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19. Le fils du Père

Daria Klanac : Jésus, en tant qu’homme, était écouté et admiré. On le prend pour un grand prophète, or quand il dit parler au nom de Dieu en tant que son Fils, il scandalise. Pourtant, il a fait l’impossible pour prouver qu’il était véritablement le Fils du Père.

Arnaud Dumouch : Il faut comprendre la réaction des juifs. C’est vrai que toute la loi de Moïse consiste à manifester la transcendance infinie de Dieu, Yahvé, Je Suis. Beaucoup de musulmans disent que Jésus n’a jamais dit qu’il était Dieu. Ils se trompent, ils ne regardent pas d’assez près les textes des Évangiles. Jésus le dit de la manière la plus forte qui soit : « En vérité, en vérité, je vous le dis : avant qu’Abraham existât, Je Suis. » Les juifs sont scandalisés. Alors, ils prennent des pierres pour les lui jeter. Pour eux, c’est un blasphème parce que Dieu ne peut pas avoir un corps humain, mais ils étaient en droit de demander des miracles pour que cet homme-là prouve sa mission. Les juifs avaient demandé à Jésus des miracles et quand ils eurent obtenu des miracles indubitables, ils continuèrent d’en demander, encore et encore. Jésus, qui est Dieu, voyait leur intention qui n’était pas du tout de chercher la vérité, mais de le piéger, car ils avaient décidé qu’il mentait. Je suis théologien comme eux, aussi si quelqu’un, objectivement, en condition parfaite de sécurité, ressuscitait un mort et bien, cette personne-là je la suivrais partout où elle va, parce qu’un mort, mort depuis plusieurs mois qui ressuscite, seul Dieu peut le faire.

D. Klanac : Pourquoi le message n’a- t-il pas passé ?

A. Dumouch : Le message que Jésus est venu révéler en se faisant homme, en acceptant de mourir sur la croix, était déstabilisant pour des intelligences juives de l’époque, sauf pour quelques-uns qui avaient lu plus profondément les textes.

Et je peux dire qu’aujourd’hui cela recommence. L’Église, pour la première fois dans son catéchisme, annonce qu’elle va vivre le même mystère que le Christ.[25] Or on voit se réaliser exactement la même chose qu’à l’époque de Jésus : tout un courant extrêmement fervent, qui aime l’Église et pourtant refuse d’accepter cela. Tout ce courant se met à espérer, partout en France, la venue d’un grand monarque qui va restaurer les choses comme avant : une Église glorieuse. C’est une forme de théologie de la royauté sociale du Christ qui réinstaurerait un pouvoir politique de l’Église, afin d’imposer à nouveau l’Évangile pour que les gens soient sauvés. Selon eux, le Concile Vatican II est hérétique puisque qu’il proclame la liberté religieuse comme une vérité de foi, alors que les papes du XIXe siècle condamnaient la liberté religieuse. On leur répond que les papes du XIXe siècle condamnaient pastoralement la liberté religieuse, parce qu’à leur époque, dans la crainte de la voir dévier, il ne leur semblait pas politiquement intelligent de donner la liberté au peuple.

D. Klanac : Le Concile Vatican II a donc vu plus grand !

A. Dumouch : Le Concile Vatican II n’est pas dans la même dimension : il dit que Dieu a créé l’homme libre, que cela fait partie de la dimension essentielle de la nature humaine, au point que Dieu permet que certains se damnent librement pour l’éternité. On voit d’autres courants, comme ceux de Monseigneur Lefevbre, qui arrivent à sortir de cette contradiction en disant que Vatican II n’est qu’un concile pastoral ; d’ailleurs, selon eux, Jean XXIII et Paul VI avaient dit qu’il n’y aucun dogme dans Vatican II. On leur soumet alors quelques textes visiblement dogmatiques, comme Gaudium et Spes.[26] Mais ils n’arrivent pas à comprendre le mystère de la kénose de l’Église et n’acceptent pas sa petitesse annoncée.

On trouve de tout dans ces mouvements pour se débarrasser de la possibilité que l’Église puisse, elle qui est la Sainte-Alliance de Dieu, ne plus être Reine de la terre comme les rois de jadis, et puisse, dans une agonie lente, perdre son pouvoir, devenir de plus en plus humble, de moins en moins écoutée, comme le Christ. Les apôtres ont réagi exactement de la même façon. Et les juifs, voyant Jésus crucifié, avaient la preuve définitive que ce ne pouvait pas être Dieu fait homme et ils riaient : « Il en a sauvé d’autres et il ne peut se sauver lui même ! Si tu es le roi des juifs, sauve-toi toi-même ! Il est roi d’Israël : qu’il descende maintenant de la croix et nous croirons en lui ! »[27]

Pourquoi ne peuvent-ils comprendre le mystère de la kénose de l’Église ? Simplement parce que la dimension de Dieu est bien plus profonde que le cœur de l’homme. La nature de l’homme, c’est l’espoir, c’est attendre une Église qui va grandir sur terre. C’est dans notre dimension, on est des êtres politiques. La dimension de Jésus, c’est l’espérance, c’est-à-dire qu’on passe par une destruction totale de sa vie, de son être, en vue, dans l’autre monde, d’une résurrection bien plus grande, définitive, immense, éternelle. Les intégristes d’aujourd’hui et les juifs du temps de Jésus vivaient d’espoir ; ils attendaient un Messie militaire, quelque chose de carré qui corresponde à notre nature. Les intégristes attendent une Église puissante avec une royauté sociale sur le monde, qui peut déposer de nouveau les rois. Et bien non ! Dieu est au-delà de cela. Dieu annonce une victoire éternelle, dans l’autre monde, à travers une kénose, une disparition de tout ce qui vit sur terre. Un par un, nous mourrons.

D. Klanac : Jésus a parlé en paraboles, il s’est exprimé le plus simplement, le plus concrètement et le plus clairement possible en allant droit au but.

A. Dumouch : Pour expliquer l’Évangile, il ne faut pas utiliser un langage trop scientifique, aussi rien ne vaut une comparaison bien simple. Pour comprendre à quel point cela reste vrai, voyons comment expliquer que la vie ne peut pas apparaître par hasard.

L’ADN contient des milliards et des milliards de bases codantes une à une et qui ressemblent à un logiciel informatique. C’est le plus simple des microbes, un logiciel si précis que si on le mettait dans des livres de la taille de l’Encyclopedia Universalis, il remplirait cinq mètres de rayonnage. Comme nous n’allons pas étudier ces cinq mètres de littérature scientifique, voici la même chose dite en langage que tout le monde peut comprendre : imaginons que je veuille construire une immense cathédrale aussi haute que Notre-Dame de Paris, en utilisant des milliards de cartes à jouer. Je les lance en l’air autant de fois que je le veux, pendant des milliards d’années, jusqu’à ce que j’obtienne par hasard la cathédrale. Combien de chances ai-je d’obtenir la cathédrale avec ses arcades, ses voûtes cintrées, etc. N’importe quel enfant dira : aucune ! Parce que, même si par hasard les cartes s’agençaient correctement, leur poids serait tellement lourd que tout s’écroulerait. Alors, comment faire une cathédrale de cartes ?

C’est simple, il faut une intelligence qui, étape par étape, avec de la colle extra-forte, peut-être avec du béton pour éviter les coups de vent, érigera la cathédrale jusqu’à sa flèche. Voilà comment expliquer, de manière très simple, que pour fabriquer l’ADN de la première bactérie apparue sur terre, il a fallu une intelligence.

Jésus avait un discours simple. Il était au sommet de la pédagogie et de la théologie. C’est pourquoi saint Thomas, quand il écrit sa Somme théologique, qui est extrêmement scientifique, dit qu’elle est pour les débutants. J’avais dit cela une fois à un grand professeur qui m’avait répondu que saint Thomas voulait dire par là qu’on peut pousser encore plus loin la complication, les dissensions. Je pense que Jésus, par son enseignement, voulait dire que nous, les grands savants, nous sommes des débutants en théologie et que nous avons besoin de grandes constructions intellectuelles, alors que celui qui a atteint le sommet de la contemplation comprend les choses par des comparaisons et, en regardant les oiseaux, il découvre l’existence du Créateur. Mon professeur et moi ne parlons pas de la même science : lui pense à la science rationnelle, et moi je pense à la science des saints. En tous les cas, l’une et l’autre s’appellent théologie.

 

25. Catéchisme de l’Église catholique no 675 à 677. [↩]

26. GS, 22.5 : Et cela ne vaut pas seulement pour ceux qui croient au Christ, mais bien pour tous les hommes de bonne volonté, dans le cœur desquels, invisiblement, agit la grâce. En effet, puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l’Esprit Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal. [↩]

27. Mc 15,31; Lc 23,37; Mt 27,40-42. [↩]

Arnaud Dumouch et Daria Klanac, Un entretien pour notre temps, Montréal, 2012.

 

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