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Daria Klanac : Au début de ce troisième millénaire, la globalisation d’un côté et le pluralisme de l’autre cherchent à restaurer le paradis terrestre sans Dieu. Cependant, la spiritualité est présente dans tous les domaines de la vie. D’où vient cet engouement pour le spirituel, recherché surtout en dehors de toutes les religions ?
Arnaud Dumouch : Il vient du fait que l’homme possède quatre degrés concrets pour son bonheur.
Il y a le degré corporel. On est heureux à ce niveau quand on est en bonne santé, qu’on a du plaisir.
Il y a le degré psychologique. C’est déjà plus profond. On est heureux psychologiquement quand on éprouve des sentiments équilibrés de valorisation, de sécurité, d’autonomie. On est bien dans son présent, son passé, son futur. C’est ce que recherchent les adolescents.
Il y a le degré moral. Le bonheur moral, c’est quand on a réussi sa famille, un mari fidèle, une femme fidèle, des enfants en bonne santé et bien élevés, des parents présents, des amis qui nous entourent. Aristote déjà le décrivait bien. Aristote avait toujours dit que le bonheur ce n’est pas seulement l’amitié : il faut la contemplation de l’être premier. Saint Augustin est allé plus loin en montrant dans ses Confessions qu’il y avait un quatrième degré du bonheur.
Ce quatrième degré du bonheur, il l’explique ainsi : « Avant de te connaître, toi Dieu, je t’ai aimé. Je ne te connaissais pas encore, mais mon cœur n’était que dans la souffrance, tant qu’il ne t’avait pas connu. » Ce quatrième degré, c’est le degré mystique, mystérieux. Cela veut dire que quand un homme a tout au niveau des trois autres degrés, la santé, un équilibre psychologique, une femme fidèle, des enfants en bonne santé, une maison, un travail, et bien il peut être malheureux. Un animal quand il a tout, il est bien chaque jour dans son présent.
L’être humain n’est pas comme cela. La vie est longue, aussi au bout de 10, 20 ans, surtout quand on a sa maison très tôt, qu’on a tout construit dans sa vie, on n’a plus de sens. Le quatrième degré se réveille et se traduit par une angoisse au fond du cœur. Alors, on cherche partout, on va chez des psychiatres qui analysent les causes. Cela viendrait-il du corps ? Médicaments. Cela viendrait-il d’une psychologie mal établie dans la petite enfance ? Psychanalyse. Cela viendrait-il d’une cause objective, de son couple qui vient de craquer ? Inscription à des rencontres d’écoute concrète. Et très rarement, la cause numéro quatre est analysée. Et s’ils l’analysent, c’est à la mode actuelle en Occident, en détournant les gens du Christ : « Voyons ! C’est une chose puérile et l’Église catholique a fait tant de mal ! » Donc, on se tourne vers des eaux qui ne comblent pas la soif. Le bouddhisme, par exemple, qui a un avantage énorme pour l’Occident : pas de dogmes, juste une technique pour acquérir une sorte de réponse paisible en supprimant ses propres sentiments. On se connaît en voyageant en soi-même, mais dans le bouddhisme, il n’y a personne, il n’y a pas de Dieu, il n’y a pas d’amour d’amitié. Et si ça marche bien un temps, cela laisse le cœur vide. Cela permet de régler (temporairement) les symptômes des angoisses. On se concentre, on médite et on souffre moins.
L’eau qui désaltère, qui permet de ne plus avoir soif, c’est le Dieu de Jésus Christ connu comme un ami, vécu dans la charité, dans une oraison du cœur présente dans sa vie. Mais cela, les Occidentaux n’en veulent pas. Alors Dieu s’efface. Il a fait pour ce monde les lois de telle façon qu’un jour, comme pour la fiancée qu’Osée[61] avait conduite au désert et à qui il avait retiré tous ses biens parce qu’elle était infidèle, il lui rendra ses vignes. Un jour, on se rend compte qu’on a soif.
L’humanisme actuel, quoi qu’on fasse, ne pourra jamais supprimer la soif de religieux qui fait partie de l’essence de la nature humaine. On ne peut pas changer le cœur humain qui cherche à savoir ce qu’il fait sur terre et ce qu’il y a après la mort. Si le monde continue longtemps dans cette direction, il faut prévoir que la génération de mai 68, qui a fait une rupture en Occident par rapport à la religion, prépare certainement à un renouveau énorme, profond, jamais vu, de la religion chrétienne : la génération suivante, si elle redécouvre ses racines, si elle ne va pas seulement vers ce qui est passager, a des chances de s’en sortir. L’Occident a besoin de réponses plus profondes, touchant le fond même de son intelligence, sur ce qu’il fait sur terre. S’il redécouvre la profondeur de la théologie chrétienne, il risque d’aller très loin dans le renouveau. Tout dépend de là où nous sommes rendus dans l’histoire de l’humanité. Si c’est la fin des fins, cela se terminera par le retour du Christ. De toute façon, c’est le renouveau le plus merveilleux qu’on puisse imaginer.
61. Os 2,14-15. [↩]
Arnaud Dumouch et Daria Klanac, Un entretien pour notre temps, Montréal, 2012.