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22. Jésus et les femmes

Daria Klanac : Jésus a eu un regard unique sur l’éternel féminin, mieux que quiconque avant et après lui. Il a su aimer les femmes et les respecter, leur donner de l’importance, croire en elles, leur confier des tâches importantes et les traiter d’égal à égal. Les chrétiens n’ont-ils pas manqué trop souvent à son exemple au cours de l’histoire ?

Arnaud Dumouch : Je dirais même plus. J’ai été frappé par une remarque d’Éric Zemmour, un chroniqueur sur France 2, qui disait qu’il y a deux religions paternalistes et une religion féminine. Les deux religions paternalistes sont le judaïsme et l’islam, donc ils font des choses autour de l’autorité, de l’obéissance, etc. La religion maternelle, féminine qui exalte des valeurs comme l’amour, l’humilité, qui fait que des femmes sont présentes à la Croix, qu’elles sont grandes parce qu’elles vivent du mystère du Christ, c’est la religion chrétienne. Une féministe participait à cette émission et elle s’est moquée de lui. Le féminisme actuel n’a d’autre but que de réduire la femme à l’efficacité masculine.

La religion chrétienne est une religion de type féminin. Dieu a certainement son secret dans un cœur féminin. Il faut certes donner plus de place aux femmes dans l’Église, mais dans un monde où tout est centré sur l’efficacité, tant qu’il y aura des femmes contemplatives pour ne pas chercher de manière absolue l’action et l’efficacité, elles seront témoins de l’essentiel. Jésus l’avait dit à Marthe : « C’est Marie qui a choisi la meilleure part ; elle ne lui sera pas enlevée »[62], car elle était là, assise à ses pieds, attentive à ses paroles, tandis que Marthe s’agitait dans de multiples tâches du ménage.

Pour que la femme trouve sa place dans l’Église, il faut des Marthe, ne serait-ce que parce que cela doit montrer au monde que l’efficacité n’est pas du tout opposée au mystère de la contemplation. Mais il devra toujours y avoir, en particulier du côté des femmes, des témoins de l’essentiel, qui est l’amour et l’humilité. Je pense que les femmes sont restées fidèles à cela. Je l’ai vu particulièrement chez les sœurs de Saint-Jean, une communauté qui a un ordre apostolique et un ordre contemplatif. L’ordre apostolique s’occupe de mission, un peu comme Marthe ; l’ordre contemplatif s’occupe de la prière intérieure, la prière du cœur. Alors qu’on aurait tellement besoin d’apôtres, c’est l’ordre contemplatif qui recrute le plus de postulantes. Sans doute parce que sous l’influence de leur fondateur, le père Marie-Dominique Philippe, elles ont compris que ce qui plaît, l’essentiel aux yeux du cœur de Dieu, c’est l’humilité et l’amour, sans aspirer au rôle visible. En même temps, il faut que se développent de plus en plus dans l’Église de vraies responsabilités données aux femmes, il faut des théologiennes pour enseigner la théologie. Je dirais même des femmes curés de paroisse, car il faut savoir que le titre de curé n’est pas lié au sacrement de l’ordre, c’est une juridiction sur une paroisse. Au Moyen Âge, des femmes étaient mère abbesse de monastère d’hommes. Donc, on peut aller très loin dans le rôle dévolu à la femme, du côté de Marthe, rôle que souvent les femmes accomplissent bien mieux que les hommes. Il y a cependant une chose que Jésus veut garder aux seuls hommes, c’est le ministère sacerdotal ordonné, comme symbole de cette complémentarité homme-femme.

D. Klanac : Au cœur du monde, il y a la femme Marie, celle qui a enfanté Jésus-Christ. Depuis Ève, toute cette humanité au féminin ne cesse de se redéfinir, de trouver sa place, de se faire respecter, de réconcilier les obligations familiales avec le travail professionnel. Rester femme de tête et de cœur dans la vie, aussi bien en dedans qu’au dehors, être à la recherche inlassable de l’équilibre autant personnel que social... Quelle est votre compréhension historique, sociale, théologique de la femme depuis Ève en passant par Marie et jusqu’à aujourd’hui ?

A. Dumouch : J’essaye de comprendre le mystère de la femme comme Jésus a dit de le comprendre, à savoir qu’au point de départ, il n’en était pas ainsi. Au commencement, « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa. »[63] Si l’homme et la femme sont à l’image de Dieu, Jésus dit bien il ne faut pas séparer ce que Dieu a uni. Donc les deux ensembles sont image de Dieu et pas un tout seul. Appliqué concrètement, cela veut dire que les rôles de l’homme et de la femme sont égaux en importance et que l’homme et la femme devaient être égaux en droit (et en devoirs). Cependant, les tentatives de mai 68 pour établir qu’il n’y a que le genre humain, qu’homme et femme sont absolument égaux en psychologie, non ! Il y a une complémentarité très souple à l’image de ce que les anciens taoïstes avaient compris. Il y a des femmes qui sont très masculines et des hommes qui sont très féminins, mais il y a complémentarité en général.

Tout au long de l’histoire, avant la venue du Christ, ce sont les valeurs de l’homme du monde et les valeurs de la femme du monde, c’est-à-dire du mondain, qui se sont établies, tel que Dieu l’avait annoncé dans ses malédictions après le péché originel. L’homme est davantage fait « de terre », il est plus intéressé, dans sa psychologie, à l’efficacité et il en a profité pour dominer, écraser, mettre la femme en esclavage. La femme, qui est davantage faite du cœur de l’homme, donc plus sensible, plus attentive aux personnes, en se transformant, a transformé cette sensibilité en convoitise sentimentale. Elle a voulu un homme pour la structurer, pour la rassurer, mais aussi elle a voulu s’imposer à l’homme par son intelligence des relations, elle a voulu dominer ses enfants. Voilà l’homme et la femme déformés.

Depuis mai 68, tout est analysé sous l’exclusif critère de la domination qui est un critère masculin. Les femmes, pour essayer de retrouver leur place, ont voulu s’identifier au rôle premier, celui de l’homme, celui de l’efficacité et elles se sont retrouvées en déséquilibre. L’équilibre, c’est d’avoir un pied dans la vie sociale et un pied dans la vie familiale. La femme qui se coupe de sa vie familiale en croyant se libérer ne fait que se rendre esclave de l’efficacité du monde, sa seule valeur étant la convoitise et le pouvoir qu’elle exerce sur les sens de l’homme. C’est ce qui s’est passé concrètement après la libération sexuelle de mai 68.

D. Klanac : Comment retrouver l’équilibre ?

A. Dumouch : Jésus donne deux modèles complémentaires de la femme qui retrouve sa place. C’est Marthe et Marie, les deux sœurs, celle qui est dans l’efficacité, qui agit, et celle qui est dans la contemplation pure, qui écoute. Jésus ne dénigre pas Marthe qui s’inquiète et s’agite pour bien peu des choses par rapport à Marie. Cela serait faux de le penser. Les deux vocations sont indispensables. Si Marthe n’avait pas servi, le Seigneur n’aurait pas mangé, mais il montre bien que le secret, le mystère, la meilleure part, c’est tout de même le mystère du cœur et c’est de cela que la femme est témoin dans le monde. Même si le monde méprise cette part-là, de l’autre côté on verra que tout est inversé.

La Reine du Ciel et de la Terre est une femme, elle règne sur tous les humains, sur tous les anges, une femme qui a prononcé peut être quatre ou cinq paroles dans l’Évangile : c’est la Vierge Marie. L’autre modèle que donne l’Écriture du mystère de la femme, c’est Marie-Madeleine. Ce sont les deux voies de la sainteté. Marie-Madeleine représente une voie de sainteté qui est adaptée à nous, pauvres pécheurs. J’aime cette tradition qui voit en elle le mystère de la femme dans sa faiblesse. Partant de cela, elle se tourne vers l’amour et elle finit dans la contemplation.

Marie, c’est l’innocence totale, elle n’a jamais péché. Ce qui caractérise sa sainteté, c’est qu’elle est totalement ignorante de ses vertus. Quand l’ange la salue pleine de grâce, elle est toute troublée, elle se demande ce que signifie cette salutation, elle ne voit pas que c’est à elle qu’il parle. Après avoir mis au monde Jésus, alors qu’elle n’a pas commis de péché de convoitise comme nous, elle offre tout de même au temple les colombes pour le péché, ce qui veut dire qu’à ses propres yeux elle est comme les autres. Elle parle de la bassesse de son état de servante. Et plus elle s’est abaissée, plus elle a été exaltée. Ce mystère-là de la femme est absolument rejeté par le monde. Il est méprisé. Ce mystère ultime de la femme qui s’abaisse et qui est Reine au Ciel, ce sont les valeurs de Dieu. Il faut toujours revenir, aussi bien les hommes que les femmes, à la contemplation de ce mystère ultime qui plaît à Dieu et dont les femmes sont sacramentellement témoins par leur sacerdoce royal, qui ne leur permet pas d’aller au sacerdoce ministériel justement pour qu’elles en soient témoins. C’est le mystère de l’intériorité, de l’abaissement de soi qui appelle l’Esprit Saint à fondre sur le monde, car il ne peut résister à une telle femme.

Il y a eu Marthe Robin récemment. Marthe Robin, cette petite paysanne française stigmatisée, qui était dans le coin de sa campagne, qui n’est jamais sortie de son lit et qui a fait naître pratiquement tout le renouveau en France : la communauté Saint-Jean, les sœurs de Bethléem, les Foyers de Charité, etc. Tout simplement parce que sans doute son cœur était totalement femme, tel que Dieu aime et que l’Esprit Saint n’a pas résisté à sa féminité pleine d’humilité et d’amour. Même si ce mystère ultime est méprisé par le monde, moi, je le vois et j’y crois.

D. Klanac : Et n’oublions pas que le prince de ce monde, Satan, s’est toujours attaqué au mystère de la femme en voulant l’écraser !

A. Dumouch : Oui, pour lui, c’est l’ennemi ultime parce qu’elle est plus proche de Dieu par la structure générale de sa psychologie. Je ne parle pas de toutes les femmes, je parle du mystère général de la femme. Je crois même que c’est sur le mystère de la femme qu’il a contemplé au tout début de sa création, que Lucifer a trébuché, parce qu’il a compris très vite que des femmes seraient plus portées à l’humilité et à l’amour que lui.

Par toutes les luttes qu’il a eues contre la femme, la mordant, dit la Bible[64], il a provoqué sans le vouloir la royauté de milliers de saintes qui nous protègent du haut du ciel. Je pense à sainte Blandine, petite servante martyre, Agnès, Cécile, Anastasie, toutes ces saintes romaines que cite le Canon romain et dont la cohorte suivante n’est pas énumérée. Je pense à celles qui ne sont pas canonisées, à toutes les jeunes filles qui sont mortes en couches parce qu’on n’avait rien pour essayer de les sauver et qui firent quand même des enfants courageusement. Il y a quelque chose d’héroïque dans le mystère de la femme, dans tout ce que les femmes ont fait et qui n’a pas été assez manifesté sur terre, mais le sera de l’autre côté.

En comparaison, l’héroïsme des hommes, la guerre, le combat, la défense de la famille c’est une autre forme d’amour, c’est complémentaire. Il ne faut pas le mépriser non plus, mais ce n’est pas supérieur à l’héroïsme des femmes. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime, donc beaucoup de soldats ont donné leur vie pour sauver leur famille. Dans le cas de guerre d’agression, on fait un grand acte d’amour, mais on oublie trop souvent d’exalter les femmes qui ont donné leur vie pour donner la vie. La finalité est meilleure, il n’y a pas de sang. Je crois que c’est une autre façon d’aimer qui plaît davantage à Dieu.

Je pense que les hommes, tout en restant homme, tout en gardant les qualités que Dieu leur a données – efficacité, travail, fierté quand sa famille ne manque de rien –, doivent, en regardant le sacerdoce royal des femmes, acquérir ses qualités féminines. Je pense que les hommes le font assez bien depuis mai 68. Parfois ils le font tout de même en niant leur masculinité et c’est un grave défaut, un homme doit rester un homme. Un enfant qui n’a que le côté maternel, qui n’a pas le père qu’on admire dans son rôle d’autorité, cet enfant ne se structure pas. Les hommes doivent garder leur rôle complémentaire avec celui de la femme. Cependant, à la contemplation du mystère de la femme, il faut qu’ils acquièrent cette dimension qui leur est aussi indispensable.

 

62. Lc 10,42. [↩]

63. Gn 1,27. [↩]

64. Gn 3,15. [↩]

Arnaud Dumouch et Daria Klanac, Un entretien pour notre temps, Montréal, 2012.

 

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