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Lc  12  16-21

Théophile. Notre-Seigneur confirme la vérité qu’il vient d’enseigner, que l’abondance des richesses ne peut prolonger la vie humaine, par la parole suivante « Il y avait un homme riche, dont les terres avaient rapporté beaucoup de fruits. » — S. Basile. (hom. 6 de l’avar.) Notre-Seigneur ne dit pas que cet homme voulut faire aucun bien avec ses grandes richesses, et il rend plus éclatante la longanimité de Dieu, qui étend sa bonté même aux méchants, et fait tomber sa pluie sur les justes et sur les coupables. Or, comment cet homme témoigne-t-il sa reconnaissance à son bienfaiteur ? Il oublie la nature qui lui est commune avec tous les hommes, il ne pense pas qu’il y a obligation pour lui à distribuer aux indigents son superflu ; ses greniers étaient surchargés par l’abondance de ses récoltes, mais son coeur insatiable n’était pas rempli. Il ne voulait rien donner des fruits anciens, tant était grande son avarice ; il ne savait ni recueillir les nouveaux, tant ils étaient abondants, aussi sa prudence est aux abois et ses soucis frappés de stérilité : « Et il s’entretenait lui-même de ces pensées : Que ferai-je ? car je n’ai point où serrer ma récolte. » Il s’inquiète à l’égard des pauvres ; n’est-ce pas là, en effet, ce que dit l’indigent : Que ferai-je ? Comment me procurer la nourriture et le vêtement ? Tel est aussi le langage de ce riche, il est comme accablé sous le poids de ses richesses, dont ses greniers regorgent et dont il ne veut point les laisser sortir pour le soulagement des misérables, semblables à ces gens avides et affamés, qui aimeraient mieux être victimes de leur voracité, que de laisser les restes de leur table aux indigents.

S. Grég. (Moral., xv, 13.) O inquiétudes, qui êtes le fruit de l’abondance et de la satiété ! En disant : « Que ferai-je ? » ne montre-t-il pas clairement qu’il est comme accablé par l’accomplissement de ses désirs, et qu’il gémit, pour ainsi dire, sous le fardeau de ses liens ? — S. Basile. (comme précéd.) Quoi de plus facile que de dire : J’ouvrirai mes greniers, je réunirai tous les pauvres ; mais non, une seule pensée le préoccupe, ce n’est point de distribuer le trop plein de ses greniers, c’est d’entasser sa nouvelle récolte : « Voici, dit-il, ce que je ferai : Je détruirai mes greniers. » Vous faites là une bonne action, ces greniers d’iniquité méritent d’être détruits ; abattez donc ces greniers d’où la consolation n’est jamais sortie pour personne. Il ajoute : « Et j’en ferai de plus grands. » Et si vous parvenez encore à les remplir, les détruirez-vous de nouveau ? Mais quelle folie que ce travail sans fin ? Vos greniers (si vous voulez), doivent être les maisons des pauvres. Vous me direz : A qui fais-je tort, en gardant ce qui m’appartient ? Car ce riche ajoute : « Et j’y amasserai le produit de mes terres et tous mes biens. » Dites-moi quels sont les biens que vous avez en propre ? De quelle source les avez-vous tirés pour les apporter dans cette vie ? Semblables à un homme qui, arrivant avant l’heure du spectacle, empêcherait les autres d’y venir, et prétendrait avoir la jouissance exclusive de ce qui est destiné au public, les riches regardent comme leur appartenant en propre des biens dont ils se sont emparé, lorsqu’ils étaient la propriété commune de tous les hommes. Si chacun ne prenait que ce qui suffit à ses besoins, et abandonnait tout le superflu aux indigents, il n’y aurait plus ni riche ni pauvre.

S. Cyrille. Écoutez une autre parole inconsidérée de ce riche : « J’y amasserai tout le produit de mes terres et tous mes biens. » Ne semble-t-il pas qu’il n’est pas redevable à Dieu de ses richesses, et qu’elles sont le fruit de ses travaux ? — S. Basile. (comme précéd.) Mais si vous reconnaissez que vous les tenez de Dieu, est-ce que Dieu serait injuste en nous distribuant inégalement les biens de la fortune ? Pourquoi êtes-vous dans l’abondance, celui-ci dans la pauvreté, si ce n’est pour vous donner occasion d’exercer une générosité méritoire, à ce pauvre de recevoir un jour le prix glorieux de sa patience ? Or, n’êtes-vous pas un véritable spoliateur, en regardant comme votre propriété ces biens que vous n’avez reçus que pour en faire part aux autres ? Ce pain que vous conservez, appartient à cet homme qui meurt de faim ; cette tunique que vous serrez dans votre garde-robe, appartient à cet autre qui est sans vêtement ; cette chaussure qui dépérit chez vous, est à celui qui marche pieds nus ; cet argent que vous avez enfoui dans la terre, appartient aux indigents ; vous commettez donc autant d’injustices que vous pourriez répandre de bienfaits. — S. Chrys. Mais il se trompe encore en regardant comme des biens véritables, des choses tout à fait indifférentes. Il y a, en effet, des choses qui sont essentiellement bonnes, d’autres essentiellement mauvaises, d’autres enfin qui tiennent le milieu. La chasteté et l’humilité, et les autres vertus sont de véritables biens, et rendent bon celui qui les pratique. Les vices opposés à ces vertus sont essentiellement mauvais, et rendent également mauvais celui qui s’y livre. D’autres choses tiennent le milieu, comme les richesses, tantôt elles servent à faire le bien, l’aumône, par exemple, tantôt elles sont un instrument pour le mal, c’est-à-dire pour l’avarice. Il en est de même de la pauvreté, elle conduit tantôt au blasphème, tantôt à la véritable sagesse, selon les dispositions intérieures des personnes.

S. Cyrille. Ce ne sont point des greniers permanents, mais de passagère durée, que ce riche construit, et ce qui est une folie plus insigne, il se promet une longue vie : « Et je dirai à mon âme : Mon âme, tu as beaucoup de biens en réserve pour plusieurs années. » O riche, tes greniers, il est vrai, regorgent de fruits, mais qui peut te garantir plusieurs années de vie ? — S. Athan. (contre Antig.) Celui qui vit comme s’il devait mourir chaque jour, à cause de l’incertitude naturelle de la vie, ne commettra point ce péché ; car cette crainte de la mort prémunit contre l’attrait séduisant des voluptés ; mais au contraire, celui qui se promet une longue vie, aspire après les plaisirs de la chair. Écoutez en effet ce riche : « Mon âme, repose-toi, mange, bois, fais bonne chair, » c’est-à-dire fais des repas somptueux. — S. Basile. (comme précéd.) O riche, tu es si oublieux des biens de l’âme, que tu lui donnes en nourriture les aliments du corps ! Si cette âme est vertueuse, si elle est féconde en bonnes oeuvres, si elle s’attache à Dieu, elle possède alors de grands biens, et jouit d’une véritable joie ; mais comme tu es tout charnel et esclave de tes passions, tes désirs et tes cris viennent tout entiers du corps et non de l’âme. — S. Chrys. (hom. 39 sur la Ière Epît. aux Cor.) Il ne convient nullement de se plonger dans les délices, d’engraisser le corps et d’affaiblir l’âme, de lui imposer un lourd fardeau, de l’envelopper dans les ténèbres et de la couvrir d’un voile épais. Lorsque l’homme vit dans les délices, l’âme qui devait être reine, devient esclave, et le corps qui devait obéir, domine et commande. Les aliments sont nécessaires au corps, mais non pas les délices, il faut le nourrir, mais non pas le débiliter et l’amollir. Or, les délices sont nuisibles au corps autant qu’à l’âme ; de fort qu’il était, elles le rendent faible ; à la santé, elles font succéder la maladie ; à l’agilité, la pesanteur ; à la beauté, la laideur ; à la jeunesse, une vieillesse prématurée.

S. Basile. (comme précéd.) Cet homme a été laissé libre de délibérer sur toutes ces choses, et de faire connaître ses intentions, afin que son avarice insatiable reçût le juste châtiment qu’elle méritait. Tandis, en effet, qu’il parle ainsi dans le secret de son âme, ses pensées et ses paroles sont jugées dans le ciel, d’où lui vient cette réponse : « Insensé ! cette nuit même, on te redemandera ton âme. » Entendez-vous ce nom d’insensé que votre folie vous a mérité, ce ne sont pas les hommes, c’est Dieu lui-même qui vous l’a donné. — S. Grég. (Moral., XXII, 2. sur ces par. de Jb 26 : « Si j’ai regardé l’or, » etc.) Il fut enlevé cette nuit-là même, lui qui s’était promis de longues années, et tandis qu’il avait amassé des biens considérables pour un grand nombre d’années, il ne voit même pas le jour du lendemain. — S. Chrys. (disc. 2 sur Lazare.) « On te redemandera ton âme, » etc. Peut-être quelques puissances terribles étaient envoyées pour lui redemander son âme ; car si nous ne pouvons sans guide passer d’une ville à une autre, combien plus l’âme, séparée du corps, a-t-elle besoin d’être conduite vers les régions inconnues de l’autre vie. C’est pour cela que l’âme, sur le point de quitter le corps, résiste fortement, et rentre dans les profondeurs du corps ; car toujours la conscience de nos péchés nous fait sentir son aiguillon ; mais c’est surtout lorsque nous devons être traduits devant le tribunal redoutable du juste Juge, que toute la multitude de nos crimes vient se placer sous nos yeux et glacer notre âme d’effroi. Comme des prisonniers sont toujours dans les angoisses, surtout lorsqu’arrive pour eux le moment de paraître devant leur juge ; ainsi l’âme est alors attristée et torturée par le souvenir de ses péchés, mais bien plus encore lorsqu’elle est sortie du corps. — S. Grég. (Moral., xxv, 2.) Cette âme a été enlevée pendant la nuit, c’est-à-dire dans l’obscurité du coeur ; elle est séparée du corps pendant la nuit, parce qu’elle a fermé les yeux à la lumière de la raison qui aurait pu lui faire prévoir les supplices qu’elle s’exposait à souffrir.

Dieu ajoute : « Et ce que tu as amassé, pour qui sera-t-il ? » — S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr. et hom. 23 sur la Gen.) Car vous laisserez tous ces biens, et non seulement vous n’en retirerez aucun avantage, mais vous serez accablé sous le poids de vos péchés. Toutes ces richesses que vous avez amassées, passeront le plus souvent aux mains de vos ennemis, mais c’est vous qui aurez à en rendre compte.

« Il en est ainsi de celui qui thésaurise pour soi, et qui n’est pas riche selon Dieu. » — Bède. C’est un insensé qui doit être enlevé dans la nuit. Que celui donc qui veut être riche selon Dieu, n’amasse pas de trésors pour lui ; mais qu’il distribue aux pauvres ceux qu’il possède. — S. Ambr. Pourquoi, en effet, amasser des richesses dont on ne sait faire aucun emploi ? Pouvons-nous regarder comme nous appartenant des choses que nous ne pouvons emporter avec nous ? La vertu seule nous accompagne au sortir de cette vie, la miséricorde seule nous suit, et nous conduit après la mort dans les tabernacles éternels (Lc 16, 9).

Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.

 

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