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9. La polémique entourant les Évangiles

Daria Klanac : Les récits de la vie de Jésus nous ont été transmis par les Évangiles. Autour de ces écrits, il y a polémique. Ils n’ont pas été écrits en même temps ni par la même personne.

Arnaud Dumouch : Pour les Évangiles et tout l’Ancien Testament, il y a de vrais auteurs humains qui écrivent avec leur intelligence personnelle. Ils écrivent selon la mentalité de leur époque, avec leur talent d’écrivain. Dieu respecte cela, mais Il se glisse dans leur intelligence, dans leur cœur, pour qu’ils n’écrivent que l’essentiel de ce qu’il veut dire à propos du salut.

Comme je le disais, il y a plein d’imprécisions sur les lieux et la chronologie, sauf pour le récit la mort de Jésus. Même s’il faut bien les quatre Évangiles pour reconstituer l’ensemble des faits, les évangélistes ont été vraiment précis parce que cela les a profondément traumatisés. Certes, beaucoup de choses ont été oubliées et d’ailleurs l’écriture le reconnaît : s’il avait fallu écrire tout ce qu’a vécu Jésus, il faudrait une bibliothèque que le monde ne pourrait pas contenir.[8]

Les quatre Évangiles sont des œuvres écrites par des hommes inspirés par l’Esprit Saint. Ils n’ont pas été dictés, ce qui veut dire que dans des détails d’histoire et de chronologie, il y a quelques petites erreurs, peut-être des oublis sur les généalogies de Jésus, mais ce n’est pas le problème. Là où c’est infaillible, c’est sur le message précis. Est-ce que Jésus a prononcé telles paroles exactement de cette manière-là ? Non, puisqu’avant tout ce sont des traductions. Nous n’avons que les textes en grec et Jésus a prononcé ces paroles en araméen ou en hébreu. D’ailleurs, on le voit dans l’Évangile de Marc, les hébraïsmes sont nombreux et c’est visiblement une traduction d’un manuscrit plus ancien qui était en hébreu ou en araméen. On en voit même dans l’Évangile de Jean qui, lui aussi, est écrit en grec, quand Jésus à Cana dit à sa mère : « Que me veux-tu ? Quoi de moi à toi ? », c’est le texte littéral, c’est un hébraïsme qu’on a voulu mettre en grec comme on a pu et qui veut dire, quand on le traduit bien : « Qu’y a-t-il entre toi et moi ? » Quand on l’analyse profondément avec l’Esprit Saint, on traduit : « Tu sais qu’il y a tout entre toi et moi. Tu me demandes maintenant de changer l’eau en vin, cela va venir. Je sais que toi ce n’est pas le vin que tu veux, c’est le salut. Attends, l’heure n’est pas encore venue. »

D. Klanac : Et, qu’en est-il des nombreux évangiles apocryphes qui sèment la confusion ?

A. Dumouch : Il existe effectivement une quantité importante d’évangiles apocryphes qui n’ont pas été reconnus par l’Église. La plupart des évangiles apocryphes sont beaucoup plus tardifs et là l’exégèse historico-critique, qui consiste à analyser les mentalités, peut-être utile.

En effet, vers le IVe siècle après Jésus-Christ, une pensée particulière, venue d’Orient, le manichéisme, va s’étendre jusqu’aux cathares et entraîner, au Moyen Âge, la croisade contre les Albigeois.[9] Cette pensée affirme qu’il y a deux Dieu, un Dieu du bien et un Dieu du mal et que le Dieu du mal ayant créé le corps et la sexualité, la plus belle façon d’atteindre l’éternité est de se débarrasser de ce corps. Dans l’évangile de Judas, un apocryphe retrouvé récemment, Judas est l’ami de Jésus et lui propose de l’aider à se débarrasser de ce corps en le livrant par amitié aux juifs pour être crucifié. Judas accomplirait donc le rituel manichéen. Cette pensée-là n’existait pas en Palestine à l’époque de Jésus, ce qui permet de dater ces évangiles bien plus tardivement. La plupart des 10, 15, 20[10] évangiles apocryphes sont de cette source-là. Ce sont des évangiles gnostiques avec des pensées, des interprétations de l’Écriture qui viennent des philosophies qui couraient dans l’Empire romain à cette époque-là.

Les musulmans, eux, ont fait une erreur à la suite de la mort de Mohamed, parce qu’ils avaient aussi mis par écrit les différentes versions du Coran qu’ils avaient apprises par cœur et que récitaient des fidèles. Seulement, il y avait 33 versions différentes et le premier successeur de Mohamed choisit une des versions et brûla les 32 autres. Les évangiles apocryphes, et c’est ce qui fait la différence avec le Coran, on les a tous, ce qui permet de se faire une idée. Il y a un évangile apocryphe qui raconte que Jésus n’est pas mort sur la croix, mais que c’est quelqu’un qui lui ressemblait et que Jésus est vivant quelque part avant de revenir à la fin du monde. C’est cette version là, très tardive, que Mohamed a utilisée dans le Coran.

D. Klanac : Pourquoi l’Église a-t-elle arrêté son choix sur les quatre Évangiles ?

A. Dumouch : Si l’Église a choisi ces quatre Évangiles que nous connaissons, c’est parce qu’ils étaient contemporains. Saint Irénée, qui était évêque de Lyon, a écrit à peine moins de cent ans après la mort de Jésus. Les gens avaient une tradition orale, ils se racontaient des choses de communauté en communauté. Donc, ils étaient très bien placés pour savoir qui avait écrit quoi et ce qui était valable. L’Évangile de saint Jean, le disciple que Jésus aimait, a toujours été considéré comme le sien et cela en ligne directe, parce que des évêques nommés par saint Jean l’ont raconté à d’autres évêques jusqu’à ce que saint Irénée le mette par écrit. Tous les détails que l’on a sur Mathieu le publicain, sur Marc, disciple de Pierre, sur Luc, qui a connu la Vierge Marie, tous ces détails-là sont marqués par des Pères de l’Église. Les exégètes actuels qui s’amusent à les contredire sont beaucoup moins bien placés que les contemporains de Jésus. L’essentiel c’est qu’au-delà de ce choix humain, l’Esprit-Saint a fait surgir ce qu’il voulait et donc si l’Église a fixé le canon des quatre Évangiles, des Épîtres de saint Paul et de saint Jean, de l’Apocalypse de saint Jean dans le Nouveau Testament, c’est bien parce que l’Esprit Saint le voulait. C’est cela l’essentiel. Lorsque le canon de l’Écriture a été fixé, il y a eu des discussions entre les Pères, ils se sont battus. Certains étaient pour joindre les livres écrits en grec de l’Ancien Testament, d’autres s’y opposaient ; certains refusaient l’Apocalypse, d’autres la voulaient. Au bout du compte ne sort que ce que l’Esprit Saint veut. Rien de plus.

D. Klanac : Comment comprendre et expliquer les contradictions et le caractère synoptique dans les Évangiles ? Les trois premiers, Mathieu, Marc et Luc, ont plus de choses en commun ; le quatrième, celui de Jean, est différent et d’un autre niveau.

A. Dumouch : Ce sont des contradictions de détails. Par exemple, on a deux généalogies de Jésus. L’une part de Jésus pour remonter à Adam et l’autre part d’Adam pour remonter à Jésus, mais les ancêtres immédiats de Jésus ne sont pas les mêmes. Certains Pères de l’Église ont dit que l’un partait des ancêtres de Joseph et l’autre de ceux de Marie. Peu importe. Quand il y a des petites contradictions comme cela, c’est simplement parce que ce sont des témoignages et des enquêtes et que, sur des points de détails, les apôtres ont pu se tromper, intervertir, etc. Mais sur la doctrine du salut contenue dans l’Évangile, il n’y a pas d’erreur.

Tous les évangélistes ont agi de manière humaine, les trois synoptiques se sont plagiés. Des exégètes disent qu’ils ont plagié une source écrite certainement en araméen, peut-être par Pierre lui-même et qu’ils l’ont simplement recopiée avant d’ajouter le résultat de leur propre enquête à d’autres sources, comme Luc qui ajoute l’enfance et des détails qu’il a certainement pris chez Marie. Les apôtres ne souffraient pas des scrupules que nous avons actuellement. Prenons l’exemple de la mort de Judas. Elle est racontée dans plusieurs endroits et dans les actes des apôtres. Chez Matthieu, il est écrit qu’il s’est pendu après avoir rendu l’argent aux prêtres qui achetèrent un champ pour en faire un cimetière. Les Actes des Apôtres disent qu’il s’est pendu, que son corps s’est fendu par le milieu et que ses entrailles se sont répandues et qu’avant cela il avait acheté un champ avec l’argent de sa trahison. Pour le premier point, la mort de Judas, il n’y a pas forcément contradiction, c’est peut-être complémentaire, il s’est pendu et les juifs ne voulaient pas toucher un cadavre, cela les rendait impurs d’après la loi de Moïse. Il est peut-être simplement tombé avec la branche et son corps s’est ouvert. Quant au champ qui est acheté d’un côté par les prêtres, de l’autre côté par Judas lui-même, il y a visiblement contradiction et cela montre que c’est une enquête avec des témoignages. Sur ce point-là, une des sources s’est trompée, mais quelle importance pour le salut ? C’est un détail historique qui a un sens symbolique : l’argent de la traîtrise, dans les deux cas, sert à se construire un domaine sur terre avec les morts et non pas avec les vivants.

Le quatrième Évangile, celui de Jean, est celui d’un témoin direct, un jeune homme qui est devenu sans doute disciple alors qu’il avait 15-16 ans. C’est toujours celui qui, dans l’iconographie, est représenté sans barbe parce qu’il est adolescent. C’est aussi celui que Jésus aimait. Dans sa jeunesse, c’est un caractère vigoureux, au point que Jésus l’appelle le fils du tonnerre. Un jour, alors qu’avec son frère il était allé prêcher dans un village et qu’il avait été mal reçu, il avait demandé à Jésus s’il fallait invoquer le ciel pour les détruire par le feu, voilà pourquoi le Seigneur l’appelait le fils du tonnerre. Devenu vieux, ce jeune homme si fougueux était devenu un sage extrêmement contemplatif et profond, qui méditait en présence de Marie. Il avait pénétré au cœur du mystère et Dieu voulut qu’il écrive l’Évangile dans lequel il raconte, parmi les centaines de signes que Jésus avait faits, les récits qui l’ont le plus frappé par leur sens profond. Jésus a guéri des milliers de gens, dit à un moment donné saint Jean, au point qu’on ne pourrait pas tout raconter. Jean choisit ce qui est significatif pour parler du mystère et il le fait beaucoup plus en collaboration directe avec l’Esprit Saint que les trois autres qui sont des historiens ou des témoins. Comme il est plus profond, il va au cœur du mystère, jusqu’à révéler la divinité de Jésus, mais aussi son testament que sont ces longs discours où Jésus s’explique.

Jean est un contemplatif. Son Évangile va bien plus loin que les autres par la profondeur de la connaissance de la divinité de Jésus et aussi de son humanité, mais il doit être lu avec toute l’Écriture. Même s’il y a de très nombreux auteurs humains en plus de saint Paul, il n’y a qu’un seul auteur divin. En fait, aucun texte portant sur le fond du mystère n’entre en contradiction. Quand, dans saint Jean uniquement, Jésus dit au disciple qu’il aimait « Voici ta mère », puis dit à sa mère Marie « Voici ton fils », il est évident qu’il s’agit d’une parole de Dieu, une des dernières paroles sur la croix. C’est une parole essentielle dans laquelle est contenu tout ce que l’Église catholique, grâce à l’Esprit Saint, et aussi l’Église orthodoxe, ont découvert sur la nouvelle Ève, celle qu’on ne comprend que si on est le disciple bien-aimé parce que grâce à elle on pénètre au cœur du mystère profond de la complémentarité de Marie et de Jésus.

 

8. Jn 21,25. [↩]

9. Croisade proclamée par l’Église catholique contre l’hérésie, principalement le catharisme, en 1208-1249. [↩]

10. Il y en a de nombreux et il est impossible de les dénombrer car certains sont perdus et simplement cités par les anciens Pères. [↩]

Arnaud Dumouch et Daria Klanac, Un entretien pour notre temps, Montréal, 2012.

 

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