Accueil  >  Bibliothèque  >  Préparation à la mort  >  Brièveté de la vie

TROISIÈME CONSIDÉRATION

Brièveté de la vie

« Qu’est-ce que votre vie ? Une vapeur qui paraît pour peu de temps »
(Jacques 4, 15)

Premier point

Qu’est-ce que votre vie ? Elle est comme ces vapeurs qu’un peu de vent dissipe, sans qu’il en reste rien. On sait, à n’en pouvoir douter, qu’il faut mourir. Mais, pour la plupart des hommes, la mort n’apparaît que dans le plus lointain avenir et comme si elle ne devait jamais arriver. Erreur funeste ! Car notre vie est bien courte. « L’homme vit peu de temps, dit Job ; semblable à la fleur, il s’épanouit et il est foulé aux pieds » (Job 14, 1-2). Voici, dit le Seigneur à Isaïe, ce que je te commande d’annoncer : « Crie donc : toute chair est comme l’herbe s’est desséchée et la fleur est tombée » (Isaïe 40, 6-7). Il en est de la vie de l’homme comme un brin d’herbe : la mort vient et l’herbe se dessèche, c’est-à-dire que la mort met fin à notre vie ; et alors tombent les fleurs de toutes les grandeurs et de tous les biens de ce monde.

« Mes jours se sont précipités plus rapides qu’un courrier » (Job 9, 25). Plus prompte qu’un courrier, la mort s’élance à notre rencontre ; et nous, à chaque instant, nous courons au-devant de la mort. Chaque pas, chacune de nos respirations nous en rapproche. « Ce que j’écris, disait saint Jérôme, c’est autant d’enlevé à ma vie » (S. Jérôme, Lettre 60, à Hélindore, n. 19, PL 22, 602) ; et la minute que j’y emploie m’avance d’autant vers la mort. « Nous mourons tous, et nous nous écoulons sur la terre comme les eaux qui ne reviennent pas » (2 Samuel 14, 14). Voyez ce ruisseau. Comme il court à la mer ! De toutes ses eaux il n’y a pas une seule goutte qui doive revenir sur ses pas. Ainsi, mon cher frère, passent vos jours ; ainsi vous rapprochent-ils de la mort. Les plaisirs passent ; les amusements, tout passe et qu’en reste-t-il ? « Il me reste un tombeau, répond Job, rien qu’un tombeau » (Job 17, 1). Nous serons jetés dans une fosse et il faudra rester là, en proie à la corruption et dans le plus complet dénuement. Au moment de la mort, le souvenir de tous les plaisirs que nous aurons goûtés et de tous les honneurs que nous aurons obtenus pendant la vie, ne servira qu’à augmenter nos angoisses et à nous faire trembler davantage pour notre salut éternel. Ainsi, s’écriera alors le pauvre mondain, ma maison, mes jardins, tous ces meubles de prix, ces tableaux, ces vêtements, bientôt ne m’appartiendront plus. Et je n’ai plus en perspective qu’un tombeau, rien qu’un tombeau.

Alors encore quelle peine causera la vue de chacun des objets auxquels on avait attaché son coeur ! Et cette peine hélas ! Ne servira qu’à mettre en plus grand péril le salut de l’âme. Car il est d’expérience que les personnes, ainsi attachées au monde, ne veulent plus, à la mort, entendre parler que de leur maladie ; elles ne réclament plus que des médecins à consulter et des remèdes pour guérir. Essayez de les entretenir de leur âme ; aussitôt vous leur êtes à charge et elles vous prient de les laisser en repos : elles ont mal à la tête ; le son de votre voix suffit pour les fatiguer. Si parfois elles répondent, c’est pour balbutier quelques paroles vagues et évasives. Aussi combien de fois n’arrive-t-il pas aux confesseurs de donner l’absolution non pas à cause des dispositions qu’ils reconnaissent dans le moribond, mais parce que le temps presse ! Ainsi meurent ceux qui pensent peu à la mort.

Affections et prières

Ah ! Seigneur, j’ai honte de paraître devant vous, qui êtes un Dieu d’une majesté infinie ! Trop souvent je vous ai déshonoré en préférant à votre grâce un vil plaisir, un transport de colère, un peu de poussière et de boue, un caprice, quelque vaine fumée d’honneur. J’adore, ô mon Rédempteur, et je baise vos plaies sacrées. Ces plaies sont, à la vérité, mon ouvrage, l’ouvrage de mes péchés. Cependant c’est par elles que j’espère obtenir le pardon et le salut. Faites-moi comprendre, ô mon Jésus, combien j’ai été coupable envers vous en vous abandonnant ainsi, vous, la source de tout bien, pour aller me désaltérer à des eaux bourbeuses et empoisonnées. Et maintenant, de tant d’injures que je vous ai faites, que me reste-t-il, sinon des peines cuisantes, des remords de conscience et des titres à l’enfer ? « Non, mon Père, non, je ne mérite plus d’être appelé votre fils » (Luc 15, 21).

Il est vrai que je ne mérite plus de redevenir par votre grâce l’enfant de votre coeur. Mais vous êtes mort pour me pardonner et vous avez dit : « Tournez-vous vers moi et je me tournerai vers vous » (Zacharie 1, 3). Je renonce à toutes mes satisfactions, je dis adieu à tous les plaisirs que le monde peut me donner et je reviens à vous.

Par votre sang, répandu pour moi, pardonnez-moi ; car de tout mon coeur je me repens et je vous aime par-dessus toutes choses. Je ne suis point digne de vous aimer ; mais vous, ô mon Dieu, vous êtes bien digne d’être aimé. Permettez donc que je vous aime et ne dédaignez pas l’amour d’un coeur qui, par le passé, a eu le malheur de vous mépriser. Et pourquoi ne m’avez-vous pas frappé à mort quand j’étais en état de péché, sinon pour que je vous aime ? Eh bien ! Je veux vous aimer tout le reste de ma vie et je ne veux plus aimer que vous. Aidez-moi, donnez-moi la sainte persévérance et votre amour.

O Marie, mon refuge, recommandez-moi à Jésus Christ.

Deuxième point

« Ma vie, disait en gémissant le roi Ezéchias, a été coupée comme la trame sous les ciseaux du tisserand ; je commençais à peine de l’ourdir quand Dieu me trancha » (Isaïe 38, 12). Que de gens, au moment même où ils sont occupés avec tant de succès à tisser leur toile, c’est-à-dire à combiner leur plan mondain et à prendre les plus sages mesures pour réussir, voient subitement arriver la mort qui tranche tout ! A la lumière du flambeau funèbre s’évanouissent tous les biens terrestres : applaudissements, plaisirs, gloire, dignités. Grand secret de la mort ! Elle nous découvre ce qui échappe aux partisans du monde. Regardés du lit de la mort, les fortunes les plus enviées, les postes les plus considérables, les plus éclatants succès perdent tout leur prestige. Alors les idées que nous nous étions faites de certaines félicités trompeuses, se changent en indignation contre notre propre folie. Et il n’y a pas jusqu’à la dignité royale sur laquelle la mort ne jette son ombre lugubre et funeste pour l’obscurcir avec toutes les autres grandeurs d’ici-bas.

Maintenant les passions font apparaître les biens de ce monde tout autre qu’ils ne sont. La mort les met à nu et montre ce qu’ils sont en réalité : un peu de fumée et de boue, une vanité, une misère. Mon Dieu ! De quoi servent les richesses, les grands domaines, les royaumes même, au moment de la mort, quand on n’a plus en partage que quelques planches pour demeure et un étroit linceul pour vêtement ? De quoi servent les honneurs quand on n’a plus en perspective qu’un cortège funèbre et de pompeuses funérailles dont l’âme, si elle est damnée, ne retirera aucune utilité ? De quoi servent les agréments du corps, si alors, et avant même qu’on ait rendu le dernier soupir, il ne reste de tout cela qu’une horrible corruption où s’agitent les vers du tombeau, et, bientôt après un peu d’infecte poussière ?

« Il m’a placé comme en dérision au peuple et je leur suis devenu un sujet de risée » (Job 17, 6). Qu’ils viennent à mourir, ce riche, ce ministre, ce grand capitaine, ils vont à eux seuls défrayer toutes les conversations. Mais, s’ils ont mal vécu, ils ne tardent pas à devenir la fable du peuple ; et transformés, pour ainsi dire, en monument de la vanité du monde et de justice divine, ils ne serviront plus que d’instruction aux autres. Une fois en terre, leur cadavre sera confondu avec les cadavres des pauvres, selon cette parole de Job : « Les grands y sont mêlés avec les petits » (Job 3, 19). Quels avantages celui-ci retire-t-il de sa beauté physique, maintenant que son cadavre est rongé par les vers ? Et celui-là, que lui revient-il de ses charges et de son autorité, si son corps est maintenant condamné à pourrir dans une fosse, et si son âme, jetée en enfer, est devenue la proie des flammes ? Quel malheur d’être pour les autres le sujet de pareilles réflexions et de ne les avoir pas faites soi-même alors qu’elles pouvaient produire des fruits de salut ! Persuadons-nous donc que, pour remédier au désordre de notre conscience, le temps propice ce n’est pas le moment de la mort, mais le temps de la vie. Hâtons-nous de faire maintenant ce que nous ne pourrons pas faire alors : « Le temps se fait court » (1 Corinthiens 7, 29). Tout passe vite et tout finit ; faisons donc en sorte que tout nous serve à acquérir la vie éternelle.

Affections et prières

O Dieu de mon âme, ô bonté infinie, ayez pitié de moi qui vous ai tant offensé. Je savais bien qu’en péchant, je perdrais votre grâce. Néanmoins j’ai voulu pécher et perdre ainsi votre sainte grâce. Ah ! Dites-moi ce que je dois faire pour la recouvrer. Voulez-vous que je me repente de mes péchés ? Je m’en repens de tout mon coeur et je voudrais en mourir de douleur. Voulez-vous que j’espère de vous mon pardon ? Je l’espère, ce pardon, par les mérites de votre sang. Voulez-vous que je vous aime par-dessus toutes choses ? Je quitte tout, je renonce à tous les plaisirs et à tous les biens que le monde peut me donner ; et je vous aime plus que tout autre bien, ô mon très aimable Sauveur. Voulez-vous enfin que je vous demande vos grâces ? En voici deux que je sollicite : Ne permettez pas que je vous offense encore et faites que je vous aime ; puis, traitez-moi comme il vous plaira.

O Marie, mon espérance, obtenez-moi ces deux grâces ; c’est de vous que je les attends.

Troisième point

Quelle folie de s’exposer, pour les misérables et fugitifs plaisirs de cette vie si courte, à faire une mauvaise mort, prélude d’une éternité malheureuse ! Oh ! Qu’il est important ce dernier moment, ce dernier soupir, cette dernière chute du rideau ! Car un éternité entière en dépend ; une éternité avec toutes les délices réunies, ou bien une éternité avec tous les tourments ensemble : une vie à jamais heureuse, ou bien à jamais malheureuse ! Pensons-y : c’est pour nous obtenir une bonne mort que Jésus Christ a voulu subir une mort si amère et si ignominieuse. Et maintenant encore, s’il nous adresse tant de menaces, c’est afin que nous prenions nos mesures de manière à terminer notre vie dans la grâce de Dieu.

On demandait à Antisthène quelle était la plus belle fortune qu’on pût faire en ce monde : « Une bonne mort, » répondit-il aussitôt, tout païen qu’il était (D. Erasme, Apophtegmata, lib. 7, n. 14, Lyon, 1556, p. 549). Que dira donc un chrétien, lui qui sait par la foi que du moment de la mort dépend l’éternité ? Alors, en effet, on saisit l’une des deux roues qui conduisent soit à l’éternel bonheur du ciel, soit aux souffrances éternelles de l’enfer. Voici une bourse qui renferme deux billets : sur l’un des deux on lit : Enfer, et sur l’autre : Paradis. Si vous aviez à tirer au sort l’un des deux billets, que ne feriez-vous pas pour vous assurer le bonheur d’amener le second ? Les malheureux qui sont réduits à risquer leur vie sur une table de jeu, grand Dieu ! Comme ils tremblent en étendant la main pour jeter leurs dés et amener le coup qui décidera de leur vie ou de leur mort !

Et vous, quelle ne sera pas votre épouvante, quand vous vous trouverez au moment suprême et que vous vous direz : De l’instant auquel je touche, dépend ma vie ou ma mort pour l’éternité ? Maintenant il va se décider si je serai heureux à jamais ou condamné pour toujours au désespoir ? Saint Bernardin de Sienne raconte d’un prince sur le point de mourir qu’on l’entendait s’écrier dans son épouvante : « Je possède en ce monde tant de terres et de palais ; mais, si je meurs cette nuit, je ne sais pas où je pourrai trouver un abri » (S. Bernardin de Sienne, Quadragesimale de christiana religione, semo 14, art. 2, c. 1, Opera, t. 1, Quaracchi, 1950, p. 161).

Mon frère, si vous croyez qu’il faut mourir, qu’il y a une éternité et qu’on meurt une fois seulement, en sorte que se tromper alors c’est se tromper pour toujours, sans espérance de pouvoir jamais revenir sur ses pas, comment ne vous décidez-vous point, dans ce moment même où vous lisez ces lignes, à faire tout ce qu’il est possible pour vous assurer une bonne mort ? Un saint André Avelin se demandait en tremblant : « Quel sort m’est réservé dans l’autre vie ? Qui sait si je serai sauvé ou damné ? » (G. B. Bagatta, Vita del B. Andrea Avellino, Naples, 1696, p. 189). Ainsi tremblait également saint Louis Bertrand au point de ne pouvoir, la nuit, goûter un instant de repos, « car, se disait-il à lui-même, qui sait si tu ne te damneras pas ? » (Bollandistes, Acta Sanctorum, t. 53 (10 octobre), Paris, 1868, p. 376). Et vous, chargé de tant de péchés, vous ne tremblez pas ! Ah ! Ne perdez pas une minute, réparez le passé, prenez le parti de vous donner véritablement à Dieu et commencez en ce moment même une vie qui vous soit à l’heure de la mort un sujet, non d’angoisses, mais de consolation. Adonnez-vous à l’oraison, fréquentez les sacrements, rompez avec les occasions dangereuses et, s’il le faut, quittez le monde ; en un mot, assurez votre salut éternel, et persuadez-vous bien que, pour assurer son salut éternel, on ne saurait prendre trop de précautions.

Affections et prières

Quelles obligations je vous ai, ô mon bien-aimé Sauveur ! Et comment avez-vous pu me combler de vos grâces après les ingratitudes et les trahisons dont je me suis rendu coupable contre vous ? Vous m’avez créé, et en me créant vous prévoyiez déjà les injures que je vous ferais. Vous êtes mort pour me racheter, et déjà, en mourant, vous comptiez les ingratitudes que je commettrais envers vous. Placé ensuite sur la terre je ne tardais pas à vous mépriser. Et dès lors qu’étais-je, ainsi privé de la véritable vie, sinon un être abominable à vos yeux ? Mais vous, par votre grâce, vous m’avez arraché à la mort. J’étais plongé dans les ténèbres, et vous m’avez éclairé. Je vous avais perdu, et vous m’avez aidé à vous retrouver. J’étais votre ennemi, et vous m’avez fait rentrer dans votre amitié.

O Dieu de miséricorde, faites-moi comprendre la grandeur de mes obligations envers vous et faites-moi pleurer les offenses dont je me suis rendu coupable à votre égard. Ah ! Vengez-vous sur moi en m’accordant une grande douleur de mes péchés, mais ne me châtiez pas en me privant de votre grâce et de votre amour.

O Père éternel, j’abhorre et je déteste de toutes mes forces les injures que je vous ai faites. Pour l’amour de Jésus Christ, ayez pitié de moi. Regardez votre Fils mort sur la croix. Que son sang se répande sur moi ! Oui, que ce sang divin coule sur mon âme pour la purifier ! O Roi de mon coeur, que votre règne arrive ! Je suis bien décidé à n’admettre jamais dans mon coeur aucune affection qui ne soit pas pour vous. Je vous aime par-dessus toutes choses. Venez régner et régner seul dans mon âme. Faites que je vous aime vous seul et aucun autre. Puissé-je m’appliquer tout entier à vous être agréable et à vous contenter pleinement pendant le temps qui me reste à vivre. Vous-même, ô mon Père, bénissez ce désir et faites-moi la grâce de vivre toujours uni à vous. Je vous consacre toutes les affections de mon coeur, et dès ce jour je ne veux appartenir qu’à vous seul, ô mon trésor, ma paix, mon espérance, mon amour, mon tout ; aussi j’espère tout de vous par les mérites de votre Fils.

O Marie, ma Reine et ma Mère, accordez-moi le secours de votre intercession. Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour moi.

Saint Alphonse de Liguori, Préparation à la mort, 1758. Texte numérisé par Jean-Marie W. (jesusmarie.com).

 

Plan du site    |    Contact    |    Liens    |    Chapelle