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Jn  6  41-46

S. Chrys. (hom. 46 sur S. Jean.) Les Juifs qui espéraient recevoir une nourriture matérielle, ne commencèrent à se troubler que lorsque cette espérance leur fut enlevée : « Cependant les Juifs murmuraient contre lui, parce qu’il avait dit : Je suis le pain vivant, » etc. La cause apparente de leur trouble, c’est que Notre-Seigneur leur déclarait qu’il était descendu du ciel, mais la cause véritable, c’est qu’ils avaient perdu l’espérance de la nourriture matérielle qu’ils attendaient. Cependant le miracle qu’il venait d’opérer leur inspirait encore pour lui quelque respect, voilà pourquoi ils n’osent le contredire ouvertement, ils se contentent de témoigner leur désapprobation par leurs murmures. Quel était l’objet de ces murmures, le voici : « Et ils disaient : Est-ce que ce n’est pas là Jésus, fils de Joseph ? » — S. Augustin. (Traité 26 sur S. Jean.) Ils étaient encore loin du pain du ciel, et ils n’en connaissaient pas le désir ; car ce pain exige la faim de l’homme intérieur. — S. Chrys. (hom. 46.) Il est évident qu’ils ne connaissaient pas encore l’admirable génération du Sauveur, puisqu’ils l’appellent le fils de Joseph, et toutefois il ne leur en fait point de reproche, et ne leur dit point : Je ne suis pas le fils de Joseph, parce qu’ils étaient incapables de comprendre sa naissance miraculeuse ; car s’ils ne pouvaient comprendre sa naissance selon la chair, à plus forte raison sa naissance éternelle et ineffable. — S. Augustin. (Traité 26.) Il a pris notre chair mortelle, mais non pas comme les hommes la prennent. Il avait un Père dans les cieux, et il s’est choisi une mère sur la terre ; il est né sans mère dans le ciel, et sans père sur la terre. Mais quelle fut sa réponse aux murmures des Juifs ? « Jésus leur répondit : Ne murmurez, point entre vous, » c’est-à-dire : Je sais pourquoi vous n’avez point cette faim spirituelle, et pourquoi vous ne comprenez, ni ne cherchez ce pain : « C’est que personne ne peut venir à moi, si mon Père qui m’a envoyé, ne l’attire. » Quel magnifique éloge de la grâce ! Nul ne vient, s’il n’est attiré ; ne cherchez point à savoir et à juger qui est attiré, et qui ne l’est pas ; pourquoi Dieu attire celui-ci plutôt que celui-là, si vous ne voulez vous égarer, et contentez-vous d’entendre cette vérité : Vous n’êtes point encore attiré, priez Dieu qu’il vous attire.

S. Chrys. (hom. 46.) Les Manichéens saisissent avidement ces paroles pour nous objecter que notre libre arbitre n’a aucune puissance. Cependant Notre-Seigneur ne veut pas détruire ici ce qui est en nous, mais nous montrer simplement le besoin que nous avons du secours de Dieu, et il vent parler ici non de celui qui vient malgré lui, mais de celui qui rencontre de grands obstacles. — S. Augustin. Si nous sommes attirés malgré nous à Jésus-Christ, c’est donc aussi malgré nous que nous croyons. C’est donc ici l’œuvre de la violence et non de la volonté ; mais on ne peut entrer dans l’Eglise qu’autant qu’on le veut, on ne peut croire que parce qu’on le veut, « car il faut croire de cœur pour obtenir la justice. » (Rm 10) Si donc celui qui est attiré vient malgré lui, il n’a point la foi ; s’il n’a point la foi, il ne vient pas. En effet, ce n’est pas en marchant que nous approchons de Jésus-Christ, mais en croyant ; ce n’est point par un mouvement de notre corps, mais par la volonté de notre cœur. C’est donc par la volonté que nous sommes attirés. Comment sommes-nous attirés par la volonté ? « Mettez vos délices dans le Seigneur, et il vous accordera ce que votre cœur demande. » (Ps 37) Il y a une certaine volupté du cœur pour celui qui goûte la douceur de ce pain céleste. Or, si le poète a pu dire : « Chacun est entraîné par son plaisir, » à combien plus juste titre pouvons-nous dire que l’homme qui place ses délices dans la vérité, dans la béatitude, dans la justice, dans la vie éternelle, est véritablement attiré vers le Christ ; car toutes ces choses c’est le Christ. Dira-t-on que les sens du corps ont leurs voluptés, et que l’âme n’en a point qui lui soient propres ? Donnez-moi une âme qui aime, donnez-moi une âme qui désire, une âme fervente, une âme qui se regarde comme exilée et qui ait faim et soif dans la solitude de cette vie, une âme qui soupire après la fontaine de l’éternelle patrie, et elle comprendra ce que je dis. Mais pourquoi Notre-Seigneur s’exprime-t-il de la sorte : « Si mon Père ne l’attire ? » S’il faut que nous soyons attirés, soyons-le par celui à qui l’Epouse des cantiques a dit : « Attirez-moi après vous. » (Ct 1) Mais examinons le véritable sens de ces paroles. Le Père attire au Fils ceux qui croient au Fils, parce qu’ils pensent qu’il a Dieu pour Père. En effet, Dieu le Père a engendré un Fils qui lui est égal, et celui qui pense et médite attentivement dans la foi de son âme, que celui en qui il met sa foi est égal au Père, est attiré par le Père vers le Fils. Arius ne voit en lui qu’une créature ; le Père ne l’a pas attiré. Photius dit que le Christ n’est qu’un homme, celui qui partage ses sentiments n’est pas attiré par le Père. Dieu le Père attire Pierre, lorsqu’il dit : « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant. » (Mt 16) Aussi que lui répond Notre-Seigneur : « Ce n’est point la chair et le sang qui vous l’a révélé, mais mon Père qui est dans les cieux. » Il l’attire par là même qu’il lui révèle ; car si les révélations qui ont lieu parmi les jouissances de la terre sont assez fortes pour entraîner ceux qui aiment, comment supposer que Jésus-Christ, révélé par le Père, n’ait pas la même force pour nous entraîner ? Qu’est-ce que l’âme désire plus vivement que la vérité ? Mais ici les hommes sont tourmentés par la faim et la soif de la vérité, ce n’est que dans le ciel que leurs désirs seront rassasiés, c’est pour cela que Notre-Seigneur ajoute : « Et je le ressusciterai au dernier jour. » La soif qu’il éprouve ici-bas sera rassasiée à la résurrection des morts, parce que je le ressusciterai.

S. Augustin. (Quest. sur le Nouv. et l’Ane. Test., ch. 27) Ou bien encore, le Père attire au Fils par les œuvres qu’il faisait par le Fils. — S. Chrys. (hom. 46.) Quelle est grande la dignité du Fils, puisqu’il ressuscite ceux que le Père lui amène, que ses œuvres ne sont point séparées de celles du Père, et qu’il nous montre ici la parfaite égalité de sa puissance avec celle du Père. Mais de quelle manière le Père attire au Fils ? la voici : « Et il est écrit dans les prophètes : Et ils seront tous enseignés de Dieu. » Voyez ici la dignité de la foi, ce n’est point des hommes, ni par le moyen des hommes, qu’elle nous est enseignée, Dieu seul en est le souverain maître, toujours prêt à répandre sur tous lès hommes ses grâces aussi bien que sa doctrine. Mais si tous sont enseignés de Dieu, comment expliquer l’incrédulité d’un certain nombre ? L’expression tous doit s’entendre de plusieurs, ou bien de tous ceux qui ont la bonne volonté. — S. Augustin. (de la prédest., ch. 8) On peut encore l’entendre dans un autre sens : Lorsqu’un maître de belles-lettres est seul dans une ville, nous disons : Il enseigne les lettres à tout le monde, non pas que tous les habitants de la ville les apprennent, mais parce que ceux qui veulent les apprendre n’ont que lui pour maître ; de même nous disons ici que Dieu enseigne à tous les hommes à venir à Jésus-Christ, non pas que tous soient dociles à ses enseignements, mais parce que personne ne peut venir par une autre voie. — S. Augustin. (Traité 26.) Ou bien encore, tous les hommes de ce royaume seront enseignés de Dieu, dans ce sens que les hommes ne seront point leur véritable maître. Sans doute, ce sont les hommes qui leur enseignent extérieurement la doctrine qu’ils cherchent à comprendre, mais c’est au dedans que l’intelligence en est donnée, au dedans que la lumière brille, au dedans que la révélation se fait. Le bruit de mes paroles vient frapper vos oreilles, mais si le maître intérieur n’en révèle le sens, qu’est-ce que je dis ? que sont mes paroles ? Notre-Seigneur dit donc aux Juifs : « Et ils seront tous enseignés de Dieu, » c’est-à-dire : Comment, Juifs, pouvez-vous me connaître, vous que le Père n’a pas enseignés ?

Bède. Notre-Seigneur dit au pluriel : « Il est écrit dans les prophètes, » parce que tous les prophètes, remplis d’un seul et même esprit, tendaient au même but, bien que l’objet de leurs prophéties fût différent. Aussi tous les prophètes s’accordent avec chacun d’entre eux, c’est ainsi que le prophète Joël s’accorde avec le prophète qui a dit : « Ils seront tous enseignés de Dieu. » On ne trouve pas ces paroles dans Joël, mais on y lit quelque chose de semblable : « Enfants de Sion, faites éclater votre joie, livrez-vous à votre allégresse, à la présence du Seigneur votre Dieu, parce qu’il vous a donné un docteur de justice. » (Jl 2, 23.) Cependant cette pensée se trouve plus explicitement exprimée dans Isaïe, lorsqu’il dit : « Je rendrai tous tés-enfants disciples de Dieu. » — S. Chrys. (hom. 46.) C’est qu’en effet avant Jésus-Christ, c’étaient les hommes qui enseignaient les vertus divines, maintenant, au contraire, c’est le Fils unique de Dieu et l’Esprit saint.

S. Augustin. (de la prédestin., ch. 8) Tous ceux qui sont ainsi enseignés de Dieu, viennent au Fils, parce que le Père les a instruits et enseignés par le Fils : « Quiconque a entendu le Père et appris de lui, vient à moi. » Si tout homme qui a entendu le Père et appris de lui, vient au Fils, tous ceux qui ne l’ont pas entendu sont privés d’enseignement. Que cette école céleste dans laquelle le Père se fait entendre, et apprend à venir au Fils, est éloignée des sens de la chair ! Ce n’est point à l’oreille du corps qu’il s’adresse, mais à l’oreille du cœur, là où est le Fils lui-même, parce qu’il est le Verbe, par lequel le Père enseigne ; là où est aussi l’Esprit saint, car la foi nous apprend que les œuvres de la Trinité sont indivisibles ; cependant ce divin enseignement est attribué au Père, parce que le Fils procède de lui ainsi que le Saint-Esprit. Ainsi la grâce qui se répand secrètement dans les âmes par un effet de la bonté divine, n’est rejetée par aucune dureté de cœur, car son premier objet est de faire disparaître cette dureté de cœur. Pourquoi donc Dieu n’enseigne-t-il pas à tous les hommes à venir à Jésus-Christ ? C’est que ceux qui sont enseignés, le sont par miséricorde, tandis que ceux qui ne le sont pas en sont privés par un juste jugement. Dirons-nous que ceux qu’il n’enseigne pas veulent cependant apprendre ? On nous répondra : Et que signifient ces paroles : « O Dieu ! vous nous convertirez de nouveau vers nous, et vous nous donnerez la vie ? » (Ps 84) Et si ce n’est pas Dieu qui inspire la bonne volonté à ceux qui ne l’ont pas, pourquoi l’Eglise prie-t-elle pour ses persécuteurs, conformément au précepte que lui en fait le Seigneur ? Il n’est personne qui puisse dire : J’ai cru et c’est ma foi qui a été le principe de ma vocation, car c’est la miséricorde de Dieu qui prévient celui qui est appelé, afin qu’il puisse recevoir le don de la foi.

S. Augustin. (Traité 26.) Voilà donc comment le Père nous attire en nous enseignant la vérité, et sans nous imposer aucune nécessité, et il n’appartient qu’à Dieu de nous attirer ainsi : « Quiconque a entendu le Père, et appris de lui, vient à moi. » Quoi donc ! est-ce que JésuS. Chryst n’a rien enseigné ? Mais les hommes n’ont point vu le Père se faisant leur maître, et ils ont vu le Fils qui en remplissait les fonctions à leur égard ? C’était le Fils qui parlait, mais c’était le Père qui enseignait. Si donc moi qui ne suis qu’un homme, j’enseigne celui qui a entendu ma parole, à plus forte raison le Père enseigne celui qui a entendu sa parole ou son Verbe. C’est ce que le Sauveur nous explique parfaitement en ajoutant immédiatement : « Non que personne ait vu le Père, si ce n’est celui qui est de Dieu, » paroles dont voici le sens : Je viens de vous dire : « Quiconque a entendu le Père et appris de lui ; » n’allez pas vous tenir à vous-mêmes ce langage : Nous n’avons jamais vu le Père, comment pourrons-nous être instruits par lui ? Apprenez de moi comment vous pourrez être instruits : Je connais mon Père, je viens de lui comme la parole sort de celui qui la profère, je suis non pas la parole qui retentit et qui passe, mais la parole qui demeure avec celui qui la prononce, et qui attire celui qui l’entend. — S. Chrys. (hom. 46.) Tous nous venons de Dieu, mais Notre-Seigneur ne parle point ici de ce qui distingue le Fils de Dieu et lui est propre, à cause de l’esprit encore faible et grossier de ses auditeurs.

Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.

 

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