-dire, dans cette vie ; or, ce sont les disciples qui le délient par le baptême et par la foi. — S. Jérôme. " Quelques-uns de ceux qui étaient là leur dirent : Que faites-vous ? Comme s’ils disaient : Qui peut remettre les péchés ? " — Théophile. Ou bien ceux qui veulent s’opposer aux disciples sont les démons dont les Apôtres, plus forts qu’eux, ont triomphé. — Bède. Ou bien ce sont ces maîtres de l’erreur qui s’opposèrent aux docteurs qui venaient apporter le salut aux gentils ; mais lorsque le Sauveur eut fait éclater la puissance de la foi en son nom, le peuple des croyants, libre des attaques de ses ennemis, fut amené au Seigneur qu’il portait déjà dans son cœur. Les vêtements dont les Apôtres couvrent cet animal, représentent ou la doctrine des vertus, ou le don d’interpréter les Ecritures, ou la variété des dogmes de l’Eglise ; les cœurs des hommes autrefois nus et glacés, sont couverts de ces vêtements pour devenir des sièges dignes de Jésus-Christ. — S. Jérôme. Ou bien encore, ces vêtements dont ils couvrent l’ânon, c’est la robe première d’immortalité (Lc 15, 28) dont se revêtent les gentils par le baptême. Jésus monte sur cet ânon, c’est-à-dire, qu’il commence à régner sur eux pour substituer à l’empire du péché dans une chair voluptueuse, celui de la justice, de la paix et de la joie dans l’Esprit saint (Rm 6, 12 ; 14, 17). " Un grand nombre étendent leurs vêtements le long du chemin sous les pieds de l’ânon. " Que figurent les pieds ? les derniers d’entre les fidèles que l’Apôtre établit pour juger leurs frères. " (1 Co 6) Ils ne sont pas jugés dignes de servir de siège au Seigneur, mais cependant ils sont instruits par Jean-Baptiste, comme les soldats, de leurs devoirs. (Lc 3) — Bède. Ou bien encore, cette multitude qui étend ses vêtements le long du chemin, ce sont les saints martyrs qui se dépouillent du vêtement de leur chair pour préparer la voie par leur sang aux fidèles moins avancés dans le service de Dieu. Celle multitude est encore la figure de ceux qui domptent leurs corps par la mortification, pour ouvrir à Dieu le chemin de leur âme, ou offrir de saints exemples à ceux qui veulent marcher sur leurs traces. Ceux qui coupent des rameaux ou des branches d’arbres, représentent ceux qui recueillent dans les écrits des Pères la doctrine de vérité qui s’y trouve semée, et par une prédication pleine d’humilité, la répandent sur la voie de Dieu dans l’âme de l’auditeur qui vient les entendre. — Théophile. Il nous faut aussi joncher de rameaux enlevés aux arbres le chemin de notre vie, c’est-à-dire, imiter les saints, car les arbres figurent les saints, et celui qui imite leurs vertus, coupe des rameaux de ces arbres. — S. Jérôme. Les justes fleuriront comme le palmier (Ps 91), leur racine est petite, mais leurs fleurs et leurs fruits sont très étendus. Comme ils sont la bonne odeur de Jésus-Christ (2 Co 2), ils étendent sur la voie des commandements de Dieu leur bonne renommée ; ceux qui marchaient en avant, sont les prophètes, et ceux qui suivaient, les Apôtres. — Bède. Or, comme tous les élus, ceux qui pouvaient être alors dans la Judée aussi bien que ceux qui sont maintenant dans l’Eglise, ont cru et croient encore au médiateur de Dieu et des hommes, ceux qui précèdent, comme ceux qui suivent, crient tous ensemble : Hosanna ! — Théophile. Il n’y a que les actes dont la fin répond au commencement qui soient vraiment à la louange de Dieu. Il en est dont la vie passée offre des commencements de bien, mais les années suivantes ont donné un démenti à celles qui précédaient, et n’ont point eu pour fin la gloire de Dieu.
Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.