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QUATRIÈME CONSIDÉRATION

Certitude de la mort

« Il est arrêté que tous les hommes meurent une fois »
(Hébreux 9, 27)

Premier point

La sentence de mort est portée contre tous les hommes. Vous êtes homme, vous devez donc mourir. « Dans votre destinée, disait saint Augustin, tout est incertain, le bonheur comme le malheur, seule la mort est certaine » (S. Augustin, Sermon 97, ch. 3, n. 3, PL 38, 590 (Vivès, t. 17, p. 95). Cet enfant qui vient de naître, sera-t-il pauvre ou riche ? Aura-t-il une bonne ou un mauvaise santé ? Mourra-t-il jeune ou dans un âge avancé ? Tout cela est incertain. Ce qui est certain c’est qu’il doit mourir. Noble ou roi, n’importe ; il faut tomber sous le coup de la mort. Et quand la mort se présente, il n’y a pas de force capable de lui résister. « On résiste, dit saint Augustin, au feu, à l’eau, au fer : on résiste à la puissance des princes ; la mort vient : qui est-ce qui lui résiste ? » (S. Augustin, Sur le Psaume 121, n. 12 PL 37, 1628 (Vivès, t. 15, p. 35). Vincent de Beauvais rapporte qu’un roi de France disait dans ses derniers moments : « Avec toute ma puissance je ne puis obtenir que la mort m’attende encore une heure » (Vincent de Beauvais, Speculum morale, lib. 2, p. 1, dist. 3, Venise, 1591, p. 125). La fin de la vie une fois arrivée, impossible de retarder la mort, ne fût-ce que d’un instant : « O Dieu, s’écriait Job, vous avez marqué un terme pour les jours de l’homme, et il ne pourra être dépassé » (Job 14, 5).

Oui, mon cher lecteur, puissiez-vous vivre autant de temps que vous le désirez ; il doit néanmoins arriver un jour qui sera le dernier ; et, dans ce jour, une heure qui sera votre dernière heure. Pour moi qui écris ces lignes, pour vous qui les lisez, le moment est déjà fixé où je n’écrirai plus, où vous ne lirez plus. « Quel est l’homme qui vivra et qui ne verra pas la mort » (Psaume 88, 49). La sentence est portée et jamais il ne s’est rencontré un homme assez insensé pour se promettre d’échapper à la mort. Ce qui est arrivé à vos devanciers, vous arrivera à vous-même. De tant d’hommes qui vivaient dans notre pays au commencement du siècle dernier, voilà qu’il n’en existe plus un seul. Il n’y a pas jusqu’aux princes et aux rois qui n’aient été enlevés de ce monde. Et qu’ont-ils laissé après eux ? Un mausolée de marbre avec une pompeuse inscription ; et cette inscription ne sert qu’à vous apprendre ce que deviennent les grands de ce monde : un peu de cendre cachée sous quelques pierres. « Dites-moi, demande saint Bernard ce que sont devenus les partisans du monde ? Un peu de cendre, répond-il lui-même ; quelques vers ; pas autre chose » (S. Bernard de Clairvaux (plutôt Hugues de Saint-Victor ou un auteur inconnu, selon Glorieux, n. 184), Méditations pieuses sur la connaissance de la condition humaine, ch. 3, n. 9, PL 184, 491).

Puisqu’il en est ainsi, nous devons assurer la possession non pas de ces biens qui finissent, mais de ceux qui, semblables à notre âme, durent éternellement. A supposer même que le bonheur pût être le partage d’une âme sans Dieu, de quoi servirait-il à notre âme d’être heureuse maintenant, si, dans la suite, elle doit être malheureuse durant toute l’éternité ? Assurément, elle est grande la satisfaction que vous goûtez d’avoir bâti cette maison. Songez que bientôt vous devrez la quitter pour l’échanger contre la pourriture du tombeau. Combien vous vous félicitez de tenir enfin ce poste qui vous élève au-dessus des autres. Mais voici venir la mort qui va vous réduire à la condition des plus pauvres et des plus délaissés de ce monde.

Affections et prières

Infortuné que je suis ! Durant tant d’années je n’ai pensé qu’à vous offenser, ô Dieu de mon âme. Les années sont passées, la mort se tient peut-être à mes côtés ; et qu’est-ce que je découvre en moi, sinon des inquiétudes et des remords de conscience ? Ah ! Seigneur, si je vous avais toujours servi ! Mais non, insensé que j’ai été, il y a si longtemps que je vis en ce monde ; et bien loin de m’être enrichi de mérites pour le ciel, voici que je me trouve tout chargé de dettes envers la justice divine.

Mon bien-aimé Rédempteur, accordez-moi lumières et force, afin que je règle dès à présent les affaires de mon âme. La mort n’est peut-être plus qu’à deux pas de moi. Je veux me préparer pour ce grand moment qui décidera de mon bonheur ou de mon malheur éternel. Je vous remercie de m’avoir attendu jusqu’à présent ; et, puisque vous me donnez le temps de réparer le passé, me voici, mon Dieu ; dites-moi ce que je dois faire pour vous. Voulez-vous que je me repente des injures que je vous ai faites ? Oui : je m’en repens ; je les déteste de tout mon coeur. Voulez-vous que j’emploie à vous aimer les années, les jours qui me restent ? Je suis tout décidé à le faire. Mais, ô mon Dieu, que de fois j’en ai jusqu’ici formé la résolution ! Et mes promesses, hélas ! Ont été suivies de trahisons ! Non, mon Jésus, non, je ne veux plus répondre par l’ingratitude aux grâces sans nombre que vous m’avez faites. Car, si je laissais passer encore cette heure sans changer de vie, comment pourrais-je, à la mort, espérer mon pardon et le Paradis ? Maintenant donc je fais le ferme propos de vous servir en toute fidélité. Mais vous-même aidez-moi ; ne m’abandonnez pas. Vous ne m’avez pas abandonné dans le temps même que je vous offensais ; à combien plus forte raison dois-je compter sur votre secours, maintenant que je veux renoncer à tout pour vous plaire !

Permettez donc que je vous aime, ô Dieu, digne d’un amour infini ! Daignez accueillir un traître qui vient, le coeur contrit, se jeter à vos pieds : maintenant il vous aime et il implore votre pitié. Oui, je vous aime, ô mon Jésus ! Je vous aime de tout mon coeur ; je vous aime plus que moi-même. Me voici tout à vous. Disposez de moi et de tout ce qui est à moi, comme il vous plaît. Donnez-moi la persévérance dans votre service ; donnez-moi votre amour ; puis, faites de moi ce que vous voulez.

Marie, ma Mère, mon espérance, mon refuge, je me recommande à vous ; je vous confie mon âme ; priez Jésus pour moi.

Deuxième point

« Statutum est. » Il est arrêté. Impossible donc d’en douter : tous, nous sommes condamnés à mourir. « Tous, dit saint Cyprien, nous naissons la corde au cou ; et autant de pas nous faisons dans la vie, autant en faisons-nous vers la mort » (S. Cyprien, De bono patientiae, n. 12, PL 4, 630). Oui, mon cher frère, comme on vous inscrivit un jour sur le registre des baptêmes, ainsi faudra-t-il un jour qu’on vous inscrive sur le registre des décès. Comme vous dites aujourd’hui de ceux qui vous ont précédé : feu mon père, feu mon oncle, feu mon frère ; ainsi parleront de vous ceux qui vous auront survécu. Comme vous avez tant de fois entendu sonner le glas funèbre, ainsi d’autres l’entendront sonner pour vous.

Mais que diriez-vous d’un condamné à mort qui s’avancerait vers le lieu de son supplice en plaisantant, en riant, en promenant autour de lui des regards de curiosité, en ne rêvant que spectacle, festins et divertissements ? Et vous, en ce moment même, ne vous acheminez-vous pas vers la mort ? Et à quoi pensez-vous ? Contemplez dans cette fosse, ces amis, ces parents, pour lesquels la justice divine à déjà suivi son cours. Quel épouvantable spectacle pour un condamné que ses compagnons suspendus à la potence et déjà raidis par la mort ! Contemplez donc ces cadavres et entendez chacun d’eux qui vous crie : « Moi hier, toi aujourd’hui » (Ecclésiastique 38, 23). Voilà ce que vous disent également les portraits de vos parents défunts, leurs papiers, leurs maisons, les lits et les vêtements qu’ils ont laissés.

Savoir qu’il faut mourir et qu’après la mort il faut s’attendre à une éternité de délices ou bien à une éternité de tourments ; savoir que tout ce bonheur éternel et cet éternel malheur dépendent du moment de la mort ; et puis, ne songer aucunement à régler ses comptes et à prendre toutes ses mesures pour s’assurer une bonne mort, quelle folie ! Quelle étrange folie ! Nous compatissons au sort de ceux qui meurent subitement et que la mort saisit à l’improviste. Mais nous-mêmes, pourquoi donc ne pas faire en sorte d’être prêts, puisque la même chose peut nous arriver ? Après tout, un peu plus tôt, un peu plus tard, à l’heure prévue ou à l’improviste, que nous y pensions ou que nous n’y pensions pas, il nous faudra mourir ; et chaque heure, chaque moment nous rapproche de notre gibet, je veux dire, de la dernière maladie qui doit nous jeter hors de ce monde.

Chaque siècle voit les maisons, les places publiques, les villes se remplir de nouveaux habitants, tandis que leurs devanciers disparaissent dans la poussière du tombeau. De même que nos devanciers ont terminé le cours de leur existence, ainsi viendra le temps où ni vous, ni moi, ni aucun de ceux qui comptent à cette heure parmi les vivants, ne sera plus de ce monde. « Il se formera des jours, dit le Roi-prophète, mais il ne s’y trouvera personne » (Psaume 138, 16). alors nous serons tous dans l’éternité. Et l’éternité sera pour nous ou l’éternel jour des délices ou l’éternelle nuit des tourments. Il n’y a pas de milieu ; c’est certain et c’est de foi : nous aurons en partage l’une des deux éternités.

Affections et prières

O mon bien-aimé Rédempteur, je n’aurais pas l’audace de paraître en votre présence, si je ne vous voyais suspendu à cette croix, tout déchiré de coups, accablé d’outrages et mort pour moi. Grande a été mon ingratitude ; mais plus grande est votre miséricorde. Mes iniquités aussi ont été bien grandes ; mais vos mérites les surpassent encore ! Vos plaies, votre sang, votre mort, sont toute mon espérance. Déjà, après mon premier péché, je méritais l’enfer. Que de fois j’ai recommencé ensuite à vous offenser ! Et vous, au lieu de me frapper à mort, avec quelle bonté et quel amour vous m’avez appelé au repentir et offert la paix ! Comment puis-je craindre que vous me chassiez de votre présence, maintenant que je vous aime et que je désire uniquement votre grâce ?

Oui, je vous aime de tout mon coeur, ô mon bien-aimé Seigneur, et je ne désire que de vous aimer. Je vous aime, et je me repens de vous avoir méprisé, sans doute parce que je me suis ainsi condamné à l’enfer, mais surtout parce que je vous ai offensé, vous, mon Dieu, qui m’avez tant aimé. Et maintenant, ouvrez-moi, ô mon Jésus, votre coeur plein de bonté, et ajoutez une nouvelle miséricorde à toutes vos miséricordes passées. Faites que je ne sois plus un ingrat et changez entièrement mon coeur. Ce coeur, autrefois, il osa compter pour rien votre amour et l’échanger contre les misérables plaisirs du monde ; faites que désormais il vous appartienne tout entier que sans cesse il brûle d’amour pour vous.

Un jour, je l’espère, je serai admis dans le ciel pour vous aimer à jamais. Ma place n’y sera pas parmi les âmes innocentes, mais parmi celles qui ont suivi les sentiers de la pénitence. Là, je veux surpasser en amour même les âmes innocentes. Oui, qu’à la gloire de votre miséricorde, le ciel voie brûler d’un grand amour pour vous, un pécheur qui vous a tant offensé ! Je prends la résolution de vous appartenir tout entier et de ne plus penser désormais qu’à vous aimer. Vous-même, venez à mon secours avec votre lumière et votre force, afin que ce désir, inspiré à mon coeur par votre bonté, se réalise par votre grâce.

O Marie, ô Mère de la persévérance, obtenez-moi la fidélité à mes promesses.

Troisième point

La mort est certaine. O Dieu ! Les Chrétiens le savent, ils le croient, ils le voient ; et comment, après cela, vivent-ils, pour la plupart, dans un complet oubli de la mort, absolument comme s’ils ne devaient jamais mourir ? En vérité, s’il n’y avait après cette vie ni paradis ni enfer, les hommes ne pourraient montrer à cet égard plus d’indifférence qu’ils n’en témoignent. Aussi quel dérèglement dans leur vie !

Mon frère, si vous voulez passer chrétiennement les jours qui vous restent à vivre ici-bas, ayez soin d’avoir toujours la mort devant les yeux. « O mort ! Dit la Sainte Écriture, que ton jugement est bon ! » (Ecclésiastique 41, 3). Oh ! Qu’il apprécie bien les choses et qu’il règle bien ses actions, celui qui appelle l’image de la mort pour présider à ses jugements et à ses résolutions ! La pensée de la mort détache de toutes les choses de la terre. « Que l’on fixe les yeux sur le terme de la vie, dit saint Laurent Justinien, et l’on ne trouvera plus rien à aimer ici-bas » (S. Laurent Justinien, Lignum vitae, tr. 12, c. 4, Opera, Venise, 1721, p. 54). « Tout ce qui est dans le monde, dit saint Jean, est concupiscence de la chair, concupiscence des yeux, orgueil de la vie » (I Jean 2, 16). Plaisirs des sens, richesses, dignités, voilà en définitive tous les biens que nous offre le monde. Mais, comme il méprise tout cela, l’homme pénétré de cette pensée que bientôt il doit être réduit en poussière et devenir dans le tombeau la pâture des vers.

Et de fait, c’est au souvenir de la mort que les saints ont méprisé tous les biens d’ici-bas. Saint Charles Borromée avait sur sa table une tête de mort, afin que la pensée de la mort ne le quittât jamais (C. G. Rossignoli, Il buon pensiero, p. 1, c. 4, Opere, t. 3, Venise, 1713, p. 375). Sur l’anneau du cardinal Baronius étaient gravés ces mots : « Pense à la mort » (H. Banabeus, Vita Caesaris Baronii, lib. 3, c. 1, Rome, 1651, p. 127). Le vénérable Père Ancina, évêque de Saluces, avait constamment devant les yeux cette sentence tracée sur une tête de mort : « J’ai été ce que tu es ; tu seras ce que je suis » (G. Ricci, Notizia…vita del Ven. G. Ancina, Macerat 1671, p. 28). Un saint ermite tressaillait de joie à l’approche de la mort. Comme on lui en demandait la cause : « J’ai souvent envisagé la mort, répondit-il, aussi ce n’est pas une inconnue que je vois venir maintenant » (G. Campadelli, Sermoni sacri morali, disc. 23, Venise, 1751, p. 553. S. Alphonse cite explicitement Campadelli dans ses Sermons abrégés (sermon 52, 1er point). Devenu évêque en 1762, parmi les livres qu’il emporta de Pagani à S. Agathe-des-Goths, figurait le livre de cet auteur).

Quelle folie ce serait pour un homme en voyage de ne songer qu’à mener grand train dans les pays qu’il traverse, sans se soucier du sort misérable qu’il se prépare ainsi dans le pays où il doit séjourner toute sa vie ! Et on ne regardera pas comme une folie de se procurer toutes sortes de plaisirs pour les quelques jours que l’on doit vivre ici-bas, et de courir ainsi le risque d’être malheureux dans l’autre monde, où l’on doit demeurer toute l’éternité ? Celui qui a reçu une chose en prêt, s’y attache peu, pensant qu’il ne tardera pas à la rendre. Or les biens de ce monde ne nous sont tous donnés qu’en prêt. Quelle folie, par conséquent, d’y mettre son affection, puisqu’il faudra bientôt s’en dessaisir ! La mort en effet doit nous dépouiller de tout ; et c’est à un dernier soupir, à des funérailles, à une fosse que vont aboutir tous les biens, toutes les richesses de ce monde. La maison que vous vous êtes bâtie, vous devrez bientôt la céder à d’autres ; votre corps, jusqu’au jour du jugement, aura pour demeure un tombeau, et ce tombeau, il ne le quittera que pour passer soit au ciel, soit en enfer, où votre âme l’aura précédé.

Affections et prières

A la mort, tout sera donc fini pour moi ; et alors il ne me restera rien, ô mon Dieu, hormis le peu que j’aurai fait par amour pour vous. Puisqu’il en est ainsi, qu’est-ce que j’attends ? Car enfin attendrai-je que la mort vienne et me trouve encore misérablement plongé dans la fange de mes péchés ? Si je devais mourir maintenant, quelles inquiétudes n’aurai-je pas et quels tourments ne me causerait pas ma vie passée ? Non, mon Jésus, je ne veux pas mourir dans ces angoisses. Vous me donnez le temps de pleurer mes péchés et de vous aimer. Ah ! Soyez béni ! Je veux commencer dès maintenant.

J’ai un extrême regret de vous avoir offensé, ô mon souverain Bien, et je vous aime plus que toutes choses, plus que ma vie. Je me donne tout à vous, ô mon Jésus. Dès à présent je vous confie toute mon âme et « je la remets entre vos mains » (Psaume 30, 6). Je ne veux pas attendre jusque-là pour vous prier de me sauver. « O Jésus, soyez-moi Jésus ». Mon Sauveur, sauvez-moi dès maintenant, en me pardonnant mes péchés et en m’accordant le don de votre saint amour. Qui sait si cette considération que je viens de faire, n’est pas votre dernier appel et le terme de vos miséricordes à mon égard ? Tendez-moi donc la main, ô mon Amour, et tirez-moi de ma misérable tiédeur. Donnez-moi la ferveur ; faites que je vous obéisse avec un grand amour, en tout ce que vous voulez de moi. Père éternel, pour l’amour de Jésus Christ, accordez-moi la sainte persévérance et la grâce de vous aimer, de vous aimer beaucoup tout le temps qui me reste à vivre.

O Marie, Mère de miséricorde, je vous en prie, par l’amour que vous portez à votre Jésus, obtenez-moi la double grâce de la persévérance et de l’amour divin.

Saint Alphonse de Liguori, Préparation à la mort, 1758. Texte numérisé par Jean-Marie W. (jesusmarie.com).

 

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