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9. Adaptation au monde moderne

Daria Klanac : Pour dire les vérités évangéliques de la foi, quel langage utilisez-vous afin qu’il soit adapté à la mentalité moderne ?

Arnaud Dumouch : Il faut savoir que quelle que soit la manière dont on parlera, si l’Esprit Saint ne vient pas, les gens ne croiront pas. Donc, cela dépend de l’Esprit Saint. Il ne faut pas faire une fixation sur la manière de parler.

Sur le site eschatologie.free.fr qui parle de la vie après la mort, j’ai utilisé toutes les méthodes possibles, tous les langages. Premièrement une thèse de 650 pages que personne ne lit, mais qui est indispensable parce que sinon je me serais fait rejeté par mes confrères théologiens. Elle est précise, rationnelle, elle analyse point par point, avec les méthodes thomistes, les degrés de la vie, ce qui se passe à l’heure de la mort, qu’est-ce que la mort, que devient l’âme, etc. Saint Thomas d’Aquin, quand il a écrit sa Somme théologique disait que c’était destiné aux débutants. Ma thèse est pour les débutants parce qu’il y a mieux.

Ma deuxième manière de parler, dans un langage vulgarisé, mais adapté à notre milieu plutôt cultivé, se trouve dans les livres A l’heure de la mort et La fin du monde. Ils sont sur Internet, disponibles librement, mais ils existent aussi en édition papier. Je pense que tout le monde peut les lire, parce qu’il n’y a pas seulement de la doctrine, mais aussi des histoires ; on passe d’un contenu intellectuel à une histoire illustrative, un peu comme Jésus faisait quand il utilisait des paraboles. C’est ce qui parle le plus à l’homme. Depuis toujours, il faut de l’imaginaire et du contenu intellectuel.

Dans la troisième méthode, j’ai tout écrit sous forme de conte adapté à des grands enfants et quelquefois à des petits enfants. Des histoires concrètes qui illustrent à peu près tous les cas possibles. Le destin d’une maman qui a avorté, le destin d’un bébé qui a été avorté, le destin d’un monsieur qui choisit l’enfer, le destin d’un homme qui remplit ses greniers de blé en pensant que plus rien ne peut lui arriver et qui meurt le soir même, le purgatoire de cet homme, etc. Tous les cas sont abordés, y compris sur la fin du monde. Et puis le jour où l’Esprit Saint voudra bien souffler, cela produira ses fruits, mais pour le moment ce n’est que cymbale retentissante… Comme disait Jeanne d’Arc, Dieu donne la victoire et c’est à nous de combattre sur le terrain.

D. Klanac : Qui est notre référence et notre appui pour saisir la vérité ?

A. Dumouch : La vérité en théologie catholique, c’est le Christ lui-même. Le sommet, la perfection du théologien. Cette théologie mystique qui ne s’exprime pas par des mots. Cette science du cœur, c’est la fréquentation du Christ. Quand on contemple le Christ, mais aussi la Vierge Marie et les saints, on va plus loin dans la théologie. La vérité nous sera manifestée d’abord à l’heure de la mort de la manière la plus profonde quand nous verrons face à face l’humanité sainte et glorieuse du Christ accompagnée de nos frères du paradis. Alors, d’un simple regard en voyant le Sacré-Cœur de Jésus, c’est-à-dire en voyant son corps qui ne laisse aucun obstacle à l’expression de son âme, nous comprendrons l’Évangile. Mais ce n’est pas tout. Il y aura mieux encore ! On la verra face-à-face, cette vérité, quand on entrera dans la vision béatifique et qu’on verra la divinité du Christ directement. L’éternité ne sera pas assez longue pour en faire le tour. C’est pour cela que le paradis est éternel.

D. Klanac : Est-ce que la vérité évolue à travers les époques ?

A. Dumouch : Non, la vérité n’évolue pas, seule la manière de la présenter peut évoluer, ainsi que la soif des hommes à qui on l’enseigne. Quand les hommes sont habitués depuis leur enfance à être gavés de la merveille qui est la vérité, ils finissent par la mépriser. C’est ce qui s’est passé avec la génération mai 68. Elle a été saturée de paroles de sainteté transmises par les aînés. La génération suivante, à qui on n’enseigne plus du tout la vérité, est comme un cœur vide et donc il est probable que quand cela lui sera proposé par l’Esprit Saint, elle l’adorera. Cela se fera au moment que Dieu décidera.

Il faut regarder avec sympathie, mais sans illusions, tous les efforts faits par nos pasteurs, évêques qui ne comprennent pas pourquoi les gens n’accrochent plus depuis 40 ans avec la vérité qu’est le Christ et qui, en vain, de réunions en réunions, essayent de changer leur filet de pêcheurs d’hommes. Les efforts sont très bons, très humains, mais ils ne peuvent pas produire des fruits, car c’est l’Esprit Saint qui décide d’agir et quand il le fera, ils seront alors des milliers à retourner à la foi. Nos évêques oublient trop souvent que seul Dieu donne la foi et il la donne à qui il veut, quand il veut pour le plus grand salut final. Quand il refuse à une génération la foi pendant quelque temps, c’est pour la conduire au désert, c’est pour son salut final.

D. Klanac : L’Église manque-t-elle le rendez-vous avec le monde en ce moment présent de l’histoire à cause de son discours impopulaire ?

A. Dumouch : Je dirais qu’il y a deux façons de regarder les choses : soit avec l’espoir, soit avec l’espérance théologale. Dans le cas de l’espoir, effectivement on ne peut être que désespéré. D’un côté, il y a le ton ecclésiastique qui ne correspond plus à l’époque, qui est trop intellectuel et rend les discours impopulaires. Et de l’autre côté, il y a les médisances des médias. Depuis presque cent cinquante ans, le message de l’Église est sali, tordu, déformé par les médias et cela à chaque génération. Ce n’est pas nouveau. Quand le pape Léon XIII a condamné le communisme, les médias de Droite ont accusé les propos d’un « pape rouge » et ceux de Gauche ont parlé de « paternalisme chrétien ». Quand le pape Benoît XV a condamné la guerre de 14, les Français l’ont accusé d’être un pape boche et les Allemands d’être « un pape français ». Quand le pape Pie XI, avec l’aide de son secrétaire d’État le futur pape Pie XII, a condamné à la fois le nazisme et le communisme par deux Encycliques solennelles, très peu ont écouté. On a dit : « Oui-oui, tout ça, c’est des paroles du haut du Vatican ! » et du coup on a vu beaucoup de chrétiens soit se donner au communisme pour combattre le nazisme, soit se donner au nazisme pour combattre le communisme. Quand Jean-Paul II condamne l’avortement, on déforme son discours en disant que c’est un pape liberticide. Il a même été question de lui faire un procès. Quand il parlait aux Africains de la fidélité qui était la meilleure prévention au sida, on lui a fait un procès pour crime contre l’humanité parce qu’il n’avait pas parlé du préservatif. Et pourtant les médias français ont affirmé : « Le pape a condamné le préservatif », alors qu’il n’avait jamais parlé du préservatif, mais de la fidélité. Quand le pape Benoît XVI a dit que le préservatif n’était pas, à long terme, une prévention du sida, mais qu’il fallait encourager la chasteté et une sexualité contrôlée, il était en avion et n’a pas davantage développé ses propos. Les médias se sont bien gardés d’analyser les explications qui ont été données. On a préféré la polémique, on a déformé le message en disant que le pape avait condamné le préservatif. Et toutes ces contre-vérités restent présentes dans l’esprit des gens. Là réside le problème des gens qui croient en l’idéologie du temps et y adhèrent.

D. Klanac : Cependant, il y a un deuxième regard.

A. Dumouch : Oui, c’est le regard de l’espérance théologale bien plus profond. L’espérance théologale sait que le temps présent n’est que la première marche d’un long escalier qui mène jusqu’à la mort, et continue après la mort. Pour comprendre ce regard, il suffit de se tourner vers la contemplation du Christ qui en a donné le modèle. Quand Jésus monte sur un âne vers Jérusalem, qu’il est acclamé par une foule et que la même foule ricane de lui quelques jours plus tard, on peut dire que là, au point de vue de l’espoir, c’est fini. Seulement, au point de vue de l’espérance théologale, que seule Marie a gardé et les quelques femmes qui étaient avec elle, c’était l’inverse : Jésus est alors en train de vaincre le démon. Ce n’est pas celui qui rit dans l’instant présent qui gagne, c’est celui qui rit éternellement, qui se réjouit du salut de Dieu, éternellement. Tous ces gens ont ri en passant au pied de la croix et les voilà 40 ans plus tard, à l’heure de la mort ; ils ne ricanent plus, ils voient apparaître le Christ, qui est là, sans haine, mais avec la vengeance de l’amour, en proposant le pardon. Tout genou fléchira devant lui, dit la Bible.[28]

Le regard de l’aigle va beaucoup plus loin que le temps de la terre. Dieu laisse faire. L’essentiel, c’est que la victoire finale, chacun la verra. Ici ou de l’autre côté.

 

28. Es 45,23 et Rm 14,11. [↩]

Arnaud Dumouch et Daria Klanac, Un entretien pour notre temps, Montréal, 2012.

 

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