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Jn  21  19-23

S. Augustin. (Traité 124 sur S. Jean.) Après avoir prédit à Pierre par quelle mort il devait glorifier Dieu, il l’invite à marcher à sa suite : « Et après avoir ainsi parlé, il lui dit : « Suivez-moi. » Mais pourquoi le Sauveur dit-il à Pierre seul : « Suivez-moi, » sans adresser la même invitation aux autres qui étaient présents et qui le suivaient comme des disciples suivent leur maître ? Or, si par ces paroles Jésus l’appelle au martyre, Pierre est-il donc le seul qui ait souffert pour la vérité chrétienne ? Est-ce que Jacques n’était pas là, lui que nous savons avoir été mis à mort par Hérode ? On répondra peut-être à cela que Jacques n’ayant pas été crucifié, Jésus put dire exclusivement à Pierre : « Suivez-moi, » parce que non-seulement il devait souffrir la mort, mais la mort de la croix, à l’exemple de Jésus-Christ.

Théophile. Pierre ayant appris qu’il devait souffrir la mort pour Jésus-Christ, lui demande si Jean doit mourir de la même mort. « Pierre s’étant retourné vit le disciple que Jésus aimait, » etc. — S. Augustin. Il se nomme le disciple que Jésus aimait parce qu’en effet Jésus avait pour lui un amour plus intime et plus tendre que pour les autres, et c’est pour cela que, pendant la cène, il le fit reposer sur sa poitrine. Je crois que le Sauveur a voulu ainsi nous donner une haute idée de l’excellence de l’Evangile que Jean devait annoncer. Il en est qui pensent (et ce ne sont pas les interprètes les moins distingués des saintes Ecritures) que l’amour plus particulier de Jésus pour Jean avait pour cause la chasteté que cet Apôtre avait toujours inviolablement gardée depuis sa première enfance.

« Pierre donc, l’ayant vu, dit à Jésus : Seigneur, mais celui-ci, que deviendra-t-il ?» — Théophile. C’est-à-dire, suivant l’explication de quelques interprètes, est-ce qu’il ne doit pas mourir aussi ?

« Jésus lui dit : Je veux qu’il demeure ainsi jusqu’à ce que je vienne ; que vous importe ? » — S. Augustin. Et il lui répète : « Suivez-moi, » paroles qui semblent nous indiquer que Jean ne le suivrait point, parce qu’il voulait qu’il restât jusqu’à ce qu’il vint lui-même. Il semble qu’on ne pourrait facilement admettre d’autre interprétation de ces paroles que celle qui vint à l’esprit des disciples qui étaient présents : « Le bruit courut donc parmi les frères que ce disciple ne mourrait point. » Mais Jean lui-même combat cette interprétation en ajoutant : « Et Jésus ne lui dit pas : Il ne mourra point, mais je veux qu’il demeure ainsi jusqu’à ce que je vienne, que vous importe ? » On peut insister cependant si l’on veut, et dire qu’à la vérité Notre-Seigneur n’avait pas dit que « ce disciple ne mourrait point, » mais que c’est le sens qui résulte des paroles rapportées par saint Jean. — Théophile. On peut dire encore : Jésus-Christ n’a point nié que Jean dût mourir (car tout ce qui naît doit mourir), mais il lui a dit simplement : Je veux qu’il demeure, c’est-à-dire qu’il vive jusqu’à la fin du monde, et c’est alors qu’il souffrira pour moi le martyre. Voilà pourquoi il en est qui prétendent que Jean vit encore, et qu’il doit être mis à mort par l’antéchrist, après avoir annoncé le nom de Jésus-Christ avec Elie et Enoch. On montre, il est vrai, son tombeau, mais il y est entré vivant pour en sortir bientôt après.

S. Augustin. Il en est même qui vont jusqu’à dire que dans son tombeau, que l’on montre encore à Ephèse, Jean y est enseveli dans le sommeil plutôt que dans la mort, et ils en donnent pour preuve que la terre qui recouvre son tombeau se soulève et fait comme jaillir des flots de poussière, ce qu’ils attribuent obstinément à l’effet de sa respiration. Mais pourquoi le Sauveur aurait-il accordé, comme une grâce privilégiée au disciple qu’il aimait plus que les autres, un sommeil du corps aussi prolongé, tandis que par la gloire éclatante du martyre il a délivré Pierre du fardeau de ce corps terrestre et l’a mis en possession de ce bonheur que saint Paul désirait si vivement lorsqu’il disait : « Je désire d’être dégagé des liens du corps pour être avec Jésus-Christ ? » (Ph 1, 23.) Si donc il faut en croire la renommée sur le fait en question, nous dirons que Dieu le permit pour relever la mort de son disciple qui n’a pas été rehaussée par la gloire du martyre, ou pour toute autre cause qui nous est inconnue. Cependant il reste toujours à résoudre cette question : Pourquoi le Seigneur a-t-il pu dire d’un homme qui devait mourir : « Je veux qu’il demeure ainsi jusqu’à ce que je vienne ? »

Il nous est également intéressant d’examiner pourquoi le Sauveur avait pour Jean un amour plus particulier, alors que Pierre aimait son divin Maître plus que les autres. Autant que je puis en juger, je serais porté à dire que celui qui a pour Jésus-Christ un plus grand amour vaut mieux que les autres, taudis que celui qui est plus aimé de Jésus-Christ est plus heureux, si je voyais comment défendre en cela la justice de notre divin Rédempteur. Je vais donc essayer de résoudre cette importante et difficile question. L’Eglise connaît deux vies différentes que la prédication divine lui a enseignées, l’une est la vie de la foi, l’autre la vie de la claire vision ; la première est personnifiée dans l’apôtre Pierre, à cause de la primauté de sa dignité apostolique ; l’autre dans l’apôtre Jean. Jésus dit à Pierre : « Suivez-moi, » tandis qu’on parlant de Jean, il dit : « Je veux qu’il démesure ainsi jusqu’à ce que je vienne, » paroles dont voici le sens : Pour vous, suivez-moi en supportant, à mon exemple, les souffrances de cette vie ; quant à lui, qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne le mettre en possession des biens éternels. Ou pour parler plus clairement encore : Que la vie active parfaite me suive en imitant l’exemple que je lui ai donné dans ma passion, et que la vie contemplative, qui ne fait que commencer ici-bas, demeure jusqu’à ce que je vienne lui donner toute sa perfection. Cette expression demeurer ne doit pas s’entendre dans le sens de rester, être permanent, mais dans le sens d’attendre, parce que la vie dont Jean est la figure aura son parfait accomplissement lorsque Jésus-Christ viendra. Or, dans cette vie active, plus nous aimons Jésus-Christ, plus aussi nous sommes délivrés facilement du mal. Cependant Jésus nous aime moins dans l’état où nous sommes, et il nous en délivre pour que nous n’y restions pas éternellement. Dans la vie du ciel, au contraire, il nous aime davantage, parce qu’il n’y aura plus rien en nous qui lui déplaise et dont il doive nous délivrer. Que Pierre donc aime Jésus-Christ afin que nous soyons délivrés de cette vie mortelle ; que Jean soit aimé par lui, afin que nous possédions l’immortalité sans crainte de la perdre. Si vous demandez maintenant pourquoi Jean, qui figurait la vie où Jésus est plus aimé, l’aimait cependant moins que Pierre, je répondrai : C’est parce que le Sauveur a dit : « Je veux qu’il demeure (c’est-à-dire qu’il attende) jusqu’à ce que je vienne, » c’est parce que nous n’avons pas encore, mais que nous attendons dans l’avenir cet amour plus parfait que Jésus nous donnera lorsqu’il viendra. Voilà ce qui nous est figuré dans la personne de Pierre, qui aime davantage Jésus-Christ, mais qui en est moins aimé, parce que le Sauveur nous aime moins dans l’état d’épreuve que dans la vie bienheureuse ; et nous-mêmes nous aimons moins la contemplation de la vérité telle qu’elle doit se dévoiler un jour, parce que nous n’en avons encore ni la connaissance, ni la possession. C’est ce qui nous est figuré par Jean, qui aime Jésus-Christ moins que Pierre. Que personne cependant ne songe à séparer ces deux illustres apôtres, car tous deux vivaient de cette vie qui se personnifiait dans Pierre, comme tous deux devaient vivre un jour de cette vie dont Jean était la figure.

La glose. Ou bien encore ces paroles : « Je veux qu’il demeure ainsi, » veulent dire : Je ne veux pas qu’il termine sa vie par le martyre, mais qu’il attende en paix la délivrance de son corps, lorsque je viendrai le mettre en possession de la félicité éternelle.

Théophile. Ou bien autrement, par ces paroles : « Suivez-moi, » le Seigneur le place à la tête de tous les fidèles ; et ce mot : « Suivez-moi, » emporte l’imitation générale de toutes ses paroles, de toutes ses actions. Il lui prouve aussi par là l’amour qu’il a pour lui, car ce sont ceux que nous aimons le plus que nous voulons voir à notre suite.

S. Chrys. Si l’on me demande comment se fait-il donc que Jacques ait occupé le siège de Jérusalem ? Je répondrai, parce que Pierre a été établi maître du monde entier. « Pierre s’étant retourné, vit le disciple que Jésus aimait, qui, pendant la cène, s’était reposé sur sa poitrine, et lui avait demandé : Seigneur, quel est celui qui vous trahira ? » Ce n’est pas sans raison que l’Evangéliste rappelle cette circonstance du la cène, il veut nous faire voir quelle grande confiance animait Pierre après son renoncement. Pendant la cène, il n’avait pas osé interroger le Sauveur, mais avait fait signe à Jean de l’interroger à sa place, et c’est à lui qu’est confiée la suprême juridiction sur ses frères. Et non-seulement il ne laisse plus à un autre le soin d’interroger son divin Maître sur ce qui le concerne, mais lui-même l’interroge, désormais sur ce qui peut intéresser les autres. Comme le Seigneur venait de lui faire les plus grandes promesses, de lui confier le soin de l’univers entier, de lui prédire son martyre, et de constater solennellement que l’amour de Pierre pour lui était plus grand que celui des autres, Pierre, dans le désir que Jean entre en partage d’aussi grandes prérogatives, dit à Jésus : « Mais celui-ci, que deviendra-t-il ? » C’est-à-dire : Est-ce qu’il ne suivra pas la même voie ? En effet, Pierre aimait beaucoup Jean, et leur union nous est attestée par l’Evangile et par le livre des Actes. C’est ainsi que Pierre veut rendre à Jean ce que Jean a fait autrefois pour lui. Il croit que Jean voudrait bien demander ce qui doit lui arriver, mais qu’il n’ose le faire, il interroge donc le Sauveur à sa place. Mais ils devaient être chargés la direction de tout l’univers, et ne pouvaient plus rester réunis comme ils l’avaient été jusqu’à présent, ce qui eût été un véritable préjudice pour le monde tout entier ; le Seigneur répond donc à Pierre, selon le texte grec : « Si je veux qu’il demeure ainsi jusqu’à ce que je vienne, que vous importe ? Quant à vous, suivez-moi, » c’est-à-dire, ne vous occupez que de l’œuvre qui vous est confiée, et accomplissez-la soigneusement, pour celui-ci, si je veux qu’il demeure, que vous importe ?

Théophile. Il en est qui entendent ces paroles : « Jusqu’à ce que je vienne, » dans ce sens : Jusqu’à ce que je vienne contre les Juifs qui m’ont crucifié, et que je les frappe par les armes des Romains. On rapporte, en effet, que cet Apôtre vécut dans ces mêmes lieux jusqu’au temps de Vespasien, sous lequel la ville de Jérusalem devait être prise. Ou bien encore : « Jusqu’à ce que je vienne, » c’est-à-dire, jusqu’à ce que je l’envoie annoncer l’Evangile. Quant à vous, je vous destine le pontificat du monde entier, et c’est pour cela que je vous dis : « Suivez-moi ; » pour lui qu’il demeure ici jusqu’au jour où je lui donnerai sa mission comme à vous.

S. Chrys. L’Evangéliste exprime ensuite et redresse l’opinion des disciples, comme nous l’avons dit plus haut.

Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.

 

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