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8. Le don de la foi

Daria Klanac : La foi reste quelque chose de très mystérieux. Elle est considérée comme une grâce qui ne serait pas donnée à tout le monde. Cependant, on peut la refuser.

Arnaud Dumouch : Oui, la foi ne peut être donnée que par Dieu. Certes, la foi peut être transmise par nos parents, on le voit bien chez les petits enfants qui croient parce que leur maman croit. Cependant, la foi d’un petit enfant n’est pas une foi théologale. Il croit parce que sa maman le lui a dit. Il arrive bien sûr que des petits enfants qui prient avec leur maman ressentent cette présence de Dieu et une vraie foi théologale. Cependant, cette présence de Dieu dans leur cœur, très douce ou très forte et qu’on appelle le Saint-Esprit, l’enfant peut au moment de l’adolescence la mettre en doute en se demandant si elle n’est pas née de son imaginaire de petit enfant ou si ce n’étaient pas des rêves. C’est dans ce sens-là qu’on peut refuser la foi. C’est-à-dire qu’en analysant la source qui brûlait au fond du cœur, on peut très bien se dire que cela vient de sa psychologie ou de l’influence de ses parents et pas de l’Esprit-Saint. Évidemment, si l’Esprit-Saint décidait de donner une grâce de sa présence beaucoup plus forte qu’un simple souffle léger, comme disait le prophète Élie, alors tout le monde recevrait la foi, on ne pourrait pas la refuser. Par contre, on pourrait refuser la charité en disant : « Je crois, il y a un Créateur, c’est Jésus-Christ, il s’est fait homme, mais je refuse son message, ce message d’amour et d’humilité ne me plaît pas. Moi, je préfère ma liberté. »

Sur terre, Dieu propose sa foi très discrètement de manière à ce qu’on puisse la refuser, ceci non pas pour respecter notre liberté, mais parce que le chemin de l’absence de la foi est un chemin qui peut disposer le cœur au salut.

Je m’explique : j’ai reçu la foi très jeune, vers 13 ans, ce qui m’a permis de comparer avec ma vie sans foi. Une vie vide de sens, errante, consacrée à courir après les biens matériels, puis une vie qui, en une seconde, prend sens grâce à un signe venant de la Sainte Vierge. Le Seigneur devait vraiment avoir envie que j’aie la foi parce que sa présence a été brûlante et douce à la fois. Pendant près de 10 ans, il ne m’a pas lâché. Je me rappelle que c’était après un vol que j’avais commis et pour lequel je devais être jugé. J’avais dit : « Et bien maintenant, la foi, je laisse tomber puisque je n’ai plus peur d’aller en prison », mais Dieu m’a encore rattrapé en envoyant ce qu’on appelle un signe, c’est-à-dire quelque chose d’extérieur dont on est seul témoin, qu’on est sûr d’avoir vécu, une sorte de voix. J’étais en vélo, je me rendais à l’école, la voix m’a dit : « Tu n’as pas le droit de lâcher. » J’ai obéi, j’ai continué de prier.

À la plupart des gens, Dieu ne donne pas des grâces aussi fortes, il les donne à petites doses. Alors, quelle différence y a-t-il entre eux et moi ?

Me voilà trente ans plus tard. Il se pourrait qu’étant parfaitement heureux et sans angoisses, parce que celui qui a la foi a l’espérance, j’arrive à l’heure de la mort en étant un habitué de la foi, pas très assoiffé puisque j’ai toujours eu de l’eau. Prenons une personne qui n’aurait jamais reçu la foi. Elle vit une vie impossible, subit le divorce de ses parents, tombe dans la délinquance, se détruit peu à peu. Et soudainement, à l’heure de la mort, elle voit apparaître la grande lumière du Christ, accompagné des saints et des anges et il lui est proposé de croire au Messie. Il se peut que cette personne soit au Ciel beaucoup plus sainte que moi, parce qu’elle a beaucoup plus aimé. Ce qui compte pour Dieu, ce n’est pas le chemin, mais son terme.

Dieu sait ce qu’il fait, il faut lui faire confiance. Dieu, dit saint Paul, a ses manières de donner la foi en cette vie.

D. Klanac : Quelles sont ces manières ?

A. Dumouch : Habituellement, pour nous qui sommes sur Terre, Dieu donne la foi par trois méthodes : les signes, les miracles et l’Esprit-Saint.

Les signes sont donc des faits subjectifs vécus seulement par soi-même. Quand nous les racontons aux autres, ils peuvent en rire puisqu’ils ne les ont pas vécus. Mais nous, nous savons que c’est vrai. J’ai eu dans ma famille quelques exemples de ce genre et ils n’ont pas toujours produit leurs fruits. Je me rappelle que mon père, qui est un vétérinaire scientifique, a eu un signe qu’il nous racontait tout le temps.

C’était en 1945. Il avait dix ans et ses parents l’avaient éloigné de Paris pour sa sécurité. Il avait une grande tante qui n’avait jamais eu d’enfant et qui l’aimait beaucoup. Alors qu’il était réfugié, il a rêvé d’elle, très nettement. Elle lui disait : « François, tu ne me croiras pas, je suis morte, mais je suis vivante, je regarde mon enterrement. » Et dans son rêve, il a assisté à cet enterrement. Elle était obèse cette tante-là. Il a vu des croquemorts en chapeau haut de forme qui versaient une poudre rose dans le cercueil. Après la guerre, quand il s’est renseigné, il a appris qu’on mettait toujours du sel pour les personnes obèses à cause de l’hygiène. Je disais donc à mon père : « Mais tu crois bien que c’est ta tante qui t’a donné des signes ! Donc, elle est vivante, cela signifie qu’il y a une vie après la mort. » Il me répondait : « Oh, c’est une histoire de curé, je n’y crois pas du tout, je n’ai pas le temps de penser à la mort de toute façon. »

Le signe peut donner la foi, mais on peut refuser ce qu’il implique, parce qu’on est léger, qu’on a d’autres occupations ou que c’est trop vertical. La deuxième méthode ce sont les miracles. On distingue les miracles des prodiges par le fait que seul Dieu peut faire des miracles ; ils impliquent donc une toute-puissance infinie. Dans l’Écriture sainte, il y a la résurrection de Lazare. Pour ressusciter un mort au bout de plusieurs jours, alors que le cerveau est complètement dégradé, il faut la toute-puissance de Dieu. Un prodige par contre peut être réalisé par une puissance qui n’est pas infinie, une puissance naturelle, par exemple le psychisme humain, les anges ou les démons.

Jésus a fait des miracles, de vrais miracles et pourtant les théologiens de son époque, qui savaient distinguer là où la puissance infinie est nécessaire et là où elle ne l’est pas, décidèrent de le tuer après l’avoir vu ressusciter Lazare. Pour donner la foi, Dieu donne des miracles et il continue de les donner.

La troisième méthode par laquelle Dieu donne la foi est la plus efficace. Je dirais même qu’il est difficile d’y résister. C’est l’Esprit Saint, qui n’est rien d’autre qu’une présence de Dieu, ou douce ou brûlante, dans son cœur. Difficile de le décrire si on ne l’a pas vécu. Cela ressemble un peu à ce qu’on éprouve quand on est amoureux d’une jeune fille, sauf que la jeune fille est à l’extérieur de soi, alors que là, c’est un être infini qui est à l’intérieur de soi et qui est plein de tendresse. C’est étonnant. Je l’ai vécu vers l’âge de treize ans. L’église de Notre-Dame des Miracles à Rennes abrite une statue d’une Vierge très ancienne, mais vénérée par les Bretons parce qu’elle aurait sauvé la ville d’une invasion anglaise pendant la Guerre de Cent Ans. Je venais de commettre un vol et, pressé de récupérer mon vélo, j’ai traversé l’église, non pour retrouver la foi, mais parce que c’était un raccourci pour récupérer mon vélo ! En passant devant la statue, j’ai senti cette présence douce et forte de la Vierge, sans rien voir bouger, sans un signe. Juste une présence. Cela a été tellement fort que tout de suite je me suis remis à aller à la messe.

Je pense qu’il est difficile de résister dans un premier temps à l’Esprit Saint lorsqu’il vient de manière violente comme ce que j’ai vécu. On peut par contre et par la suite, par négligence ou paresse, laisser filer les choses, ne pas entretenir la prière, se mettre devant la télé, oublier. C’est la fameuse histoire du grain tombé dans une mauvaise terre, qui lève puis se dessèche rapidement.

C’est ce que Jésus raconte dans sa parabole sur le semeur.[7] Certains grains sont tombés sur le bord du chemin. Quand Dieu veut donner la foi à quelqu’un – et je l’ai expérimenté –, je crois qu’il est difficile d’y résister. Si j’y résistais actuellement, ce serait davantage un refus d’aimer qu’un refus de croire. Un refus d’aimer serait à ce moment-là sans doute un péché contre l’Esprit Saint, parce que je refuserais consciemment le fait que Dieu existe.

 

7. Mt 13,3 et ss ; Lc 8,5 et ss. [↩]

Arnaud Dumouch et Daria Klanac, Un entretien pour notre temps, Montréal, 2012.

 

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