Accueil > Bibliothèque > La Chaîne d’or > Évangile selon saint Jean > chapitre 19, versets 24-27
Théophile. Pendant que les soldats s’occupaient de leurs misérables intérêts, Jésus étendait sa sollicitude sur sa sainte Mère : « Voilà ce que firent les soldats. Cependant, debout près de la croix de Jésus était sa mère, » etc. — S. Ambr. (Lettre à l’Eglise de Verceil.) Marie, mère de Jésus se tenait debout au pied de la croix de son Fils, saint Jean est le seul qui nous apprenne cette circonstance. Les autres évangélistes ont décrit le monde ébranlé au moment où le Sauveur fut crucifié, le ciel couvert de ténèbres, le soleil refusant sa lumière, le ciel ouvert au bon larron pieusement repentant. Mais saint Jean nous apprend ce dont les autres n’ont point parlé, les paroles qu’il a, du haut de la croix, adressées à sa mère. Il a estimé qu’il était plus merveilleux que Jésus triomphant de ses douleurs ait donné à sa mère ce témoignage de tendresse, que d’avoir fait don du ciel au bon larron ; car si la grâce qu’il accorde au bon larron est une preuve de sa miséricorde, cet hommage public d’affection extraordinaire que le Fils rend à sa mère témoigne une piété filiale bien plus grande et plus admirable. « Femme, lui dit-il, voilà votre Fils, » et au disciple : « Voilà votre mère. » Jésus-Christ testait du haut de la croix, et son affection se partageait entre sa mère et son disciple. Le Sauveur faisait alors non-seulement son testament pour tous les hommes, mais son testament particulier et domestique, et ce testament recevait la signature de Jean, digue témoin d’un si grand testateur. Testament qui avait pour objet, non une somme d’argent, mais la vie éternelle, qui n’était point écrit avec de l’encre, mais avec l’Esprit du Dieu vivant (2 Co 3) : « Ma langue, disait le Psalmiste, est comme la plume de l’écrivain qui écrit très-vite. » (Ps 44) Il ne convenait pas non plus que Marie fût au-dessous de ce qu’exigeait la dignité de mère de Dieu ; aussi tandis que les Apôtres ont pris la fuite, elle se tient debout au pied de la croix, elle jette des regards pieusement attendris sur les blessures de son Fils, parce qu’elle considère non la mort de ce Fils chéri, mais le salut du monde. Ou bien encore, comme elle savait que la mort de son Fils devait être la rédemption du monde, elle croyait en formant ainsi la cour de ce divin Fils ajouter par sa propre mort au sacrifice qu’il offrait pour tous les hommes : mais Jésus n’avait pas besoin qu’on vînt lui prêter secours pour la rédemption du monde, lui qui a sauvé tous les hommes sans le secours de personne ; ce qui lui fait dire par la bouche du Roi-prophète : « J’ai été comme un homme sans aide, libre entre les morts. » (Ps 87) Il accepte le témoignage d’affection de sa mère, mais il n’implore le secours d’aucune créature. Mères pieuses, imitez cette Vierge sainte qui dans la mort de son Fils unique et bien-aimé vous donne un si grand exemple de vertu maternelle ; car jamais vous n’avez eu des enfants plus chéris, et cette divine Vierge ne pouvait avoir, comme vous, l’espérance de donner le jour à un autre fils.
S. Jérôme. (Contre Helvid.) Cette Marie qui est appelée dans saint Marc et dans saint Matthieu la mère de Jacques et de Joseph, fut l’épouse d’Alphée et la sœur de Marie, mère du Seigneur. Saint Jean l’appelle Marie de Cléophas, nom qui lui vient soit de son père, soit de sa famille, soit de quelque autre cause. Si vous étiez tenté de croire que Marie, mère de Jacques le Mineur, et celle qui est ici appelée Marie de Cléophas sont deux personnes différentes, il faut vous rappeler que la coutume de l’Ecriture est de donner différents noms à une seule et même personne. — S. Chrys. Remarquez ici que c’est le sexe le plus faible qui fit paraître le plus de courage ; les femmes restent au pied de la croix pendant que les disciples se sont enfuis.
S. Augustin. (De l’acc. des Evang., 3, 21.) Si saint Matthieu et saint Luc n’avaient pas désigné nominativement Marie-Madeleine, nous aurions pu dire que parmi ces femmes les unes s’étaient tenues près de la croix, et les autres plus éloignées, car saint Jean seul fait ici mention de la mère du Sauveur. Mais comment entendre que la même Marie-Madeleine s’est tenue loin de la croix (comme le rapportent saint Matthieu et saint Luc) et qu’elle fût au pied de la croix, suivant le récit de saint Jean ? Il faut dire que malgré l’intervalle qui les séparait de la croix, on pouvait dire qu’elles en étaient rapprochées, parce qu’elles en étaient à portée, et en même temps qu’elles ni étaient loin en comparaison de la foule qui en était plus rapprocher avec le centurion et les soldats. On peut encore admettre que les pieuses femmes qui étaient présentes avec la mère du Seigneur s’éloignèrent de la croix après que Jésus eut recommandé sa mère à son disciple, pour se dégager de la multitude qui les entourait, et considérer de plus loin le spectacle qu’elles avaient sous les yeux, ce qui fit dire aux autres évangélistes qui ne parlent d’elles qu’après la mort du Sauveur qu’elles se tenaient loin de la croix. Qu’importe d’ailleurs à la vérité du récit que tous les évangélistes donnent les noms de quelques-unes de ces femmes, et que chaque évangéliste fasse mention spéciale de quelques autres ?
S. Chrys. D’autres femmes aussi se tenaient près de la croix, et le Sauveur paraît ne faire attention qu’à sa mère, nous apprenant ainsi que nos mères ont droit à des égards plus particuliers. Lorsque nos parents cherchent à s’opposer à nos intérêts spirituels, nous ne devons pas même les connaître ; mais aussi lorsqu’ils n’y mettent aucun obstacle, nous devons leur donner de préférence aux autres tous les témoignages d’affection qu’ils peuvent désirer. C’est ce que fait Jésus. « Jésus ayant donc vu sa mère, et près d’elle le disciple qu’il aimait, il dit à sa mère : Femme, voilà votre Fils. » — Bède. Saint Jean se donne à connaître par l’affection que Jésus avait pour lui, non pas sans doute qu’il en fût aimé à l’exclusion des autres, mais parce qu’il était l’objet d’une affection plus particulière qu’il devait à sa virginité. En effet, il était vierge lorsqu’il fut appelé par Jésus, et il demeura vierge toute sa vie.
S. Chrys. Quel magnifique témoignage d’honneur le Seigneur donne à son disciple ! Mais une sage modestie lui fait garder le silence sur cet honneur dont il est l’objet. Si en effet il avait voulu s’en prévaloir, il eût fait connaître le motif de l’affection que Jésus avait pour lui, motif qui devait se rattacher à une cause d’un ordre supérieur. Le Sauveur ne dit rien autre chose à saint Jean ; il ne le console pas dans sa tristesse, parce que ce n’était pas le temps de faire de longs discours de consolation. Sa mère reçoit de lui une marque d’honneur non moins remarquable. Dans la tristesse profonde où elle était plongée, il fallait lui chercher un appui et un soutien pour remplacer Jésus, qui allait la quitter ; il la confie donc lui-même à son disciple, afin qu’il en prenne soin ; « Ensuite il dit à son disciple : Voici votre mère. » — S. Augustin. (Traité 119 sur S. Jean.) C’était l’heure dont Jésus, avant de changer l’eau eu vin, avait dit à sa mère : « Femme, qu’y a-t-il entre vous et moi ? Mon heure n’est pas encore venue. » Au moment de faire une œuvre toute divine, il semble repousser comme lui étant inconnue la mère, non pas de sa divinité, mais de son humanité ou de son infirmité. Maintenant, au contraire qu’il endure des souffrances propres à la nature humaine, il recommande celle dans le sein de laquelle il s’est fait homme avec l’affection qu’inspiré la nature. Il nous donne ainsi un enseignement d’une haute moralité ; il nous apprend par son exemple, comme un bon maître, les tendres soins que la piété filiale doit inspirer aux enfants pour leurs parents ; et le bois où sont cloués les membres du Sauveur mourant a été aussi comme la chaire du haut de laquelle le divin Maître nous a enseigné.
S. Chrys. C’est ainsi qu’il confond l’impudente erreur de Marcion. Si, en effet, il n’est point né selon la chair, il n’a pas eu de mère, alors pourquoi cette sollicitude extraordinaire dont elle est l’objet ? Considérez encore comment, au moment où il est crucifié, Jésus fait tout avec le plus grand calme : il confie sa mère à son disciple, il accomplit les prophéties, il donne l’espérance du ciel au bon larron. Au contraire, avant son crucifiement, son âme paraît en proie au trouble. Il donnait ainsi la preuve, d’un côté de la faiblesse de la nature humaine, de l’autre de la force supérieure de son âme. Il nous apprend ainsi à ne point nous laisser abattre, si au milieu des adversités le trouble vient à s’emparer de notre âme, et lorsque nous serons entrés dans la lice à supporter toutes les épreuves comme faciles et légères.
S. Augustin. En quittant sa mère, il prenait soin de lui laisser en quelque sorte un autre fils, et saint Jean nous fait connaître la raison de cette conduite dans les paroles suivantes : « Dès ce moment le disciple la reçut chez lui. » (In sua.) Mais quel est ce « chez lui » dans lequel Jean reçut la mère du Sauveur ? Est-ce qu’il n’était pas du nombre de ceux qui avaient dit : « Voici que nous avons tout quitté pour vous suivre ? » Il la reçut donc chez lui, non pas dans ses propriétés, parce qu’il n’en avait pas, mais dans son affection, qui le portait à prodiguer à la mère de Jésus tous les offices personnels. — Bède. Une autre version porte : « Le disciple la reçut comme sienne ; » (in suam) quelques-uns disent comme étant sa mère, mais il est plus naturel de sous-entendre le mot curam, il la reçut pour être l’objet de sa sollicitude.
Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.