Accueil > Bibliothèque > Un entretien… > Tome 3 : La miséricorde de Dieu > Où en est l’Église aujourd’hui ?
Daria Klanac : Peut-on encore parler de l’Église une, sainte, catholique et apostolique ?
Arnaud Dumouch : Plus que jamais, plus que jamais ! Jamais on n’a vu l’Église s’approcher autant de ce mystère : une, sainte, catholique et apostolique. Plus elle devient humble, plus l’Église s’occupe de sa mission qui est l’amour du prochain, et plus elle est identique à la sainteté du Christ. Et elle ne sera jamais davantage une, sainte, catholique et apostolique que le jour où elle connaîtra son martyr final à travers sa papauté. Les gens ricaneront comme à la croix, et se féliciteront, dit l’Apocalypse[48] de la disparition de celle qui leur envoyait de tels fléaux. Il ne restera plus sur les places que les cadavres de l’Église, c’est-à-dire les restes des bâtiments, les cathédrales transformées en musée. Et les gens se réjouiront. Mais dans leur conscience profonde, comme à la croix de Jésus, ils sauront bien que quelqu’un de grand a connu un martyr injuste. Et c’est là, c’est à ce moment-là que l’Église atteindra le sommet de son mystère et que, comme le Christ, elle attirera à elle tous les hommes de bonne volonté. Et quand viendra la victoire finale, il n’y aura plus aucun problème, la moisson sera mûre et la majorité des gens se tourneront vers le mystère du Christ si bien préparé.
Tout de même, au plan théologique, on dit que l’Église est une dans ce sens qu’elle est unifiée par le seul Esprit Saint. Divisée sur terre, elle est une par son âme qui est l’Esprit Saint et qui la mène vers la vie éternelle. Même si elle est divisée entre protestants, catholiques, orthodoxes, Dieu l’a voulu ainsi, sinon nous aurions tendance à trop être orgueilleux avec une puissance sociale trop visible.[49] Mais l’unité profonde est là, dans la mesure où il y a l’Esprit Saint. Évidemment, c’est dans l’Église catholique que se réalise la plénitude de tout ce que Jésus a voulu. L’Église est sainte et c’est un article de foi. Non que cela se voie dans ses membres, puisqu’à l’inverse on voit des membres faire partie du monde et suivre en majorité les idées du monde. L’Église est sainte en ce sens que l’Esprit Saint l’anime, c’est lui qui la mène invisiblement vers la sainteté, c’est-à-dire vers la vie éternelle, y compris par les épreuves qu’il lui impose et qu’il impose à la papauté en ce moment.
L’Église est catholique et ça se voit très fortement dans l’Église romaine parce que c’est la seule qui montre bien que Dieu veut le salut de tout être humain, y compris de ceux qui ne sont pas chrétiens : « Dieu leur présentera son salut par le moyen qu’il connaît. »[50] Catholique signifie universel. Le catholicisme, c’est annoncer le salut à toute personne qui le veut, étant évidemment libre.
Et l’Église est apostolique. Aujourd’hui, on a l’impression qu’elle l’est moins qu’au XIXe siècle parce qu’il n’y a pas de missionnaires qui prêchent dans les nations étrangères. En fait, elle l’est beaucoup plus, par les médias, par la parole du pape, par Jean-Paul II qui a fait de sa mort elle-même un signe pour les personnes âgées, pour qu’ils la vivent de la même façon. Par Benoît XVI, qui est tant attaqué, qui pleure avec les victimes des prêtres pédophiles et les gens voient bien qu’il y a chez lui une souffrance quand il célèbre, notamment le Vendredi Saint, le Samedi Saint. Il ne fait pas de cinéma pour les journalistes, il est simplement marqué par la souffrance. Le Christ avait ce même visage quand il portait sa croix. Extérieurement, on se moque et intérieurement on sent bien qu’il y a quelque chose de profond.
D. Klanac : Depuis 2000 ans, la parole de Jésus n’est pas épuisée, mais on lui connaît cependant des interprétations diverses qui ont provoqué des schismes, des séparations, des querelles… Chacun de son côté évolue dans sa vérité.
A. Dumouch : Je dirais que Dieu laisse faire tant qu’on est sur terre. Tout en laissant, pour ceux qui veulent bien croire, le signe de la vérité dans le charisme de Pierre qu’il a annoncé explicitement plusieurs fois dans l’Écriture. Celui qui ne veut pas croire à ce charisme-là est libre, mais du côté de la vérité, il perd beaucoup. On le voit, par exemple, chez les protestants qui prétendent ne se servir que de l’Écriture seule, mais qui l’interprètent à travers leur pape, Luther, à qui ils font confiance. Luther a bien été obligé de prendre certaines paroles : par exemple, « un juste est sauvé par sa foi »[51], et rendre secondaire d’autres phrases qui semblent dire l’inverse, comme saint Jacques 2, 18 : « Montre-moi ta foi qui n’agit pas » ou « Quand j’aurais la foi jusqu’à renverser les montagnes, si je n’ai pas la charité je ne suis rien. »[52] Luther a fait là œuvre de magistère.
Chez les orthodoxes, on le voit aussi à partir du schisme en 1054, schisme dont nous, catholiques, sommes tout aussi responsables. À partir de cette date, ils ne proclament plus de dogmes. Il ne leur reste que l’opinion des saints docteurs qui parfois se contredisent ; ils n’ont pas la source de l’unité qui peut trancher. L’Église catholique, elle, a tout gardé. Au point de vue de la vérité, c’est fantastique pour celui qui veut croire et je m’en fais le témoin. Avec le Concile Vatican II, on atteint l’avance théologique chez les théologiens fidèles au pape. Chez les théologiens catholiques non fidèles au pape, il n’y a souvent que du vent. Les universités catholiques se contentent d’éditer des tas de livres pour savoir si l’épître de Pierre est bien de saint Pierre. L’un répond oui, l’autre répond non. C’est la mort de la théologie, quand on se coupe de l’une ou l’autre de ses sources que sont le Magistère et les saints canonisés, les saints docteurs.
Cette division ne restera pas toujours, Jésus l’a annoncé : il a d’autres brebis qui ne font pas partie du troupeau. Et ces brebis, il doit aussi les amener dans son enclos pour qu’il n’y ait plus qu’un seul berger, qu’un seul troupeau. Encore une fois, ce qui est passager ne dure pas toujours. Est-ce que, sur terre, l’Église retrouvera son unité ? Peut-être. Peut-être que Dieu la réalisera et s’il la réalise, ce sera au moment où son humilité sera telle que cela sera possible. Il faudra donc qu’elle ait beaucoup souffert, que chacune des confessions chrétiennes ait perdu beaucoup de fidèles, parce qu’il y a pas plus grande souffrance pour une Église apostolique que de perdre des fidèles. C’est un chemin de réflexion douloureuse pour apprendre l’humilité.
Si on ne regarde que ce qui se passe sur terre, c’est une division catastrophique, c’est la destruction de tout. Et si on regarde par la finalité, même la division peut être bénie comme un instrument pour le salut du plus grand nombre.
48. Ap 16,9 : « … loin de se repentir en rendant gloire à Dieu, ils blasphémèrent le nom du Dieu qui détenait en son pouvoir de tels fléaux. » [↩]
49. Cette division vient d’abord des hommes, mais Dieu peut la vouloir, non en elle-même, mais à cause de la perte de puissance à laquelle elle conduit. On voit Dieu agir ainsi à Babel (Genèse 11,9) : « Aussi la nomma-t-on Babel, car c’est là que Yahvé confondit le langage de tous les habitants de la terre et c’est de là qu’il les dispersa sur toute la face de la terre. » [↩]
50. Vatican II, Gaudium et Spes 22, 5. [↩]
51. Romains 3, 28. [↩]
52. 1 Cor 13,2. [↩]
Arnaud Dumouch et Daria Klanac, Un entretien pour notre temps, Montréal, 2012.