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Lc  23  26-32

La glose. Après le récit de la condamnation de Jésus vient naturellement celui de son crucifiement : « Or, comme ils l’emmenaient, ils prirent un certain Simon de Cyrène qui revenait des champs et le chargèrent de la croix, la lui faisant porter après Jésus. » — S. Augustin. (De l’acc. des Evang., 3, 10.) Saint Jean raconte que Jésus portait lui-même sa croix, ce qu’il faut entendre du moment où il sortait pour aller au lieu dit du Calvaire, et que dans le chemin, ils requirent Simon pour la porter jusqu’à ce lieu. — Théophile. Personne, en effet, n’eût consenti à porter la croix, qu’on regardait comme un bois infâme et maudit, c’est pour cela qu’ils imposèrent à Simon l’humiliation forcée de se charger de cette croix que tous les autres refusaient de porter. Ainsi fut accomplie la prophétie d’Isaïe : « Il portera sur ses épaules le signe de sa puissance. (Is 9.) En effet, sa croix est vraiment le signe de sa puissance, et c’est à cause de sa croix que Dieu l’a élevé si haut. (Ph 2.) Vous voyez les uns porter comme marque de leur dignité un riche baudrier, les autres une tiare ou un diadème ; quant au Sauveur, la marque de sa dignité, c’est sa croix. Et si vous voulez bien y réfléchir, vous verrez que Jésus n’établit en nous son royaume que par les souffrances ; aussi ceux qui recherchent les délices de la vie sont ennemis de la croix de Jésus-Christ.

S. Ambr. Jésus portant sa croix, est comme un vainqueur qui porte déjà le trophée de sa victoire ; la croix est placée sur ses épaules, soit en effet qu’il l’ait portée lui-même, ou que Simon en ait été chargé, c’est toujours le Christ qui la porte dans l’homme, de même que l’homme la porte dans la personne du Christ. Il n’y a point ici de contradiction dans le récit des évangélistes, puisque la signification mystérieuse est la même. L’ordre de notre progrès dans la perfection demandait que Jésus dressât d’abord lui-même le trophée de sa croix, et qu’il le transmît aux martyrs pour le porter après lui. Or, ce n’est pas un Juif qui porte la croix, mais un étranger et un voyageur, et il ne marche pas devant Jésus, mais se contente de le suivre, selon la parole du Sauveur : « Qu’il porte sa croix, et qu’il me suive. »

Bède. Simon veut dire obéissant, et Cyrène, signifie héritier ; cet homme est donc la figure du peuple des nations, qui autrefois était complètement étranger aux alliances (Ep 2, 12), et qui maintenant est devenu par son obéissance héritier de Dieu. C’est en revenant de la maison des champs, que Simon porte la croix après Jésus, figure en cela des Gentils qui commencent par renoncer aux superstitions du paganisme pour suivre avec obéissance les traces de la passion du Sauveur, car maison des champs se dit en grec παγος (pagos), d’où les païens ont tiré leur nom. — Théophile. Ou encore : Celui qui porte la croix de Jésus-Christ revient des champs, c’est-à-dire se sépare du monde et de ses oeuvres, pour se diriger vers Jérusalem, c’est-à-dire vers la liberté des cieux. Notre-Seigneur nous donne encore ici une importante leçon, c’est que celui qui est à son exemple le mettre de ses frères, doit commencer aussi par porter sa croix et crucifier sa propre chair par la crainte de Dieu, avant d’en charger ceux qu’il instruit et qu’il dirige.

« Cependant Jésus était suivi d’une grande multitude de peuple, et de femmes qui pleuraient et se lamentaient sur lui. » Une grande multitude suit la croix de Jésus-Christ, mais avec des dispositions bien différentes ; le peuple qui a demandé et obtenu qu’il fût crucifié, veut rassasier ses yeux du spectacle de sa mort, tandis que les pieuses femmes au contraire le suivent pour répandre des larmes sur lui. Si l’Evangéliste remarque que les femmes seules le suivaient en pleurant, ce n’est pas que dans cette multitude innombrable d’hommes, il ne s’en trouvât aussi qui ne fussent profondément affligés de sa passion, mais parce que les femmes attirant moins l’attention, pouvaient donner un cours plus libre à leurs sentiments. — S. Cyrille. D’ailleurs, les femmes sont naturellement portées aux larmes, et leur âme est plus accessible à la compassion.

Théophile. Ces femmes sont aussi la figure de la grande multitude des Juifs qui devait un jour suivre la croix et embrasser la foi. La femme signifie aussi l’âme pécheresse qui, brisée par la contrition verse les larmes du repentir, et marche à la suite de Jésus affligé pour notre salut. Les femmes pleuraient donc par compassion. Cependant il ne faut point pleurer sur celui qui marche volontairement au-devant des souffrances, mais bien plutôt applaudir à son généreux dessein ; aussi Notre-Seigneur défend-t-il à ces femmes de pleurer « Jésus, se tournant vers elles, leur dit : Filles de Jérusalem, ne pleurez point sur moi. » — Bède. Né pleurez pas sur moi dont la prompte résurrection va bientôt briser les liens de la mort, dont la mort a triomphé de la mort et détruit l’auteur même de la mort. Remarquez que le Sauveur les appelle : « Filles de Jérusalem, » parce qu’aux femmes qui l’avaient suivi de la Galilée, s’étaient jointes celles de la ville de Jérusalem qui s’étaient attachées à lui.

Théophile. Il engage ces femmes qui pleurent sur lui, à porter leurs regards sur les calamités qui les menacent, et à pleurer sur elles-mêmes : « Mais pleurez sur vous mêmes. » — S. Cyrille. Il leur fait pressentir que bientôt les femmes seront privées de leurs enfants, car lorsque la guerre viendra fondre sur la Judée, tous sans distinction en seront victimes, grands et petits : « Car voici que viendront des jours où l’on dira : heureuses les stériles, » etc. — Théophile. C’est-à-dire ces jours où des mères dénaturées feront cuire leurs propres enfants et que leurs entrailles recevront de nouveau le fruit malheureux qui en était sorti. — Bède. Il prédit ici le siége de Jérusalem par les Romains, et le temps de la captivité dont il avait dit précédemment : « Malheur aux femmes qui seront grosses ou qui nourriront ! » Lorsqu’on est envahi par un ennemi qui doit vous entraîner en captivité, il est naturel de chercher dans les montagnes on dans les lieux inaccessible, un refuge assuré. C’est le sens qu’on peut donner à ces paroles : « Alors il commenceront à dire aux montagnes : Tombez sur nous ; et aux collines : Couvrez-nous. » Josèphe nous raconte en effet, qu’aux approches de l’armée romaine, les Juifs s’enfuirent précipitamment dans les cavernes et les antres creusés dans le flanc des collines et des montagnes. Ces paroles : « Heureuses les stériles, » peuvent aussi s’entendre des chrétiens des deux sexes qui ont embrassé volontairement la chasteté pour le royaume des cieux, et celles qui suivent : « Montagnes, tombez sur nous, collines, couvrez-nous, » peuvent être mises sur les lèvres de ceux à qui le souvenir de leur fragilité fait chercher du secours, au fort de la tentation, dans les exemples, les leçons, et les prières des hommes d’une perfection éminente.

« Car si l’on traite ainsi le bois vert, que fera-t-on du bois sec ? » — S. Grég. (Moral., 12, 4.) Notre-Seigneur se compare au bois vert et nous au bois sec, parce qu’il avait en lui la sève de la puissance divine, tandis que nous, qui n’avons que la faible humanité en partage, nous ressemblons au bois sec. — Théophile. Voici le sens de ces paroles : Si les Romains se sont portés à de tels excès de cruauté sur moi, arbre toujours vert et fécond, que ne feront-ils pas contre vous, c’est-à-dire, contre ce peuple qui est comme un bois sec, privé de toute sève vivifiante et qui n’a jamais produit aucun fruit ? — Bède : Ou encore, c’est à tous que le Sauveur s’adresse et dit : Si moi qui n’ai point commis de péché, qui suis appelé l’arbre de vie, je ne puis sortir de ce monde sans passer par le feu de ma passion, quels, pensez-vous, seront les tourments réservés à ces arbres tombés qui n’ont jamais porté de fruits ?

Théophile. Pour noircir dans l’esprit du peuple la réputation du Sauveur, le démon porte ses ennemis à croiser avec lui deux voleurs : « On menait aussi avec lui deux voleurs pour les faire mourir. »

Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.

 

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