Accueil > Bibliothèque > Un entretien… > Tome 2 : L’humilité de Dieu > L’apocalypse
Daria Klanac : L’Apocalypse de sain Jean fascine toujours et inspire les théologiens, les écrivains, les créateurs. Pour le simple fidèle, elle est difficile à lire et à saisir. Quel est ce genre littéraire et quel est le sens profond de ces révélations ?
Arnaud Dumouch : Le genre littéraire est celui d’un songe prophétique. Il s’agit d’un homme qui a fait un rêve extatique bouleversant. Il a bien compris que, sous forme de certains symboles, une réalité lui était révélée. Il est évident qu’il y a là une vision qui ne doit pas être prise au sens matériel. Les douze tribus dont on y parle symbolisent la totalité de l’humanité, 12.000 de chaque tribu signifiant un nombre immense que Dieu connaît de toute éternité. Pour interpréter ce texte, il faut donc être nourri de tous les symboles qui parcourent la Bible. Il faut presque avoir eu une âme de poète oriental, savoir ce que signifie l’encens, la myrrhe, le sens des pierres précieuses, etc. Évidemment, cette lecture n’est ni simple ni facile à comprendre, mais il n’est rien dans l’Apocalypse qui ne soit ailleurs dans les Écritures.
Prenons le texte de l’Apocalypse qui parle des sept mystères scellés. Jean voit un ange, il tient dans sa main un livre scellé de sept sceaux et on cherche quelqu’un qui peut ouvrir ce livre. Personne, ni sur terre ni sous terre, ne peut ouvrir ce livre. Jean pleure beaucoup de cette impossibilité, quand une voix crie : « L’Agneau le peut, l’Agneau peut ouvrir le livre avec les sept sceaux » et il ouvrit vraiment les sceaux un par un.
Le premier sceau est un cheval blanc, le second un cheval rouge feu. Le troisième un cheval noir, le quatrième un cheval blême, verdâtre. Le cinquième sceau représente les âmes de tous ceux qui sont morts injustement sur terre et qui crient vers Dieu en demandant justice. Le sixième sceau est comme si tout se détruisait sur terre, qu’il ne reste rien de vivant et que le ciel se retire comme un livre qu’on roule. Enfin à l’ouverture du septième sceau, très curieusement il se fait une demi-heure de silence dans le ciel. Quand on lit ce texte-là, on se demande ce que cela peut vouloir dire, mais il suffit de prendre le sens symbolique du texte. Il n’y a rien là de chronologique, il ne faut pas s’attendre à ce qu’au cours de l’histoire Dieu ouvre un à un les sceaux. Ce texte signifie qu’il y a un livre, c’est-à-dire une pensée particulière, une action particulière de Dieu que personne ne peut comprendre, sauf par le Christ. Le Christ seul en révèle le sens.
D. Klanac : Et qu’est-ce que cette pensée particulière de Dieu ?
A. Dumouch : Il suffit de regarder les sceaux qui sont ouverts, et on s’aperçoit qu’ils décrivent un à un tous les genres de souffrances qu’on peut vivre sur terre.
Le cheval blanc signifie que, quoi qu’il arrive, on est vaincu tôt ou tard. On peut créer une entreprise, un jour elle fermera, on peut construire un immeuble, un jour il sera en ruines. On peut faire des enfants, un jour ils mourront.
Au cheval rouge est donné le pouvoir de se battre, c’est la guerre ; la guerre physique, par exemple la Seconde Guerre mondiale pour la génération de l’époque ; la guerre à l’intérieure de soi qui fait que, tout en étant heureux, on cherche pourtant autre chose.
Le cheval noir, c’est la mort, la maladie. Cela signifie que notre cœur est malade, soit matériellement soit spirituellement, et cela aboutit à la mort.
Cheval verdâtre, signifie la famine. Là où on est misérable, on est souvent comblé de Dieu ; là où on est riche de biens matériels, on connaît la famine spirituelle, on ne sait pas pourquoi, alors on va chez les psychologues.
Le cinquième sceau est cette souffrance particulière qui montre que quoi qu’on fasse pour la justice, on ne gagne pas. Je pense à l’affaire Dutroux : on s’est battu pour qu’il n’y ait plus d’enfants violés, tués. Mais la police n’a rien fait et cela recommence, cela recommence perpétuellement. La plupart des crimes sont impunis au point qu’effectivement, de l’autre côté, ceux qui sont passés par une telle souffrance partout dans le monde et les enfants avortés crient vers Dieu et lui demandent quand est-ce qu’il va répandre sa justice sur la terre. Dieu les fait patienter, car seul le Christ peut l’expliquer et l’expliquera évidemment à l’heure de la mort.
Le sixième sceau exprime le fait que tout est détruit : « Il se fit un violent tremblement de terre. Le soleil devint noir comme une étoffe de crin, et la lune entière comme du sang. Les étoiles du ciel tombèrent sur la terre, comme fruits verts d’un figuier battu par la tempête. »[11] C’est exprès que l’Apocalypse donne un sens symbolique, parce qu’on doit pouvoir appliquer ce genre de texte à toutes les réalités de l’histoire, sans exception. Prenons ce texte, on peut l’appliquer sans problème à notre propre vie : quand on devient vieux, quand le soleil devient noir comme une étoffe de crin, c’est peut-être quand on commence à perdre la raison. Pour sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, c’est quand elle perd à un moment donné le sens même de la foi, parce que Dieu lui envoie une épreuve : la nuit de l’esprit.
L’Apocalypse est très nette : chaque cheval symbolise le Christ. Il est envoyé sur Terre par Dieu, c’est encore un mystère scellé que seul le Christ peut expliquer. Les étoiles qui tombent du Ciel, cela peut s’appliquer par exemple à l’épreuve actuelle de l’Église, par le fait que la plupart des théologiens, depuis Vatican II, au lieu d’indiquer le Ciel et de suivre le Concile, indiquent la terre en disant que Dieu ne veut qu’une chose : que nous construisions la vie sur terre le mieux possible par la justice sociale, comme s’il n’y avait plus rien à construire en direction du ciel. Ce sont des théologiens, des étoiles donc, qui indiquent la direction et qui au lieu de l’indiquer verticalement le font horizontalement. Cela peut s’appliquer aussi aux épreuves d’une génération comme celle de la Seconde Guerre mondiale, quand ces gens entendaient à la radio les hurlements d’Hitler, quand Anne Frank était dans son grenier et qu’elle a entendu frapper à la porte et qu’on est venu l’arrêter.
Le septième sceau est peut-être le plus terrible. Une demi-heure de silence dans le ciel, le moment où Dieu choisit de se taire, de ne pas s’expliquer, sauf si on veut bien croire en Jésus-Christ qui a les clés pour comprendre.
D. Klanac : Et quelle est l’explication donnée par le Christ ?
A. Dumouch : L’Apocalypse nous la révèle en parlant de ces gens qui ont lavé leur robe dans le sang de l’Agneau et qui sont devenus purs, immaculés pour être présentés à Dieu. Cela veut dire que toutes les épreuves qu’on vit sur terre n’ont, pour Dieu, qu’un seul but : nous emmener dans la vie éternelle. Et il ne peut le faire qu’en nous façonnant un cœur pur, un cœur tout humble, brisé par la souffrance, un cœur qui peut enfin devenir aimant.
Tout cela est également présent dans les autres livres du Nouveau Testament qui révèlent les intentions de Dieu, mais aussi ces actions fortes. Tout ce qui est raconté dans l’Ancien Testament et ce qui s’est vraiment passé, c’était pour nous sauver, mais les gens de l’époque ne le savaient pas. Aujourd’hui, il nous arrive les mêmes épreuves, on peut perdre un enfant, on finira par mourir, mais on peut savoir pourquoi. Quelle joie quand on sait pourquoi et qu’il y a un but !
L’Apocalypse ne veut pas que nous tombions dans le piège de ce mystère de la fin des fins qui nous fascine tant. Dieu met les choses sous forme symbolique, sous forme d’un rêve afin qu’on comprenne que cela concerne notre vie individuelle, la vie de nos proches, la vie de Jésus, la vie de Marie, la vie des générations et la fin du monde effectivement un jour, sans compter d’autres mystères comme celui du peuple d’Israël.
11. Ap 6,12. [↩]
Arnaud Dumouch et Daria Klanac, Un entretien pour notre temps, Montréal, 2012.