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Lc  22  47-53

La glose. Après le récit de la prière de Jésus-Christ, l’Évangéliste raconte sa trahison par son perfide disciple : « Il parlait encore, lorsqu’une troupe de gens parut, et à leur tête celui qui s’appelait Judas. » — S. Cyrille. Il dit : « Celui qui s’appelait Judas, » comme si ce nom lui faisait horreur. Il ajoute : « Un des douze, » pour faire ressortir davantage la méchanceté de ce traître disciple, qui est devenu la cause de la mort de Jésus-Christ, après avoir été élevé par lui à la sublime dignité de l’apostolat. — S. Chrys. Il est des maladies incurables qui sont rebelles aux remèdes les plus énergiques, comme à ceux qui sont les plus doux ; ainsi l’âme une fois captivée et enchaînée volontairement dans les liens du vice, ne se rend à aucun avertissement. C’est ce qui s’est vérifié dans Judas, qui ne renonça pas au dessein de trahir son maître, bien que Jésus ait cherché à l’en détourner par tous les moyens possibles : « Et il s’approcha de Jésus pour le baiser. » — S. Cyrille. Il avait oublié la gloire qui avait environné la vie du Christ, il crut donc pouvoir consommer son crime en secret, et il osa donner pour signal de cette trahison sacrilège le symbole de l’affection la plus tendre.

S. Chrys. (Disc. 1 sur Laz.) Nous ne devons pas cesser d’avertir nos frères, lorsque bien même ils ne profitent pas de nos avertissements, car les ruisseaux ne cessent pas de couler, lors même que personne ne vient y puiser. Vous ne persuadez pas aujourd’hui, peut-être serez-vous plus heureux demain. Le pêcheur traîne ses filets vides pendant toute la journée, et c’est vers le soir qu’il les remplit de poissons. Aussi bien que le Seigneur sut parfaitement qu’il ne convertirait pas Judas, il ne laissa pas de faire tout ce qui pouvait le détourner de son mauvais dessein : « Jésus lui dit : Judas, vous trahissez le Fils de l’homme par un baiser ? » — S. Ambr. Il faut donner à ces paroles la forme interrogative, comme exprimant mieux le reproche tendre et affectueux que le Sauveur fait à ce traître disciple. — S. Chrys. Il l’appelle par son nom plutôt pour exprimer sa douleur et ramener le traître à de meilleurs sentiments que pour redoubler sa fureur. — S. Ambr. Il lui dit : « Vous trahissez par un baiser, » c’est-à-dire, vous choisissez le symbole et le gage de l’amour pour me faire le plus cruel outrage, et c’est avec le plus doux signe de la paix que vous me donnez le coup de la mort. Vous, mon serviteur, vous trahissez votre Seigneur, vous, mon disciple, vous trahissez votre maître, vous que j’ai choisi pour apôtre, vous trahissez le Dieu, auteur de votre vocation. — S. Chrys. Cependant il ne lui dit pas en termes exprès : Vous trahissez votre maître, votre Seigneur, votre bienfaiteur ; mais « Vous trahissez le Fils de l’homme, » c’est-à-dire, la mansuétude et la douceur même, celui qui vous a témoigné tant de tendresse et de bonté, que vous ne devriez jamais songer à le trahir, quand même il ne serait pas votre Seigneur et votre maître.

S. Ambr. Le Sauveur donne ici à la fois une preuve éclatante de sa puissance divine et une grande leçon de vertu. Il dévoile le crime de son traître disciple, et il le supporte encore avec patience ; il lui montre celui qu’il trahit, en dévoilant aux yeux de tous les secrets de ses noirs desseins ; il montre celui qu’il va livrer, en disant : « Le Fils de l’homme ; » car ce n’est pas la divinité, mais l’humanité dont les ennemis de Jésus vont se saisir. Et cependant ce qui rend plus odieuse l’ingratitude du traître disciple, c’est d’avoir trahi celui qui, étant le Fils de Dieu, a voulu devenir pour nous le Fils de l’homme, et Jésus semble lui dire : Ingrat, c’est pour toi que j’ai pris cette humanité que tu trahis avec tant d’hypocrisie — S. Augustin. (de l’acc. des Evang., 3, 5.) Lorsque le Seigneur fut trahi, les premières paroles qu’il prononça furent celles-ci rapportées par saint Luc : « Vous trahissez le Fils de l’homme par un baiser ; » puis celle que lui prête saint Matthieu : « Mon ami, dans quel dessein êtes-vous venu ? » Et enfin celles que rapporte saint Jean : « Qui cherchez-vous ? » — S. Ambr. Le Sauveur donne le baiser à Judas, non pour nous enseigner à dissimuler, mais pour nous montrer qu’il ne repousse pas même ce traître, et pour rendre sa trahison plus odieuse.

Théophile. Cependant les disciples veulent prendre la défense de leur maître, et tirent l’épée : « Ceux qui étaient avec lui, voyant ce qui allait arriver lui dirent : Seigneur, si nous frappions de l’épée ? » Mais comment pouvaient-ils avoir des épées ou des glaives ? Parce qu’ils venaient d’immoler l’agneau et sortaient de table. Tandis que les autres disciples demandent s’ils doivent se servir de leur épée, Pierre, toujours plein de zèle pour son divin Maître, n’attend pas sa réponse, et frappe aussitôt le serviteur du grand-prêtre : « Et l’un d’eux frappa l’un des serviteurs du grand-prêtre, » etc. — S. Augustin. (De l’acc. des Evang.) D’après saint Jean, celui qui frappa fut Pierre, et celui qui fut frappé s’appelait Malchus. — S. Ambr. Pierre, dont l’ardeur n’avait pas d’égale et qui était instruit dans la loi, savait que le zèle de Phinées, qui avait mis à mort des sacrilèges, lui avait été imputé à justice (Nb 25 ; Ps 105, 31 ; Si 45, 28 ; 1 M 2, 54), et il frappe sans hésiter le serviteur du grand-prêtre. — S. Ambr. (De l’acc. des Evang.) Saint Luc ajoute : « Jésus dit : Arrêtez, laissez-les. » C’est ce que saint Matthieu rapporte en d’autres termes : « Remettez votre épée dans son fourreau. » Il n’y a pas de contradiction entre la réponse du Seigneur, telle que la rapporte saint Luc : « Arrêtez-vous là, » et d’après laquelle le Sauveur approuverait ce qui avait été fait, mais sans vouloir rien de plus ; et celle que saint Matthieu prête au Sauveur, qui semble désapprouver tout ce que Pierre a fait en se servant de son épée. Il est certain que lorsque les disciples lui firent cette question : « Si nous frappions avec l’épée ? » il leur répondit : « Arrêtez-vous là, laissez-les ; » c’est-à-dire, ne vous inquiétez pas de ce qui doit arriver, il faut les laisser s’avancer jusqu’au bout, c’est-à-dire, se saisir de moi pour accomplir ce que les prophètes ont écrit de moi. En effet, l’Évangéliste ne dirait pas : « Jésus répondit, » s’il ne répondait par le fait à la question de ses disciples plutôt qu’à l’action de Pierre. Or, dans l’intervalle qui s’écoule entre la question faite au Seigneur et sa réponse, Pierre, emporté par son zèle, frappa le serviteur du grand-prêtre, mais les Évangélistes n’ont pu raconter en même temps ce qui s’était passé simultanément. Alors, selon le récit de saint Luc, Jésus guérit celui qui avait été frappé : « Et ayant touché l’oreille de cet homme il le guérit. » — Bède. Jamais le Seigneur ne cesse d’exercer sa miséricorde, ils vont faire mourir le juste, et à ce moment même il guérit les blessures de ses bourreaux.

S. Ambr. En guérissant la sanglante blessure de cet homme, Notre-Seigneur nous révèle ses divins mystères, et nous montre le serviteur du prince de ce monde réduit en servitude, non par la condition de sa nature, mais par sa fauté, et recevant une blessure à l’oreille, parce qu’il n’a point voulu écouter les enseignements de la sagesse ; ou si Pierre lui-même a voulu frapper cet homme à l’oreille, c’est pour nous enseigner que celui qui n’a point l’oreille du coeur ouverte pour les saints mystères, ne mérite point d’avoir l’oreille du corps qui en est la figure, Mais pourquoi est-ce Pierre plutôt qu’un autre disciple ? Parce qu’il a reçu le pouvoir de lier et de délier, et c’est pour cela qu’il coupe avec le glaive spirituel l’oreille intérieure de celui dont l’intelligence est rebelle aux divins enseignements. Mais le Seigneur rend aussitôt à cet homme l’usage de l’ouïe, pour nous apprendre que ceux mêmes qui ont été blessés et scandalisés de sa passion, peuvent parvenir au salut, s’ils veulent se convertir, parce qu’il n’y a point de péché qui ne puisse être effacé par la puissance mystérieuse des sacrements de la foi. — Bède. Ou encore, ce serviteur est la figure du peuple juif, réduit injustement en servitude par les princes des prêtres, et qui, dans la passion du Sauveur, perd l’oreille droite, c’est-à-dire, l’intelligence spirituelle de la loi. Cette oreille est coupée par le glaive de Pierre, non que cet Apôtre ôte le sens de l’intelligence à ceux qui en font un bon usage, mais il le retranche aux âmes négligentes qui méritent de le perdre par un juste jugement de Dieu. Cependant la bonté divine rétablit dans son premier état l’oreille droite de ceux qui, parmi le peuple juif, ont embrassé la foi.

« Or, Jésus leur dit : Vous êtes venus comme à un voleur, avec des épées et des bâtons, » etc. — S. Chrys. Ils étaient venus de nuit, parce qu’ils craignaient le soulèvement de la multitude, et Jésus leur dit : « Qu’aviez-vous besoin de ces armes pour prendre celui qui est tous les jours au milieu de vous, puisque j’étais tous les jours avec vous dans le temple ? » — S. Cyrille. Notre-Seigneur ne blâme pas les principaux d’entre les Juifs de n’avoir pas cherché plutôt à le mettre à mort, mais il leur reproche de s’imaginer, dans leur aveuglement, qu’ils peuvent se saisir de lui contre sa volonté ; et tel est le sens de ses paroles : Vous n’avez pu vous saisir de moi alors, parce que je ne le voulais pas, et aujourd’hui encore vous ne le pourriez pas davantage, si je ne me livrais moi-même entre vos mains : « Mais voici votre heure, » c’est-à-dire mon Père qui se rend à mes voeux, vous accorde ce peu de temps pour exercer contre moi votre cruauté. Il ajoute que cette puissance de sévir contre le Christ, a été donnée aux ténèbres (c’est-à-dire au démon et aux Juifs) ; mais voici votre heure et la puissance des ténèbres. — Bède. C’est-à-dire : Vous vous réunissez contre moi dans les ténèbres, parce que la puissance dont vous vous armez contre la lumière est la puissance des ténèbres. On se demande comment saint Luc a pu dire que Jésus parlait ainsi aux princes des prêtres, aux officiers du temple, et aux anciens qui étaient venus pour le prendre ; tandis que d’après les autres Évangélistes, ils ne vinrent pas en personne, mais envoyèrent leurs serviteurs, et attendirent dans la maison de Caïphe. Nous répondons que cette contradiction n’est qu’apparente, et que les princes des prêtres vinrent effectivement, non par eux-mêmes, mais par ceux qu’ils envoyèrent en leur nom, et qui avaient reçu d’eux l’ordre de se saisir de Jésus-Christ.

Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.

 

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