Accueil > Bibliothèque > Un entretien… > Tome 3 : La miséricorde de Dieu > Le rôle du pape et son autorité
Daria Klanac : On entend dire que le pape serait seul, loin, abstrait. Pour s’approcher du monde, faut-il qu’il change son propre regard, ses propres convictions dans le grand débat qui déchire l’Église et ses fidèles sur l’avortement et l’euthanasie, sur différentes notions de mariage et de la famille, du mariage des prêtres, du sacerdoce des femmes… ?
Arnaud Dumouch : On a eu le contre-exemple avec Jean-Paul II qui avait en plus de ce charisme lié au successeur de Pierre, un charisme personnel d’attraction des foules. Mais ce n’est pas obligatoire, tous les papes n’ont pas ce charisme-là ; Paul VI ne l’avait pas, Benoît XVI ne l’a peut-être pas, quoiqu’il faut se méfier. Le jour de son enterrement cela pourrait bien être comme Jean-Paul II qui a été aussi énormément critiqué et dont l’enterrement a été un événement absolument mondial.
On demande au pape simplement trois rôles. D’être premièrement le garant de la foi, celui qui tranche entre ce qui est vrai et faux dans les intuitions des théologiens. On lui demande d’être garant de l’unité, le pasteur de toutes les brebis. Mais il n’a pas besoin d’être un pasteur beau, un pasteur qui attire les foules. Il a besoin d’être un pasteur qui fait son travail et c’est le cas de Benoît XVI. C’est le premier qui, quitte à subir les attaques personnellement, comme s’il en était coupable, met fin au scandale de la pédophilie.
On lui demande d’être le garant de la liturgie, de vérifier si la liturgie est célébrée saintement, pour élever le cœur des fidèles vers l’amour de Dieu et le respect de Dieu. Il se peut que Benoît XVI, par la dignité dans sa souffrance, dans son silence et dans son action efficace pour sauver les enfants de Dieu, soit un pape qui finira par attirer.
Vous demandez aussi si pour s’approcher du monde, il faut changer son propre regard, ses propres convictions dans le grand débat qui déchire l’Église et ses fidèles sur l’avortement et l’euthanasie, sur différentes notions du mariage et de la famille, du mariage des prêtres, du sacerdoce des femmes. Je répondrais : absolument pas, c’est une tentation. Si l’Église s’identifie, si le sel devient non salé, avec quoi salera-t-on ? Le fait que l’Église soit en porte-à-faux permanent par rapport au monde, c’est sa vocation. Jésus l’avait toujours dit, vous n’êtes pas du monde et pourtant je vous mets dans le monde comme des brebis parmi les loups.[44] L’Église ne peut jamais être en harmonie avec les valeurs du monde – même si elle doit reconnaître certaines valeurs –, elle ne peut pas parce que le prince de ce monde, c’est le démon.
D. Klanac : Les temps ont changé. L’Église résiste.
A. Dumouch : À une période quelconque, cédant à la tentation, les papes avaient adhéré à une des valeurs du monde et ils l’ont fait surtout à la Renaissance. Depuis 200 ans, par bonheur, ils ne le font plus. On a des saints papes, béatifiés les uns après les autres. Ils restent fixés sur l’Évangile, surtout depuis la perte des États du Vatican. Ils reprennent leur rôle pastoral. Il ne faut pas s’étonner qu’ils soient persécutés. Notre période actuelle est centrée sur l’érotisme, sur le sexe avec, en tête, l’argent qui permet évidemment de profiter du temps présent. C’est pourquoi l’Église est attaquée sur une conception de la sexualité qui est fidèle, qui est sacrificielle parfois, même quand ça ne va pas très bien. Sur ce point, elle ne peut qu’être attaquée comme liberticide.
On n’attaque plus actuellement sur le fait que l’Église n’est pas nationaliste. Imaginons, en 1914, que le pape Benoît XV ait suivi la pensée du monde, comme le font les intégristes de Mgr Lefebvre. Ils ont un catholicisme nationaliste, avec le rêve d’un grand monarque qui va tout rétablir, le retour de la gloire, d’une Église dans un pays glorieux, etc. Si l’Église tout entière avait suivi cette tentation-là, elle serait entièrement intégriste, elle aurait encore moins de fidèles. Il ne faut pas se faire d’illusions, l’Église a ses propres valeurs qui sont l’Évangile, malgré le bruit du monde médiatique. La conscience profonde des gens ne se trompe pas. On attaque l’Église sans cesse. Quand elle parle de fidélité, on déforme ses propos. Les gens savent très bien qu’il y a le vent qui se voit et celui qui ne se voit pas, celui de l’Esprit Saint, celui de la pensée profonde qui réfléchit. L’âge arrivé, confrontés à sa propre vie, par un regard sur son passé, on verra que tout le vent médiatique de la jeunesse ne résiste pas à la sérénité angoissée de la vieillesse.
D. Klanac : Que penser du mariage des prêtres ?
A. Dumouch : Pour ce qui est du mariage des prêtres, le sujet est un peu différent. Il ne touche pas à la morale essentielle, universelle, il touche à une décision pastorale de l’Église au temps de saint Grégoire le Grand et pour une raison qui se comprend parfaitement. À cette époque-là, au Moyen Âge, quand l’Église était glorieuse et que les gens étaient très pauvres, être prêtres de père en fils, transmettre sa charge dans une lignée charnelle à son fils permettait d’être à l’abri de toutes les famines, en sécurité et d’être riche. Cela donnait un clergé catastrophique parce qu’il n’y avait pas de vocations, or le sacerdoce doit être lié à une vocation surnaturelle. Pour empêcher ce sacerdoce transmissible par génération, le pape saint Grégoire le Grand avait imposé le célibat ecclésiastique, c’est-à-dire un sacrifice qui manifestait une vocation. Certes, il y avait beaucoup de prêtres qui se disaient célibataires et avaient une famille en douce : l’homme est rusé et on ne pourra jamais le changer. Seulement, cela a apporté un véritable progrès dans la qualité du sacerdoce. Et quand le Concile de Trente a pu créer des séminaires, des études qualitatives, le clergé s’est encore amélioré intellectuellement.
Est-ce que l’Église pourrait supprimer cette règle pastorale de célibat des prêtres ? Elle le pourrait, il suffit que le pape le décide. Il se pourrait même qu’il y ait deux clergés, un célibataire et l’autre marié. Est-ce que cela serait judicieux ? Être prêtre en Europe, ce n’est pas une gloire, c’est être pauvre et souvent seul et méprisé. Peut-être que le clergé serait plus solide fondé sur une famille. Mais est-ce que ce serait partout la panacée ? Je ne pense pas. Je pense qu’en Afrique, l’Église est vivante comme au Moyen Âge et qu’être prêtre, c’est être un notable. En Occident, l’Église n’est plus majoritaire. Je ne suis plus sûr que ce soit quelque chose à faire au plan pastoral. En tout cas, ça se discute.
On dit qu’en Europe il y aurait une recrudescence de prêtres. Oui, certainement des gens mariés se proposeraient pour la prêtrise, mais ça ne durerait pas. On le voit bien chez les protestants, leurs pasteurs sont mariés et ils ont le même problème de vocation que chez les catholiques. Les évangélistes n’ont pas de problème de vocation. En effet, chez eux, il suffit qu’un homme se découvre de la ferveur pour se proclamer pasteur ; souvent il s’enrichit puis, la ferveur retombée, il retourne à sa vie laïque et personne ne s’en rend compte. L’Église est dans la durée, elle n’est pas seulement un feu de paille lié à la conversion d’un jeune qui verra sa ferveur passer.
D. Klanac : Qu’en est-il de la question délicate du sacerdoce des femmes ?
A. Dumouch : En ce qui concerne le sacerdoce des femmes, c’est encore un autre sujet qui ne touche pas la morale profonde. Le monde attaque par rapport à sa règle de l’égalité totale, comme s’il n’y avait plus complémentarité des sexes. C’est la tentation du genre, mot qui veut dire qu’il n’y a plus homme et femme, il y a l’être humain qui peut être homosexuel, hétérosexuel ; ce n’est plus qu’une question de choix.
L’Église, sur ce point, a tranché définitivement par une parole d’ordre dogmatique tenue par Jean-Paul II dans son Encyclique sur le sacerdoce[45] où il dit bien, afin qu’il n’y ait plus de doute, que l’Église n’a pas le pouvoir d’appeler des femmes au sacerdoce. Cela touche la partie dogmatique et c’est aux théologiens de l’expliquer. Dès le départ, en créant Adam et Ève, Dieu a voulu une égalité de droit, c’est certain, mais une complémentarité et une différence de psychologie, une différence très souple. Ce ne sont pas des qualités masculines carrées et féminines carrées. Il a réservé à la femme certains droits dans la famille, c’est elle seule qui accouche, c’est clair. Dans la nouvelle alliance qui recrée ce qui était à l’origine et qui en donne le sens spirituel, lié à la Trinité, Jésus a voulu qu’il y ait deux sacerdoces complémentaires : un sacerdoce ministériel qui est comme celui du père qui s’occupe de la charge familiale, qui prend la responsabilité du travail, qui se montre publiquement et qui n’a qu’un but, qu’un service ; et le sacerdoce royal qui, lui, est éternel et qui est aux femmes et aux saints, aux hommes aussi, mais aux femmes particulièrement, comme on le voit à la croix où elles étaient présentes. Le sacerdoce ministériel avait quasiment entièrement disparu, sauf en saint Jean qui était au pied de la croix plus par amitié que par fidélité. Les femmes, ce n’est pas qu’elles soient privées du sacerdoce ministériel, c’est qu’elles sont le signe de la supériorité et de l’éternité du sacerdoce de la charité.
Évidemment, dans le monde actuel, les valeurs masculines, le pouvoir, le fait de briller extérieurement ont été exaltées par les femmes elles-mêmes après mai 68. Il n’est pas étonnant qu’il y ait une attaque subtile contre l’Église à ce sujet, disant que c’est injuste et machiste que les femmes ne soient pas prêtres.
L’Église n’a pas le pouvoir de changer les choses, de même qu’elle ne peut pas faire qu’un homme accouche. Jésus aurait pu choisir des femmes, elles auraient été bien meilleurs prêtres que les hommes, beaucoup plus fidèles et nombreuses, c’est certain, mais il n’a pas voulu pour la raison que j’aie indiqué. Là-dessus l’Église ne peut pas changer et cela lui permet de rappeler que si l’homme et la femme sont égaux en droit devant Dieu, qu’ils ont la même promesse de la vie éternelle et doivent être égaux en droit sur la terre, ils restent complémentaires et différents au plan physique et psychologique.
D. Klanac : Nos papes sont-ils à ce point en dehors du temps et de l’espace, insensibles à la problématique de l’individu et de la société en général ?
A. Dumouch : S’il est un reproche que l’on pourrait faire aux papes, c’est d’être extrêmement cultivés, au point que leur discours est souvent de type universitaire, difficilement et souvent mal compris par le peuple. Mais cela ne devrait pourtant pas être un problème, car c’est aux théologiens, aux évêques, aux prêtres de rendre les choses plus simples pour les brebis. Le pape n’a pas à être le centre sur lequel l’Église entière vit et se focalise dans sa pastorale. Le pape a une mission de protection et il a plutôt tendance à s’effacer en tant que personne. La mission du pape n’est pas de l’ordre médiatique, même si elle l’a été et de manière formidable avec Jean-Paul II.
La mission du pape est de l’ordre de la foi ; il nous permet d’être avec sécurité dans la vraie foi, parce qu’il a une protection charismatique. On ne lui demande pas plus, il est au service de tout le monde, c’est le serviteur des serviteurs. Certes, j’aimerais qu’un jour les papes écrivent en langage simple, en prenant des exemples, qu’ils sachent le faire comme faisait Jésus, avec ses paraboles. Cependant, cela ne conduirait pas plus de monde à la foi, ce serait simplement une cymbale qui ferait un bruit un peu plus harmonieux ! Si l’Église catholique et sa foi absolument verticale, incompréhensible, comme un conte de fées où Dieu s’est fait homme, fait une reine de sa mère qui devient l’épouse du Saint-Esprit vit, c’est parce que l’Esprit Saint la fait vivre. Il faut garder cela en tête. Ce qui ne nous empêche pas d’en améliorer les instruments.
D. Klanac : Quel serait le langage approprié pour rejoindre la conscience des gens d’aujourd’hui où l’individualisme fait la loi, où la notion du péché n’est plus ce qu’elle était, mais plutôt son contraire ?
A. Dumouch : Le langage approprié, c’est d’abord de faire confiance à Dieu. Et de se réjouir en comprenant que nous sommes ses amis, que nous avons la chance de le connaître, que nous avons reçu la grâce d’avoir été appelés à une foi vivante. C’est aussi comprendre qu’il n’y a pas à s’inquiéter, car Dieu est en train d’agir par son (apparente) inaction.
Certes, ce n’est pas facile. L’Occident est livré à l’angoisse. Il y a beaucoup de suicides, beaucoup de jeunes qui vont mal, les problèmes de dogue qui augmentent ; des vieillards qui ont perdu le sens de leur vie, qui ont gâché leur vie, des couples qui divorcent. Mais tout cela développe la soif d’une réponse. Dieu laissera à son Église d’Occident de connaître le désert, le temps nécessaire à sa conversion. En même temps, cela produit un fruit essentiel dans le Magistère de notre pape, dans sa compréhension du chemin de Dieu : le pape n’a plus soif de pouvoir. Tous ont soif de l’Évangile, de l’action de l’Esprit Saint. Dans ses élites, l’Église comprend de mieux en mieux le mystère de la kénose, c’est-à-dire de l’abaissement de soi. Cela ne plaît pas à certains, c’est vrai, mais cela vient du Saint-Esprit. Et, le moment venu, Dieu reviendra dans les cœurs, soit individuellement par sa grâce, soit dans sa gloire, accompagné des saints et des anges.
Actuellement, nous sommes dans la barque qui donne l’impression de couler. Mais elle ne coulera pas. Et même si un jour la papauté martyrisée disparaît, si l’Eucharistie est supprimée (et cela arrivera, c’est dans les prophéties), il ne faut pas s’inquiéter. On peut souffrir comme la Vierge Marie a souffert, mais la victoire finale aura lieu. On doit rester en paix.
Le langage doit être celui de la vérité, il pourrait s’améliorer en simplicité et c’est à nous, fidèles et théologiens de terrain, de le faire. Il suffit de reprendre les encycliques du pape et plutôt que de les compliquer en montrant leur brillant niveau intellectuel, il faut les simplifier par des exemples. Il faut inventer des histoires pour illustrer ce qui est dogmatique. C’est tout un travail de pédagogie vivante, adaptée à chaque époque, à la sensibilité de chacun, pour toucher un petit nombre de chrétiens. Sur Internet, les forums de théologie se multiplient. D’autres se créent autour d’anciens membres de mon forum.[46] C’est fantastique parce qu’ils le font avec leur charisme propre. On peut être chrétien de droite, de gauche, du centre, ce n’est pas le problème. On ne peut pas évidemment être chrétien et extrémiste dans la haine, que ce soit dans la haine de classes (communisme), dans la haine de race (nazisme) ou de nation.
D. Klanac : La hiérarchie de l’Église est ébranlée par le manque de respect et le doute souvent exprimé envers son autorité. Quelles en sont les vraies raisons ?
A. Dumouch : La hiérarchie, les évêques, les prêtres, les fidèles qui sont en état de critique par rapport au Magistère infaillible – c’est-à-dire le vicaire du Christ quand il enseigne la vérité venant du Christ –, réalise un grand signe des temps. La vie de l’Église ressemble à la vie du Christ. Quand on lit attentivement la vie du Christ, on comprend que c’est aussi l’annonce de ce que vivra l’Église, le pape représentant le Christ et les évêques représentant ses disciples. Les disciples n’ont pas toujours cru en Jésus, ils ont beaucoup douté, ils l’ont critiqué et même l’un d’entre eux l’a trahi. Et bien, on voit chez les évêques, chez les collaborateurs du pape, exactement les mêmes tentations.
D. Klanac : Le doute, les tentations, les critiques ce n’est pas nouveau. On le constate par différents signes que l’Évangile nous donne.
A. Dumouch : Oui, il y a le signe de Pierre, quand l’apôtre a dit à Jésus, qui voulait monter vers Jérusalem pour y être crucifié : cela ne t’arrivera pas, tu es le maître et le Seigneur, tu ne me laveras pas les pieds. Il a préservé jusqu’au bout son attitude de vouloir faire de Jésus un roi glorieux. Le signe de Pierre est réalisé par Mgr Lefebvre, par les intégristes qui disent que l’Église ne peut plus être dans la ligne de l’Évangile, qu’elle doit être glorieuse, qu’elle doit régner sur le monde, qu’il doit y avoir une royauté sociale du Christ, visible, qui doit, par son vicaire, le pape, imposer ses vérités au roi. C’est un signe d’une tentation et Jésus a répondu à Pierre : « Si je ne te lave pas, tu n’as pas de part avec moi. »[47] De même, si les intégristes n’acceptent pas que l’Église s’abaisse maintenant, s’humilie, demande pardon pour son passé, pour ses péchés, et puis soit menée jusqu’à la mort sur la croix, ils n’auront pas de part avec le mystère de son martyr à la fin du monde ; ils ne seront pas là, ils auront perdu la foi.
Il existe aussi chez les évêques le signe de Judas. Je pense que c’est le parti progressiste qui le réalise. Il existe dans l’Église. Il est profondément agacé par le pape et sa fidélité à la vie surnaturelle. De même que Judas a reproché à Jésus d’avoir laissé la femme gaspiller à ses pieds un parfum valant un an de salaire – ce parfum correspondant à la prière, à la vie contemplative –, de même le clergé progressiste lui reproche de se gaspiller dans la contemplation, au lieu de s’occuper des pauvres, de l’action sociale. Ce clergé voudrait identifier l’Église avec une syndicale de type socialiste. Il ne quitte pas l’Église, mais attaque perpétuellement sa pensée. Il voudrait que l’Église se fonde au monde et abandonne son goût pour la vie contemplative et sa morale par rapport à la famille. Est-ce que cela veut dire que cette partie de l’Église trahira et livrera un jour toute l’Église à l’Antéchrist pour qu’elle disparaisse ? Peut-être. C’est même fort possible. On n’en sait rien. C’est dans le secret de Dieu.
Et puis il y a aussi le signe de Jean, avec des prêtres, des moines peu nombreux, des fidèles contemplatifs qui regardent les choses de l’intérieur. Qui comprennent la grandeur de l’Église et qui veulent la suivre, comme ils peuvent. Enfin, il y a le signe de Marie, qui est cette petite église qu’elle se crée actuellement dans ses apparitions, et où elle se donne, où elle donne à Dieu un certain nombre de fidèles qui, profondément, comprennent que l’Église doit passer par un martyr qui emmènera le monde dans la vie éternelle, un martyr qu’ils sont prêts à vivre. Et parmi ces fidèles, il y a ces femmes, ces babouchkas qui, au moment de l’Église du silence, enseignaient malgré tout le catéchisme à leurs petits-enfants. Et bien, on les voit encore, on les voit se développer dans l’Église latine, catholique. Elles seront toujours là, dit Jésus, et jusqu’à la fin du monde quand l’Église n’aura plus de visibilité, il y aura ce petit reste représenté par Marie le jour du Samedi Saint. Tout cela est très important, mais il faut le regarder contemplativement, toujours avec la perspective qu’à la fin il y a le retour du Christ, sa Résurrection, sa victoire, sinon tout est incompréhensible.
D. Klanac : On peut bien sûr se demander pourquoi Dieu fait-il passer l’Église par de telles épreuves ?
A. Dumouch : Parce que personne ne peut entrer dans la vision béatifique, l’Église non plus, s’il n’est tout humble et tout amour. Et pour être tout humble, il faut tout perdre, y compris son honneur, et Jésus s’en est fait le modèle. Si Dieu pouvait faire autrement, si on pouvait avoir la vision de la Trinité avec ses relations de kénose interpersonnelle, c’est-à-dire de petitesse absolue au point d’en avoir le cœur arraché, si cela était possible sans devenir tout humble, Dieu le ferait, Dieu nous éviterait toutes ces épreuves. Mais si on a le moindre orgueil, la moindre certitude d’être quelqu’un de bien, on ne peut pas voir Dieu face-à-face. C’est la clé de toute la théologie, il faut bien l’avoir en tête.
44. Mt 10,16; Lc 10,3. [↩]
45. Ecclesia de Eucharistia, 17 avril 2003. [↩]
46. http://docteurangelique.forumactif.com [↩]
47. Jn 13,8. [↩]
Arnaud Dumouch et Daria Klanac, Un entretien pour notre temps, Montréal, 2012.